Colloque des 17 et 18 janvier 2002
L'évaluation, la protection et la prise en charge des
cérébro-lésés
accueil | accueil colloque | actes | écrire à l'auteur

 

L'EVALUATION DES SEQUELLES COGNITIVES
DES TRAUMATISES CRÂNIENS DANS LE CADRE DE L'EXPERTISE :
QUELS TESTS CHOISIR ?

Jean-Michel MAZAUX *
Chef de service adjoint du service de médecine physique et de réadapation du CHU de Bordeaux
Professeur de médecine physique et de réadaptation à l'Université de Bordeaux
Expert Judiciaire près la Cour d'Appel de Bordeaux

 

Les fonctions cognitives correspondent aux opérations mentales qui nous permettent de percevoir, connaître et comprendre le monde extérieur, d’en formuler des représentations (notamment verbales), et d'agir sur lui. Leurs troubles représentent la séquelle principale des traumatismes crâniens. Dans les formes légères à modérées, ils diminuent la qualité de vie des blessés, perturbent leurs contacts sociaux, et ont une influence négative sur leur activité professionnelle. Dans les formes les plus sévères, ils compromettent l'insertion professionnelle et la vie sociale, mais aussi la vie domestique et personnelle lorsque ces personnes ont besoin d'être stimulées et guidées dans tous les actes de la vie courante. Enfin, les séquelles cognitives sont très souvent associées aux troubles du comportement, et pour bien des auteurs, elles en représentent la cause principale. Leur évaluation est donc très importante dans le cadre de l'expertise, notamment pour déterminer l'Incapacité Permanente Partielle.

Or cette évaluation est difficile. Les troubles cognitifs sont plus discrets que les troubles du comportement, et bien souvent le patient n'en a qu'une conscience partielle, et ne s'en plaint pas. On a parlé à leur sujet de handicap invisible. Souvent effectuée en temps limité, l'expertise risque de prendre en compte principalement les séquelles physiques et les troubles du comportement, et de sous-estimer les troubles cognitifs, peu accessibles au seul examen clinique.

A la suite d’un traumatisme crânien, les troubles concernent principalement l'attention, les capacités perceptives, la mémoire, le langage, les fonctions visuo-constructives et les fonctions exécutives. Dans le cadre de l'expertise, on peut proposer une investigation préliminaire, exploratoire, effectuée par l'expert lui-même, et une investigation complémentaire, effectuée par un sapiteur neuropsychologue à l'aide de tests psychométriques.

Investigation exploratoire

Après le recueil des plaintes, l'expert peut effectuer un examen neuropsychologique informel, ou mieux standardiser sa démarche avec des outils spécifiques.

Le Document Européen d'Evaluation des Traumatisés Crâniens EBIS de Brooks, Truelle et coll. comporte 32 items consacrés aux déficiences neuropsychologiques et comportementales.

* Groupe Handicap & Cognition EA 487, Université Bordeaux 2  e.mail : jean-michel.mazaux@chu-bordeaux.fr

Les questions sont simples, à réponse souvent dichotomique, et explorent l'orientation temporo-spatiale, la mémoire verbale, les capacités d'apprentissage, le langage, les praxies constructives, et les fonctions exécutives.

L'Echelle Neurocomportementale NRS-R de Levin, Mazaux et Vanier, est elle aussi bien adaptée à la problématique de l'expertise. Elle comporte 29 variables cotées à partir d'un entretien dirigé standardisé. Des questions explorent les plaintes cognitives, la conscience des troubles, l'état psychologique et émotionnel du patient, ainsi que ses motivations. Quelques tests très simples et rapides explorent également l'attention, la mémoire et les fonctions exécutives. La sévérité des troubles est cotée à l'aide d'un guide détaillé sur une échelle ordinale en : troubles absents, discrets, moyens ou sévères.

Investigation complémentaire

S'il en a le temps et la formation, l'expert peut tout à fait pratiquer lui-même des tests psychométriques. Mais il est souvent plus aisé de faire appel à un neuropsychologue habitué à l'exploration des troubles cognitifs des adultes. Plusieurs types d’outils sont disponibles :

- des tests, c'est-à-dire des situations standardisées où l'on explore la capacité d'effectuer devant l’examinateur une tâche cognitive, dans des conditions contrôlées réduisant l'influence des autres variables et des autres fonctions cognitives ;

- des questionnaires, adressés au patient lui-même et/ou à son entourage, qui évaluent les aptitudes cognitives en général, ce qui permet d'en évaluer le retentissement sur la vie courante ;

- des check-lists, structurées comme les questionnaires, mais cotées de façon dichotomique oui-non, présence ou absence du trouble ;

- des échelles ordinales, à plusieurs degrés de réponse, généralement cotées à partir d'un entretien standardisé.

On peut également distinguer parmi les outils de la neuropsychologie :

  • des évaluations globales, ou batteries, qui s'intéressent à une fonction cognitive dans son ensemble,
  • des tests spécifiques d'une fonction, ou même d'un aspect particulier d'une fonction,
  • et des évaluations écologiques, permettant de recueillir les informations dans des situations proches de la vie quotidienne.

Quels tests utiliser ?

1. Evaluation psychométrique de l'efficience intellectuelle générale

Une altération massive de l'efficience intellectuelle est rare dans le traumatisme crânien. Elle est caractéristique du syndrome de démence post-traumatique. Bien plus souvent, on observera une altération légère, réduisant l'efficience du blessé dans les tâches complexes, notamment de la vie sociale et professionnelle. Le sujet donne l'impression d'être ralenti, de comprendre avec difficulté, il faut s'adresser à lui en termes simples, parfois répéter les questions. Les réponses manquent parfois de cohérence avec l'interrogation. Sur le plan des tests, le célèbre Mini Mental Status de Folstein peut être utilisé, mais il est a priori plus adapté au dépistage de la maladie d'Alzheimer qu'au repérage des troubles cognitifs post-traumatiques. L'outil de référence reste l'Echelle d'Intelligence de Wechsler pour Adultes WAIS, périodiquement révisée, et pour laquelle existent des milliers de données de référence. Le Quotient Intellectuel Verbal est habituellement mieux conservé que le Quotient Performance. Cependant, comme tous les tests, la WAIS ne donne qu'une performance instantanée, ici et maintenant, qu'il faut relativiser en fonction des capacités intellectuelles antérieures supposées. On peut également utiliser les Progressive Matrices de Raven.

2. Troubles d'attention

L'attention n'est pas une fonction homogène. Ses troubles se manifestent cliniquement chez les traumatisés crâniens par un ralentissement psychomoteur et cognitif, une distractibilité, des difficultés à faire deux choses à la fois, une fatigabilité cognitive. On peut évaluer l'attention avec le Trail Making Test et le Stroop Test, tous deux sensibles aux phénomènes d'interférence, avec le Test des Barrages de Zazzo, le Subtest d'Appariement Chiffres-Symboles de la WAIS. La Batterie Informatisée TEA, conçue par Zimmermann et Firm, est plus longue à faire passer, mais documente spécifiquement chaque composante cognitive de l'attention.

L'héminégligence est une forme très particulière de troubles attentionnels, localisée à la moitié de l'espace visuel, le plus souvent le gauche. L'héminégligence n'est pas très fréquente chez les traumatisés crâniens. Elle s'explore par les tests de barrage (de lettres ou de signes, tel que le Test des Cloches) ou par le test de Zazzo, ou par le test de bissection de lignes de Schenkenberg.

3. Troubles d'orientation, de mémoire et d'apprentissage

Ces troubles sont très fréquents chez les traumatisés crâniens.Les troubles d'orientation prédominent à la phase précoce. On peut les évaluer avec la version française du Galveston Orientation and Amnesia Test de Levin et coll. Un score inférieur à 75/100 à ce test montre que le blessé est encore en période d'amnésie post-traumatique évolutive, avec désorientation temporo-spatiale, amnésie antérograde pour les faits survenus depuis l'accident, et même quelquefois amnésie rétrograde.Il n’est pas recommandé d’effectuer des tests plus détaillés à ce stade.

Aux phases plus tardives, la mémoire de travail, dont les relations avec les troubles attentionnels et dysexécutifs sont étroites, est évaluée par le PASAT de Gronwall et Wrightson, le compte à rebours de Folstein, ou les plus classiques empans de chiffres. Les troubles de mémoire épisodique et d'apprentissage peuvent être recherchés en mémoire verbale et en mémoire visuelle. Pour la mémoire verbale, on utilisera principalement le test de Grober et Buschke ou mieux la version française du California Verbal Learning Test. Pour la mémoire visuelle, la Figure Complexe de Rey reste l'outil de référence. L'Echelle Clinique de Mémoire de Wechsler, périodiquement révisée, et la Batterie d'Efficience Mnésique BEM 144 conçue par Signoret donnent une évaluation plus globale, évaluant simultanément la mémoire verbale et la mémoire visuelle, et les différents stades de l'acte de mémoire : acquisition, stockage, rappel libre, rappel indicé, reconnaissance. Le traumatisme crânien peut en effet affecter sélectivement l'une ou l'autre de ces composantes, donc l’expert doit les considérer une par une. Des évaluations de la métamémoire et des capacités de mémorisation en conditions écologiques sont aussi développées.

4. Activités visuo-constructives

Pour des raisons neuro-anatomiques, les troubles visuo-constructifs sont relativement rares au stade séquellaire, du moins dans des formes massives. Outre les tests explorants l'héminégligence, on peut utiliser la Figure Complexe de Rey, en copie, pour rechercher une apraxie constructive. Des tests plus fins, utiles par exemple chez des blessés en activité professionnelle, peuvent montrer des troubles plus subtils de l'appréciation des distances, de la profondeur, de la vision tridimensionnelle, de l'orientation de lignes dans l'espace.

5. Langage et communication

Pour les mêmes raisons, l'aphasie est rare dans le traumatisme crânien. On l'évalue avec les tests d'aphasie classiques : Boston Diagnostic Aphasia Examination, version française par Mazaux et Orgogozo ; Protocole Montréal-Toulouse MT 86, de Nespoulous, Lecours et coll.

Indépendamment de l'aphasie, des troubles des comportements de communication : style langagier, attitudes et postures vis à vis de l'interlocuteur, non-respect de l’alternance des tours de parole, digressions, excès de familiarité ou de distance, etc... sont souvent observés. Malheureusement, il n'existe pas à l'heure actuelle de protocole standardisé et validé en français pour les évaluer.

Les dysarthries, ou troubles de la parole, sont également fréquentes, et souvent associées aux troubles de la voix (dysphonies).Leur évaluation peut nécessiter un examen phoniatrique.

6. Troubles des fonctions exécutives

Ces troubles correspondent à la composante cognitive du syndrome frontal post-traumatique. Ils sont impliqués dans la formulation de projets et d'intentions, la planification et l'engagement dans l'action, le contrôle de son exécution, et la vérification du résultat. Les troubles sont plus marqués pour les actions nouvelles, inconnues et complexes, que pour les activités routinières et familières, qui sont habituellement conservées. Parmi les tests cognitifs classiques, citons de nouveau le Stroop Test et le Trail Making Test, qui explorent principalement la résistance aux interférences, le Wisconsin Sorting Card Test, qui explore la capacité à changer de stratégie et à deviner les intentions de l'examinateur, le Test de La Tour de Londres qui explore les capacités de planification et de résolution des problèmes. Wilson, Alderman et Burgess ont également développé une batterie d'évaluation du syndrome dysexécutif BADS.

Parmi les tests écologiques, citons le Test des Commissions Multiples de Shallice, et les tests de repérage d'itinéraires.

7. Métacognition

Les troubles de la conscience de soi, accompagnés d'irréalisme des projets, sont caractéristiques des traumatisés crâniens graves présentant un syndrome frontal post-traumatique. Ces patients ne se plaignent de rien, ils déclarent à l’expert que pour eux tout va bien. La confrontation de l'opinion du blessé et de son entourage est souvent un moyen de les aider à mieux se comprendre et à évaluer objectivement les troubles de la métacognition en vue de l'expertise. Peu d’outils standardisés sont disponibles. On peut utiliser le Questionnaire de Mémoire dans la Vie Quotidienne de Van der Linden, ou la Patient Competency Rating Scale de Prigatano.

Synthèse et interprétation

L'évaluation des fonctions cognitives dans le traumatisme crânien ne se limite évidemment pas à la pratique des tests psychométriques que nous venons de citer. Des erreurs d'interprétation peuvent se produire, liées aux tests ou liées au sujet.

Parmi les erreurs et difficultés liées aux tests, citons le manque de sensibilité, de spécificité, de reproductibilité de l'outil de mesure, et les problèmes de validité liés à l'interdépendance des fonctions cognitives. Il faut aussi se méfier des tests comportant un score additif, qui masque potentiellement les problèmes de l'une ou l'autre de ses composantes, et vérifier la validité écologique de l'outil de mesure. Les tests sont en général étalonnés en référence à des normes, mais on doit s'interroger sur le concept de norme et de standard dans le domaine cognitif et comportemental. Parmi les difficultés et erreurs d'interprétation liées au sujet, l'influence de l'âge, du sexe et du niveau d'éducation est habituellement prise en compte par le calcul de notes standard à partir des notes brutes. Mais il faut aussi tenir compte quelquefois de l'influence de la culture et de la langue maternelle, et du contexte médical (fatigue, traitements). La simulation est une préoccupation fréquente des experts. On peut en effet donner volontairement de fausses réponses à un questionnaire. Mais, à moins d’être diplômé en médecine ou en psychologie et bien connaître les tests, on ne peut pas les maquiller, car leur progression et leur structure obéissent à une logique interne, de sorte que des erreurs volontaires se repèrent tout de suite. Lorsqu’on craint une attitude de simulation, il vaut donc mieux utiliser des tests que des questionnaires. On sera plus souvent en difficulté pour interpréter les résultats chez un sujet dépressif, du fait de l’inhibition que la dépression exerce sur la cognition. De même, une anxiété importante peut être responsable de troubles attentionnels, ou plus rarement, de mémoire.

On le voit, à l’issue des tests, il faut en effectuer soigneusement la synthèse, le regroupement logique et l'interprétation en fonction des données anamnestiques, des styles de vie et des conduites antérieures du sujet. Il faut également tenir le plus grand compte des variables affectives et comportementales, qui inter-agissent avec les troubles comportementaux. Au total, l'évaluation est une synthèse globale du fonctionnement mental, comme souvent le tout représente plus que l'addition de ses parties. La confrontation du bilan cognitif et des données de l'entretien psychiatrique est dans ce domaine un atout précieux.

N.B. Des informations complémentaires sur les troubles cognitifs post-traumatiques et les références des tests cités peuvent être consultées dans : F. Cohadon, J.P. Castel, E. Richer, J.M. Mazaux, H. Loiseau. Les traumatisés crâniens, de l'accident à la réinsertion, 2ème édition, Paris, Arnette 2002.

 

accueil | accueil colloque | actes | haut de la page