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  A Nîmes, des "instits" moteur du mouvement
A Nîmes, des "instits" moteur du mouvement

La réforme des retraites a relancé la grève contre la décentralisation

Nîmes de notre correspondant

Blouson noir et queue-de-cheval, Denis Bouville, instituteur en petite section de maternelle, fait partie du noyau dur des 100 à 150 enseignants nîmois qui, chaque jour, courent les assemblées générales. En grève depuis le 24 mars, ils se rendent d'un établissement à l'autre pour convaincre leurs collègues et, parfois, des parents d'élèves. De fortes têtes qui, pour la plupart, ont participé au mouvement de février et mars 2000. Les instituteurs gardois avaient alors conduit une grève de sept semaines afin d'obtenir 500 postes supplémentaires dans le département. Denis, avec trois autres enseignants, était allé jusqu'à la grève de la faim.

Cette fois, l'ambiance est très différente. Car le mouvement de l'hiver 2000 a laissé des traces chez les instituteurs gardois. Et peu importe que la grève ait fini, à l'époque, par faire tache d'huile au plan national. Un esprit potache régnait alors sur les défilés des enseignants. "Trois ans plus tard, on tape sur des tonneaux, mais ce n'est pas pour que les gens dansent, nos défilés n'ont plus le même caractère festif", remarque Denis. "On est sorti aigri et fatigué de ces sept semaines parce que les promesses du gouvernement n'ont pas été tenues. On a eu l'impression d'avoir fait tout ça pour rien. Repartir si peu de temps après dans une grève que l'on savait, elle aussi, devoir être longue, n'a pas forcément été évident", ajoute ce non-syndiqué. "Même si les deux mouvements sont totalement différents, je connais des collègues qui ne se sont pas remis de ces grèves et qui, aujourd'hui, ne participent pas pour cette raison", confirme un autre instituteur, Guy Dejean, adhérent à SUD.

MORAL AU BEAU FIXE

Mais ce jeudi, au lendemain du succès de la manifestation du 13 mai, le moral est au beau fixe : 300 enseignants et personnels techniques attendent le recteur d'académie devant un lycée de Nîmes. La question des retraites, arrivée à point nommé pour relancer la grève des enseignants, occupe autant les conversations que le sujet de la décentralisation, à l'origine du mouvement. Depuis deux jours, le nombre de participants aux assemblées générales est remonté, les pourcentages de grévistes dans les écoles, collèges et lycées sont, eux aussi, à la hausse. Les techniciens et ouvriers spécialisés ont réactivé leur comité d'action.

A l'exception de la CFDT, le front syndical est uni. Un collège est occupé par des parents d'élèves et des personnels de l'établissement solidaires. Dans d'autres écoles, les parents s'impatientent. "Et on les comprend, nous aussi on voudrait en finir", rétorque Philippe, instituteur qui, bénévolement, passe chaque jour dans sa classe. Sur la décentralisation, il s'interroge : "Comment Chirac, qui a été élu pour faire barrage au FN, peut-il mettre l'école dans les mains d'élus régionaux qui, ici, ont pactisé avec le FN ?"

En cette fin de semaine, les enseignants nîmois sont le moteur du mouvement de protestation dans le Gard. Finances, hospitaliers : ils ne ratent aucune AG. "En 1995, vous étiez la locomotive et nous étions dans les voitures, cette année ce sera l'inverse", lance M. Dejean aux cheminots qui, vendredi, décident la reprise du travail. Une locomotive que l'administration tente de freiner en jouant sur les fiches de paie. "Certains collègues, pas tous pour l'instant, ont déjà reçu des feuilles de prélèvements des jours de grève alors qu'habituellement cette question se règle à la fin du conflit. C'est une pression supplémentaire", affirme Laurence, prof de maths dans un lycée de Nîmes. "Pour l'instant, j'ai perdu 3 000 euros, si je vais jusqu'au bout, cela en fera 4 500, poursuit Denis Bouville. Mais ce n'est rien par rapport aux cinq années que l'on va me prendre ensuite."

Richard Benguigui

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