zola1.txt:1: zola1.txt:2: PREMIERE PARTIE zola1.txt:3: zola1.txt:4: I, I zola1.txt:5: zola1.txt:6: Dans la plaine rase, sous la nuit sans étoiles, d'une obscurité et zola1.txt:7:d'une épaisseur d'encre, un homme suivait seul la grande route de zola1.txt:8:Marchiennes à Montsou, dix kilomètres de pavé coupant tout droit, à travers zola1.txt:9:les champs de betteraves. Devant lui, il ne voyait même pas le sol noir, et zola1.txt:10:il n'avait la sensation de l'immense horizon plat que par les souffles du zola1.txt:11:vent de mars, des rafales larges comme sur une mer, glacées d'avoir balayé zola1.txt:12:des lieues de marais et de terres nues. Aucune ombre d'arbre ne tachait le zola1.txt:13:ciel, le pavé se déroulait avec la rectitude d'une jetée, au milieu de zola1.txt:15: zola1.txt:16: L'homme était parti de Marchiennes vers deux heures. Il marchait d'un zola1.txt:17:pas allongé, grelottant sous le coton aminci de sa veste et de son pantalon zola1.txt:18:de velours. Un petit paquet, noué dans un mouchoir à carreaux, le gênait zola1.txt:19:beaucoup; et il le serrait contre ses flancs, tantôt d'un coude, tantôt de zola1.txt:20:l'autre, pour glisser au fond de ses poches les deux mains à la fois, des zola1.txt:21:mains gourdes que les lanières du vent d'est faisaient saigner. Une seule zola1.txt:22:idée occupait sa tête vide d'ouvrier sans travail et sans gîte, l'espoir que zola1.txt:23:le froid serait moins vif après le lever du jour. Depuis une heure, il zola1.txt:24:avançait ainsi, lorsque sur la gauche à deux kilomètres de Montsou, il zola1.txt:25:aperçut des feux rouges, trois brasiers brûlant au plein air, et comme zola1.txt:26:suspendus. D'abord, il hésita, pris de crainte; puis, il ne put résister au zola1.txt:28: zola1.txt:29: Un chemin creux s'enfonçait. Tout disparut. L'homme avait à droite une zola1.txt:30:palissade, quelque mur de grosses planches fermant une voie ferrée; tandis zola1.txt:31:qu'un talus d'herbe s'élevait à gauche, surmonté de pignons confus, d'une zola1.txt:33: zola1.txt:34: Il fit environ deux cents pas. Brusquement, à un coude du chemin, les zola1.txt:35:feux reparurent près de lui, sans qu'il comprît davantage comment ils zola1.txt:36:brûlaient si haut dans le ciel mort, pareils à des lunes fumeuses. Mais, au zola1.txt:37:ras du sol, un autre spectacle venait de l'arrêter. C'était une masse zola1.txt:38:lourde, un tas écrasé de constructions, d'où se dressait la silhouette d'une zola1.txt:39:cheminée d'usine; de rares lueurs sortaient des fenêtres encrassées, cinq ou zola1.txt:40:six lanternes tristes étaient pendues dehors, à des charpentes dont les bois zola1.txt:41:noircis alignaient vaguement des profils de tréteaux gigantesques; et, de zola1.txt:42:cette apparition fantastique, noyée de nuit et de fumée, une seule voix zola1.txt:43:montait, la respiration grosse et longue d'un échappement de vapeur, qu'on zola1.txt:45: zola1.txt:47:il n'y aurait pas de travail. Au lieu de se diriger vers les bâtiments, il zola1.txt:48:se risqua enfin à gravir le terri sur lequel brûlaient les trois feux de zola1.txt:49:houille, dans des corbeilles de fonte, pour éclairer et réchauffer la zola1.txt:50:besogne. Les ouvriers de la coupe à terre avaient dû travailler tard, on zola1.txt:51:sortait encore les débris inutiles. Maintenant, il entendait les moulineurs zola1.txt:52:pousser les trains sur les tréteaux, il distinguait des ombres vivantes zola1.txt:54: zola1.txt:56: zola1.txt:57: Tournant le dos au brasier, le charretier était debout, un vieillard zola1.txt:59:pendant que son cheval, un gros cheval jaune, attendait, dans une immobilité zola1.txt:60:de pierre, qu'on eût vidé les six berlines montées par lui. Le manoeuvre zola1.txt:63:une bise glaciale, dont les grandes haleines régulières passaient comme des zola1.txt:65: zola1.txt:67: zola1.txt:70: zola1.txt:71: - Je me nomme Etienne Lantier, je suis machineur... Il n'y a pas de zola1.txt:73: zola1.txt:76: zola1.txt:78: zola1.txt:79: - Du travail pour un machineur, non, non... Il s'en est encore présenté zola1.txt:81: zola1.txt:82: Une rafale leur coupa la parole. Puis, Etienne demanda, en montrant le zola1.txt:84: zola1.txt:86: zola1.txt:87: Le vieux, cette fois, ne put répondre. Un violent accès de toux zola1.txt:88:l'étranglait. Enfin, il cracha, et son crachat, sur le sol empourpré, laissa zola1.txt:90: zola1.txt:92: zola1.txt:93: A son tour, de son bras tendu, il désignait dans la nuit le village zola1.txt:94:dont le jeune homme avait deviné les toitures. Mais les six berlines étaient zola1.txt:95:vides, il les suivit sans un claquement de fouet, les jambes raidies par des zola1.txt:96:rhumatismes; tandis que le gros cheval jaune repartait tout seul, tirait zola1.txt:97:pesamment entre les rails, sous une nouvelle bourrasque, qui lui hérissait zola1.txt:99: zola1.txt:100: Le Voreux, à présent, sortait du rêve. Etienne, qui s'oubliait devant zola1.txt:101:le brasier à chauffer ses pauvres mains saignantes, regardait, retrouvait zola1.txt:102:chaque partie de la fosse, le hangar goudronné du criblage, le beffroi du zola1.txt:103:puits, la vaste chambre de la machine d'extraction, la tourelle carrée de la zola1.txt:104:pompe d'épuisement. Cette fosse, tassée au fond d'un creux, avec ses zola1.txt:105:constructions trapues de briques, dressant sa cheminée comme une corne zola1.txt:106:menaçante, lui semblait avoir un air mauvais de bête goulue, accroupie là zola1.txt:107:pour manger le monde. Tout en l'examinant, il songeait à lui, à son zola1.txt:108:existence de vagabond, depuis huit jours qu'il cherchait une place; il se zola1.txt:109:revoyait dans son atelier du chemin de fer, giflant son chef, chassé de zola1.txt:110:Lille, chassé de partout; le samedi, il était arrivé à Marchiennes, où l'on zola1.txt:111:disait qu'il y avait du travail, aux Forges; et rien, ni aux Forges, ni chez zola1.txt:112:Sonneville, il avait dû passer le dimanche caché sous les bois d'un chantier zola1.txt:113:de charronnage, dont le surveillant venait de l'expulser, à deux heures de zola1.txt:114:la nuit. Rien, plus un sou, pas même une croûte: qu'allait-il faire ainsi zola1.txt:116:Oui, c'était bien une fosse, les rares lanternes éclairaient le carreau, une zola1.txt:117:porte brusquement ouverte lui avait permis d'entrevoir les foyers des zola1.txt:118:générateurs, dans une clarté vive. Il s'expliquait jusqu'à l'échappement de zola1.txt:119:la pompe, cette respiration grosse et longue, soufflant sans relâche, qui zola1.txt:121: zola1.txt:122: Le manoeuvre du culbuteur, gonflant le dos, n'avait pas même levé les zola1.txt:123:yeux sur Etienne, et celui-ci allait ramasser son petit paquet tombé à zola1.txt:125:on le vit sortir de l'ombre, suivi du cheval jaune, qui montait six zola1.txt:127: zola1.txt:129: zola1.txt:131: zola1.txt:132: - Oh! ce ne sont pas les fabriques qui manquent. Fallait voir ça, il y zola1.txt:134:jamais on n'avait tant gagné... Et voilà qu'on se remet à se serrer le zola1.txt:135:ventre. Une vraie pitié dans le pays, on renvoie le monde, les ateliers zola1.txt:136:ferment les uns après les autres... Ce n'est peut-être pas la faute de zola1.txt:137:l'empereur; mais pourquoi va-t-il se battre en Amérique? Sans compter que zola1.txt:139: zola1.txt:140: Alors, en courtes phrases, l'haleine coupée, tous deux continuèrent à zola1.txt:141:se plaindre. Etienne racontait ses courses inutiles depuis une semaine; il zola1.txt:142:fallait donc crever de faim? Bientôt les routes seraient pleines de zola1.txt:143:mendiants. Oui, disait le vieillard, ça finirait par mal tourner, car il zola1.txt:145: zola1.txt:147: zola1.txt:149: zola1.txt:151: zola1.txt:152: Leurs voix se perdaient, des bourrasques emportaient les mots dans un zola1.txt:154: zola1.txt:157: zola1.txt:158: Et, de sa main tendue de nouveau, il désigna dans les ténèbres des zola1.txt:159:points invisibles, à mesure qu'il les nommait. Là-bas, à Montsou, la zola1.txt:160:sucrerie Fauvelle marchait encore, mais la sucrerie Hoton venait de réduire zola1.txt:161:son personnel, il n'y avait guère que la minoterie Dutilleul et la corderie zola1.txt:162:Bleuze pour les câbles de mine, qui tinssent le coup. Puis, d'un geste zola1.txt:163:large, il indiqua, au nord, toute une moitié de l'horizon: les ateliers de zola1.txt:164:construction Sonneville n'avaient pas reçu les deux tiers de leurs commandes zola1.txt:165:habituelles; sur les trois hauts fourneaux des Forges de Marchiennes, deux zola1.txt:166:seulement étaient allumés; enfin, à la verrerie Gagebois, une grève zola1.txt:168: zola1.txt:169: - Je sais, je sais, répétait le jeune homme à chaque indication. J'en zola1.txt:171: zola1.txt:172: - Nous autres, ça va jusqu'à présent, ajouta le charretier. Les fosses zola1.txt:175: zola1.txt:176: Il cracha, il repartit derrière son cheval somnolent, après l'avoir zola1.txt:178: zola1.txt:179: Maintenant, Etienne dominait le pays entier. Les ténèbres demeuraient zola1.txt:180:profondes, mais la main du vieillard les avait comme emplies de grandes zola1.txt:181:misères, que le jeune homme, inconsciemment, sentait à cette heure autour de zola1.txt:182:lui, partout, dans l'étendue sans bornes. N'était-ce pas un cri de famine zola1.txt:183:que roulait le vent de mars, au travers de cette campagne nue? Les rafales zola1.txt:184:s'étaient enragées, elles semblaient apporter la mort du travail, une zola1.txt:185:disette qui tuerait beaucoup d'hommes. Et, les yeux errants, il s'efforçait zola1.txt:186:de percer les ombres, tourmenté du désir et de la peur de voir. Tout zola1.txt:188:très loin, que les hauts fourneaux et les fours à coke. Ceux-ci, des zola1.txt:189:batteries de cent cheminées, plantées obliquement, alignaient des rampes de zola1.txt:190:flammes rouges; tandis que les deux tours, plus à gauche, brûlaient toutes zola1.txt:191:bleues en plein ciel, comme des torches géantes. C'était d'une tristesse zola1.txt:192:d'incendie, il n'y avait d'autres levers d'astres, à l'horizon menaçant, que zola1.txt:194: zola1.txt:195: - Vous êtes peut-être de la Belgique? reprit derrière Etienne le zola1.txt:197: zola1.txt:198: Cette fois, il n'amenait que trois berlines. On pouvait toujours zola1.txt:199:culbuter celles-là: un accident arrivé à la cage d'extraction, un écrou zola1.txt:200:cassé, allait arrêter le travail pendant un grand quart d'heure. En bas du zola1.txt:201:terri, un silence s'était fait, les moulineurs n'ébranlaient plus les zola1.txt:202:tréteaux d'un roulement prolongé. On entendait seulement sortir de la fosse zola1.txt:204: zola1.txt:206: zola1.txt:208:heureux de l'accident; et il gardait sa sauvagerie muette, il avait zola1.txt:209:simplement levé de gros yeux éteints sur le charretier, comme gêné par tant zola1.txt:210:de paroles. Ce dernier, en effet, n'en disait pas si long d'habitude. Il zola1.txt:211:fallait que le visage de l'inconnu lui convînt et qu'il fût pris d'une de zola1.txt:212:ces démangeaisons de confidences, qui font parfois causer les vieilles gens zola1.txt:214: zola1.txt:216: zola1.txt:218: zola1.txt:220: zola1.txt:221: - Oui, oui... On m'a retiré trois fois de là-dedans en morceaux, une zola1.txt:222:fois avec tout le poil roussi, une autre avec de la terre jusque dans le zola1.txt:224:Alors, quand ils ont vu que je ne voulais pas crever, ils m'ont appelé zola1.txt:226: zola1.txt:227: Sa gaieté redoubla, un grincement de poulie mal graissée, qui finit par zola1.txt:229:éclairait en plein sa grosse tête, aux cheveux blancs et rares, à la face zola1.txt:230:plate, d'une pâleur livide, maculée de taches bleuâtres. Il était petit, le zola1.txt:231:cou énorme, les mollets et les talons en dehors, avec de longs bras dont les zola1.txt:232:mains carrées tombaient à ses genoux. Du reste, comme son cheval qui zola1.txt:233:demeurait immobile sur les pieds, sans paraître souffrir du vent, il zola1.txt:234:semblait en pierre, il n'avait l'air de se douter ni du froid ni des zola1.txt:235:bourrasques sifflant à ses oreilles. Quand il eut toussé, la gorge arrachée zola1.txt:236:par un raclement profond, il cracha au pied de la corbeille, et la terre zola1.txt:238: zola1.txt:240: zola1.txt:242: zola1.txt:244: zola1.txt:245: - Longtemps, ah! oui!... Je n'avais pas huit ans, lorsque je suis zola1.txt:246:descendu, tenez! juste dans le Voreux, et j'en ai cinquante-huit, à cette zola1.txt:247:heure. Calculez un peu... J'ai tout fait là-dedans, galibot d'abord, puis zola1.txt:248:herscheur, quand j'ai eu la force de rouler, puis haveur pendant dix-huit zola1.txt:249:ans. Ensuite, à cause de mes sacrées jambes, ils m'ont mis de la coupe à zola1.txt:250:terre, remblayeur, raccommodeur, jusqu'au moment où il leur a fallu me zola1.txt:251:sortir du fond, parce que le médecin disait que j'allais y rester. Alors, il zola1.txt:254: zola1.txt:255: Tandis qu'il parlait, des morceaux de houille enflammés, qui, par zola1.txt:256:moments, tombaient de la corbeille, allumaient sa face blême d'un reflet zola1.txt:258: zola1.txt:259: - Ils me disent de me reposer, continua-t-il. Moi, je ne veux pas, ils zola1.txt:261:pour avoir la pension de cent quatre-vingts francs. Si je leur souhaitais le zola1.txt:262:bonsoir aujourd'hui, ils m'accorderaient tout de suite celle de cent zola1.txt:263:cinquante. Ils sont malins, les bougres!... D'ailleurs, je suis solide, à zola1.txt:264:part les jambes. C'est, voyez-vous, l'eau qui m'est entrée sous la peau, à zola1.txt:265:force d'être arrosé dans les tailles. Il y a des jours où je ne peux pas zola1.txt:267: zola1.txt:269: zola1.txt:271: zola1.txt:273: zola1.txt:274: - Non, non, je me suis enrhumé, l'autre mois. Jamais je ne toussais, à zola1.txt:277: zola1.txt:279: zola1.txt:280: - Est-ce que c'est du sang? demanda Etienne, osant enfin le zola1.txt:282: zola1.txt:284: zola1.txt:285: - C'est du charbon... J'en ai dans la carcasse de quoi me chauffer zola1.txt:286:jusqu'à la fin de mes jours. Et voilà cinq ans que je ne remets pas les zola1.txt:289: zola1.txt:290: Il y eut un silence, le marteau lointain battait à coups réguliers dans zola1.txt:291:la fosse, le vent passait avec sa plainte, comme un cri de faim et de zola1.txt:292:lassitude venu des profondeurs de la nuit. Devant les flammes qui zola1.txt:294:bien sûr, ce n'était pas d'hier que lui et les siens tapaient à la veine! La zola1.txt:295:famille travaillait pour la Compagnie des mines de Montsou, depuis la zola1.txt:297:Guillaume Maheu, un gamin de quinze ans alors, avait trouvé le charbon gras zola1.txt:298:à Réquillart, la première fosse de la Compagnie, une vieille fosse zola1.txt:299:aujourd'hui abandonnée, là-bas, près de la sucrerie Fauvelle. Tout le pays zola1.txt:301:du prénom de son grand-père. Il ne l'avait pas connu, un gros à ce qu'on zola1.txt:303:Nicolas Maheu dit le Rouge, âgé de quarante ans à peine, était resté dans le zola1.txt:304:Voreux, que l'on fonçait en ce temps-là: un éboulement, un aplatissement zola1.txt:305:complet, le sang bu et les os avalés par les roches. Deux de ses oncles et zola1.txt:306:ses trois frères, plus tard, y avaient aussi laissé leur peau. Lui, Vincent zola1.txt:307:Maheu, qui en était sorti à peu près entier, les jambes mal d'aplomb zola1.txt:308:seulement, passait pour un malin. Quoi faire, d'ailleurs? Il fallait zola1.txt:310:Son fils, Toussaint Maheu, y crevait maintenant, et ses petits-fils, et tout zola1.txt:311:son monde, qui logeait en face, dans le coron. Cent six ans d'abattage, les zola1.txt:312:mioches après les vieux, pour le même patron: hein? beaucoup de bourgeois zola1.txt:314: zola1.txt:316: zola1.txt:318: zola1.txt:319: Bonnemort se tut, les yeux tournés vers le coron, où des lueurs zola1.txt:320:s'allumaient une à une. Quatre heures sonnaient au clocher de Montsou, le zola1.txt:322: zola1.txt:324: zola1.txt:325: Le vieux haussa les épaules, puis les laissa retomber, comme accablé zola1.txt:327: zola1.txt:328: - Ah! oui, ah! oui... Pas aussi riche peut-être que sa voisine, la zola1.txt:329:Compagnie d'Anzin. Mais des millions et des millions tout de même. On ne zola1.txt:333:Dix mille ouvriers, des concessions qui s'étendent sur soixante-sept zola1.txt:334:communes, une extraction de cinq mille tonnes par jour, un chemin de fer zola1.txt:337: zola1.txt:338: Un roulement de berlines, sur les tréteaux, fit dresser les oreilles du zola1.txt:339:gros cheval jaune. En bas, la cage devait être réparée, les moulineurs zola1.txt:340:avaient repris leur besogne. Pendant qu'il attelait sa bête, pour zola1.txt:342: zola1.txt:343: - Faut pas t'habituer à bavarder, fichu paresseux!... Si monsieur zola1.txt:345: zola1.txt:347: zola1.txt:349: zola1.txt:350: - Non, expliqua le vieux, monsieur Hennebeau n'est que le directeur zola1.txt:352: zola1.txt:354: zola1.txt:356: zola1.txt:357: Mais Bonnemort resta un instant suffoqué par une nouvelle crise, d'une zola1.txt:358:telle violence, qu'il ne pouvait reprendre haleine. Enfin, quand il eut zola1.txt:359:craché et essuyé l'écume noire de ses lèvres, il dit, dans le vent qui zola1.txt:361: zola1.txt:363: zola1.txt:364: Et, de la main, il désignait dans l'ombre un point vague, un lieu zola1.txt:365:ignoré et reculé, peuplé de ces gens, pour qui les Maheu tapaient à la veine zola1.txt:367:c'était comme s'il eût parlé d'un tabernacle inaccessible, où se cachait le zola1.txt:368:dieu repu et accroupi, auquel ils donnaient tous leur chair, et qu'ils zola1.txt:370: zola1.txt:371: - Au moins si l'on mangeait du pain à sa suffisance! répéta pour la zola1.txt:373: zola1.txt:375: zola1.txt:376: Le cheval était parti, le charretier disparut à son tour, d'un pas zola1.txt:378:ramassé en boule, enfonçant le menton entre ses genoux, fixant sur le vide zola1.txt:380: zola1.txt:381: Quand il eut repris son paquet, Etienne ne s'éloigna pas encore. Il zola1.txt:383:devant le grand feu. Peut-être, tout de même, ferait-il bien de s'adresser à zola1.txt:384:la fosse: le vieux pouvait ne pas savoir; puis, il se résignait, il zola1.txt:385:accepterait n'importe quelle besogne. Où aller et que devenir, à travers ce zola1.txt:386:pays affamé par le chômage? Laisser derrière un mur sa carcasse de chien zola1.txt:387:perdu? Cependant, une hésitation le troublait, une peur du Voreux, au milieu zola1.txt:389:le vent paraissait grandir, comme s'il eût soufflé d'un horizon sans cesse zola1.txt:390:élargi. Aucune aube ne blanchissait dans le ciel mort, les hauts fourneaux zola1.txt:392:sans en éclairer l'inconnu. Et le Voreux, au fond de son trou, avec son zola1.txt:393:tassement de bête méchante, s'écrasait davantage, respirait d'une haleine zola1.txt:394:plus grosse et plus longue, l'air gêné par sa digestion pénible de chair zola1.txt:396: zola2.txt:1: zola2.txt:2: I, II zola2.txt:3: zola2.txt:4: Au milieu des champs de blé et de betteraves, le coron des zola2.txt:5:Deux-Cent-Quarante dormait sous la nuit noire. On distinguait vaguement les zola2.txt:6:quatre immenses corps de petites maisons adossées, des corps de caserne ou zola2.txt:7:d'hôpital, géométriques, parallèles, que séparaient les trois larges zola2.txt:8:avenues, divisées en jardins égaux. Et, sur le plateau désert, on entendait zola2.txt:10: zola2.txt:11: Chez les Maheu, au numéro 16 du deuxième corps, rien ne bougeait. Des zola2.txt:12:ténèbres épaisses noyaient l'unique chambre du premier étage, comme écrasant zola2.txt:13:de leur poids le sommeil des êtres que l'on sentait là, en tas, la bouche zola2.txt:14:ouverte, assommés de fatigue. Malgré le froid vif du dehors, l'air alourdi zola2.txt:15:avait une chaleur vivante, cet étouffement chaud des chambrées les mieux zola2.txt:17: zola2.txt:18: Quatre heures sonnèrent au coucou de la salle du rez-de-chaussée, rien zola2.txt:19:encore ne remua, des haleines grêles sifflaient, accompagnées de deux zola2.txt:20:ronflements sonores. Et brusquement, ce fut Catherine qui se leva. Dans sa zola2.txt:21:fatigue, elle avait, par habitude, compté les quatre coups du timbre, à zola2.txt:23:les jambes jetées hors des couvertures, elle tâtonna, frotta enfin une zola2.txt:24:allumette et alluma la chandelle. Mais elle restait assise, la tête si zola2.txt:25:pesante, qu'elle se renversait entre les deux épaules, cédant au besoin zola2.txt:27: zola2.txt:29:que trois lits emplissaient. Il y avait une armoire, une table, deux chaises zola2.txt:30:de vieux noyer, dont le ton fumeux tachait durement les murs, peints en zola2.txt:31:jaune clair. Et rien autre, des hardes pendues à des clous, une cruche posée zola2.txt:32:sur le carreau, près d'une terrine rouge servant de cuvette. Dans le lit de zola2.txt:33:gauche, Zacharie, l'aîné, un garçon de vingt et un ans, était couché avec zola2.txt:34:son frère Jeanlin, qui achevait sa onzième année; dans celui de droite, deux zola2.txt:36:dormaient aux bras l'un de l'autre; tandis que Catherine partageait le zola2.txt:37:troisième lit avec sa soeur Alzire, si chétive pour ses neuf ans, qu'elle ne zola2.txt:38:l'aurait même pas sentie près d'elle, sans la bosse de la petite infirme qui zola2.txt:39:lui enfonçait les côtes. La porte vitrée était ouverte, on apercevait le zola2.txt:40:couloir du palier, l'espèce de boyau où le père et la mère occupaient un zola2.txt:41:quatrième lit, contre lequel ils avaient dû installer le berceau de la zola2.txt:43: zola2.txt:44: Cependant, Catherine fit un effort désespéré. Elle s'étirait, elle zola2.txt:45:crispait ses deux mains dans ses cheveux roux, qui lui embroussaillaient le zola2.txt:46:front et la nuque. Fluette pour ses quinze ans, elle ne montrait de ses zola2.txt:47:membres, hors du fourreau étroit de sa chemise, que des pieds bleuis, comme zola2.txt:48:tatoués de charbon, et des bras délicats, dont la blancheur de lait zola2.txt:49:tranchait sur le teint blême du visage, déjà gâté par les continuels lavages zola2.txt:50:au savon noir. Un dernier bâillement ouvrit sa bouche un peu grande, aux zola2.txt:51:dents superbes dans la pâleur chlorotique des gencives; pendant que ses yeux zola2.txt:52:gris pleuraient de sommeil combattu, avec une expression douloureuse et zola2.txt:54: zola2.txt:57: zola2.txt:59: zola2.txt:61: zola2.txt:64: zola2.txt:65: Et il continua de gronder, mais le sommeil le reprit à son tour, ses zola2.txt:67: zola2.txt:68: La jeune fille, en chemise, pieds nus sur le carreau, allait et venait zola2.txt:69:par la chambre. Comme elle passait devant le lit d'Henri et de Lénore, elle zola2.txt:72:s'était retournée pour prendre la place chaude de sa grande soeur, sans zola2.txt:74: zola2.txt:76:debout devant les deux frères, qui restaient vautrés, le nez dans le zola2.txt:78: zola2.txt:79: Elle dut saisir le grand par l'épaule et le secouer; puis, tandis qu'il zola2.txt:80:mâchait des injures, elle prit le parti de les découvrir, en arrachant le zola2.txt:81:drap. Cela lui parut drôle, elle se mit à rire, lorsqu'elle vit les deux zola2.txt:83: zola2.txt:84: - C'est bête, lâche-moi! grogna Zacharie de méchante humeur, quand il zola2.txt:85:se fut assis. Je n'aime pas les farces... Dire, nom de Dieu! qu'il faut se zola2.txt:87: zola2.txt:88: Il était maigre, dégingandé, la figure longue, salie de quelques rares zola2.txt:89:poils de barbe, avec les cheveux jaunes et la pâleur anémique de toute la zola2.txt:90:famille. Sa chemise lui remontait au ventre, et il la baissa, non par zola2.txt:92: zola2.txt:93: - C'est sonné en bas, répétait Catherine. Allons, houp! le père se zola2.txt:95: zola2.txt:97: zola2.txt:99: zola2.txt:100: Elle eut un nouveau rire de bonne fille. Il était si petit, les membres zola2.txt:101:grêles, avec des articulations énormes, grossies par des scrofules, qu'elle zola2.txt:102:le prit, à pleins bras. Mais il gigotait, son masque de singe blafard et zola2.txt:103:crépu, troué de ses yeux verts, élargi par ses grandes oreilles, pâlissait zola2.txt:105: zola2.txt:106: - Méchant bougre! murmura-t-elle en retenant un cri et en le posant par zola2.txt:108: zola2.txt:109: Alzire, silencieuse, le drap au menton, ne s'était pas rendormie. Elle zola2.txt:110:suivait de ses yeux intelligents d'infirme sa soeur et ses deux frères, qui zola2.txt:112:les garçons bousculèrent la jeune fille, parce qu'elle se lavait trop zola2.txt:114:ils se soulageaient sans honte, avec l'aisance tranquille d'une portée de zola2.txt:116:Elle enfila sa culotte de mineur, passa la veste de toile, noua le béguin zola2.txt:117:bleu autour de son chignon; et, dans ces vêtements propres du lundi, elle zola2.txt:118:avait l'air d'un petit homme, rien ne lui restait de son sexe, que le zola2.txt:120: zola2.txt:121: - Quand le vieux rentrera, dit méchamment Zacharie, il sera content de zola2.txt:123: zola2.txt:125:se couchait au jour; de sorte que le lit ne refroidissait pas, il y avait zola2.txt:127: zola2.txt:128: Sans répondre, Catherine s'était mise à tirer la couverture et à la zola2.txt:130:dans la maison voisine. Ces constructions de briques, installées zola2.txt:131:économiquement par la Compagnie, étaient si minces, que les moindres zola2.txt:132:souffles les traversaient. On vivait coude à coude, d'un bout à l'autre; et zola2.txt:133:rien de la vie intime n'y restait caché, même aux gamins. Un pas lourd avait zola2.txt:134:ébranlé un escalier, puis il y eut comme une chute molle, suivie d'un soupir zola2.txt:136: zola2.txt:137: - Bon! dit Catherine, Levaque descend, et voilà Bouteloup qui va zola2.txt:139: zola2.txt:141:ils s'égayaient ainsi du ménage à trois des voisins, un haveur qui logeait zola2.txt:142:un ouvrier de la coupe à terre, ce qui donnait à la femme deux hommes, l'un zola2.txt:144: zola2.txt:146: zola2.txt:148:la maîtresse de Zacharie, dont elle avait deux enfants déjà, si délicate de zola2.txt:149:poitrine d'ailleurs, qu'elle était cribleuse à la fosse, n'ayant jamais pu zola2.txt:151: zola2.txt:152: - Ah, ouiche! Philomène! répondit Zacharie, elle s'en moque, elle zola2.txt:154: zola2.txt:155: Il passait sa culotte, lorsqu'il ouvrit une fenêtre, préoccupé d'une zola2.txt:156:idée brusque. Au-dehors, dans les ténèbres, le coron s'éveillait, des zola2.txt:157:lumières pointaient une à une, entre les lames des persiennes. Et ce fut zola2.txt:158:encore une dispute: il se penchait pour guetter s'il ne verrait pas sortir zola2.txt:159:de chez les Pierron, en face, le maître-porion du Voreux, qu'on accusait de zola2.txt:161:depuis la veille, pris son service de jour à l'accrochage, et que bien sûr zola2.txt:162:Dansaert n'avait pu coucher, cette nuit-là. L'air entrait par bouffées zola2.txt:163:glaciales, tous deux s'emportaient, en soutenant chacun l'exactitude de ses zola2.txt:164:renseignements, lorsque des cris et des larmes éclatèrent. C'était, dans son zola2.txt:166: zola2.txt:167: Du coup, Maheu se réveilla. Qu'avait-il donc dans les os? Voilà qu'il zola2.txt:170:avec une lenteur déjà lasse. Alzire, les yeux grands ouverts, regardait zola2.txt:173: zola2.txt:175: zola2.txt:176: Elle finissait de boutonner sa veste, elle porta la chandelle dans le zola2.txt:177:cabinet, laissant ses frères chercher leurs vêtements, au peu de clarté qui zola2.txt:179:elle descendit en gros bas de laine, à tâtons, et alluma dans la salle une zola2.txt:180:autre chandelle, pour préparer le café. Tous les sabots de la famille zola2.txt:182: zola2.txt:183: - Te tairas-tu, vermine! reprit Maheu, exaspéré des cris d'Estelle, qui zola2.txt:185: zola2.txt:187:la tête forte, la face plate et livide, sous les cheveux jaunes, coupés très zola2.txt:188:courts. L'enfant hurlait davantage, effrayée par ces grands bras noueux qui zola2.txt:190: zola2.txt:193: zola2.txt:194: Elle aussi venait de s'éveiller, et elle se plaignait, c'était bête de zola2.txt:196:Enfouie dans la couverture, elle ne montrait que sa figure longue, aux zola2.txt:197:grands traits, d'une beauté lourde, déjà déformée à trente-neuf ans par sa zola2.txt:199:elle parla avec lenteur, pendant que son homme s'habillait. Ni l'un ni zola2.txt:201: zola2.txt:204:A vous tous, vous apportez neuf francs. Comment veux-tu que j'arrive? Nous zola2.txt:206: zola2.txt:207: - Oh! neuf francs! se récria Maheu. Moi et Zacharie, trois: ça fait zola2.txt:208:six... Catherine et le père, deux: ça fait quatre; quatre et six, dix... Et zola2.txt:210: zola2.txt:213: zola2.txt:216: zola2.txt:217: - Faut pas se plaindre, je suis tout de même solide. Il y en a plus zola2.txt:219: zola2.txt:220: - Possible, mon vieux, mais ça ne nous donne pas du pain... Qu'est-ce zola2.txt:222: zola2.txt:224: zola2.txt:225: - Garde-les pour boire une chope... Mon Dieu! qu'est-ce que je vais zola2.txt:227:qui m'a mise à la porte avant-hier. Ca ne m'empêchera pas de retourner le zola2.txt:229: zola2.txt:230: Et la Maheude continua d'une voix morne, la tête immobile, fermant par zola2.txt:231:instants les yeux sous la clarté triste de la chandelle. Elle disait le zola2.txt:232:buffet vide, les petits demandant des tartines, le café même manquant, et zola2.txt:233:l'eau qui donnait des coliques, et les longues journées passées à tromper la zola2.txt:234:faim avec des feuilles de choux bouillies. Peu à peu, elle avait dû hausser zola2.txt:235:le ton, car le hurlement d'Estelle couvrait ses paroles. Ces cris devenaient zola2.txt:236:insoutenables. Maheu parut tout d'un coup les entendre, hors de lui, et il zola2.txt:237:saisit la petite dans le berceau, il la jeta sur le lit de la mère, en zola2.txt:239: zola2.txt:240: - Tiens! prends-la, je l'écraserais. Nom de Dieu d'enfant! ça ne manque zola2.txt:242: zola2.txt:244:calmée par la tiédeur du lit, elle n'avait plus qu'un petit bruit goulu des zola2.txt:246: zola2.txt:247: - Est-ce que les bourgeois de la Piolaine ne t'ont pas dit d'aller les zola2.txt:249: zola2.txt:251: zola2.txt:252: - Oui, ils m'ont rencontrée, ils portent des vêtements aux enfants zola2.txt:253:pauvres... Enfin, je mènerai ce matin chez eux Lénore et Henri. S'ils me zola2.txt:255: zola2.txt:258: zola2.txt:261: zola2.txt:262: - Bien sur, répondit la Maheude. Souffle la chandelle, je n'ai pas zola2.txt:264: zola2.txt:265: Il souffla la chandelle. Déjà, Zacharie et Jeanlin descendaient; il les zola2.txt:266:suivit; et l'escalier de bois craquait sous leurs pieds lourds, chaussés de zola2.txt:269:Mais la mère restait maintenant les yeux ouverts dans l'obscurité, tandis zola2.txt:270:que, tirant sur sa mamelle pendante de femme épuisée, Estelle ronronnait zola2.txt:272: zola2.txt:274:à grille centrale, flanquée de deux fours, et où brûlait constamment un feu zola2.txt:275:de houille. La Compagnie distribuait par mois, à chaque famille, huit zola2.txt:276:hectolitres d'escaillage, charbon dur ramassé dans les voies. Il s'allumait zola2.txt:277:difficilement, et la jeune fille qui couvrait le feu chaque soir, n'avait zola2.txt:279:triés avec soin. Puis, après avoir posé une bouillotte sur la grille, elle zola2.txt:281: zola2.txt:282: C'était une salle assez vaste, tenant tout le rez-de-chaussée, peinte zola2.txt:283:en vert pomme, d'une propreté flamande, avec ses dalles lavées à grande eau zola2.txt:284:et semées de sable blanc. Outre le buffet de sapin verni, l'ameublement zola2.txt:286:des enluminures violentes, les portraits de l'Empereur et de l'Impératrice zola2.txt:288:tranchaient crûment dans la nudité claire de la pièce; et il n'y avait zola2.txt:289:d'autres ornements qu'une boîte de carton rose sur le buffet, et que le zola2.txt:290:coucou à cadran peinturluré, dont le gros tic-tac semblait remplir le vide zola2.txt:291:du plafond. Près de la porte de l'escalier, une autre porte conduisait à la zola2.txt:292:cave. Malgré la propreté, une odeur d'oignon cuit, enfermée depuis la zola2.txt:293:veille, empoisonnait l'air chaud, cet air alourdi, toujours chargé d'une zola2.txt:295: zola2.txt:296: Devant le buffet ouvert, Catherine réfléchissait. Il ne restait qu'un zola2.txt:297:bout de pain, du fromage blanc en suffisance, mais à peine une lichette de zola2.txt:298:beurre; et il s'agissait de faire les tartines pour eux quatre. Enfin, elle zola2.txt:299:se décida, coupa les tranches, en prit une qu'elle couvrit de fromage, en zola2.txt:301:la double tartine emportée chaque matin à la fosse. Bientôt, les quatre zola2.txt:304: zola2.txt:305: Catherine, qui paraissait toute à son ménage, devait pourtant rêvasser zola2.txt:307:car elle entrebâilla la porte d'entrée et jeta un coup d'oeil dehors. Le zola2.txt:308:vent soufflait toujours, des clartés plus nombreuses couraient sur les zola2.txt:309:façades basses du coron, d'où montait une vague trépidation de réveil. Déjà zola2.txt:310:des portes se refermaient, des files noires d'ouvriers s'éloignaient dans la zola2.txt:311:nuit. Etait-elle bête, de se refroidir, puisque le chargeur à l'accrochage zola2.txt:312:dormait bien sûr, en attendant d'aller prendre son service, à six heures! Et zola2.txt:313:elle restait, elle regardait la maison, de l'autre côté des jardins. La zola2.txt:314:porte s'ouvrit, sa curiosité s'alluma. Mais ce ne pouvait être que la petite zola2.txt:316: zola2.txt:317: Un bruit sifflant de vapeur la fit se tourner. Elle ferma, se hâta de zola2.txt:318:courir: l'eau bouillait et se répandait, éteignant le feu. Il ne restait zola2.txt:319:plus de café, elle dut se contenter de passer l'eau sur le marc de la zola2.txt:322: zola2.txt:323: - Fichtre! déclara Zacharie, quand il eut mis le nez dans son bol, en zola2.txt:325: zola2.txt:327: zola2.txt:329: zola2.txt:331:Après avoir bu, Catherine acheva de vider la cafetière dans les gourdes de zola2.txt:334: zola2.txt:336: zola2.txt:337: Mais une voix vint de l'escalier, dont ils avaient laissé la porte zola2.txt:339: zola2.txt:341: zola2.txt:343: zola2.txt:344: Elle avait recouvert le feu, en calant, sur un coin de la grille, un zola2.txt:345:restant de soupe, que le grand-père trouverait chaude, lorsqu'il rentrerait zola2.txt:346:à six heures. Chacun prit sa paire de sabots sous le buffet, se passa la zola2.txt:347:ficelle de sa gourde à l'épaule, et fourra son briquet dans son dos, entre zola2.txt:348:la chemise et la veste. Et ils sortirent, les hommes devant, la fille zola2.txt:349:derrière, soufflant la chandelle, donnant un tour de clef. La maison zola2.txt:351: zola2.txt:352: - Tiens! nous filons ensemble, dit un homme qui refermait la porte de zola2.txt:354: zola2.txt:355: C'était Levaque, avec son fils Bébert, un gamin de douze ans, grand ami zola2.txt:358: zola2.txt:359: Maintenant, dans le coron, les lumières s'éteignaient. Une dernière zola2.txt:360:porte claqua, tout dormait de nouveau, les femmes et les petits reprenaient zola2.txt:361:leur somme, au fond des lits plus larges. Et, du village éteint au Voreux zola2.txt:362:qui soufflait, c'était sous les rafales un lent défilé d'ombres, le départ zola2.txt:363:des charbonniers pour le travail, roulant des épaules, embarrassés de leurs zola2.txt:364:bras, qu'ils croisaient sur la poitrine; tandis que, derrière, le briquet zola2.txt:366:sans se hâter davantage, débandés le long de la route, avec un piétinement zola3.txt:1: zola3.txt:2: I, III zola3.txt:3: zola3.txt:4: Etienne, descendu enfin du terri, venait d'entrer au Voreux; et les zola3.txt:5:hommes auxquels il s'adressait, demandant s'il y avait du travail, hochaient zola3.txt:6:la tête, lui disaient tous d'attendre le maître-porion. On le laissait zola3.txt:8:inquiétants avec la complication de leurs salles et de leurs étages. Après zola3.txt:9:avoir monté un escalier obscur à moitié détruit, il s'était trouvé sur une zola3.txt:10:passerelle branlante, puis avait traversé le hangar du criblage, plongé dans zola3.txt:11:une nuit si profonde, qu'il marchait les mains en avant, pour ne pas se zola3.txt:12:heurter. Devant lui, brusquement, deux yeux jaunes, énormes, trouèrent les zola3.txt:13:ténèbres. Il était sous le beffroi, dans la salle de recette, à la bouche zola3.txt:15: zola3.txt:16: Un porion, le père Richomme, un gros à figure de bon gendarme, barrée zola3.txt:18: zola3.txt:21: zola3.txt:22: Richomme allait dire non; mais il se reprit et répondit comme les zola3.txt:24: zola3.txt:26: zola3.txt:27: Quatre lanternes étaient plantées là, et les réflecteurs, qui jetaient zola3.txt:28:toute la lumière sur le puits, éclairaient vivement les rampes de fer, les zola3.txt:29:leviers des signaux et des verrous, les madriers des guides, où glissaient zola3.txt:30:les deux cages. Le reste, la vaste salle, pareille à une nef d'église, se zola3.txt:31:noyait, peuplée de grandes ombres flottantes. Seule, la lampisterie flambait zola3.txt:32:au fond, tandis que, dans le bureau du receveur, une maigre lampe mettait zola3.txt:34:sur les dalles de fonte, c'était un tonnerre continu, les berlines de zola3.txt:35:charbon roulées sans cesse, les courses des moulineurs, dont on distinguait zola3.txt:36:les longues échines penchées, dans le remuement de toutes ces choses noires zola3.txt:38: zola3.txt:40:des courants d'air entraient de partout. Alors, il fit quelques pas, attiré zola3.txt:42:Elle se trouvait en arrière du puits, à vingt-cinq mètres, dans une salle zola3.txt:43:plus haute, et assise si carrément sur son massif de briques, qu'elle zola3.txt:44:marchait à toute vapeur, de toute sa force de quatre cents chevaux, sans que zola3.txt:45:le mouvement de sa bielle énorme, émergeant et plongeant, avec une douceur zola3.txt:46:huilée, donnât un frisson aux murs. Le machineur, debout à la barre de mise zola3.txt:47:en train, écoutait les sonneries des signaux, ne quittait pas des yeux le zola3.txt:49:par une rainure verticale, que parcouraient des plombs pendus à des zola3.txt:50:ficelles, représentant les cages. Et, à chaque départ, quand la machine se zola3.txt:51:remettait en branle, les bobines, les deux immenses roues de cinq mètres de zola3.txt:52:rayon, aux moyeux desquels les deux câbles d'acier s'enroulaient et se zola3.txt:53:déroulaient en sens contraire, tournaient d'une telle vitesse, qu'elles zola3.txt:55: zola3.txt:56: - Attention donc! crièrent trois moulineurs, qui traînaient une échelle zola3.txt:58: zola3.txt:59: Etienne avait manqué d'être écrasé. Ses yeux s'habituaient il regardait zola3.txt:60:en l'air filer les câbles, plus de trente mètres de ruban d'acier, qui zola3.txt:62:pour descendre à pic dans le puits s'attacher aux cages d'extraction. Une zola3.txt:63:charpente de fer, pareille à la haute charpente d'un clocher, portait les zola3.txt:64:molettes. C'était un glissement d'oiseau, sans un bruit, sans un heurt, la zola3.txt:65:fuite rapide, le continuel va-et-vient d'un fil de poids énorme, qui pouvait zola3.txt:66:enlever jusqu'à douze mille kilogrammes, avec une vitesse de dix mètres à la zola3.txt:68: zola3.txt:69: - Attention donc, nom de Dieu! crièrent de nouveau les moulineurs, qui zola3.txt:71: zola3.txt:72: Lentement, Etienne revint à la recette. Ce vol géant sur sa tête zola3.txt:73:l'ahurissait. Et, grelottant dans les courants d'air, il regarda la zola3.txt:75:Près du puits, le signal fonctionnait, un lourd marteau à levier, qu'une zola3.txt:77:deux pour descendre, trois pour monter: c'était sans relâche comme des coups zola3.txt:79:pendant que le moulineur, dirigeant la manoeuvre, augmentait encore le zola3.txt:80:tapage, en criant des ordres au machineur, dans un porte-voix. Les cages, au zola3.txt:81:milieu de ce branle-bas, apparaissaient et s'enfonçaient, se vidaient et se zola3.txt:83: zola3.txt:84: Il ne comprenait bien qu'une chose: le puits avalait des hommes par zola3.txt:85:bouchées de vingt et de trente, et d'un coup de gosier si facile, qu'il zola3.txt:86:semblait ne pas les sentir passer. Dès quatre heures, la descente des zola3.txt:87:ouvriers commençait. Ils arrivaient de la baraque, pieds nus, la lampe à la zola3.txt:88:main, attendant par petits groupes d'être en nombre suffisant. Sans un zola3.txt:89:bruit, d'un jaillissement doux de bête nocturne, la cage de fer montait du zola3.txt:90:noir, se calait sur les verrous, avec ses quatre étages contenant chacun zola3.txt:92:sortaient les berlines, les remplaçaient par d'autres, vides ou chargées à zola3.txt:93:l'avance des bois de taille. Et c'était dans les berlines vides que zola3.txt:95:lorsqu'ils tenaient toutes les cases. Un ordre partait du porte-voix, un zola3.txt:96:beuglement sourd et indistinct, pendant qu'on tirait quatre fois la corde du zola3.txt:97:signal d'en bas, "sonnant à la viande", pour prévenir de ce chargement de zola3.txt:99:tombait comme une pierre, ne laissait derrière elle que la fuite vibrante du zola3.txt:101: zola3.txt:102: - C'est profond? demanda Etienne à un mineur, qui attendait près de zola3.txt:104: zola3.txt:105: - Cinq cent cinquante-quatre mètres, répondit l'homme. Mais il y a zola3.txt:107: zola3.txt:108: Tous deux se turent, les yeux sur le câble qui remontait. Etienne zola3.txt:110: zola3.txt:112: zola3.txt:114: zola3.txt:115: Le mineur acheva d'un geste. Son tour était arrivé, la cage avait zola3.txt:116:reparu, de son mouvement aisé et sans fatigue. Il s'y accroupit avec des zola3.txt:117:camarades, elle replongea, puis jaillit de nouveau au bout de quatre minutes zola3.txt:119:le puits en dévora de la sorte, d'une gueule plus ou moins gloutonne, selon zola3.txt:121:toujours affamé, de boyaux géants capables de digérer un peuple. Cela zola3.txt:122:s'emplissait, s'emplissait encore, et les ténèbres restaient mortes, la cage zola3.txt:124: zola3.txt:125: Etienne, à la longue, fut repris du malaise qu'il avait éprouvé déjà zola3.txt:126:sur le terri. Pourquoi s'entêter? ce maître-porion le congédierait comme les zola3.txt:127:autres. Une peur vague le décida brusquement: il s'en alla, il ne s'arrêta zola3.txt:130:dans le sifflement des fuites, un chauffeur était occupé à charger un des zola3.txt:131:foyers, dont l'ardente fournaise se faisait sentir jusque sur le seuil; et zola3.txt:132:le jeune homme, heureux d'avoir chaud, s'approchait, lorsqu'il rencontra une zola3.txt:133:nouvelle bande de charbonniers, qui arrivait à la fosse. C'étaient les Maheu zola3.txt:134:et les Levaque. Quand il aperçut, en tête, Catherine avec son air doux de zola3.txt:136: zola3.txt:137: - Dites donc, camarade, on n'a pas besoin d'un ouvrier ici, pour zola3.txt:139: zola3.txt:140: Elle le regarda, surprise, un peu effrayée de cette voix brusque qui zola3.txt:141:sortait de l'ombre. Mais, derrière elle, Maheu avait entendu, et il zola3.txt:142:répondit, il causa un instant. Non, on n'avait besoin de personne. Ce pauvre zola3.txt:145: zola3.txt:146: - Hein! on pourrait être comme ça... Faut pas se plaindre, tous n'ont zola3.txt:148: zola3.txt:149: La bande entra et alla droit à la baraque, vaste salle grossièrement zola3.txt:150:crépie, entourée d'armoires que fermaient des cadenas. Au centre, une zola3.txt:151:cheminée de fer, une sorte de poêle sans porte, était rouge, si bourrée de zola3.txt:152:houille incandescente, que des morceaux craquaient et déboulaient sur la zola3.txt:156: zola3.txt:157: Comme les Maheu arrivaient, des rires éclataient dans la grosse zola3.txt:159:se rôtissant d'un air de jouissance. Avant la descente, tous venaient ainsi zola3.txt:160:prendre et emporter dans la peau un bon coup de feu, pour braver l'humidité zola3.txt:161:du puits. Mais, ce matin-là, on s'égayait davantage, on plaisantait la zola3.txt:162:Mouquette, une herscheuse de dix-huit ans, bonne fille dont la gorge et le zola3.txt:163:derrière énormes crevaient la veste et la culotte. Elle habitait Réquillart zola3.txt:165:moulineur; seulement, les heures de travail n'étant pas les mêmes, elle se zola3.txt:166:rendait seule à la fosse; et, au milieu des blés en été, contre un mur en zola3.txt:167:hiver, elle se donnait du plaisir, en compagnie de son amoureux de la zola3.txt:168:semaine. Toute la mine y passait, une vraie tournée de camarades, sans autre zola3.txt:169:conséquence. Un jour qu'on lui reprochait un cloutier de Marchiennes, elle zola3.txt:170:avait failli crever de colère, criant qu'elle se respectait trop, qu'elle se zola3.txt:171:couperait un bras, si quelqu'un pouvait se flatter de l'avoir vue avec un zola3.txt:173: zola3.txt:175:T'as pris ce petiot-là? Mais lui faudrait une échelle!... Je vous ai aperçus zola3.txt:177: zola3.txt:178: - Après? répondait la Mouquette en belle humeur. Qu'est-ce que ça te zola3.txt:180: zola3.txt:181: Et cette grossièreté bonne enfant redoublait les éclats des hommes, qui zola3.txt:182:enflaient leurs épaules, à demi cuites par le poêle; tandis que, secouée zola3.txt:183:elle-même de rires, elle promenait au milieu d'eux l'indécence de son zola3.txt:184:costume, d'un comique troublant, avec ses bosses de chair, exagérées jusqu'à zola3.txt:186: zola3.txt:187: Mais la gaieté tomba, Mouquette racontait à Maheu que Fleurance, la zola3.txt:188:grande Fleurance, ne viendrait plus: on l'avait trouvée, la veille, raide zola3.txt:189:sur son lit, les uns disaient d'un décrochement du coeur, les autres d'un zola3.txt:190:litre de genièvre bu trop vite. Et Maheu se désespérait: encore de la zola3.txt:191:malchance, voilà qu'il perdait une de ses herscheuses, sans pouvoir la zola3.txt:192:remplacer immédiatement! Il travaillait au marchandage, ils étaient quatre zola3.txt:193:haveurs associés dans sa taille, lui, Zacharie, Levaque et Chaval. S'ils zola3.txt:194:n'avaient plus que Catherine pour rouler, la besogne allait souffrir. Tout zola3.txt:196: zola3.txt:198: zola3.txt:199: Justement, Dansaert passait devant la baraque. Maheu lui conta zola3.txt:200:l'histoire, demanda l'autorisation d'embaucher l'homme; et il insistait sur zola3.txt:201:le désir que témoignait la Compagnie de substituer aux herscheuses des zola3.txt:202:garçons, comme à Anzin. Le maître-porion eut d'abord un sourire, car le zola3.txt:203:projet d'exclure les femmes du fond répugnait d'ordinaire aux mineurs, qui zola3.txt:204:s'inquiétaient du placement de leurs filles, peu touchés de la question de zola3.txt:205:moralité et d'hygiène. Enfin, après avoir hésité, il permit, mais en se zola3.txt:207: zola3.txt:209: zola3.txt:211: zola3.txt:213: zola3.txt:214: La jeune fille s'élança, pendant qu'un flot de mineurs montaient au zola3.txt:215:puits, cédant le feu à d'autres. Jeanlin, sans attendre son père, alla lui zola3.txt:216:aussi prendre sa lampe, avec Bébert, gros garçon naïf, et Lydie, chétive zola3.txt:217:fillette de dix ans. Partie devant eux, la Mouquette s'exclamait dans zola3.txt:218:l'escalier noir, en les traitant de sales mioches et en menaçant de les zola3.txt:220: zola3.txt:221: Etienne, dans le bâtiment aux chaudières, causait en effet avec le zola3.txt:223:à l'idée de la nuit où il lui fallait rentrer. Pourtant, il se décidait à zola3.txt:225: zola3.txt:227: zola3.txt:228: D'abord, il ne comprit pas. Puis, il eut un élan de joie, il serra zola3.txt:230: zola3.txt:232: zola3.txt:233: Elle se mit à rire, en le regardant dans la rouge lueur des foyers, qui zola3.txt:234:les éclairaient. Cela l'amusait, qu'il la prît pour un garçon, fluette zola3.txt:236:et ils restèrent un instant tous deux à se rire à la face, les joues zola3.txt:238: zola3.txt:239: Maheu, dans la baraque, accroupi devant sa caisse, retirait ses sabots zola3.txt:240:et ses gros bas de laine. Lorsque Etienne fut là, on régla tout en quatre zola3.txt:241:paroles: trente sous par jour, un travail fatigant, mais qu'il apprendrait zola3.txt:242:vite. Le haveur lui conseilla de garder ses souliers, et il lui prêta une zola3.txt:243:vieille barrette, un chapeau de cuir destiné à garantir le crâne, précaution zola3.txt:244:que le père et les enfants dédaignaient. Les outils furent sortis de la zola3.txt:245:caisse, où se trouvait justement la pelle de Fleurance. Puis, quand Maheu y zola3.txt:246:eut enfermé leurs sabots, leurs bas, ainsi que le paquet d'Etienne, il zola3.txt:248: zola3.txt:249: - Que fait-il donc, cette rosse de Chaval? Encore quelque fille zola3.txt:252: zola3.txt:253: Zacharie et Levaque se rôtissaient tranquillement les épaules. Le zola3.txt:255: zola3.txt:256: - C'est Chaval que tu attends?... Il est arrivé avant nous, il est zola3.txt:258: zola3.txt:261: zola3.txt:262: Catherine, qui chauffait ses mains, dut suivre la bande. Etienne la zola3.txt:263:laissa passer, monta derrière elle. De nouveau, il voyageait dans un dédale zola3.txt:264:d'escaliers et de couloirs obscurs, où les pieds nus faisaient un bruit mou zola3.txt:265:de vieux chaussons. Mais la lampisterie flamboya, une pièce vitrée, emplie zola3.txt:267:visitées, lavées de la veille, allumées comme des cierges au fond d'une zola3.txt:268:chapelle ardente. Au guichet, chaque ouvrier prenait la sienne, poinçonnée à zola3.txt:269:son chiffre; puis, il l'examinait, la fermait lui-même; pendant que le zola3.txt:270:marqueur, assis à une table, inscrivait sur le registre l'heure de la zola3.txt:272: zola3.txt:274:Et il y avait encore une précaution, les ouvriers défilaient devant un zola3.txt:276: zola3.txt:278: zola3.txt:279: Etienne se contenta de hocher la tête. Il se retrouvait devant le zola3.txt:280:puits, au milieu de la vaste salle, balayée de courants d'air. Certes, il se zola3.txt:282:dans le tonnerre des berlines, les coups sourds des signaux, le beuglement zola3.txt:283:étouffé du porte-voix, en face du vol continu de ces câbles, déroulés et zola3.txt:285:descendaient avec leur glissement de bête de nuit, engouffraient toujours zola3.txt:286:des hommes, que la gueule du trou semblait boire. C'était son tour zola3.txt:287:maintenant, il avait très froid, il gardait un silence nerveux, qui faisait zola3.txt:288:ricaner Zacharie et Levaque; car tous deux désapprouvaient l'embauchage de zola3.txt:289:cet inconnu, Levaque surtout, blessé de n'avoir pas été consulté. Aussi zola3.txt:290:Catherine fut-elle heureuse d'entendre son père expliquer les choses au zola3.txt:292: zola3.txt:293: - Regardez, au-dessus de la cage, il y a un parachute, des crampons de zola3.txt:295:pas toujours... Oui, le puits est divisé en trois compartiments, fermés par zola3.txt:296:des planches, du haut en bas: au milieu les cages, à gauche le goyot des zola3.txt:298: zola3.txt:299: Mais il s'interrompit pour gronder, sans se permettre de trop hausser zola3.txt:301: zola3.txt:302: - Qu'est-ce que nous fichons là, nom de Dieu! Est-il permis de nous zola3.txt:304: zola3.txt:305: Le porion Richomme, qui allait descendre lui aussi, sa lampe à feu zola3.txt:307: zola3.txt:308: - Méfie-toi, gare aux oreilles! murmura-t-il paternellement, en vieux zola3.txt:309:mineur resté bon pour les camarades. Faut bien que les manoeuvres se zola3.txt:311: zola3.txt:312: La cage, en effet, garnie de bandes de tôle et d'un grillage à petites zola3.txt:314:Catherine se glissèrent dans une berline du fond; et, comme ils devaient y zola3.txt:315:tenir cinq, Etienne y entra à son tour; mais les bonnes places étaient zola3.txt:316:prises, il lui fallut se tasser près de la jeune fille, dont un coude lui zola3.txt:317:labourait le ventre. Sa lampe l'embarrassait, on lui conseilla de zola3.txt:318:l'accrocher à une boutonnière de sa veste. Il n'entendit pas, la garda zola3.txt:319:maladroitement à la main. L'embarquement continuait, dessus et dessous, un zola3.txt:321:Il lui semblait s'impatienter depuis de longues minutes. Enfin, une secousse zola3.txt:322:l'ébranla, et tout sombra; les objets autour de lui s'envolèrent, tandis zola3.txt:325:au milieu de la fuite tournoyante des charpentes. Puis, tombé dans le noir zola3.txt:326:de la fosse, il resta étourdi, n'ayant plus la perception nette de ses zola3.txt:328: zola3.txt:330: zola3.txt:331: Tous étaient à l'aise. Lui, par moments, se demandait s'il descendait zola3.txt:332:ou s'il montait. Il y avait comme des immobilités, quand la cage filait zola3.txt:333:droit, sans toucher aux guides; et de brusques trépidations se produisaient zola3.txt:334:ensuite, une sorte de dansement dans les madriers, qui lui donnait la peur zola3.txt:336:derrière le grillage où il collait sa face. Les lampes éclairaient mal le zola3.txt:339: zola3.txt:340: - Celui-ci a quatre mètres de diamètre, continuait Maheu, pour zola3.txt:341:l'instruire. Le cuvelage aurait bon besoin d'être refait, car l'eau filtre zola3.txt:343: zola3.txt:344: Etienne se demandait justement quel était ce bruit d'averse. Quelques zola3.txt:345:grosses gouttes avaient d'abord sonné sur le toit de la cage, comme au début zola3.txt:346:d'une ondée; et, maintenant, la pluie augmentait, ruisselait, se changeait zola3.txt:347:en un véritable déluge. Sans doute, la toiture était trouée, car un filet zola3.txt:348:d'eau, coulant sur son épaule, le trempait jusqu'à la chair. Le froid zola3.txt:349:devenait glacial, on enfonçait dans une humidité noire, lorsqu'on traversa zola3.txt:352: zola3.txt:354: zola3.txt:357: zola3.txt:358: Levant sa lampe, il éclaira un madrier des guides, qui filait ainsi zola3.txt:359:qu'un rail sous un train lancé à toute vapeur; et, au-delà, on ne voyait zola3.txt:360:toujours rien. Trois autres accrochages passèrent, dans un envolement de zola3.txt:362: zola3.txt:364: zola3.txt:365: Cette chute devait durer depuis des heures. Il souffrait de la fausse zola3.txt:366:position qu'il avait prise, n'osant bouger, torturé surtout par le coude de zola3.txt:367:Catherine. Elle ne prononçait pas un mot, il la sentait seulement contre zola3.txt:368:lui, qui le réchauffait. Lorsque la cage, enfin, s'arrêta au fond, à cinq zola3.txt:369:cent cinquante-quatre mètres, il s'étonna d'apprendre que la descente avait zola3.txt:370:duré juste une minute. Mais le bruit des verrous qui se fixaient, la zola3.txt:371:sensation sous lui de cette solidité, l'égaya brusquement; et ce fut en zola3.txt:373: zola3.txt:374: - Qu'as-tu sous la peau, à être chaud comme ça?... J'ai ton coude dans zola3.txt:376: zola3.txt:377: Alors, elle éclata aussi. Etait-il bête, de la prendre encore pour un zola3.txt:379: zola3.txt:380: - C'est dans l'oeil que tu l'as, mon coude, répondit-elle, au milieu zola3.txt:382: zola3.txt:384:une salle taillée dans le roc, voûtée en maçonnerie, et que trois grosses zola3.txt:385:lampes à feu libre éclairaient. Sur les dalles de fonte, les chargeurs zola3.txt:386:roulaient violemment des berlines pleines. Une odeur de cave suintait des zola3.txt:387:murs, une fraîcheur salpêtrée où passaient des souffles chauds, venus de zola3.txt:389: zola3.txt:390: - Par ici, dit Maheu à Etienne. Vous n'y êtes pas, nous avons à faire zola3.txt:392: zola3.txt:393: Les ouvriers se séparaient, se perdaient par groupes, au fond de ces zola3.txt:394:trous noirs. Une quinzaine venaient de s'engager dans celui de gauche; et zola3.txt:397:et d'un roc si solide, qu'elle avait eu besoin seulement d'être muraillée en zola3.txt:400:s'embarrassait les pieds dans les rails. Depuis un instant, un bruit sourd zola3.txt:401:l'inquiétait, le bruit lointain d'un orage dont la violence semblait croître zola3.txt:403:écrasant sur leurs têtes la masse énorme qui les séparait du jour? Une zola3.txt:404:clarté perça la nuit, il sentit trembler le roc; et, lorsqu'il se fut rangé zola3.txt:405:le long du mur, comme les camarades, il vit passer contre sa face un gros zola3.txt:406:cheval blanc, attelé à un train de berlines. Sur la première, tenant les zola3.txt:407:guides, Bébert était assis; tandis que Jeanlin, les poings appuyés au bord zola3.txt:409: zola3.txt:410: On se remit en marche. Plus loin, un carrefour se présenta, deux zola3.txt:411:nouvelles galeries s'ouvraient, et la bande s'y divisa encore, les ouvriers zola3.txt:414:faisaient à la roche ébouleuse une chemise de charpente, derrière laquelle zola3.txt:415:on apercevait les lames des schistes, étincelants de mica, et la masse zola3.txt:416:grossière des grès, ternes et rugueux. Des trains de berlines pleines ou zola3.txt:417:vides passaient continuellement, se croisaient, avec leur tonnerre emporté zola3.txt:418:dans l'ombre par des bêtes vagues, au trot de fantôme. Sur la double voie zola3.txt:419:d'un garage, un long serpent noir dormait, un train arrêté, dont le cheval zola3.txt:420:s'ébroua, si noyé de nuit, que sa croupe confuse était comme un bloc tombé zola3.txt:421:de la voûte. Des portes d'aérage battaient, se refermaient lentement. Et, à zola3.txt:422:mesure qu'on avançait, la galerie devenait plus étroite, plus basse, inégale zola3.txt:424: zola3.txt:425: Etienne, rudement, se heurta la tête. Sans la barrette de cuir, il zola3.txt:426:avait le crâne fendu. Pourtant, il suivait avec attention, devant lui, les zola3.txt:427:moindres gestes de Maheu, dont la silhouette sombre se détachait sur la zola3.txt:428:lueur des lampes. Pas un des ouvriers ne se cognait, ils devaient connaître zola3.txt:429:chaque bosse, noeud des bois ou renflement de la roche. Le jeune homme zola3.txt:430:souffrait aussi du sol glissant, qui se trempait de plus en plus. Par zola3.txt:431:moments, il traversait de véritables mares, que le gâchis boueux des pieds zola3.txt:432:révélait seul. Mais ce qui l'étonnait surtout, c'étaient les brusques zola3.txt:433:changements de température. En bas du puits, il faisait très frais, et dans zola3.txt:434:la galerie de roulage, par où passait tout l'air de la mine, soufflait un zola3.txt:435:vent glacé, dont la violence tournait à la tempête, entre les muraillements zola3.txt:436:étroits. Ensuite, à mesure qu'on s'enfonçait dans les autres voies, qui zola3.txt:437:recevaient seulement leur part disputée d'aérage, le vent tombait, la zola3.txt:439: zola3.txt:440: Maheu n'avait plus ouvert la bouche. Il prit à droite une nouvelle zola3.txt:442: zola3.txt:444: zola3.txt:445: C'était la veine où se trouvait leur taille. Dès les premières zola3.txt:446:enjambées, Etienne se meurtrit de la tête et des coudes. Le toit en pente zola3.txt:447:descendait si bas que, sur des longueurs de vingt et trente mètres, il zola3.txt:448:devait marcher cassé en deux. L'eau arrivait aux chevilles. On fit ainsi zola3.txt:449:deux cents mètres; et, tout d'un coup, il vit disparaître Levaque, Zacharie zola3.txt:450:et Catherine, qui semblaient s'être envolés par une fissure mince, ouverte zola3.txt:452: zola3.txt:455: zola3.txt:456: Lui-même disparut. Etienne dut le suivre. Cette cheminée, laissée dans zola3.txt:457:la veine, était réservée aux mineurs et desservait toutes les voies zola3.txt:458:secondaires. Elle avait l'épaisseur de la couche de charbon, à peine zola3.txt:462:cramponné aux bois. Quinze mètres plus haut, on rencontra la première voie zola3.txt:463:secondaire; mais il fallut continuer, la taille de Maheu et consorts était zola3.txt:464:la sixième voie, dans l'enfer, ainsi qu'ils disaient; et, de quinze mètres zola3.txt:468:les jambes meurtries, manquant d'air surtout, au point de sentir le sang lui zola3.txt:470:une petite, une grosse, qui poussaient des berlines: c'étaient Lydie et la zola3.txt:471:Mouquette, déjà au travail. Et il lui restait à grimper la hauteur de deux zola3.txt:472:tailles! La sueur l'aveuglait, il désespérait de rattraper les autres, dont zola3.txt:474: zola3.txt:476: zola3.txt:477: Mais, comme il arrivait en effet, une autre voix cria du fond de la zola3.txt:479: zola3.txt:480: - Eh bien! quoi donc? est-ce qu'on se fout du monde...? J'ai deux zola3.txt:482: zola3.txt:483: C'était Chaval, un grand maigre de vingt-cinq ans, osseux, les traits zola3.txt:484:forts, qui se fâchait d'avoir attendu. Lorsqu'il aperçut Etienne, il zola3.txt:486: zola3.txt:488: zola3.txt:490: zola3.txt:492: zola3.txt:493: Les deux hommes échangèrent un regard, allumé d'une de ces haines zola3.txt:494:d'instinct qui flambent subitement. Etienne avait senti l'injure, sans zola3.txt:495:comprendre encore. Un silence régna, tous se mettaient au travail. C'étaient zola3.txt:497:au bout de chaque voie. Le puits dévorateur avait avalé sa ration zola3.txt:498:quotidienne d'hommes, près de sept cents ouvriers, qui besognaient à cette zola3.txt:499:heure dans cette fourmilière géante, trouant la terre de toutes parts, la zola3.txt:500:criblant ainsi qu'un vieux bois piqué des vers. Et, au milieu du silence zola3.txt:501:lourd, de l'écrasement des couches profondes, on aurait pu, l'oreille collée zola3.txt:502:à la roche, entendre le branle de ces insectes humains en marche, depuis le zola3.txt:503:vol du câble qui montait et descendait la cage d'extraction, jusqu'à la zola3.txt:505: zola3.txt:507:Mais, cette fois, il devina les rondeurs naissantes de la gorge, il comprit zola3.txt:509: zola3.txt:511: zola3.txt:513: zola3.txt:515: zola4.txt:1: I, IV zola4.txt:2: zola4.txt:4:sur toute la montée du front de taille. Séparés par les planches à crochets zola4.txt:5:qui retenaient le charbon abattu, ils occupaient chacun quatre mètres zola4.txt:6:environ de la veine; et cette veine était si mince, épaisse à peine en cet zola4.txt:7:endroit de cinquante centimètres, qu'ils se trouvaient là comme aplatis zola4.txt:8:entre le toit et le mur, se traînant des genoux et des coudes, ne pouvant se zola4.txt:9:retourner sans se meurtrir les épaules. Ils devaient, pour attaquer la zola4.txt:10:houille, rester couchés sur le flanc, le cou tordu, les bras levés et zola4.txt:12: zola4.txt:13: En bas, il y avait d'abord Zacharie; Levaque et Chaval s'étageaient zola4.txt:14:au-dessus; et, tout en haut enfin, était Maheu. Chacun havait le lit de zola4.txt:15:schiste, qu'il creusait à coups de rivelaine; puis, il pratiquait deux zola4.txt:16:entailles verticales dans la couche, et il détachait le bloc, en enfonçant zola4.txt:17:un coin de fer, à la partie supérieure. La houille était grasse, le bloc se zola4.txt:18:brisait, roulait en morceaux le long du ventre et des cuisses. Quand ces zola4.txt:19:morceaux, retenus par la planche, s'étaient amassés sous eux, les haveurs zola4.txt:21: zola4.txt:22: C'était Maheu qui souffrait le plus. En haut, la température montait zola4.txt:23:jusqu'à trente-cinq degrés, l'air ne circulait pas, l'étouffement à la zola4.txt:24:longue devenait mortel. Il avait dû, pour voir clair, fixer sa lampe à un zola4.txt:25:clou, près de sa tête; et cette lampe, qui chauffait son crâne, achevait de zola4.txt:26:lui brûler le sang. Mais son supplice s'aggravait surtout de l'humidité. La zola4.txt:27:roche, au-dessus de lui, à quelques centimètres de son visage, ruisselait zola4.txt:28:d'eau, de grosses gouttes continues et rapides, tombant sur une sorte de zola4.txt:30: zola4.txt:31: Il avait beau tordre le cou, renverser la nuque: elles battaient sa zola4.txt:32:face, s'écrasaient, claquaient sans relâche. Au bout d'un quart d'heure, il zola4.txt:33:était trempé, couvert de sueur lui-même, fumant d'une chaude buée de zola4.txt:34:lessive. Ce matin-là, une goutte, s'acharnant dans son oeil, le faisait zola4.txt:35:jurer. Il ne voulait pas lâcher son havage, il donnait de grands coups, qui zola4.txt:36:le secouaient violemment entre les deux roches, ainsi qu'un puceron pris zola4.txt:38: zola4.txt:39: Pas une parole n'était échangée. Ils tapaient tous, on n'entendait que zola4.txt:40:ces coups irréguliers, voilés et comme lointains. Les bruits prenaient une zola4.txt:41:sonorité rauque, sans un écho dans l'air mort. Et il semblait que les zola4.txt:42:ténèbres fussent d'un noir inconnu, épaissi par les poussières volantes du zola4.txt:43:charbon, alourdi par des gaz qui pesaient sur les yeux. Les mèches des zola4.txt:44:lampes, sous leurs chapeaux de toile métallique, n'y mettaient que des zola4.txt:45:points rougeâtres. On ne distinguait rien, la taille s'ouvrait, montait zola4.txt:46:ainsi qu'une large cheminée, plate et oblique, où la suie de dix hivers zola4.txt:47:aurait amassé une nuit profonde. Des formes spectrales s'y agitaient, les zola4.txt:49:une tête violente, barbouillée comme pour un crime. Parfois, en se zola4.txt:52:les rivelaines tapaient à grands coups sourds, il n'y avait plus que le zola4.txt:53:halètement des poitrines, le grognement de gêne et de fatigue, sous la zola4.txt:55: zola4.txt:56: Zacharie, les bras mous d'une noce de la veille, lâcha vite la besogne zola4.txt:57:en prétextant la nécessité de boiser, ce qui lui permettait de s'oublier à zola4.txt:58:siffler doucement, les yeux vagues dans l'ombre. Derrière les haveurs, près zola4.txt:59:de trois mètres de la veine restaient vides, sans qu'ils eussent encore pris zola4.txt:60:la précaution de soutenir la roche, insoucieux du danger et avares de leur zola4.txt:62: zola4.txt:64: zola4.txt:65: Etienne, qui apprenait de Catherine à manoeuvrer sa pelle, dut monter zola4.txt:67:Chaque matin, d'habitude, on les descendait tout coupés sur la mesure de la zola4.txt:69: zola4.txt:70: - Dépêche-toi donc, sacrée flemme! reprit Zacharie, en voyant le zola4.txt:71:nouveau herscheur se hisser gauchement au milieu du charbon, les bras zola4.txt:73: zola4.txt:74: Il faisait, avec son pic une entaille dans le toit, puis une autre dans zola4.txt:76:L'après-midi, les ouvriers de la coupe à terre prenaient les déblais laissés zola4.txt:77:au fond de la galerie par les haveurs, et remblayaient les tranchées zola4.txt:78:exploitées de la veine, où ils noyaient les bois, en ne ménageant que la zola4.txt:80: zola4.txt:81: Maheu cessa de geindre. Enfin, il avait détaché son bloc. Il essuya sur zola4.txt:82:sa manche son visage ruisselant, il s'inquiéta de ce que Zacharie était zola4.txt:84: zola4.txt:85: - Laisse donc ça, dit-il. Nous verrons après déjeuner... Vaut mieux zola4.txt:87: zola4.txt:88: - C'est que, répondit le jeune homme, ça baisse. Regarde, il y a une zola4.txt:90: zola4.txt:91: Mais le père haussa les épaules. Ah! ouiche! ébouler! Et puis, ce ne zola4.txt:92:serait pas la première fois, on s'en tirerait tout de même. Il finit par se zola4.txt:94: zola4.txt:95: Tous, du reste, se détiraient. Levaque, resté sur le dos, jurait en zola4.txt:96:examinant son pouce gauche, que la chute d'un grès venait d'écorcher au zola4.txt:98:pour avoir moins chaud. Ils étaient déjà noirs de charbon, enduits d'une zola4.txt:99:poussière fine que la sueur délayait, faisait couler en ruisseaux et en zola4.txt:100:mares. Et Maheu recommença le premier à taper, plus bas, la tête au ras de zola4.txt:101:la roche. Maintenant, la goutte lui tombait sur le front, si obstinée, qu'il zola4.txt:103: zola4.txt:104: - Il ne faut pas faire attention, expliquait Catherine à Etienne. Ils zola4.txt:106: zola4.txt:107: Et elle reprit sa leçon, en fille obligeante. Chaque berline chargée zola4.txt:108:arrivait au jour telle qu'elle partait de la taille, marquée d'un jeton zola4.txt:109:spécial pour que le receveur pût la mettre au compte du chantier. Aussi zola4.txt:110:devait-on avoir grand soin de l'emplir et de ne prendre que le charbon zola4.txt:112: zola4.txt:113: Le jeune homme, dont les yeux s'habituaient à l'obscurité, la zola4.txt:114:regardait, blanche encore, avec son teint de chlorose; et il n'aurait pu zola4.txt:116:Pourtant, il la sentait plus vieille, d'une liberté de garçon, d'une zola4.txt:117:effronterie naïve, qui le gênait un peu: elle ne lui plaisait pas, il zola4.txt:118:trouvait trop gamine sa tête blafarde de Pierrot, serrée aux tempes par le zola4.txt:119:béguin. Mais ce qui l'étonnait, c'était la force de cette enfant, une force zola4.txt:120:nerveuse où il entrait beaucoup d'adresse. Elle emplissait sa berline plus zola4.txt:121:vite que lui, à petits coups de pelle réguliers et rapides; elle la poussait zola4.txt:125: zola4.txt:126: A la vérité, ce n'était point un chemin commode. Il y avait une zola4.txt:127:soixantaine de mètres, de la taille au plan incliné; et la voie, que les zola4.txt:128:mineurs de la coupe à terre n'avaient pas encore élargie, était un véritable zola4.txt:129:boyau, de toit très inégal, renflé de continuelles bosses: à certaines zola4.txt:130:places, la berline chargée passait tout juste, le herscheur devait zola4.txt:132:D'ailleurs, les bois pliaient et cassaient déjà. On les voyait, rompus au zola4.txt:134:Il fallait prendre garde de s'écorcher à ces cassures; et, sous le lent zola4.txt:135:écrasement qui faisait éclater des rondins de chêne gros comme la cuisse, on zola4.txt:136:se coulait à plat ventre, avec la sourde inquiétude d'entendre brusquement zola4.txt:138: zola4.txt:140: zola4.txt:142:Il n'arrivait point à rouler droit, sur ces rails qui se faussaient dans la zola4.txt:143:terre humide; et il jurait, il s'emportait, se battait rageusement avec les zola4.txt:145: zola4.txt:146: - Attends donc, reprit la jeune fille. Si tu te fâches, jamais ça ne zola4.txt:148: zola4.txt:149: Adroitement, elle s'était glissée, avait enfoncé à reculons le derrière zola4.txt:150:sous la berline; et, d'une pesée des reins, elle la soulevait et la zola4.txt:153: zola4.txt:154: Il fallut qu'elle lui montrât à écarter les jambes, à s'arc-bouter les zola4.txt:155:pieds contre les bois, des deux côtés de la galerie, pour se donner des zola4.txt:156:points d'appui solides. Le corps devait être penché, les bras raidis, de zola4.txt:157:façon à pousser de tous les muscles, des épaules et des hanches. Pendant un zola4.txt:159:qu'elle semblait trotter à quatre pattes, ainsi qu'une de ces bêtes naines zola4.txt:160:qui travaillent dans les cirques. Elle suait, haletait, craquait des zola4.txt:161:jointures, mais sans une plainte, avec l'indifférence de l'habitude, comme zola4.txt:162:si la commune misère était pour tous de vivre ainsi ployé. Et il ne zola4.txt:163:parvenait pas à en faire autant, ses souliers le gênaient, son corps se zola4.txt:167: zola4.txt:168: Puis, au plan incliné, c'était une corvée nouvelle. Elle lui apprit à zola4.txt:169:emballer vivement sa berline. En haut et en bas de ce plan, qui desservait zola4.txt:170:toutes les tailles, d'un accrochage à un autre, se trouvait un galibot, le zola4.txt:171:freineur en haut, le receveur en bas. Ces vauriens de douze à quinze ans se zola4.txt:172:criaient des mots abominables; et, pour les avertir, il fallait en hurler de zola4.txt:173:plus violents. Alors, dès qu'il y avait une berline vide à remonter, le zola4.txt:174:receveur donnait le signal, la herscheuse emballait sa berline pleine, dont zola4.txt:175:le poids faisait monter l'autre, quand le freineur desserrait son frein. En zola4.txt:176:bas, dans la galerie du fond, se formaient les trains que les chevaux zola4.txt:178: zola4.txt:179: - Ohé! sacrées rosses! criait Catherine dans le plan, entièrement zola4.txt:180:boisé, long d'une centaine de mètres, qui résonnait comme un porte-voix zola4.txt:182: zola4.txt:183: Les galibots devaient se reposer, car ils ne répondaient ni l'un ni zola4.txt:184:l'autre. A tous les étages, le roulage s'arrêta. Une voix grêle de fillette zola4.txt:186: zola4.txt:188: zola4.txt:189: Des rires énormes grondèrent, les herscheuses de toute la veine se zola4.txt:191: zola4.txt:193: zola4.txt:194: Cette dernière lui nomma la petite Lydie, une galopine qui en savait zola4.txt:195:plus long et qui poussait sa berline aussi raide qu'une femme, malgré ses zola4.txt:196:bras de poupée. Quant à la Mouquette, elle était bien capable d'être avec zola4.txt:198: zola4.txt:199: Mais la voix du receveur monta, criant d'emballer. Sans doute, un zola4.txt:200:porion passait en bas. Le roulage reprit aux neuf étages, on n'entendit plus zola4.txt:201:que les appels réguliers des galibots et que l'ébrouement des herscheuses zola4.txt:202:arrivant au plan, fumantes comme des juments trop chargées. C'était le coup zola4.txt:204:lorsqu'un mineur rencontrait une de ces filles à quatre pattes, les reins en zola4.txt:206: zola4.txt:207: Et, à chaque voyage, Etienne retrouvait au fond l'étouffement de la zola4.txt:208:taille, la cadence sourde et brisée des rivelaines, les grands soupirs zola4.txt:209:douloureux des haveurs s'obstinant à leur besogne. Tous les quatre s'étaient zola4.txt:210:mis nus, confondus dans la houille, trempés d'une boue noire jusqu'au zola4.txt:211:béguin. Un moment, il avait fallu dégager Maheu qui râlait, ôter les zola4.txt:212:planches pour faire glisser le charbon sur la voie. Zacharie et Levaque zola4.txt:213:s'emportaient contre la veine, qui devenait dure, disaient-ils, ce qui zola4.txt:214:allait rendre les conditions de leur marchandage désastreuses. Chaval se zola4.txt:215:tournait, restait un instant sur le dos, à injurier Etienne, dont la zola4.txt:217: zola4.txt:218: - Espèce de couleuvre! ça n'a pas la force d'une fille!... Et veux-tu zola4.txt:219:remplir ta berline! Hein? c'est pour ménager tes bras... Nom de Dieu! je te zola4.txt:221: zola4.txt:222: Le jeune homme évitait de répondre, trop heureux jusque-là d'avoir zola4.txt:223:trouvé ce travail de bagne, acceptant la brutale hiérarchie du manoeuvre et zola4.txt:224:du maître ouvrier. Mais il n'allait plus, les pieds en sang, les membres zola4.txt:227: zola4.txt:228: Maheu avait une montre qu'il ne regarda même pas. Au fond de cette nuit zola4.txt:229:sans astres, jamais il ne se trompait de cinq minutes. Tous remirent leur zola4.txt:230:chemise et leur veste. Puis, descendus de la taille, ils s'accroupirent, les zola4.txt:231:coudes aux flancs, les fesses sur leurs talons, dans cette posture si zola4.txt:232:habituelle aux mineurs, qu'ils la gardent même hors de la mine, sans zola4.txt:234:ayant sorti son briquet, mordait gravement à l'épaisse tranche, en lâchant zola4.txt:236:finit par rejoindre Etienne, qui s'était allongé plus loin, en travers des zola4.txt:238: zola4.txt:239: - Tu ne manges pas? demanda-t-elle, la bouche pleine, son briquet à la zola4.txt:241: zola4.txt:242: Puis, elle se rappela ce garçon errant dans la nuit, sans un sou, sans zola4.txt:244: zola4.txt:246: zola4.txt:247: Et, comme il refusait, en jurant qu'il n'avait pas faim, la voix zola4.txt:249: zola4.txt:250: - Ah! si tu es dégoûté!... Mais, tiens! je n'ai mordu que de ce zola4.txt:252: zola4.txt:253: Déjà, elle avait rompu les tartines en deux. Le jeune homme, prenant sa zola4.txt:254:moitié, se retint pour ne pas la dévorer d'un coup; et il posait les bras zola4.txt:255:sur ses cuisses, afin qu'elle n'en vît point le frémissement. De son air zola4.txt:256:tranquille de bon camarade, elle venait de se coucher près de lui, à plat zola4.txt:257:ventre, le menton dans une main, mangeant de l'autre avec lenteur. Leurs zola4.txt:259: zola4.txt:261:avec son visage fin et ses moustaches noires. Vaguement, elle souriait de zola4.txt:263: zola4.txt:266: zola4.txt:268: zola4.txt:269: Elle demeura stupéfaite, bouleversée dans ses idées héréditaires de zola4.txt:271: zola4.txt:272: - Je dois dire que j'avais bu, continua-t-il, et quand je bois, cela me zola4.txt:273:rend fou, je me mangerais et je mangerais les autres... Oui, je ne peux pas zola4.txt:276: zola4.txt:278: zola4.txt:280: zola4.txt:281: Et il hochait la tête, il avait une haine de l'eau-de-vie, la haine du zola4.txt:282:dernier enfant d'une race d'ivrognes, qui souffrait dans sa chair de toute zola4.txt:283:cette ascendance trempée et détraquée d'alcool, au point que la moindre zola4.txt:285: zola4.txt:287:dit-il après avoir avalé une bouchée. Maman n'est pas heureuse, et je lui zola4.txt:289: zola4.txt:291: zola4.txt:293: zola4.txt:294: Il y eut un silence. Quand il pensait à ces choses, un vacillement zola4.txt:295:pâlissait ses yeux noirs, la courte angoisse de la lésion dont il couvait zola4.txt:296:l'inconnu, dans sa belle santé de jeunesse. Un instant, il resta les regards zola4.txt:297:noyés au fond des ténèbres de la mine; et, à cette profondeur, sous le poids zola4.txt:298:et l'étouffement de la terre, il revoyait son enfance, sa mère jolie encore zola4.txt:299:et vaillante, lâchée par son père, puis reprise après s'être mariée à un zola4.txt:300:autre, vivant entre les deux hommes qui la mangeaient, roulant avec eux au zola4.txt:301:ruisseau, dans le vin, dans l'ordure. C'était là-bas, il se rappelait la zola4.txt:302:rue, des détails lui revenaient: le linge sale au milieu de la boutique, et zola4.txt:303:des ivresses qui empuantissaient la maison, et des gifles à casser les zola4.txt:305: zola4.txt:306: - Maintenant, reprit-il d'une voix lente, ce n'est pas avec trente sous zola4.txt:307:que je pourrai lui faire, des cadeaux... Elle va crever de misère, c'est zola4.txt:309: zola4.txt:310: Il eut un haussement d'épaules désespéré, il mordit de nouveau dans sa zola4.txt:312: zola4.txt:313: - Veux-tu boire? demanda Catherine qui débouchait sa gourde. Oh! c'est zola4.txt:315: zola4.txt:316: Mais il refusa: c'était bien assez de lui avoir pris la moitié de son zola4.txt:318: zola4.txt:319: - Eh bien! je bois avant toi, puisque tu es si poli... Seulement, tu ne zola4.txt:321: zola4.txt:322: Et elle lui tendit sa gourde. Elle s'était relevée sur les genoux, il zola4.txt:323:la voyait tout près de lui, éclairée par les deux lampes. Pourquoi donc zola4.txt:324:l'avait-il trouvée laide? Maintenant qu'elle était noire, la face poudrée de zola4.txt:325:charbon fin, elle lui semblait d'un charme singulier. Dans ce visage envahi zola4.txt:326:d'ombre, les dents de la bouche trop grande éclataient de blancheur, les zola4.txt:327:yeux s'élargissaient, luisaient avec un reflet verdâtre, pareils à des yeux zola4.txt:328:de chatte. Une mèche des cheveux roux, qui s'était échappée du béguin, lui zola4.txt:331: zola4.txt:333: zola4.txt:334: Elle avala une seconde gorgée, le força à en prendre une aussi, voulant zola4.txt:335:partager, disait-elle; et ce goulot mince, qui allait d'une bouche à zola4.txt:336:l'autre, les amusait. Lui, brusquement, s'était demandé s'il ne devait pas zola4.txt:337:la saisir dans ses bras, pour la baiser sur les lèvres. Elle avait de zola4.txt:338:grosses lèvres d'un rose pâle, avivées par le charbon, qui le tourmentaient zola4.txt:339:d'une envie croissante. Mais il n'osait pas, intimidé devant elle, n'ayant zola4.txt:340:eu à Lille que des filles, et de l'espèce la plus basse, ignorant comment on zola4.txt:342: zola4.txt:343: - Tu dois avoir quatorze ans alors? demanda-t-il, après s'être remis à zola4.txt:345: zola4.txt:347: zola4.txt:348: - Comment! quatorze! mais j'en ai quinze!... C'est vrai, je ne suis pas zola4.txt:350: zola4.txt:351: Il continua à la questionner, elle disait tout, sans effronterie ni zola4.txt:352:honte. Du reste, elle n'ignorait rien de l'homme ni de la femme, bien qu'il zola4.txt:353:la sentît vierge de corps, et vierge enfant, retardée dans la maturité de zola4.txt:354:son sexe par le milieu de mauvais air et de fatigue où elle vivait. Quand il zola4.txt:355:revint sur la Mouquette, pour l'embarrasser, elle conta des histoires zola4.txt:356:épouvantables, la voix paisible, très égayée. Ah! celle-là en faisait de zola4.txt:358:elle répondit en plaisantant qu'elle ne voulait pas contrarier sa mère, mais zola4.txt:359:que cela arriverait forcément un jour. Ses épaules s'étaient courbées, elle zola4.txt:360:grelottait un peu dans le froid de ses vêtements trempés de sueur, la mine zola4.txt:362: zola4.txt:365: zola4.txt:367: zola4.txt:369: zola4.txt:371: zola4.txt:373: zola4.txt:374: - Le vieux mineur qui revient dans la fosse et qui tord le cou aux zola4.txt:376: zola4.txt:378: zola4.txt:380: zola4.txt:383: zola4.txt:385:il la prendrait et la baiserait sur ses grosses lèvres roses. C'était une zola4.txt:386:résolution de timide, une pensée de violence qui étranglait sa voix. Ces zola4.txt:388:l'excitaient et le gênaient. Lui, avait avalé sa dernière bouchée. Il but à zola4.txt:389:la gourde, la lui rendit pour qu'elle la vidât. Maintenant, le moment d'agir zola4.txt:392: zola4.txt:394:s'assura que Maheu ne pouvait le voir; et, comme Catherine était restée à zola4.txt:396:lui écrasa la bouche sous un baiser brutal, tranquillement, en affectant de zola4.txt:397:ne pas se préoccuper d'Etienne. Il y avait, dans ce baiser, une prise de zola4.txt:399: zola4.txt:401: zola4.txt:403: zola4.txt:404: Il lui maintenait la tête, il la regardait au fond des yeux. Ses zola4.txt:405:moustaches et sa barbiche rouges flambaient dans son visage noir, au grand zola4.txt:407: zola4.txt:409:Certes, non, à présent, il ne l'embrasserait pas, car elle croirait zola4.txt:410:peut-être qu'il voulait faire comme l'autre. Dans sa vanité blessée, il zola4.txt:412: zola4.txt:414: zola4.txt:415: - Mais non, je te jure! cria-t-elle. Il n'y a pas ça entre nous. Des zola4.txt:416:fois, il veut rire... Même qu'il n'est pas d'ici, voilà six mois qu'il est zola4.txt:418: zola4.txt:419: Tous deux s'étaient levés, on allait se remettre au travail. Quand elle zola4.txt:420:le vit si froid, elle parut chagrine. Sans doute, elle le trouvait plus joli zola4.txt:421:que l'autre, elle l'aurait préféré peut-être. L'idée d'une amabilité, d'une zola4.txt:422:consolation la tracassait; et, comme le jeune homme, étonné, examinait sa zola4.txt:423:lampe qui brûlait bleue, avec une large collerette pale, elle tenta au moins zola4.txt:425: zola4.txt:426: - Viens, que je te montre quelque chose, murmura-t-elle d'un air de zola4.txt:428: zola4.txt:429: Lorsqu'elle l'eut mené au fond de la taille, elle lui fit remarquer une zola4.txt:430:crevasse, dans la houille. Un léger bouillonnement s'en échappait, un petit zola4.txt:432: zola4.txt:434: zola4.txt:435: Il resta surpris. Ce n'était que ça, cette terrible chose qui faisait zola4.txt:438: zola4.txt:439: - Quand vous aurez fini de bavarder, fainéants! cria la rude voix de zola4.txt:441: zola4.txt:442: Catherine et Etienne se hâtèrent de remplir leurs berlines et les zola4.txt:443:poussèrent au plan incliné, l'échine raidie, rampant sous le toit bossué de zola4.txt:444:la voie. Dès le second voyage, la sueur les inondait et leurs os craquaient zola4.txt:446: zola4.txt:447: Dans la taille, le travail des haveurs avait repris. Souvent, ils zola4.txt:448:abrégeaient le déjeuner, pour ne pas se refroidir; et leurs briquets, mangés zola4.txt:449:aussi loin du soleil, avec une voracité muette, leur chargeaient de plomb zola4.txt:450:l'estomac. Allongés sur le flanc, ils tapaient plus fort, ils n'avaient que zola4.txt:451:l'idée fixe de compléter un gros nombre de berlines. Tout disparaissait dans zola4.txt:452:cette rage du gain disputé si rudement. Ils cessaient de sentir l'eau qui zola4.txt:454:l'étouffement des ténèbres, où ils blêmissaient ainsi que des plantes mises zola4.txt:455:en cave. Pourtant, à mesure que la journée s'avançait, l'air s'empoisonnait zola4.txt:456:davantage, se chauffait de la fumée des lampes, de la pestilence des zola4.txt:457:haleines, de l'asphyxie du grisou, gênant sur les yeux comme des toiles zola4.txt:458:d'araignée, et que devait seul balayer l'aérage de la nuit. Eux, au fond de zola4.txt:459:leur trou de taupe, sous le poids de la terre, n'ayant plus de souffle dans zola5.txt:1: zola5.txt:2: I, V zola5.txt:3: zola5.txt:4: Maheu, sans regarder à sa montre laissée dans sa veste, s'arrêta et zola5.txt:6: zola5.txt:8: zola5.txt:9: Le jeune homme boisait depuis un instant. Au milieu de sa besogne, il zola5.txt:10:était resté sur le dos, les yeux vagues, rêvassant aux parties de crosse zola5.txt:12: zola5.txt:14: zola5.txt:15: Et il retourna prendre sa place à la taille. Levaque et Chaval, eux zola5.txt:16:aussi, lâchaient la rivelaine. Il y eut un repos. Tous s'essuyaient le zola5.txt:17:visage sur leurs bras nus, en regardant la roche du toit, dont les masses zola5.txt:19: zola5.txt:20: - Encore une chance, murmura Chaval, d'être tombé sur des terres qui zola5.txt:22: zola5.txt:24: zola5.txt:25: Zacharie se mit à rire. Il se fichait du travail et du reste, mais ça zola5.txt:26:l'amusait d'entendre empoigner la Compagnie. De son air placide, Maheu zola5.txt:27:expliqua que la nature des terrains changeait tous les vingt mètres. Il zola5.txt:28:fallait être juste, on ne pouvait rien prévoir. Puis, les deux autres zola5.txt:29:continuant à déblatérer contre les chefs, il devint inquiet, il regarda zola5.txt:31: zola5.txt:33: zola5.txt:34: - Tu as raison, dit Levaque, qui baissa également la voix. C'est zola5.txt:36: zola5.txt:37: Une obsession des mouchards les hantait, même à cette profondeur, comme zola5.txt:39: zola5.txt:40: - N'empêche, ajouta très haut Chaval d'un air de défi, que si ce cochon zola5.txt:41:de Dansaert me parle sur le ton de l'autre jour, je lui colle une brique zola5.txt:42:dans le ventre... Je ne l'empêche pas, moi, de se payer les blondes qui ont zola5.txt:44: zola5.txt:45: Cette fois, Zacharie éclata. Les amours du maître-porion et de la zola5.txt:46:Pierronne étaient la continuelle plaisanterie de la fosse. Catherine zola5.txt:47:elle-même, appuyée sur sa pelle, en bas de la taille, se tint les côtes et zola5.txt:48:mit d'une phrase Etienne au courant; tandis que Maheu se fâchait, pris d'une zola5.txt:50: zola5.txt:51: - Hein? tu vas te taire!... Attends d'être tout seul, si tu veux qu'il zola5.txt:53: zola5.txt:54: Il parlait encore, lorsqu'un bruit de pas vint de la galerie zola5.txt:58: zola5.txt:59: - Quand je le disais! murmura Maheu. Il y en a toujours là, qui sortent zola5.txt:61: zola5.txt:63:mince et joli, avec des cheveux frisés et des moustaches brunes. Son nez zola5.txt:64:pointu, ses yeux vifs, lui donnaient un air de furet aimable, d'une zola5.txt:65:intelligence sceptique, qui se changeait en une autorité cassante, dans ses zola5.txt:66:rapports avec les ouvriers. Il était vêtu comme eux, barbouillé comme eux de zola5.txt:67:charbon; et, pour les réduire au respect, il montrait un courage à se casser zola5.txt:68:les os, passant par les endroits les plus difficiles, toujours le premier zola5.txt:70: zola5.txt:72: zola5.txt:75: zola5.txt:77: zola5.txt:78: Tous deux s'étaient laissés glisser au milieu de la taille. On fit zola5.txt:80: zola5.txt:81: - C'est bon, dit-il enfin. Je n'aime guère qu'on ramasse des inconnus zola5.txt:83: zola5.txt:84: Et il n'écouta point les explications qu'on lui donnait, les nécessités zola5.txt:85:du travail, le désir de remplacer les femmes par des garçons, pour le zola5.txt:86:roulage. Il s'était mis à étudier le toit, pendant que les haveurs zola5.txt:88: zola5.txt:89: - Dites donc, Maheu, est-ce que vous vous fichez du monde!... Vous zola5.txt:91: zola5.txt:93: zola5.txt:94: - Comment! solide!... Mais la roche tasse déjà, et vous plantez des zola5.txt:95:bois à plus de deux mètres, d'un air de regret! Ah! vous êtes bien tous les zola5.txt:97:pour mettre au boisage le temps voulu!... Je vous prie de m'étayer ça zola5.txt:99: zola5.txt:100: Et, devant le mauvais vouloir des mineurs qui discutaient, en disant zola5.txt:102: zola5.txt:103: - Allons donc! quand vous aurez la tête broyée, est-ce que c'est vous zola5.txt:104:qui en supporterez les conséquences? Pas du tout! ce sera la Compagnie, qui zola5.txt:105:devra vous faire des pensions, à vous ou à vos femmes... Je vous répète zola5.txt:106:qu'on vous connaît: pour avoir deux berlines de plus le soir, vous donneriez zola5.txt:108: zola5.txt:109: Maheu, malgré la colère dont il était peu à peu gagné, dit encore zola5.txt:111: zola5.txt:113: zola5.txt:114: L'ingénieur haussa les épaules, sans répondre. Il avait achevé de zola5.txt:116: zola5.txt:117: - Il vous reste une heure, mettez-vous tous à la besogne; et je vous zola5.txt:119: zola5.txt:120: Un sourd grognement des haveurs accueillit ces paroles. La force de la zola5.txt:121:hiérarchie les retenait seule, cette hiérarchie militaire qui, du galibot au zola5.txt:122:maître-porion, les courbait les uns sous les autres. Chaval et Levaque zola5.txt:123:pourtant eurent un geste furieux, tandis que Maheu les modérait du regard et zola5.txt:124:que Zacharie haussait gouailleusement les épaules. Mais Etienne était zola5.txt:126:une révolte lente le soulevait. Il regarda Catherine résignée, l'échine zola5.txt:127:basse. Etait-ce possible qu'on se tuât à une si dure besogne dans ces zola5.txt:128:ténèbres mortelles, et qu'on n'y gagnât même pas les quelques sous du pain zola5.txt:130: zola5.txt:131: Cependant Négrel s'en allait avec Dansaert, qui s'était contenté zola5.txt:133:s'élevèrent: ils venaient de s'arrêter encore, ils examinaient le boisage de zola5.txt:134:la galerie, dont les haveurs avaient l'entretien sur une longueur de dix zola5.txt:136: zola5.txt:137: - Quand je vous dis qu'ils se fichent du monde! criait l'ingénieur. Et zola5.txt:139: zola5.txt:140: - Mais si, mais si, balbutiait le maître-porion. On est las de leur zola5.txt:142: zola5.txt:144: zola5.txt:146: zola5.txt:148: zola5.txt:149: - Voyez ça, est-ce que ça tient?... C'est bâti comme quatre sous. Voilà zola5.txt:150:un chapeau que les moutons ne portent déjà plus, tellement on l'a posé à la zola5.txt:151:hâte... Pardi! je comprends que le raccommodage nous coûte si cher. N'est-ce zola5.txt:152:pas? Pourvu que ça dure tant que vous en avez la responsabilité! Et puis zola5.txt:155: zola5.txt:157: zola5.txt:158: - Non, je sais ce que vous allez dire encore. Qu'on vous paie zola5.txt:159:davantage, hein? Eh bien! je vous préviens que vous forcerez la Direction à zola5.txt:160:faire une chose: oui, on vous paiera le boisage à part, et l'on réduira zola5.txt:161:proportionnellement le prix de la berline. Nous verrons si vous y zola5.txt:163: zola5.txt:165:si humble devant lui, resta en arrière quelques secondes, pour dire zola5.txt:167: zola5.txt:168: - Vous me faites empoigner, vous autres... Ce n'est pas trois francs zola5.txt:170: zola5.txt:172: zola5.txt:173: - Nom de Dieu! ce qui n'est pas juste n'est pas juste. Moi, j'aime zola5.txt:174:qu'on soit calme, parce que c'est la seule façon de s'entendre; mais, à la zola5.txt:176:et le boisage à part! encore une façon de nous payer moins!... Nom de Dieu zola5.txt:178: zola5.txt:179: Il cherchait quelqu'un sur qui tomber, lorsqu'il aperçut Catherine et zola5.txt:181: zola5.txt:184: zola5.txt:185: Etienne alla se charger, sans rancune de cette rudesse, si furieux zola5.txt:187: zola5.txt:188: Du reste, Levaque et Chaval s'étaient soulagés en gros mots. Tous, même zola5.txt:189:Zacharie, boisaient rageusement. Pendant près d'une demi-heure, on zola5.txt:190:n'entendit que le craquement des bois, calés à coups de masse. Ils zola5.txt:192:qu'ils auraient bousculée et remontée d'un renfoncement d'épaules, s'ils zola5.txt:194: zola5.txt:195: - En voilà assez! dit enfin Maheu, brisé de colère et de fatigue. Une zola5.txt:196:heure et demie... Ah! une propre journée, nous n'aurons pas cinquante zola5.txt:198: zola5.txt:199: Bien qu'il y eût encore une demi-heure de travail, il se rhabilla. Les zola5.txt:200:autres l'imitèrent. La vue seule de la taille les jetait hors d'eux. Comme zola5.txt:201:la herscheuse s'était remise au roulage, ils l'appelèrent en s'irritant de zola5.txt:205: zola5.txt:206: Dans la cheminée, Catherine et Etienne s'attardèrent, tandis que les zola5.txt:208:arrêtée au milieu d'une voie pour les laisser passer, et qui leur racontait zola5.txt:209:une disparition de la Mouquette, prise d'un tel saignement de nez, que zola5.txt:210:depuis une heure elle était allée se tremper la figure quelque part, on ne zola5.txt:211:savait pas où. Puis, quand ils la quittèrent, l'enfant poussa de nouveau sa zola5.txt:214:Eux, dévalaient sur le dos, aplatissaient leurs épaules, de peur de zola5.txt:215:s'arracher la peau du front; et ils filaient si raide, le long de la roche zola5.txt:216:polie par tous les derrières des chantiers, qu'ils devaient, de temps à zola5.txt:219: zola5.txt:220: En bas, ils se trouvèrent seuls. Des étoiles rouges disparaissaient au zola5.txt:221:loin, à un coude de la galerie. Leur gaieté tomba, ils se mirent en marche zola5.txt:222:d'un pas lourd de fatigue, elle devant, lui derrière. Les lampes zola5.txt:224:et l'idée qu'elle était une fille lui causait un malaise, parce qu'il se zola5.txt:225:sentait bête de ne pas l'embrasser, et que le souvenir de l'autre l'en zola5.txt:227: zola5.txt:228: Assurément, elle lui avait menti: l'autre était son amant, ils zola5.txt:229:couchaient ensemble sur tous les tas d'escaillage, car elle avait déjà le zola5.txt:230:déhanchement d'une gueuse. Sans raison, il la boudait, comme si elle l'eût zola5.txt:231:trompé. Elle pourtant, à chaque minute, se tournait, l'avertissait d'un zola5.txt:232:obstacle, semblait l'inviter à être aimable. On était si perdu, on aurait si zola5.txt:233:bien pu rire en bons amis! Enfin, ils débouchèrent dans la galerie de zola5.txt:235:tandis qu'elle, une dernière fois, eut un regard attristé, le regret d'un zola5.txt:237: zola5.txt:238: Maintenant, autour d'eux, la vie souterraine grondait, avec le zola5.txt:239:continuel passage des porions, le va-et-vient des trains, emportés au trot zola5.txt:240:des chevaux. Sans cesse, des lampes étoilaient la nuit. Ils devaient zola5.txt:241:s'effacer contre la roche, laisser la voie à des ombres d'hommes et de zola5.txt:242:bêtes, dont ils recevaient l'haleine au visage. Jeanlin, courant pieds nus zola5.txt:243:derrière son train, leur cria une méchanceté qu'ils n'entendirent pas, dans zola5.txt:245:lui ne reconnaissant pas les carrefours ni les rues du matin, s'imaginant zola5.txt:246:qu'elle le perdait de plus en plus sous la terre; et ce dont il souffrait zola5.txt:247:surtout, c'était du froid, un froid grandissant qui l'avait pris au sortir zola5.txt:248:de la taille, et qui le faisait grelotter davantage, à mesure qu'il se zola5.txt:249:rapprochait du puits. Entre les muraillements étroits, la colonne d'air zola5.txt:252: zola5.txt:253: Chaval leur jeta un regard oblique, la bouche froncée de méfiance. Les zola5.txt:255:ravalant des grondements de colère. Ils arrivaient trop tôt, on refusait de zola5.txt:256:les remonter avant une demi-heure, d'autant plus qu'on faisait des zola5.txt:257:manoeuvres compliquées, pour la descente d'un cheval. Les chargeurs zola5.txt:258:emballaient encore des berlines, avec un bruit assourdissant de ferrailles zola5.txt:259:remuées, et les cages s'envolaient, disparaissaient dans la pluie battante zola5.txt:261:empli de ce ruissellement, exhalait lui aussi son humidité vaseuse. Des zola5.txt:262:hommes tournaient sans cesse autour du puits, tiraient les cordes des zola5.txt:263:signaux, pesaient sur les bras des leviers, au milieu de cette poussière zola5.txt:264:d'eau dont leurs vêtements se trempaient. La clarté rougeâtre des trois zola5.txt:265:lampes à feu libre, découpant de grandes ombres mouvantes, donnait à cette zola5.txt:268: zola5.txt:269: Maheu tenta un dernier effort. Il s'approcha de Pierron, qui avait pris zola5.txt:271: zola5.txt:273: zola5.txt:276: zola5.txt:278: zola5.txt:279: De nouveaux grondements furent étouffés. Catherine se pencha, dit à zola5.txt:281: zola5.txt:283: zola5.txt:285:Elle se trouvait à gauche, au bout d'une courte galerie. Longue de zola5.txt:286:vingt-cinq mètres, haute de quatre, taillée dans le roc et voûtée en zola5.txt:287:briques, elle pouvait contenir vingt chevaux. Il y faisait bon en effet, une zola5.txt:288:bonne chaleur de bêtes vivantes, une bonne odeur de litière fraîche, tenue zola5.txt:289:proprement. L'unique lampe avait une lueur calme de veilleuse. Des chevaux zola5.txt:290:au repos tournaient la tête, avec leurs gros yeux d'enfants, puis se zola5.txt:293: zola5.txt:294: Mais, comme Catherine lisait à voix haute les noms, sur les plaques de zola5.txt:295:zinc, au-dessus des mangeoires, elle eut un léger cri, en voyant un corps se zola5.txt:296:dresser brusquement devant elle. C'était la Mouquette, effarée, qui sortait zola5.txt:297:d'un tas de paille, où elle dormait. Le lundi, lorsqu'elle était trop lasse zola5.txt:299:quittait sa taille sous le prétexte d'aller chercher de l'eau, et venait zola5.txt:300:s'enfouir là, avec les bêtes, dans la litière chaude. Son père, d'une grande zola5.txt:302: zola5.txt:303: Justement, le père Mouque entra, court, chauve, ravagé, mais resté gros zola5.txt:304:quand même, ce qui était rare chez un ancien mineur de cinquante ans. Depuis zola5.txt:305:qu'on en avait fait un palefrenier, il chiquait à un tel point, que ses zola5.txt:306:gencives saignaient dans sa bouche noire. En apercevant les deux autres avec zola5.txt:308: zola5.txt:309: - Qu'est-ce que vous fichez là, tous? Allons, houp! bougresses qui zola5.txt:310:m'amenez un homme ici!... C'est propre de venir faire vos saletés dans ma zola5.txt:312: zola5.txt:314:s'en alla, tandis que Catherine lui souriait. Comme tous trois retournaient zola5.txt:315:à l'accrochage, Bébert et Jeanlin y arrivaient aussi, avec un train de zola5.txt:316:berlines. Il y eut un arrêt pour la manoeuvre des cages, et la jeune fille zola5.txt:317:s'approcha de leur cheval, le caressa de la main, en parlant de lui à son zola5.txt:318:compagnon. C'était Bataille, le doyen de la mine, un cheval blanc qui avait zola5.txt:319:dix ans de fond. Depuis dix ans, il vivait dans ce trou, occupant le même zola5.txt:320:coin de l'écurie, faisant la même tâche le long des galeries noires, sans zola5.txt:321:avoir jamais revu le jour. Très gras, le poil luisant, l'air bonhomme, il zola5.txt:323:Du reste, dans les ténèbres, il était devenu d'une grande malignité. La voie zola5.txt:324:où il travaillait avait fini par lui être si familière, qu'il poussait de la zola5.txt:326:aux endroits trop bas. Sans doute aussi il comptait ses tours, car lorsqu'il zola5.txt:327:avait fait le nombre réglementaire de voyages, il refusait d'en recommencer zola5.txt:329:ses yeux de chat se voilaient parfois d'une mélancolie. Peut-être zola5.txt:330:revoyait-il vaguement, au fond de ses rêvasseries obscures, le moulin où il zola5.txt:332:entouré de larges verdures, toujours éventé par le vent. Quelque chose zola5.txt:333:brûlait en l'air, une lampe énorme, dont le souvenir exact échappait à sa zola5.txt:336: zola5.txt:337: Cependant, les manoeuvres continuaient dans le puits, le marteau des zola5.txt:338:signaux avait tapé quatre coups, on descendait le cheval; et c'était zola5.txt:339:toujours une émotion, car il arrivait parfois que la bête, saisie d'une zola5.txt:340:telle épouvante, débarquait morte. En haut, lié dans un filet, il se zola5.txt:341:débattait éperdument; puis, dès qu'il sentait le sol manquer sous lui, il zola5.txt:343:l'oeil agrandi et fixe. Celui-ci étant trop gros pour passer entre les zola5.txt:344:guides, on avait dû, en l'accrochant au-dessous de la cage, lui rabattre et zola5.txt:346:on ralentissait la machine par précaution. Aussi, en bas, l'émotion zola5.txt:347:grandissait-elle. Quoi donc? Est-ce qu'on allait le laisser en route, pendu zola5.txt:349:dilaté de terreur. C'était un cheval bai, de trois ans à peine, nommé zola5.txt:351: zola5.txt:354: zola5.txt:356:Il ne bougeait toujours pas, il semblait dans le cauchemar de ce trou zola5.txt:357:obscur, infini, de cette salle profonde, retentissante de vacarme. On zola5.txt:359:s'approcha, allongea le cou pour flairer ce compagnon, qui tombait ainsi de zola5.txt:360:la terre. Les ouvriers élargirent le cercle en plaisantant. Eh bien! quelle zola5.txt:362:Il lui trouvait sans doute la bonne odeur du grand air, l'odeur oubliée du zola5.txt:364:d'une musique d'allégresse, où il semblait y avoir l'attendrissement d'un zola5.txt:365:sanglot. C'était la bienvenue, la joie de ces choses anciennes dont une zola5.txt:366:bouffée lui arrivait, la mélancolie de ce prisonnier de plus qui ne zola5.txt:368: zola5.txt:369: - Ah! cet animal de Bataille! criaient les ouvriers égayés par ces zola5.txt:371: zola5.txt:374:Enfin, on le mit debout d'un coup de fouet, étourdi, les membres secoués zola5.txt:375:d'un grand frisson. Et le père Mouque emmena les deux bêtes qui zola5.txt:377: zola5.txt:379: zola5.txt:380: Il fallait débarrasser les cages, et du reste dix minutes manquaient zola5.txt:381:encore pour l'heure de la remonte. Peu à peu, les chantiers se vidaient, des zola5.txt:382:mineurs revenaient de toutes les galeries. Il y avait déjà là une zola5.txt:383:cinquantaine d'hommes, mouillés et grelottants, sous les fluxions de zola5.txt:386:Zacharie pinçait sournoisement la Mouquette, histoire de se réchauffer. Mais zola5.txt:387:le mécontentement grandissait, Chaval et Levaque racontaient la menace de zola5.txt:388:l'ingénieur, la berline baissée de prix, le boisage payé à part; et des zola5.txt:389:exclamations accueillaient ce projet, une rébellion germait dans ce coin zola5.txt:390:étroit, à près de six cents mètres sous la terre. Bientôt, les voix ne se zola5.txt:392:accusèrent la Compagnie de tuer au fond une moitié de ses ouvriers, et de zola5.txt:394: zola5.txt:396: zola5.txt:397: Il hâtait la manoeuvre pour la remonte, ne voulant point sévir, faisant zola5.txt:398:semblant de ne pas entendre. Cependant, les murmures devenaient tels, qu'il zola5.txt:399:fut forcé de s'en mêler. Derrière lui, on criait que ça ne durerait pas zola5.txt:401: zola5.txt:402: - Toi qui es raisonnable, dit-il à Maheu, fais-les donc taire. Quand on zola5.txt:404: zola5.txt:405: Mais Maheu, qui se calmait et finissait par s'inquiéter, n'eut point à zola5.txt:406:intervenir. Soudain, les voix tombèrent: Négrel et Dansaert, revenant de zola5.txt:408:L'habitude de la discipline fit ranger les hommes, tandis que l'ingénieur zola5.txt:409:traversait le groupe, sans une parole. Il se mit dans une berline, le zola5.txt:410:maître-porion dans une autre; on tira cinq fois le signal, sonnant à la zola5.txt:411:grosse viande, comme on disait pour les chefs; et la cage fila en l'air, au zola6.txt:1: zola6.txt:2: I, VI zola6.txt:3: zola6.txt:4: Dans la cage qui le remontait, tassé avec quatre autres, Etienne zola6.txt:5:résolut de reprendre sa course affamée, le long des routes. Autant valait-il zola6.txt:6:crever tout de suite que de redescendre au fond de cet enfer, pour n'y pas zola6.txt:7:même gagner son pain. Catherine, enfournée au-dessus de lui, n'était plus zola6.txt:8:là, contre son flanc, d'une bonne chaleur engourdissante. Et il aimait mieux zola6.txt:9:ne pas songer à des bêtises, et s'éloigner; car, avec son instruction plus zola6.txt:10:large, il ne se sentait point la résignation de ce troupeau, il finirait par zola6.txt:12: zola6.txt:13: Brusquement, il fut aveuglé. La remonte venait d'être si rapide, qu'il zola6.txt:14:restait ahuri du grand jour, les paupières battantes dans cette clarté dont zola6.txt:18: zola6.txt:21: zola6.txt:22: Le Volcan était un café-concert de Montsou. Mouquet cligna l'oeil zola6.txt:23:gauche, avec un rire silencieux qui lui fendait les mâchoires. Petit et gros zola6.txt:25:sans nul souci du lendemain. Justement, la Mouquette sortait à son tour, et zola6.txt:26:il lui allongea une claque formidable sur les reins, par tendresse zola6.txt:28: zola6.txt:29: Etienne reconnaissait à peine la haute nef de la recette, qu'il avait zola6.txt:30:vue inquiétante, dans les lueurs louches des lanternes. Ce n'était que nu et zola6.txt:31:sale. Un jour terreux entrait par les fenêtres poussiéreuses. Seule, la zola6.txt:32:machine luisait, là-bas, avec ses cuivres; les câbles d'acier, enduits de zola6.txt:34:l'énorme charpente qui les supportait, les cages, les berlines, tout ce zola6.txt:35:métal prodigué assombrissait la salle de leur gris dur de vieilles zola6.txt:36:ferrailles. Sans relâche, le grondement des roues ébranlait les dalles de zola6.txt:37:fonte; tandis que, de la houille ainsi promenée, montait une fine poudre de zola6.txt:39: zola6.txt:40: Mais Chaval, ayant donné un coup d'oeil au tableau des jetons, dans le zola6.txt:41:petit bureau vitré du receveur, revint furieux. Il avait constaté qu'on leur zola6.txt:42:refusait deux berlines, l'une parce qu'elle ne contenait pas la quantité zola6.txt:44: zola6.txt:46:Aussi est-ce qu'on devrait prendre des fainéants, qui se servent de leurs zola6.txt:48: zola6.txt:50:Celui-ci fut tenté de répondre à coups de poing. Puis, il se demanda à quoi zola6.txt:52: zola6.txt:53: - On ne peut pas bien faire le premier jour, dit Maheu pour mettre la zola6.txt:55: zola6.txt:57:Comme ils passaient à la lampisterie rendre leurs lampes, Levaque s'empoigna zola6.txt:58:avec le lampiste, qu'il accusait de mal nettoyer la sienne. Ils ne se zola6.txt:59:détendirent un peu que dans la baraque, où le feu brûlait toujours. Même on zola6.txt:60:avait dû trop le charger, car le poêle était rouge, la vaste pièce sans zola6.txt:61:fenêtre semblait en flammes, tellement les reflets du brasier saignaient sur zola6.txt:62:les murs. Et ce furent des grognements de joie, tous les dos se rôtissaient zola6.txt:63:à distance, fumaient ainsi que des soupes. Quand les reins brûlaient, on se zola6.txt:64:cuisait le ventre. La Mouquette, tranquillement, avait rabattu sa culotte zola6.txt:65:pour sécher sa chemise. Des garçons blaguaient, on éclata de rire, parce zola6.txt:66:qu'elle leur montra tout à coup son derrière, ce qui était chez elle zola6.txt:68: zola6.txt:70: zola6.txt:72:sous le prétexte qu'ils rentraient l'un et l'autre à Montsou. Mais on zola6.txt:74: zola6.txt:76:Celui-ci s'étonna, puis il approuva d'un hochement de tête; et, appelant zola6.txt:78: zola6.txt:79: - Ecoutez donc, murmura-t-il, si vous n'avez pas le sou, vous aurez le zola6.txt:80:temps de crever avant la quinzaine... Voulez-vous que je tâche de vous zola6.txt:82: zola6.txt:83: Le jeune homme resta un instant embarrassé. Justement, il allait zola6.txt:84:réclamer ses trente sous et partir. Mais une honte le retint devant la jeune zola6.txt:85:fille. Elle le regardait fixement, peut-être croirait-elle qu'il boudait le zola6.txt:87: zola6.txt:88: - Vous savez, je ne vous promets rien, continua Maheu. Nous en serons zola6.txt:90: zola6.txt:91: Alors, Etienne ne dit pas non. On refuserait. Du reste, ça ne zola6.txt:92:l'engageait point, il pourrait toujours s'éloigner, après avoir mangé un zola6.txt:93:morceau. Puis, il fut mécontent de n'avoir pas dit non, en voyant la joie de zola6.txt:94:Catherine, un joli rire, un regard d'amitié, heureuse de lui être venue en zola6.txt:96: zola6.txt:97: Quand ils eurent repris leurs sabots et fermé leurs cases, les Maheu zola6.txt:99:dès qu'ils s'étaient réchauffés. Etienne les suivit, Levaque et son gamin se zola6.txt:100:mirent de la bande. Mais, comme ils traversaient le criblage, une scène zola6.txt:102: zola6.txt:104:aux grandes persiennes d'où soufflait un continuel courant d'air. Les zola6.txt:105:berlines de houille arrivaient directement de la recette, étaient versées zola6.txt:107:et, à droite et à gauche de ces dernières, les cribleuses, montées sur des zola6.txt:109:poussaient le charbon propre, qui tombait ensuite par des entonnoirs dans zola6.txt:111: zola6.txt:112: Philomène Levaque se trouvait là, mince et pâle, d'une figure zola6.txt:113:moutonnière de fille crachant le sang. La tête protégée d'un lambeau de zola6.txt:114:laine bleue, les mains et les bras noirs jusqu'aux coudes, elle triait zola6.txt:115:au-dessous d'une vieille sorcière, la mère de la Pierronne, la Brûlé ainsi zola6.txt:116:qu'on la nommait, terrible avec ses yeux de chat-huant et sa bouche serrée zola6.txt:117:comme la bourse d'un avare. Elles s'empoignaient toutes les deux, la jeune zola6.txt:118:accusant la vieille de lui ratisser ses pierres, à ce point qu'elle n'en zola6.txt:119:faisait pas un panier en dix minutes. On les payait au panier, c'étaient des zola6.txt:120:querelles sans cesse renaissantes. Les chignons volaient, les mains zola6.txt:122: zola6.txt:123: - Fous-lui donc un renfoncement! cria d'en haut Zacharie à sa zola6.txt:125: zola6.txt:126: Toutes les cribleuses éclatèrent. Mais la Brûlé se jeta hargneusement zola6.txt:128: zola6.txt:129: - Dis donc, saleté! tu ferais mieux de reconnaître les deux gosses dont zola6.txt:130:tu l'as emplie!... S'il est permis, une bringue de dix-huit ans, qui ne zola6.txt:132: zola6.txt:134:la couleur de sa peau, à cette carcasse. Un surveillant accourait, les zola6.txt:135:râteaux se remirent à fouiller le charbon. On n'apercevait plus, du haut en zola6.txt:136:bas des trémies, que les dos ronds des femmes, acharnées à se disputer les zola6.txt:138: zola6.txt:139: Dehors, le vent s'était brusquement calmé, un froid humide tombait du zola6.txt:140:ciel gris. Les charbonniers gonflèrent les épaules, croisèrent les bras et zola6.txt:141:partirent, débandés, avec un roulis des reins qui faisait saillir leurs gros zola6.txt:142:os, sous la toile mince des vêtements. Au grand jour, ils passaient comme zola6.txt:143:une bande de nègres culbutes dans de la vase. Quelques-uns n'avaient pas zola6.txt:144:fini leur briquet; et ce reste de pain, rapporté entre la chemise et la zola6.txt:146: zola6.txt:148: zola6.txt:149: Levaque, sans s'arrêter, échangea deux phrases avec son logeur, gros zola6.txt:151: zola6.txt:153: zola6.txt:155: zola6.txt:157: zola6.txt:159: zola6.txt:160: D'autres mineurs de la coupe à terre arrivaient, des bandes nouvelles zola6.txt:161:qui, une à une, s'engouffraient dans la fosse. C'était la descente de trois zola6.txt:162:heures, encore des hommes que le puits mangeait, et dont les équipes zola6.txt:163:allaient remplacer les marchandages des haveurs, au fond des voies. Jamais zola6.txt:164:la mine ne chômait, il y avait nuit et jour des insectes humains fouissant zola6.txt:166: zola6.txt:167: Cependant, les gamins marchaient les premiers. Jeanlin confiait à zola6.txt:168:Bébert un plan compliqué, pour avoir à crédit quatre sous de tabac; tandis zola6.txt:169:que Lydie, respectueusement, venait à distance. Catherine suivait avec zola6.txt:170:Zacharie et Etienne. Aucun ne parlait. Et ce fut seulement devant le cabaret zola6.txt:172: zola6.txt:174: zola6.txt:175: On se sépara. Catherine était restée un instant immobile, regardant une zola6.txt:176:dernière fois le jeune homme de ses grands yeux, d'une limpidité verdâtre zola6.txt:177:d'eau de source, et dont le visage noir creusait encore le cristal. Elle zola6.txt:178:sourit, elle disparut avec les autres, sur le chemin montant qui conduisait zola6.txt:180: zola6.txt:181: Le cabaret se trouvait entre le village et la fosse, au croisement des zola6.txt:182:deux routes. C'était une maison de briques à deux étages, blanchie du haut zola6.txt:184:Sur une enseigne carrée, clouée au-dessus de la porte, on lisait en lettres zola6.txt:185:jaunes: A l'Avantage, débit tenu par Rasseneur. Derrière, s'allongeait un zola6.txt:186:jeu de quilles, clos d'une haie vive. Et la Compagnie, qui avait tout fait zola6.txt:187:pour acheter ce lopin, enclavé dans ses vastes terres, était désolée de ce zola6.txt:189: zola6.txt:191: zola6.txt:192: La salle, petite, avait une nudité claire, avec ses murs blancs, ses zola6.txt:193:trois tables et sa douzaine de chaises, son comptoir de sapin, grand comme zola6.txt:194:un buffet de cuisine. Une dizaine de chopes au plus étaient là, trois zola6.txt:195:bouteilles de liqueur, une carafe, une petite caisse de zinc à robinet zola6.txt:196:d'étain, pour la bière; et rien autre, pas une image, pas une tablette, pas zola6.txt:197:un jeu. Dans la cheminée de fonte, vernie et luisante, brûlait doucement une zola6.txt:198:pâtée de houille. Sur les dalles, une fine couche de sable blanc buvait zola6.txt:200: zola6.txt:201: - Une chope, commanda Maheu à une grosse fille blonde, la fille d'une zola6.txt:203: zola6.txt:205:Lentement, d'un seul trait, le mineur vida la moitié de la chope, pour zola6.txt:206:balayer les poussières qui lui obstruaient la gorge. Il n'offrit rien à son zola6.txt:208:était assis devant une table et buvait sa bière en silence, d'un air de zola6.txt:209:profonde méditation. Un troisième entra, fut servi sur un geste, paya et zola6.txt:211: zola6.txt:212: Mais un gros homme de trente-huit ans, rasé, la figure ronde, parut zola6.txt:213:avec un sourire débonnaire. C'était Rasseneur, un ancien haveur que la zola6.txt:214:Compagnie avait congédié depuis trois ans, à la suite d'une grève. Très bon zola6.txt:218:il resta cabaretier lui-même, trouva de l'argent, planta son cabaret en face zola6.txt:219:du Voreux, comme une provocation à la Compagnie. Maintenant, sa maison zola6.txt:220:prospérait, il devenait un centre, il s'enrichissait des colères qu'il avait zola6.txt:222: zola6.txt:223: - C'est ce garçon que j'ai embauché ce matin, expliqua Maheu tout de zola6.txt:224:suite. As-tu une de tes deux chambres libre, et veux-tu lui faire crédit zola6.txt:226: zola6.txt:227: La face large de Rasseneur exprima subitement une grande défiance. Il zola6.txt:228:examina d'un coup d'oeil Etienne et répondit, sans se donner la peine de zola6.txt:230: zola6.txt:232: zola6.txt:233: Le jeune homme s'attendait à ce refus; et il en souffrit pourtant, il zola6.txt:234:s'étonna du brusque ennui qu'il éprouvait à s'éloigner. N'importe, il s'en zola6.txt:235:irait, quand il aurait ses trente sous. Le mineur qui buvait à une table zola6.txt:237:puis se remettaient en marche du même pas déhanché. C'était un simple zola6.txt:239: zola6.txt:242: zola6.txt:244: zola6.txt:246: zola6.txt:247: Il conta l'affaire. La face du cabaretier avait rougi, une émotion zola6.txt:250: zola6.txt:252: zola6.txt:253: Etienne le gênait. Cependant, il continua, en lui lançant des regards zola6.txt:254:obliques. Et il avait des réticences, des sous-entendus, il parlait du zola6.txt:255:directeur, M. Hennebeau, de sa femme, de son neveu le petit Négrel, sans les zola6.txt:256:nommer, répétant que ça ne pouvait pas continuer ainsi, que ça devait casser zola6.txt:257:un de ces quatre matins. La misère était trop grande, il cita les usines qui zola6.txt:258:fermaient, les ouvriers qui s'en allaient. Depuis un mois, il donnait plus zola6.txt:260:Deneulin, le propriétaire d'une fosse voisine, ne savait comment tenir le zola6.txt:261:coup. Du reste, il venait de recevoir une lettre de Lille, pleine de détails zola6.txt:263: zola6.txt:264: - Tu sais, murmura-t-il, ça vient de cette personne que tu as vue ici zola6.txt:266: zola6.txt:267: Mais il fut interrompu. Sa femme entrait à son tour, une grande femme zola6.txt:268:maigre et ardente, le nez long, les pommettes violacées. Elle était en zola6.txt:270: zola6.txt:273: zola6.txt:274: Etienne écoutait depuis un instant, comprenait, se passionnait, à ces zola6.txt:276: zola6.txt:277: Ce nom, jeté brusquement, le fit tressaillir. Il dit tout haut, comme zola6.txt:279: zola6.txt:281: zola6.txt:283: zola6.txt:284: - Oui, je suis machineur, il a été mon contremaître, à Lille... Un zola6.txt:286: zola6.txt:287: Rasseneur l'examinait de nouveau; et il y eut, sur son visage, un zola6.txt:289: zola6.txt:290: - C'est Maheu qui m'amène Monsieur, un herscheur à lui, pour voir s'il zola6.txt:291:n'y a pas une chambre en haut, et si nous ne pourrions pas faire crédit zola6.txt:293: zola6.txt:295:le locataire était parti le matin. Et le cabaretier, très excité, se livra zola6.txt:296:davantage, tout en répétant qu'il demandait seulement le possible aux zola6.txt:299: zola6.txt:301:et tant qu'on descendra, il y aura du monde qui en crèvera... Regarde, te zola6.txt:303: zola6.txt:305: zola6.txt:306: Etienne alla jusqu'à la porte, remerciant le mineur qui partait; mais zola6.txt:307:celui-ci hochait la tête, sans ajouter un mot, et le jeune homme le regarda zola6.txt:308:monter péniblement le chemin du coron. Mme Rasseneur, en train de servir des zola6.txt:309:clients, venait de le prier d'attendre une minute, pour qu'elle le conduisît zola6.txt:310:à sa chambre, où il se débarbouillerait. Devait-il rester? Une hésitation zola6.txt:311:l'avait repris, un malaise qui lui faisait regretter la liberté des grandes zola6.txt:312:routes, la faim au soleil, soufferte avec la joie d'être son maître. Il lui zola6.txt:313:semblait qu'il avait vécu là des années, depuis son arrivée sur le terri, au zola6.txt:314:milieu des bourrasques, jusqu'aux heures passées sous la terre, à plat zola6.txt:315:ventre dans les galeries noires. Et il lui répugnait de recommencer, c'était zola6.txt:316:injuste et trop dur, son orgueil d'homme se révoltait, à l'idée d'être une zola6.txt:318: zola6.txt:319: Pendant qu'Etienne se débattait ainsi, ses yeux, qui erraient sur la zola6.txt:320:plaine immense, peu à peu l'aperçurent. Il s'étonna, il ne s'était pas zola6.txt:321:figuré l'horizon de la sorte, lorsque le vieux Bonnemort le lui avait zola6.txt:322:indiqué du geste, au fond des ténèbres. Devant lui, il retrouvait bien le zola6.txt:323:Voreux, dans un pli de terrain, avec ses bâtiments de bois et de briques, le zola6.txt:324:criblage goudronné, le beffroi couvert d'ardoises, la salle de la machine et zola6.txt:326:autour des bâtiments, le carreau s'étendait, et il ne se l'imaginait pas si zola6.txt:327:large, changé en un lac d'encre par les vagues montantes du stock de zola6.txt:328:charbon, hérissé des hauts chevalets qui portaient les rails des zola6.txt:329:passerelles, encombré dans un coin de la provision des bois, pareille à la zola6.txt:331:colossal comme une barricade de géants, déjà couvert d'herbe dans sa partie zola6.txt:332:ancienne, consumé à l'autre bout par un feu intérieur qui brûlait depuis un zola6.txt:333:an, avec une fumée épaisse, en laissant à la surface, au milieu du gris zola6.txt:335:Puis, les champs se déroulaient, des champs sans fin de blé et de zola6.txt:337:coupés de quelques saules rabougris, des prairies lointaines, que séparaient zola6.txt:338:des files maigres de peupliers. Très loin, de petites taches blanches zola6.txt:339:indiquaient des villes, Marchiennes au nord, Montsou au midi; tandis que la zola6.txt:340:forêt de Vandame, à l'est, bordait l'horizon de la ligne violâtre de ses zola6.txt:341:arbres dépouillés. Et, sous le ciel livide, dans le jour bas de cet zola6.txt:342:après-midi d'hiver, il semblait que tout le noir du Voreux, toute la zola6.txt:343:poussière volante de la houille se fût abattue sur la plaine, poudrant les zola6.txt:345: zola6.txt:347:la rivière de la Scarpe canalisée, qu'il n'avait pas vu dans la nuit. Du zola6.txt:348:Voreux à Marchiennes, ce canal allait droit, un ruban d'argent mat de deux zola6.txt:349:lieues, une avenue bordée de grands arbres, élevée au-dessus des bas zola6.txt:350:terrains, filant à l'infini avec la perspective de ses berges vertes, de son zola6.txt:352:il y avait un embarcadère, des bateaux amarrés, que les berlines des zola6.txt:354:coupait de biais les marais; et toute l'âme de cette plaine rase paraissait zola6.txt:355:être là, dans cette eau géométrique qui la traversait comme une grande zola6.txt:357: zola6.txt:358: Les regards d'Etienne remontaient du canal au coron, bâti sur le zola6.txt:359:plateau, et dont il distinguait seulement les tuiles rouges. Puis, ils zola6.txt:360:revenaient vers le Voreux, s'arrêtaient, en bas de la pente argileuse, à zola6.txt:361:deux énormes tas de briques, fabriquées et cuites sur place. Un zola6.txt:362:embranchement du chemin de fer de la Compagnie passait derrière une zola6.txt:363:palissade, desservant la fosse. On devait descendre les derniers mineurs de zola6.txt:364:la coupe à terre. Seul, un wagon que poussaient des hommes jetait un cri zola6.txt:366:les flamboiements d'astres ignorés. Au loin, les hauts fourneaux et les zola6.txt:367:fours à coke avaient pâli avec l'aube. Il ne restait là, sans un arrêt, que zola6.txt:368:l'échappement de la pompe, soufflant toujours de la même haleine grosse et zola6.txt:369:longue, l'haleine d'un ogre dont il distinguait la buée grise maintenant, et zola6.txt:371: zola6.txt:372: Alors, Etienne, brusquement, se décida. Peut-être avait-il cru revoir zola6.txt:373:les yeux clairs de Catherine, là-haut, à l'entrée du coron. Peut-être zola6.txt:375:il voulait redescendre dans la mine pour souffrir et se battre, il songeait