La sottise , l'erreur , le péché , la lésine , § Occupent nos esprits et travaillent nos corps , § Et nous alimentons nos aimables remords , § Comme les mendiants nourrissent leur vermine. § Nos péchés sont têtus , nos repentirs sont lâches; § Nous nous faisons payer grassement nos aveux , § Et nous rentrons gaiement dans le chemin bourbeux , § Croyant par de vils pleurs laver toutes nos taches. § Sur l'oreiller du mal c'est Satan Trismégiste § Qui berce longuement notre esprit enchanté , § Et le riche métal de notre volonté § Est tout vaporisé par ce savant chimiste. § C'est le Diable qui tient les fils qui nous remuent ! § Aux objets répugnants nous trouvons des appas; § Chaque jour vers l'Enfer nous descendons d'un pas , § Sans horreur , à travers des ténèbres qui puent. § Ainsiqu'un débauché pauvre qui baise et mange § Le sein martyrisé d'une antique catin , § Nous volons au passage un plaisir clandestin § Que nous pressons bien fort comme une vieille orange. § Serré , fourmillant , comme un million d'helminthes , § Dans nos cerveaux "ribote un peuple de Démons , § Et , quand nous respirons , la Mort dans nos poumons § Descend , fleuve invisible , avec de sourdes plaintes. § Si le viol , le poison , le poignard , l'incendie , § N'ont pas encor brodé de leurs plaisants dessins § Le canevas banal de nos piteux destins , § C'est que notre âme , hélas ! n'est pas assez hardie. § Mais parmi les chacals , les panthères , les lices , § Les singes , les scorpions , les vautours , les serpents , § Les monstres glapissants , hurlants , grognants , rampants , § Dans la ménagerie infâme de nos vices , § Il en est un plus laid , plus méchant , plus immonde ! § Quoiqu'il ne pousse ni grands gestes ni grands cris , § Il ferait volontiers de la terre un débris § Et dans un bâillement avalerait le monde; § C'est l'Ennui ! - l'oeil chargé d'un pleur involontaire , § Il rêve d'échafauds en fumant "son houka. § Tu le connais , lecteur , ce monstre délicat , § -Hypocrite lecteur , -mon semblable , -mon frère ! § Lorsque , par un décret des puissances suprêmes , § Le Poète apparaît en ce monde ennuyé , § Sa mère épouvantée et pleine de blasphèmes § Crispe ses poings vers Dieu , qui la prend en pitié: § - [ Ah ! que n'ai-je mis bas tout un noeud de vipères , § Plutôtquede nourrir cette dérision ! § Maudite soit la nuit aux plaisirs éphémères § Où mon ventre a conçu mon expiation ! § Puisque tu m'as choisie entre toutes les femmes § Pour être le dégoût de mon triste mari , § Et que je ne puis pas rejeter dans les flammes , § Comme un billet d'amour , ce monstre rabougri , § Je ferai rejaillir ta haine qui m'accable § Sur l'instrument maudit de tes méchancetés , § Et je tordrai si bien cet arbre misérable , § Qu'il ne pourra pousser ses boutons empestés ! ] § Elle ravale ainsi l'écume de sa haine , § Et , ne comprenant pas les desseins éternels , § Elle-même prépare aufondde la Géhenne § Les bûchers consacrés aux crimes maternels. § Pourtant , sous la tutelle invisible d'un Ange , § L'Enfant déshérité s'enivre de soleil , § Et dans tout ce qu'il boit et dans tout ce qu'il mange § Retrouve l'ambroisie et le nectar vermeil. § Il joue avec le vent , cause avec le nuage , § Et s'enivre en chantant du chemin de la croix; § Et l'Esprit qui le suit dans "son pèlerinage § Pleure de le voir gai comme un oiseau des bois. § Tous ceux qu'il veut aimer l'observent avec crainte , § Oubien , s'enhardissant de sa tranquillité , § Cherchent à qui saura lui tirer une plainte , § Et font sur lui l'essai de leur férocité. § Dans le pain et le vin destinés à sa bouche § Ils mêlent de la cendre avec d'impurs crachats; § Avec hypocrisie ils jettent ce qu'il touche , § Et s'accusent d'avoir mis leurs pieds dans ses pas. § Sa femme va criant sur les places publiques: § [ Puisqu'il me trouve assez belle pour m'adorer , § Je ferai le métier des idoles antiques , § Et comme elles je veux me faire redorer; § Et je me soûlerai de nard , d'encens , de myrrhe , § De génuflexions , de viandes et de vins , § Pour savoir si je puis dans un coeur qui m'admire § Usurper en riant les hommages divins ! § Et , quand je m'ennuierai de ces farces impies , § Je poserai sur lui ma frêle et forte main; § Et mes ongles , pareils aux ongles des harpies , § Sauront jusqu'à "son coeur se frayer un chemin. § Comme un tout jeune oiseau qui tremble et qui palpite , § J'arracherai ce coeur tout rouge de "son sein , § Et , pour rassasier ma bête favorite , § Je le lui jetterai par terre avec dédain ! ] § Vers le Ciel , où "son oeil voit un trône splendide , § Le Poète serein lève ses bras "pieux , § Et les vastes éclairs de "son esprit lucide § Lui dérobent l'aspect des peuples furieux : § - [ Soyez béni , mon Dieu , qui donnez la souffrance § Comme un divin remède à nos impuretés § Et comme la meilleure et la plus pure essence § Qui prépare les forts aux saintes voluptés ! § Je sais que vous gardez une place au Poète § Dans les rangs bienheureux des saintes Légions , § Et que vous l'invitez à l'éternelle fête § Des Trônes , des Vertus , des Dominations. § Je sais que la douleur est la noblesse unique § Où ne mordront jamais la terre et les enfers , § Et qu'il faut pour tresser ma couronne mystique § Imposer tous les temps et tous les univers. § Mais les bijoux perdus de l'antique Palmyre , § Les métaux inconnus , les perles de la mer , § Par votre main montés , ne pourraient pas suffire § À ce beau diadème éblouissant et clair; § Car il ne sera fait que de pure lumière , § Puisée au foyer saint des rayons primitifs , § Et dont les yeux mortels , dans leur splendeur entière , § Ne sont que des miroirs obscurcis et plaintifs ! ] § Souvent , pour s'amuser , les hommes d'équipage § Prennent des albatros , vastes oiseaux des mers , § Qui suivent , indolents compagnons de voyage , § Le navire glissant sur les gouffres "amers. § À peine les ont-ils déposés sur les planches , § Que ces rois de l'azur , maladroits et honteux , § Laissent piteusement leurs grandes ailes blanches § Comme des avirons traîner à côté d'eux. § Ce voyageur ailé , comme il est gauche et veule ! § Lui , naguère si beau , qu'il est comique et laid ! § L'un agace "son bec avec un brûle-gueule , § L'autre mime , en boitant , l'infirme qui volait ! § Le Poète est semblable au prince des nuées § Qui hante la tempête et se rit de l'archer; § Exilé sur le sol au milieu des huées , § Ses ailes de géant l'empêchent de marcher. § Au-dessus des étangs , au-dessus des vallées , § Des montagnes , des bois , des nuages , des mers , § Par-delà le soleil , par-delà les éthers , § Par-delà les confins des sphères étoilées , § Mon esprit , tu te meus avec agilité , § Et , comme un bon nageur qui se pâme dans l'onde , § Tu sillonnes gaiement l'immensité profonde § Avec une indicible et mâle volupté. § Envole-toi bien loin de ces miasmes morbides; § Va te purifier dans l'air supérieur , § Et bois , comme une pure et divine liqueur , § Le feu clair qui remplit les espaces limpides. § Derrière les ennuis et les vastes chagrins § Qui chargent de leur poids l'existence brumeuse , § Heureux celui qui peut d'une aile vigoureuse § S'élancer vers les champs lumineux et sereins; § Celui dont les pensers , comme des alouettes , § Vers les cieux le matin prennent un libre essor , § - Qui plane sur la vie , et comprend sans effort § Le langage des fleurs et des choses muettes ! § La Nature est un temple où de vivants piliers § Laissent parfois sortir de confuses paroles ; § L'homme y passe à travers des forêts de symboles § Qui l'observent avec des regards familiers . § Comme de longs échos qui de loin se confondent § Dans une ténébreuse et profonde unité , § Vaste comme la nuit et comme la clarté , § Les parfums , les couleurs et les sons se répondent. § Il est des parfums frais comme des chairs d'enfants , § Doux comme les hautbois , verts comme les prairies , § - Et d'autres , corrompus , riches et triomphants , § Ayant l'expansion des choses infinies , § Comme l'ambre , le musc , le benjoin et l'encens , § Qui chantent les transports de l'esprit et des sens. § J'aime le souvenir de ces époques nues , § Dont Phoebus se plaisait à dorer les statues. § Alors l'homme et la femme en leur agilité § Jouissaient sans mensonge et sans anxiété , § Et , le ciel amoureux leur caressant l'échine , § Exerçaient la santé de leur noble machine . § Cybèle alors , fertile en produits généreux , § Ne trouvait point ses fils un poids trop onéreux , § Mais , louve au coeur gonflé de tendresses communes , § Abreuvait l'univers à ses tétines brunes. § L'homme , élégant , robuste et fort , avait le droit § D'être fier des beautés qui le nommaient leur roi; § Fruits purs de tout outrage et vierges de gerçures , § Dont la chair lisse et ferme appelait les morsures ! § Le Poète aujourd'hui , quand il veut concevoir § Ces natives grandeurs , aux lieux où se font voir § La nudité de l'homme et celle de la femme , § Sent un froid ténébreux envelopper "son âme § Devant ce noir tableau plein d'épouvantement. § Ô monstruosités pleurant leur vêtement ! § Ô ridicules troncs ! torses dignes des masques ! § Ô pauvres corps tordus , maigres , ventrus ou flasques , § Que le dieu de l'Utile , implacable et serein , § Enfants , emmaillota dans ses langes d'airain ! § Et vous , femmes , hélas ! pâles comme des cierges , § Que ronge et que nourrit la débauche , et vous , vierges , § Du vice maternel traînant l'hérédité § Et toutes les hideurs de la fécondité ! § Nous avons , il est vrai , nations corrompues , § Aux peuples anciens des beautés inconnues: § Des visages rongés par les chancres du coeur , § Et comme qui dirait des beautés de langueur; § Mais ces inventions de nos muses tardives § N'empêcheront jamais les races maladives § De rendre à la jeunesse un hommage profond , § - À la sainte jeunesse , à l'air simple , au doux front , § À l'oeil limpide et clair ainsiqu'une eau courante , § Et qui va répandant sur tout , insouciante § Comme l'azur du ciel , les oiseaux et les fleurs , § Ses parfums , ses chansons et ses douces chaleurs ! § Rubens , fleuve d'oubli , jardin de la paresse , § Oreiller de chair "fraîche où l'on ne peut aimer , § Mais où la vie afflue et s'agite sans cesse , § Comme l'air dans le ciel et la mer dans la mer; § Léonard de Vinci , miroir profond et sombre , § Où des anges charmants , avec un doux souris § Tout chargé de mystère , apparaissent à l'ombre § Des glaciers et des pins qui ferment leur pays; § Rembrandt , triste hôpital tout rempli de murmures , § Et d'un grand crucifix décoré seulement , § Où la prière en pleurs s'exhale des ordures , § Et d'un rayon d'hiver traversé brusquement; § Michel-Ange , lieu vague où l'on voit des Hercules § Se mêler à des Christs , et se lever tout droits § Des fantômes puissants qui dans les crépuscules § Déchirent leur suaire en étirant leurs doigts; § Colères de boxeur , impudences de faune , § Toi qui sus ramasser la beauté des goujats , § Grand coeur gonflé d'orgueil , homme débile et jaune , § Puget , mélancolique empereur des forçats; § Watteau , ce carnaval où biendes coeurs illustres , § Comme des papillons , errent en flamboyant , § Décors frais et légers éclairés par des lustres § Qui versent la folie à ce bal tournoyant; § Goya , cauchemar plein de choses inconnues , § De foetus qu'on fait cuire au milieu des sabbats , § De vieilles au miroir et d'enfants toutes nues , § Pour tenter les démons ajustant bien leurs bas; § Delacroix , lac de sang hanté des mauvais anges , § Ombragé par un bois de sapins toujours vert , § Où , sous un ciel chagrin , des fanfares étranges § Passent , comme un soupir étouffé de Weber ; § Ces malédictions , ces blasphèmes , ces plaintes , § Ces extases , ces cris , ces pleurs , ces Te Deum , § Sont un écho redit par mille labyrinthes; § C'est pour les coeurs mortels un divin opium ! § C'est un cri répété par mille sentinelles , § Un ordre renvoyé par mille porte-voix; § C'est un phare allumé sur mille citadelles , § Un appel de chasseurs perdus dans les grands bois ! § Car c'est vraiment , Seigneur , le meilleur témoignage § Que nous puissions donner de notre dignité § Que cet ardent sanglot qui roule d'âge en âge § Et vient mourir aubord de votre éternité ! § Ma pauvre muse , hélas ! qu'as-tu donc ce matin ? § Tes yeux creux sont peuplés de visions nocturnes , § Et je vois tour à tour réfléchis sur ton teint § La folie et l'horreur , froides et taciturnes. § Le succube verdâtre et le rose lutin § T'ont-ils versé la peur et l'amour de leurs urnes ? § Le cauchemar , d'un poing despotique et mutin , § T'a-t-il noyée aufondd'un fabuleux Minturnes ? § Je voudrais qu'exhalant l'odeur de la santé § "Ton sein de pensers "forts fût toujours fréquenté , § Et que "ton sang chrétien coulât à flots rythmiques , § Comme les sons nombreux des syllabes antiques , § Où règnent tour à tour le père des chansons , § Phoebus , et le grand Pan , le seigneur des moissons. § Ô muse de mon coeur , amante des palais , § Auras-tu , quand Janvier lâchera ses Borées , § Durant les noirs ennuis des neigeuses soirées , § Un tison pour chauffer tes deux pieds violets ? § Ranimeras-tu donc tes épaules marbrées § Aux nocturnes rayons qui percent les volets ? § Sentant ta bourse à sec autant que "ton palais , § Récolteras-tu l'or des voûtes azurées ? § Il te faut , pour gagner "ton pain de chaque soir , § Comme un enfant de choeur , jouer de l'encensoir , § Chanter des Te Deum auxquels tu ne crois guère , § Ou , saltimbanque à jeun , étaler tes appas § Et ton rire trempé de pleurs qu'on ne voit pas , § Pour faire épanouir la rate du vulgaire. § Les cloîtres anciens sur leurs grandes murailles § Étalaient en tableaux la sainte Vérité , § Dont l'effet , réchauffant les pieuses entrailles , § Tempérait la froideur de leur austérité. § En ces temps où du Christ florissaient les semailles , § Plus d'un illustre moine , aujourd'hui peu "cité , § Prenant pour atelier le champ des funérailles , § Glorifiait la Mort avec simplicité. § - Mon âme est un tombeau que , mauvais cénobite , § Depuis l'éternité je parcours et j'habite; § Rien n'embellit les murs de ce cloître odieux. § Ô moine fainéant ! quand saurai-je donc faire § Du spectacle vivant de ma triste misère § Le travail de mes mains et l'amour de mes yeux ? § Ma jeunesse ne fut qu'un ténébreux orage , § Traversé çà et là par de brillants soleils; § Le tonnerre et la pluie ont fait un tel ravage , § Qu'il reste en mon jardin bien peu de fruits vermeils. § Voilà que j'ai touché l'automne des idées , § Et qu'il faut employer la pelle et les râteaux § Pour rassembler àneuf les terres inondées , § Où l'eau creuse des trous grands comme des tombeaux. § Et qui sait si les fleurs "nouvelles que je rêve § Trouveront dans ce sol lavé comme une grève § Le mystique aliment qui ferait leur vigueur ? § -Ô douleur ! ô douleur ! Le Temps mange la vie , § Et l'obscur Ennemi qui nous ronge le coeur § Du sang que nous perdons croît et se fortifie ! § Pour soulever un poids si lourd , § Sisyphe , il faudrait "ton courage ! § Bienqu'on ait du coeur à l'ouvrage , § L'Art est long et le Temps est court . § Loin des sépultures célèbres , § Vers un cimetière isolé , § Mon coeur , comme un tambour voilé , § Va battant des marches funèbres. § - Maint joyau dort enseveli § Dans les ténèbres et l'oubli , § Bien loin des pioches et des sondes; § Mainte fleur épanche à regret § "Son parfum doux comme un secret § Dans les solitudes profondes. § J'ai longtemps habité sous de vastes portiques § Que les soleils "marins teignaient de mille feux , § Et que leurs grands piliers , droits et majestueux , § Rendaient pareils , le soir , aux grottes basaltiques . § Les houles , en roulant les images des cieux , § Mêlaient d'une façon solennelle et mystique § Les tout-puissants accords de leur riche musique § Aux couleurs du couchant reflété par mes yeux. § C'est là que j'ai "vécu dans les voluptés calmes , § Aumilieude l'azur , des vagues , des splendeurs , § Et des esclaves nus , tout imprégnés d'odeurs , § Qui me rafraîchissaient le front avec des palmes , § Et dont l'unique soin était d'approfondir § Le secret douloureux qui me faisait languir . § La tribu prophétique aux prunelles ardentes § Hier s'est mise en route , emportant ses petits § Sur "son dos , ou livrant à leurs fiers appétits § Le trésor toujours prêt des mamelles pendantes. § Les hommes vont à pied sous leurs armes luisantes § Le long des chariots où les leurs sont blottis , § Promenant sur le ciel des yeux appesantis § Par le "morne regret des chimères absentes. § Dufondde son réduit sablonneux , le grillon , § Les regardant passer , redouble sa chanson; § Cybèle , qui les aime , augmente ses verdures , § Fait couler le rocher et fleurir le désert § Devant ces voyageurs , pour lesquels est ouvert § L'empire familier des ténèbres futures. § Homme libre , toujours tu chériras la mer ! § La mer est "ton miroir; tu contemples "ton âme § Dans le déroulement infini de sa lame , § Et "ton esprit n'est pas un gouffre moins amer. § Tu te plais à plonger auseinde "ton image; § Tu l'embrasses des yeux et des bras , et "ton coeur § Se distrait quelquefois de sa propre rumeur § Au bruit de cette plainte indomptable et sauvage. § Vous êtes tous les deux ténébreux et discrets: § Homme , nul n'a sondé le fond de tes abîmes; § Ô mer , nul ne connaît tes richesses intimes , § Tant vous êtes jaloux de garder vos secrets ! § Et cependant voilà des siècles innombrables § Que vous vous combattez sans pitié ni remord , § Tellement vous aimez le carnage et la mort , § Ô lutteurs éternels , ô frères implacables ! § Quand Don Juan descendit vers l'onde souterraine § Et lorsqu'il eut "donné "son obole à Charon , § Un sombre mendiant , l'oeil fier comme Antisthène , § D'un bras vengeur et fort saisit chaque aviron. § Montrant leurs seins pendants et leurs robes ouvertes , § Des femmes se tordaient sous le noir firmament , § Et , comme un grand troupeau de victimes "offertes , § Derrière lui traînaient un long mugissement. § Sganarelle en riant lui réclamait ses gages , § Tandis que Don Luis avec un doigt tremblant § Montrait à tous les morts errant sur les rivages § Le fils audacieux qui railla "son front blanc. § Frissonnant sous "son deuil , la chaste et maigre Elvire , § Près de l'époux perfide et qui fut "son amant , § Semblait lui réclamer un suprême sourire § Ou brillât la douceur de son premier serment. § Tout droit dans "son armure , un grand homme de pierre § Se tenait à la barre et coupait le flot noir; § Mais le calme héros , courbé sur sa rapière , § Regardait le sillage et ne daignait rien voir. § En ces temps merveilleux où la Théologie § Fleurit avec leplus de sève et d'énergie , § On raconte qu'unjour un docteur des plus grands , § - Après avoir forcé les coeurs indifférents; § Les avoir remués dans les profondeurs noires; § Après avoir franchi vers les célestes gloires § Des chemins "singuliers à lui-même inconnus , § Où les purs Esprits seuls peut-être étaient venus , § - Comme un homme monté trop haut , pris de panique , § S'écria , transporté d'un orgueil satanique: § [ Jésus , petit Jésus ! je t'ai poussé bien haut ! § Mais , si j'avais voulu t'attaquer au défaut § De l'armure , ta honte égalerait ta gloire , § Et tu ne serais plus qu'un foetus dérisoire ! ] § Immédiatement sa raison s'en alla. § L'éclat de ce soleil d'un crêpe se voila; § Tout le chaos roula dans cette intelligence , § Temple autrefois vivant , plein d'ordre et d'opulence , § Sous les plafonds duquel tant de pompe avait lui. § Le silence et la nuit s'installèrent en lui , § Comme dans un caveau dont la clef est perdue. § Dès lors il fut semblable aux bêtes de la rue , § Et , quand il s'en allait sans rien voir , à travers § Les champs , sans distinguer les étés des hivers , § Sale , inutile et laid comme une chose usée , § Il faisait des enfants la joie et la risée. § Je suis belle , ô mortels ! comme un rêve de pierre , § Et mon sein , où chacun s'est meurtri tour à tour , § Est fait pour inspirer au poète un amour § Éternel et muet ainsique la matière. § Je trône dans l'azur comme un sphinx incompris; § J'unis un coeur de neige à la blancheur des cygnes; § Je hais le mouvement qui déplace les lignes , § Et jamais je ne pleure et jamais je ne ris. § Les poètes , devant mes grandes attitudes , § Que j'ai l'air d'emprunter aux plus fiers monuments , § Consumeront leurs jours en d'austères études; § Car j'ai , pour fasciner ces dociles amants , § De purs miroirs qui font toutes choses plus belles: § Mes yeux , mes larges yeux aux clartés éternelles ! § Ce ne seront jamais ces beautés de vignettes , § Produits avariés , nés d'un siècle vaurien , § Ces pieds à brodequins , ces doigts à castagnettes , § Qui sauront satisfaire un coeur comme le mien. § Je laisse à Gavarni , poète des chloroses , § "Son troupeau gazouillant de beautés d'hôpital , § Car je ne puis trouver parmi ces pâles roses § Une fleur qui ressemble à mon rouge idéal . § Ce qu'il faut à ce coeur profond comme un abîme , § C'est vous , Lady Macbeth , âme puissante au crime , § Rêve d'Eschyle éclos au climat des autans; § Oubien toi , grande Nuit , fille de Michel-Ange , § Qui tors paisiblement dans une pose étrange § Tes appas façonnés aux bouches des Titans ! § Dutempsque la Nature en sa verve puissante § Concevait chaque jour des enfants monstrueux , § J'eusse aimé vivre auprès d'une jeune géante , § Comme aux pieds d'une reine un chat voluptueux. § J'eusse aimé voir "son corps fleurir avec "son âme § Et grandir librement dans ses terribles jeux; § Deviner si "son coeur couve une sombre flamme § Aux humides brouillards qui nagent dans ses yeux; § Parcourir à loisir ses magnifiques formes; § Ramper sur le versant de ses genoux énormes , § Et parfois en été , quand les soleils malsains , § Lasse , la font s'étendre à travers la campagne , § Dormir nonchalamment à l'ombre de ses seins , § Comme un hameau paisible au pied d'une montagne. § Contemplons ce trésor de grâces florentines; § Dans l'ondulation de ce corps musculeux § L'Élégance et la Force abondent , soeurs divines. § Cette femme , morceau vraiment miraculeux , § Divinement robuste , adorablement mince , § Est faite pour trôner sur des lits somptueux , § Et charmer les loisirs d'un pontife ou d'un prince. § - Aussi , vois ce souris fin et voluptueux § Où la Fatuité promène "son extase; § Ce long regard sournois , langoureux et moqueur; § Ce visage mignard , tout encadré de gaze , § Dont chaque trait nous dit avec un air vainqueur: § [ La Volupté m'appelle et l'amour me couronne ! § À cet être doué de tant de majesté § Vois quel charme excitant la gentillesse "donne ! § Approchons , et tournons autour de sa beauté. § Ô blasphème de l'art ! ô surprise fatale ! § La femme au corps divin , promettant le bonheur , § Par le haut se termine en monstre bicéphale ! § - Mais non ! ce n'est qu'un masque , un décor suborneur , § Ce visage éclairé d'une exquise grimace , § Et , regarde , voici , crispée atrocement , § La véritable tête , et la sincère face § Renversée à l'abri de la face qui ment. § Pauvre grande beauté ! le magnifique fleuve § De tes pleurs aboutit dans mon coeur soucieux; § "Ton mensonge m'enivre , et mon âme s'abreuve § Aux flots que la Douleur "fait jaillir de tes yeux ! § -Mais pourquoi pleure-t-elle ? Elle , beauté parfaite § Qui mettrait àsespieds le genre humain "vaincu , § Quel mal mystérieux ronge "son flanc d'athlète ? § -Elle pleure , insensé , parce qu'elle a "vécu ! § Et parce qu'elle vit ! Mais ce qu'elle déplore § Surtout , ce qui la fait frémir jusqu'aux genoux , § C'est que demain , hélas ! il faudra vivre encore ! § Demain , après-demain et toujours ! -comme nous ! § Viens-tu du ciel profond ou sors-tu de l'abîme , § Ô Beauté ? "ton regard , infernal et divin , § Verse confusément le bienfait et le crime , § Et l'on peut pour cela te comparer au vin. § Tu contiens dans "ton oeil le couchant et l'aurore; § Tu répands des parfums comme un soir orageux; § Tes baisers sont un philtre et ta bouche une amphore § Qui font le héros lâche et l'enfant courageux. § Sors-tu du gouffre noir ou descends-tu des astres ? § Le Destin charmé suit tes jupons comme un chien; § Tu sèmes au hasard la joie et les désastres , § Et tu gouvernes tout et ne réponds de rien. § Tu marches sur des morts , Beauté , dont tu te moques; § De tes bijoux l'Horreur n'est pas le moins charmant , § Et le Meurtre , parmi tes plus chères breloques , § Sur "ton ventre orgueilleux danse amoureusement. § L'éphémère ébloui vole vers toi , chandelle , § Crépite , flambe et dit: Bénissons ce flambeau ! § L'amoureux pantelant incliné sur sa belle § A l'air d'un moribond caressant "son tombeau. § Que tu viennes du ciel ou de l'enfer , qu'importe , § Ô Beauté ! monstre énorme , effrayant , ingénu ! § Si "ton oeil , ton souris , "ton pied , m'ouvrent la porte § D'un Infini que j'aime et n'ai jamais connu ? § De Satan ou de Dieu , qu'importe ? Ange ou Sirène , § Qu'importe , si tu rends , -fée aux yeux de velours , § Rythme , parfum , lueur , ô mon unique reine ! - § L'univers moins hideux et les instants moins lourds ? § Quand , les deux yeux fermés , en un soir chaud d'automne , § Je respire l'odeur de "ton sein chaleureux , § Je vois se dérouler des rivages heureux § Qu'éblouissent les feux d'un soleil monotone; § Une île paresseuse où la nature "donne § Des arbres "singuliers et des fruits savoureux; § Des hommes dont le corps est mince et vigoureux , § Et des femmes dont l'oeil par sa franchise étonne. § Guidé par "ton odeur vers de charmants climats , § Je vois un port rempli de voiles et de mâts § Encor tout fatigués par la vague marine , § Pendantque le parfum des verts tamariniers , § Qui circule dans l'air et m'enfle la narine , § Se mêle dans mon âme au chant des mariniers . § Ô toison , moutonnant jusque sur l'encolure ! § Ô boucles ! Ô parfum chargé de nonchaloir ! § Extase ! Pour peupler ce soir l'alcôve obscure § Des souvenirs dormant dans cette chevelure , § Je la veux agiter dans l'air comme un mouchoir ! § La langoureuse Asie et la brûlante Afrique , § Tout un monde lointain , absent , presque défunt , § Vit dans tes profondeurs , forêt aromatique ! § Comme d'autres esprits voguent sur la musique , § Le mien , ô mon amour ! nage sur "ton parfum. § J'irai là-bas où l'arbre et l'homme , pleins de sève , § Se pâment longuement sous l'ardeur des climats; § Fortes tresses , soyez la houle qui m'enlève ! § Tu contiens , mer d'ébène , un éblouissant rêve § De voiles , de rameurs , de flammes et de mâts: § Un port retentissant où mon âme peut boire § À grands flots le parfum , le son et la couleur; § Où les vaisseaux , glissant dans l'or et dans la moire , § Ouvrent leurs vastes bras pour embrasser la gloire § D'un ciel pur où frémit l'éternelle chaleur. § Je plongerai ma tête amoureuse d'ivresse § Dans ce noir océan où l'autre est enfermé; § Et mon esprit subtil que le roulis "caresse § Saura vous retrouver , ô féconde paresse , § Infinis bercements du loisir embaumé ! § Cheveux bleus , pavillon de ténèbres tendues , § Vous me rendez l'azur du ciel immense et rond; § Sur les bords duvetés de vos mèches tordues § Je m'enivre ardemment des senteurs confondues § De l'huile de coco , du musc et du goudron. § Longtemps ! toujours ! ma main dans ta crinière lourde § Sèmera le rubis , la perle et le saphir , § Afin qu'à mon désir tu ne sois jamais sourde ! § N'es-tu pas l'oasis où je rêve , et la gourde § Où je hume à longs traits le vin du souvenir ? § Je t'adore à l'égal de la voûte nocturne , § Ô vase de tristesse , ô grande taciturne , § Et t'aime d'autant plus , belle , que tu me fuis , § Et que tu me parais , ornement de mes nuits , § Plus ironiquement accumuler les lieues § Qui séparent mes bras des immensités bleues. § Je m'avance à l'attaque , et je grimpe aux assauts , § Comme après un cadavre un choeur de vermisseaux , § Et je chéris , ô bête implacable et cruelle ! § Jusqu'à cette froideur par où tu m'es plus belle ! § Tu mettrais l'univers entier dans ta ruelle , § Femme impure ! L'ennui rend "ton âme cruelle. § Pour exercer tes dents à ce jeu "singulier , § Il te faut chaque jour un coeur au râtelier. § Tes yeux , illuminés ainsique des boutiques § Et des ifs flamboyants dans les fêtes publiques , § Usent insolemment d'un pouvoir emprunté , § Sans connaître jamais la loi de leur beauté. § Machine aveugle et sourde , en cruautés féconde ! § Salutaire instrument , buveur du sang du monde , § Comment n'as-tu pas honte et comment n'as-tu pas § Devant tous les miroirs vu pâlir tes appas ? § La grandeur de ce mal où tu te crois savante § Ne t'a donc jamais fait reculer d'épouvante , § Quand la nature , grande en ses desseins cachés , § De toi se sert , ô femme , ô reine des péchés , § -De toi , vil animal , -pour pétrir un génie ? § Ô fangeuse grandeur ! sublime ignominie ! § Bizarre déité , brune comme les nuits , § Au parfum mélangé de musc et de havane , § Œuvre de quelque obi , le Faust de la savane , § Sorcière au flanc d'ébène , enfant des noirs minuits , § Je préfère au constance , à l'opium , au nuits , § L'élixir de ta bouche où l'amour se pavane; § Quand vers toi mes désirs partent en caravane , § Tes yeux sont la citerne où boivent mes ennuis. § Par ces deux grands yeux noirs , soupiraux de "ton âme , § Ô démon sans pitié ! verse-moi moins de flamme; § Je ne suis pas le Styx pour t'embrasser neuf fois , § Hélas ! et je ne puis , Mégère libertine , § Pour briser "ton courage et te mettre aux abois , § Dans l'enfer de ton lit "devenir Proserpine ! § Avec ses vêtements ondoyants et nacrés , § Même quand elle marche on croirait qu'elle danse , § Comme ces longs serpents que les jongleurs sacrés § Auboutde leurs bâtons agitent en cadence. § Comme le sable morne et l'azur des déserts , § Insensibles tous deux à l'humaine souffrance , § Comme les longs réseaux de la houle des mers , § Elle se développe avec indifférence. § Ses yeux polis sont "faits de minéraux charmants , § Et dans cette nature étrange et symbolique § Où l'ange inviolé se mêle au sphinx antique , § Où tout n'est qu'or , acier , lumière et diamants , § Resplendit àjamais , comme un astre inutile , § La froide majesté de la femme stérile. § Que j'aime voir , chère indolente , § De "ton corps si beau , § Comme une étoffe vacillante , § Miroiter la peau ! § Sur ta chevelure profonde § Aux âcres parfums , § Mer odorante et vagabonde § Aux flots bleus et bruns , § Comme un navire qui s'éveille § Au vent du matin , § Mon âme rêveuse appareille § Pour un ciel lointain . § Tes yeux , où rien ne se révèle § De doux ni d'amer , § Sont deux bijoux froids où se mêle § L'or avec le fer. § À te voir marcher en cadence , § Belle d'abandon , § Ondirait un serpent qui danse § Auboutd'un bâton. § Sous le fardeau de ta paresse § Ta tête d'enfant § Se balance avec la mollesse § D'un jeune éléphant , § Et "ton corps se penche et s'allonge § Comme un fin vaisseau § Qui roule bord sur bord et plonge § Ses vergues dans l'eau . § Comme un flot grossi par la fonte § Des glaciers grondants , § Quand l'eau de ta bouche remonte § Aubord de tes dents , § Je crois boire un vin de Bohême. § Amer et vainqueur , § Un ciel liquide qui parsème § D'étoiles mon coeur ! § Rappelez-vous l'objet que nous vîmes , mon âme , § Ce beau matin d'été si doux: § Au détour d'un sentier une charogne infâme § Sur un lit semé de cailloux , § Les jambes en l'air , comme une femme lubrique , § Brûlante et suant les poisons , § Ouvrait d'une façon nonchalante et cynique § "Son ventre plein d'exhalaisons. § Le soleil rayonnait sur cette pourriture , § Comme afin de la cuire à point , § Et de rendre au centuple à la grande Nature § Tout ce qu'ensemble elle avait joint; § Et le ciel regardait la carcasse superbe § Comme une fleur s'épanouir. § La puanteur était si forte , que sur l'herbe § Vous crûtes vous évanouir. § Les mouches bourdonnaient sur ce ventre putride , § D'où sortaient de noirs bataillons § De larves , qui coulaient comme un épais liquide § Le long de ces vivants haillons. § Tout cela descendait , montait comme une vague , § Ou s'élançait en pétillant , § Oneûtdit que le corps , enflé d'un souffle vague , § Vivait en se multipliant. § Et ce monde rendait une étrange musique , § Comme l'eau courante et le vent , § Ou le grain qu'un vanneur d'un mouvement rythmique § Agite et tourne dans "son van . § Les formes s'effaçaient et n'étaient plus qu'un rêve , § Une ébauche "lente à venir , § Sur la toile oubliée , et que l'artiste achève § Seulement par le souvenir. § Derrière les rochers une chienne inquiète § Nous regardait d'un oeil fâché , § Épiant le moment de reprendre au squelette § Le morceau qu'elle avait lâché. § - Et pourtant vous serez semblable à cette ordure , § A cette horrible infection , § Étoile de mes yeux , soleil de ma nature , § Vous , mon ange et ma passion ! § Oui ! telle vous serez , ô la reine des grâces , § Après les derniers sacrements , § Quand vous irez , sous l'herbe et les floraisons grasses , § Moisir parmi les ossements. § Alors , ô ma beauté ! dites à la vermine § Qui vous mangera de baisers , § Que j'ai gardé la forme et l'essence divine § De mes amours décomposés ! § J'implore ta pitié , Toi , l'unique que j'aime , § Dufonddu gouffre obscur où mon coeur est tombé. § C'est un univers "morne à l'horizon plombé , § Où nagent dans la nuit l'horreur et le blasphème; § Un soleil sans chaleur plane au-dessus six mois , § Et les six autres mois la nuit couvre la terre; § C'est un pays plus nu que la terre polaire; § - Ni bêtes , ni ruisseaux , ni verdure , ni bois ! § Or il n'est pas d'horreur au monde qui surpasse § La froide cruauté de ce soleil de glace § Et cette immense nuit semblable au vieux Chaos; § Je jalouse le sort des plus vils animaux § Qui peuvent se plonger dans un sommeil stupide , § Tant l'écheveau du temps lentement se dévide ! § Toi qui , comme un coup de couteau , § Dans mon coeur plaintif es "entrée; § Toi qui , forte comme un troupeau § De démons , , folle et parée , § De mon esprit humilié § Faire ton lit et "ton domaine; § -Infâme à qui je suis lié § Comme le forçat à la chaîne , § Comme au jeu le joueur têtu , § Comme à la bouteille l'ivrogne , § Comme aux vermines la charogne , § - Maudite , maudite sois-tu ! § J'ai prié le glaive rapide § De conquérir ma liberté , § Et j'ai dit au poison perfide § De secourir ma lâcheté. § Hélas ! le poison et le glaive § M'ont pris en dédain et m'ont dit: § [ Tu n'es pas digne qu'on t'enlève § À "ton esclavage maudit , § Imbécile ! - de son empire § Si nos efforts te délivraient , § Tes baisers ressusciteraient § Le cadavre de "ton vampire ! ] § Une nuit que j'étais près d'une affreuse Juive , § Comme au long d'un cadavre un cadavre étendu , § Je me pris à songer près de ce corps vendu § À la triste beauté dont mon désir se prive. § Je me représentai sa majesté native , § "Son regard de vigueur et de grâces armé , § Ses cheveux qui lui font un casque parfumé § Et dont le souvenir pour l'amour me ravive . § Car j'eusse avec ferveur baisé ton noble corps , § Et depuis tes pieds frais jusqu'à tes noires tresses § Déroulé le trésor des profondes caresses , § Si , quelque soir , d'un pleur obtenu sans effort § Tu pouvais seulement , ô reine des cruelles ! § Obscurcir la splendeur de tes froides prunelles. § Lorsque tu dormiras , ma belle ténébreuse , § Aufondd'un monument construit en marbre noir , § Et lorsque tu n'auras pour alcôve et manoir § Qu'un caveau pluvieux et qu'une fosse creuse; § Quand la pierre , opprimant ta poitrine peureuse § Et tes flancs qu'assouplit un charmant nonchaloir , § Empêchera "ton coeur de battre et de vouloir , § Et tes pieds de courir leur course aventureuse , § Le tombeau , confident de mon rêve infini § (Car le tombeau toujours comprendra le poète) , § Durant ces grandes nuits d'où le somme est "banni , § Te dira: [ Que vous sert , courtisane imparfaite , § De n'avoir pas connu ce que pleurent les morts ? § - Et le ver rongera ta peau comme un remords. § Viens , mon beau chat , sur mon coeur amoureux; § Retiens les griffes de ta patte , § Et laisse-moi plonger dans tes beaux yeux , § Mêlés de métal et d'agate . § Lorsque mes doigts caressent à loisir § Ta tête et "ton dos élastique , § Et que ma main s'enivre du plaisir § De palper "ton corps électrique , § Je vois ma femme en esprit. "Son regard , § Comme le tien , aimable bête , § Profond et froid , coupe et fend comme un dard , § Et , des pieds jusques à la tête , § Un air subtil , un dangereux parfum § Nagent autour de "son corps brun. § Deux guerriers ont couru l'un sur l'autre; leurs armes § Ont éclaboussé l'air de lueurs et de sang. § Ces jeux , ces cliquetis du fer sont les vacarmes § D'une jeunesse en proie à l'amour vagissant. § Les glaives sont brisés ! comme notre jeunesse , § Ma chère ! Mais les dents , les ongles acérés , § Vengent bientôt l'épée et la dague traîtresse. § Ô fureur des coeurs mûrs par l'amour ulcérés ! § Dans le ravin hanté des chats-pards et des onces § Nos héros , s'étreignant méchamment , ont roulé , § Et leur peau fleurira l'aridité des ronces. § - Ce gouffre , c'est l'enfer , de nos amis peuplé ! § Roulons-y sans remords , amazone inhumaine , § Afin d'éterniser l'ardeur de notre haine ! § Mère des souvenirs , maîtresse des maîtresses , § Ô toi , tous mes plaisirs ! ô toi , tous mes devoirs ! § Tu te rappelleras la beauté des caresses , § La douceur du foyer et le charme des soirs , § Mère des souvenirs , maîtresse des maîtresses ! § Les soirs illuminés par l'ardeur du charbon , § Et les soirs au balcon , voilés de vapeurs roses. § Que "ton sein m'était doux ! que "ton coeur m'était bon ! § Nous avons dit souvent d'impérissables choses § Les soirs illuminés par l'ardeur du charbon. § Que les soleils sont beaux dans les chaudes soirées ! § Que l'espace est profond ! que le coeur est puissant ! § En me penchant vers toi , reine des adorées , § Je croyais respirer le parfum de "ton sang. § Que les soleils sont beaux dans les chaudes soirées ! § La nuit s'épaississait ainsiqu'une cloison , § Et mes yeux dans le noir devinaient tes prunelles , § Et je buvais ton souffle , ô douceur ! ô poison ! § Et tes pieds s'endormaient dans mes mains fraternelles. § La nuit s'épaississait ainsiqu'une cloison. § Je sais l'art d'évoquer les minutes heureuses , § Et revis mon passé blotti dans tes genoux. § Car à quoi bon chercher tes beautés langoureuses § Ailleurs qu'en ton cher corps et qu'en "ton coeur si doux ? § Je sais l'art d'évoquer les minutes heureuses ! § Ces serments , ces parfums , ces baisers infinis , § Renaîtront-ils d'un gouffre interdit à nos sondes , § Comme montent au ciel les soleils rajeunis § Après s'être lavés aufond des mers profondes ? § - Ô serments: ô parfums ! ô baisers infinis ! § Le soleil s'est "couvert d'un crêpe. Comme lui , § Ô Lune de ma vie ! emmitoufle-toi d'ombre; § Dors ou fume à ton gré; sois muette , sois sombre , § Et plonge tout entière au gouffre de l'Ennui; § Je t'aime ainsi ! Pourtant , si tu veux aujourd'hui , § Comme un astre éclipsé qui sort de la pénombre , § Te pavaner aux lieux que la Folie encombre , § C'est bien ! Charmant poignard , jaillis de "ton étui ! § Allume ta prunelle à la flamme des lustres ! § Allume le désir dans les regards des rustres ! § Tout de toi m'est plaisir , morbide ou pétulant; § Sois ce que tu voudras , nuit noire , rouge aurore; § Il n'est pas une fibre en tout mon corps tremblant § Qui ne crie: Ô mon cher Belzébuth , je t'adore ! § Dans les caveaux d'insondable tristesse § Où le Destin m'a déjà relégué; § Où jamais n'entre un rayon rose et gai; § Où , seul avec la Nuit , maussade hôtesse , § Je suis comme un peintre qu' un Dieu moqueur § Condamne à peindre , hélas ! sur les ténèbres; § Où , cuisiner aux appétits funèbres , § Je fais bouillir et je mange mon coeur , § Par instants brille , et s'allonge , et s'étale § Un spectre "fait de grâce et de splendeur. § À sa rêveuse allure orientale , § Quand il atteint sa totale grandeur , § Je reconnais ma belle visiteuse: § C'est Elle ! noire et pourtant lumineuse . § Lecteur , as-tu quelquefois respiré § Avec ivresse et "lente gourmandise § Ce grain d'encens qui remplit une église , § Ou d'un sachet le musc invétéré ? § Charme profond , magique , dont nous grise § Dans le présent le passé restauré ! § Ainsi l'amant sur un corps adoré § Du souvenir cueille la fleur exquise. § De ses cheveux élastiques et lourds , § Vivant sachet , encensoir de l'alcôve , § Une senteur montait , sauvage et fauve , § Et des habits , mousseline ou velours , § Tout imprégnés de sa jeunesse pure , § Se dégageait un parfum de fourrure . § Comme un beau cadre ajoute à la peinture , § Bienqu'elle soit d'un pinceau très vanté , § Je ne sais quoi d'étrange et d'enchanté § En l'isolant de l'immense nature , § Ainsi bijoux , meubles , métaux , dorure , § S'adaptaient juste à sa rare beauté; § Rien n'offusquait sa parfaite clarté , § Et tout semblait lui servir de bordure. § Même oneûtdit parfois qu'elle croyait § Que tout voulait l'aimer; elle noyait § Sa nudité voluptueusement § Dans les baisers du satin et du linge , § Et lente ou brusque , à chaque mouvement § Montrait la grâce enfantine du singe. § La Maladie et la Mort font des cendres § De tout le feu qui pour nous flamboya. § De ces grands yeux si fervents et si tendres , § De cette bouche où mon coeur se noya , § De ces baisers puissants comme un dictame , § De ces transports plus vifs que des rayons , § Que reste-t-il ? C'est affreux , ô mon âme ! § Rien qu'un dessin fort pâle , aux trois crayons , § Qui , comme moi , meurt dans la solitude , § Et que le Temps , injurieux vieillard , § Chaque jour frotte avec "son aile rude... § Noir assassin de la Vie et de l'Art , § Tu ne tueras jamais dans ma mémoire § Celle qui fut mon plaisir et ma gloire ! § Je te donne ces vers afin que si mon nom § Aborde heureusement aux époques lointaines , § Et fait rêver un soir les cervelles humaines , § Vaisseau favorisé par un grand aquilon , § Ta mémoire , pareille aux fables incertaines , § Fatigue le lecteur ainsiqu'un tympanon , § Et par un fraternel et mystique chaînon § Reste comme pendue à mes rimes hautaines; § Être maudit à qui , de l'abîme profond § Jusqu'au plus haut du ciel , rien , hors moi , ne répond ! § - Ô toi qui , comme une ombre à la trace éphémère , § Foules d'un pied léger et d'un regard serein § Les stupides mortels qui t'ont jugée amère , § Statue aux yeux de jais , grand ange au front d'airain ! § [ D'où vous vient , disiez-vous , cette tristesse étrange , § Montant comme la mer sur le roc noir et nu ? ] § -Quand notre coeur a fait une fois sa vendange , § Vivre est un mal. C'est un secret de tous connu , § Une douleur très simple et non mystérieuse , § Et , comme votre joie , éclatante pour tous. § Cessez donc de chercher , ô belle curieuse ! § Et , bienque votre voix soit douce , taisez-vous ! § Taisez-vous , ignorante ! âme toujours ravie ! § Bouche au rire enfantin ! Plus encor que la Vie , § La Mort nous tient souvent par des liens subtils. § Laissez , laissez mon coeur s'enivrer d'un mensonge , § Plonger dans vos beaux yeux comme dans un beau songe , § Et sommeiller longtemps à l'ombre de vos cils ! § Le Démon , dans ma chambre haute , § Ce matin est venu me voir , § Et , tâchant à me prendre en faute , § Me dit: [ Je voudrais bien savoir , § Parmi toutes les belles choses § Dont est fait "son enchantement , § Parmi les objets noirs ou roses § Qui composent "son corps charmant , § Quel est leplus doux. ] - Ô mon âme ! § Tu répondis à l'Abhorré: § [ Puisqu'en Elle tout est dictame , § Rien ne peut être préféré. § Lorsque tout me ravit , j'ignore § Si quelque chose me séduit. § Elle éblouit comme l'Aurore § Et console comme la Nuit; § Et l'harmonie est trop exquise , § Qui gouverne tout son beau corps , § Pour que l'impuissante analyse § En note les nombreux accords. § Ô métamorphose mystique § De tous mes sens fondus en un ! § "Son haleine "fait la musique , § Comme sa voix "fait le parfum ! ] § Que diras-tu ce soir , pauvre âme solitaire , § Que diras-tu , mon coeur , coeur autrefois flétri , § À la très belle , à la très bonne , à la très chère , § Dont le regard divin t'a soudain refleuri ? § - Nous mettrons notre orgueil à chanter ses louanges: § Rien ne vaut la douceur de "son autorité; § Sa chair spirituelle a le parfum des Anges , § Et "son oeil nous revêt d'un habit de clarté. § Que ce soit dans la nuit et dans la solitude , § Que ce soit dans la rue et dans la multitude , § Son fantôme dans l'air "danse comme un flambeau . § Parfois il parle et dit: [ Je suis belle , et j'ordonne § Que pour l'amour de moi vous n'aimiez que le Beau; § Je suis l'Ange gardien , la Muse et la Madone. ] § Ils marchent devant moi , ces Yeux pleins de lumières , § Qu'un Ange très savant a sans doute aimantés; § Ils marchent , ces divins frères qui sont mes frères , § Secouant dans mes yeux leurs feux diamantés. § Me sauvant de tout piège et de tout péché grave , § Ils conduisent mes pas dans la route du Beau; § Ils sont mes serviteurs et je suis leur esclave; § Tout mon être obéit à ce vivant flambeau. § Charmants Yeux , vous brillez de la clarté mystique § Qu'ont les cierges brûlant en plein jour; le soleil § Rougit , mais n'éteint pas leur flamme fantastique; § Ils célèbrent la Mort , vous chantez le Réveil; § Vous marchez en chantant le réveil de mon âme , § Astres dont nul soleil ne peut flétrir la flamme ! § Ange plein de gaieté , connaissez-vous l'angoisse , § La honte , les remords , les sanglots , les ennuis , § Et les vagues terreurs de ces affreuses nuits § Qui compriment le coeur comme un papier qu'on froisse ? § Ange plein de gaieté , connaissez-vous l'angoisse ? § Ange plein de bonté , connaissez-vous la haine , § Les poings crispés dans l'ombre et les larmes de fiel , § Quand la Vengeance bat son infernal rappel , § Et de nos facultés se fait le capitaine ? § Ange plein de bonté , connaissez-vous la haine ? § Ange plein de santé , connaissez-vous les Fièvres , § Qui , le long des grands murs de l'hospice blafard , § Comme des exilés , s'en vont d'un pied traînard , § Cherchant le soleil rare et remuant les lèvres ? § Ange plein de santé , connaissez-vous les Fièvres ? § Ange plein de beauté , connaissez-vous les rides , § Et la peur de vieillir , et ce hideux tourment § De lire la secrète horreur du dévouement § Dans des yeux où longtemps burent nos yeux avides ? § Ange plein de beauté , connaissez-vous les rides ? § Ange plein de bonheur , de joie et de lumières , § David mourant aurait demandé la santé § Aux émanations de "ton corps enchanté; § Mais de toi je n'implore , ange , que tes prières , § Ange plein de bonheur , de joie et de lumières ! § Une fois , une seule , aimable et douce femme , § A mon bras votre bras poli § S'appuya (sur le fond ténébreux de mon âme § Ce souvenir n'est point pâli); § Il était tard; ainsiqu'une médaille neuve § La pleine lune s'étalait , § Et la solennité de la nuit , comme un fleuve § Sur Paris dormant ruisselait. § Et le long des maisons , sous les portes cochères , § Des chats passaient furtivement , § L'oreille au guet , oubien , comme des ombres chères , § Nous accompagnaient lentement. § Tout à coup , aumilieude l'intimité libre § Éclose à la pâle clarté , § De vous , riche et sonore instrument où ne vibre § Que la radieuse gaieté , § De vous , claire et joyeuse ainsiqu'une fanfare § Dans le matin étincelant , § Une note plaintive , une note bizarre § S'échappa , tout en chancelant § Comme une enfant chétive , horrible , sombre , immonde , § Dont sa famille rougirait , § Et qu'elle aurait longtemps , pour la cacher au monde , § Dans un caveau mise au secret. § Pauvre ange , elle chantait , votre note criarde: § [ Que rien ici-bas n'est certain , § Et que toujours , avec quelque soin qu'il se farde , § Se trahit l'égoïsme humain; § Que c'est un dur métier que d'être belle femme , § Et que c'est le travail banal § De la danseuse folle et froide qui se pâme § Dans un sourire machinal; § Que bâtir sur les coeurs est une chose sotte; § Que tout craque , amour et beauté , § Jusqu'à ce que l'Oubli les jette dans sa hotte § Pour les rendre à l'Éternité ! ] § J'ai souvent évoqué cette lune enchantée , § Ce silence et cette langueur , § Et cette confidence horrible chuchotée § Au confessionnal du coeur. § Quand chez les débauchés l'aube blanche et vermeille § Entre en société de l'Idéal rongeur , § Par l'opération d'un mystère vengeur § Dans la brute assoupie un ange se réveille. § Des Cieux Spirituels l'inaccessible azur , § Pour l'homme terrassé qui rêve encore et souffre , § S'ouvre et s'enfonce avec l'attirance du gouffre. § Ainsi , chère Déesse , Être lucide et pur , § Sur les débris fumeux des stupides orgies § Ton souvenir plus clair , plus rose , plus charmant , § À mes yeux agrandis voltige incessamment. § Le soleil a noirci la flamme des bougies § Ainsi , toujours vainqueur , ton fantôme est pareil , § Âme resplendissante , à l'immortel soleil ! § Voici venir les temps où vibrant sur sa tige § Chaque fleur s'évapore ainsiqu'un encensoir; § Les sons et les parfums tournent dans l'air du soir; § Valse mélancolique et langoureux vertige ! § Chaque fleur s'évapore ainsiqu'un encensoir; § Le violon frémit comme un coeur qu'on afflige; § Valse mélancolique et langoureux vertige ! § Le ciel est triste et beau comme un grand reposoir. § Le violon frémit comme un coeur qu'on afflige , § Un coeur tendre , qui hait le néant vaste et noir ! § Le ciel est triste et beau comme un grand reposoir; § Le soleil s'est noyé dans "son sang qui se fige. § Un coeur tendre , qui hait le néant vaste et noir , § Du passé lumineux recueille tout vestige ! § Le soleil s'est noyé dans "son sang qui se fige... § Ton souvenir en moi luit comme un ostensoir ! § Il est de "forts parfums pour qui toute matière § Est poreuse. Ondirait qu'ils pénètrent le verre. § En ouvrant un coffret venu de l'Orient § Dont la serrure grince et rechigne en criant , § Ou dans une maison déserte quelque armoire § Pleine de l'âcre odeur des temps , poudreuse et noire , § Parfois on trouve un vieux flacon qui se souvient , § D'où jaillit toute vive une âme qui revient . § Mille pensers dormaient , chrysalides funèbres , § Frémissant doucement dans les lourdes ténèbres , § Qui dégagent leur aile et prennent leur essor , § Teintés d'azur , glacés de rose , lamés d'or. § Voilà le souvenir enivrant qui voltige § Dans l'air troublé; les yeux se ferment; le Vertige § Saisit l'âme "vaincue et la pousse à deux mains § Vers un gouffre obscurci de miasmes humains ; § Il la terrasse aubord d'un gouffre séculaire , § Où , Lazare odorant déchirant "son suaire , § Se meut dans "son réveil le cadavre spectral § D'un vieil amour ranci , charmant et sépulcral. § Ainsi , quand je serai perdu dans la mémoire § Des hommes , dans le coin d'une "sinistre armoire § Quand on m'aura jeté , vieux flacon désolé , § Décrépit , poudreux , sale , abject , visqueux , fêlé , § Je serai "ton cercueil , aimable pestilence ! § Le témoin de ta force et de ta virulence , § Cher poison préparé par les anges ! liqueur § Qui me ronge , ô la vie et la mort de mon coeur ! § Le vin sait revêtir leplus sordide bouge § D'un luxe miraculeux , § Et fait surgir plus d'un portique fabuleux § Dans l'or de sa vapeur rouge , § Comme un soleil couchant dans un ciel nébuleux. § L'opium agrandit ce qui n'a pas de bornes. § Allonge l'illimité , § Approfondit le temps , creuse la volupté , § Et de plaisirs noirs et mornes § Remplit l'âme au-delà de sa capacité. § Tout cela ne vaut pas le poison qui découle § De tes yeux , de tes yeux verts , § Lacs où mon âme "tremble et se voit à l'envers... § Mes songes viennent en foule § Pour se désaltérer à ces gouffres "amers. § Tout cela ne vaut pas le terrible prodige § De ta salive qui mord § Qui plonge dans l'oubli mon âme sans remord , § Et , charriant le vertige , § La roule défaillante aux rives de la mort ! § Ondirait "ton regard d'une vapeur "couvert; § "Ton oeil mystérieux (est-il bleu , gris ou vert ?) § Alternativement tendre , rêveur , cruel , § Réfléchit l'indolence et la pâleur du ciel. § Tu rappelles ces jours blancs , tièdes et voilés , § Qui font se fondre en pleurs les coeurs ensorcelés , § Quand , agités d'un mal inconnu qui les tord , § Les nerfs trop éveillés raillent l'esprit qui dort. § Tu ressembles parfois à ces beaux horizons § Qu'allument les soleils des brumeuses saisons... § Comme tu resplendis , paysage mouillé § Qu'enflamment les rayons tombant d'un ciel brouillé ! § Ô femme dangereuse , ô séduisants climats ! § Adorerai-je aussi ta neige et vos frimas , § Et saurai-je tirer de l'implacable hiver § Des plaisirs plus aigus que la glace et le fer ? § Dans ma cervelle se promène , § Ainsiqu'en "son appartement , § Un beau chat , fort , doux et charmant. § Quand il miaule , on l'entend à peine , § Tant son timbre est tendre et discret; § Mais que sa voix s'apaise ou gronde , § Elle est toujours riche et profonde. § C'est là son charme et son secret. § Cette voix , qui perle et qui filtre § Dans mon fonds leplus ténébreux , § Me remplit comme un vers nombreux § Et me réjouit comme un philtre. § Elle endort les plus cruels maux § Et contient toutes les extases; § Pour dire les plus longues phrases , § Elle n'a pas besoin de mots. § Non , il n'est pas d'archet qui morde § Sur mon coeur , parfait instrument , § Et fasse plus royalement § Chanter sa plus vibrante corde , § Que ta voix , chat mystérieux , § Chat séraphique , chat étrange , § En qui tout est , comme en un ange , § Aussi subtil qu'harmonieux ! § De sa fourrure blonde et brune § Sort un parfum si doux , qu'un soir § J'en fus embaumé , pour l'avoir § Caressée une fois , rien qu'une. § C'est l'esprit familier du lieu; § Il juge , il préside , il inspire § Toutes choses dans son empire; § Peut-être est-il fée , est-il dieu ? § Quand mes yeux , vers ce chat que j'aime § Tirés comme par un aimant , § Se retournent docilement § Et que je regarde en moi-même , § Je vois avec étonnement § Le feu de ses prunelles pâles , § Clairs fanaux , vivantes opales , § Qui me contemplent fixement. § Je veux te raconter , ô molle enchanteresse ! § Les diverses beautés qui parent ta jeunesse; § Je veux te peindre ta beauté , § Où l'enfance s'allie à la maturité. § Quand tu vas balayant l'air de ta jupe large , § Tu fais l'effet d'un beau vaisseau qui prend le large , § Chargé de toile , et va roulant § Suivant un rythme doux , et paresseux , et lent. § Sur "ton cou large et rond , sur tes épaules grasses , § Ta tête se pavane avec d'étranges grâces; § D'un air placide et triomphant § Tu passes "ton chemin , majestueuse enfant. § Je veux te raconter , ô molle enchanteresse ! § Les diverses beautés qui parent ta jeunesse; § Je veux te peindre ta beauté , § Où !'enfance s'allie à la maturité. § Ta gorge qui s'avance et qui pousse la moire , § Ta gorge triomphante est une belle armoire § Dont les panneaux bombés et clairs § Comme les boucliers accrochent des éclairs; § Boucliers provocants , armés de pointes "roses ! § Armoire à doux secrets , pleine de "bonnes choses , § De vins , de parfums , de liqueurs § Qui feraient délirer les cerveaux et les coeurs ! § Quand tu vas balayant l'air de ta jupe large , § Tu fais l'effet d'un beau vaisseau qui prend le large , § Chargé de toile , et va roulant § Suivant un rythme doux , et paresseux , et lent. § Tes nobles jambes , sous les volants qu'elles chassent , § Tourmentent les désirs obscurs et les agacent , § Comme deux sorcières qui font § Tourner un philtre noir dans un vase profond. § Tes bras , qui se joueraient des précoces hercules , § Sont des boas luisants les "solides émules , § Faits pour serrer obstinément , § Comme pour l'imprimer dans "ton coeur , "ton amant. § Sur "ton cou large et rond , sur tes épaules grasses , § Ta tête se pavane avec d'étranges grâces; § D'un air placide et triomphant § Tu passes "ton chemin , majestueuse enfant. § Mon enfant , ma soeur , § Songe à la douceur § D'aller là-bas vivre ensemble ! § Aimer à loisir , § Aimer et mourir § Au pays qui te ressemble ! § Les soleils mouillés § De ces ciels brouillés § Pour mon esprit ont les charmes § Si mystérieux § De tes traîtres yeux , § Brillant à travers leurs larmes. § Là , tout n'est qu'ordre et beauté , § Luxe , calme et volupté. § Des meubles luisants , § Polis par les ans , § Décoreraient notre chambre; § Les plus rares fleurs § Mêlant leurs odeurs § Aux vagues senteurs de l'ambre , § Les riches plafonds , § Les miroirs profonds , § La splendeur orientale , § Tout y parlerait § À l'âme en secret § Sa douce langue natale. § Là , tout n'est qu'ordre et beauté , § Luxe , calme et volupté. § Vois sur ces canaux § Dormir ces vaisseaux § Dont l'humeur est vagabonde; § C'est pour assouvir § Ton moindre désir § Qu'ils viennent du bout du monde. § -Les soleils couchants § Revêtent les champs , § Les canaux , la ville entière , § D'hyacinthe et d'or; § Le monde s'endort § Dans une chaude lumière § Là , tout n'est qu'ordre et beauté , § Luxe , calme et volupté. § Pouvons-nous étouffer le vieux , le long Remords , § Qui vit , s'agite et se tortille , § Et se nourrit de nous comme le ver des morts , § Comme du chêne la chenille ? § Pouvons-nous étouffer l'implacable Remords ? § Dans quel philtre , dans quel vin , dans quelle tisane , § Noierons-nous ce vieil ennemi , § Destructeur et gourmand comme la courtisane , § Patient comme la fourmi ? § Dans quel philtre ? -dans quel vin ? -dans quelle tisane ? § Dis-le , belle sorcière , oh ! dis , si tu le sais , § A cet esprit comblé d'angoisse § Et pareil au mourant qu'écrasent les blessés , § Que le sabot du cheval froisse , § Dis-le , belle sorcière , oh ! dis , si tu le sais , § À cet agonisant que le loup déjà flaire § Et que surveille le corbeau , § À ce soldat brisé ! s'il faut qu'il désespère § D'avoir sa croix et "son tombeau; § Ce pauvre agonisant que déjà le loup flaire ! § Peut-on illuminer un ciel bourbeux et noir ? § Peut-on déchirer des ténèbres § Plus denses que la poix , sans matin et sans soir , § Sans astres , sans éclairs funèbres ? § Peut-on illuminer un ciel bourbeux et noir ? § L'Espérance qui brille aux carreaux de l'Auberge § Est soufflée , est "morte àjamais ! § Sans lune et sans rayons , trouver où l'on héberge § Les martyrs d'un chemin mauvais ! § Le Diable a tout éteint aux carreaux de l'Auberge ! § Adorable sorcière , aimes-tu les damnés ? § Dis , connais-tu l'irrémissible ? § Connais-tu le Remords , aux traits empoisonnés , § A qui notre coeur sert de cible ? § Adorable sorcière , aimes-tu les damnés ? § L'Irréparable ronge avec sa dent maudite § Notre âme , piteux monument , § Et souvent il attaque , ainsique le termite , § Par la base le bâtiment. § L'Irréparable ronge avec sa dent maudite ! § - J'ai vu parfois , aufondd'un théâtre banal § Qu'enflammait l'orchestre sonore , § Une fée allumer dans un ciel infernal § Une miraculeuse aurore ; § J'ai vu parfois aufondd'un théâtre banal § Un être , qui n'était que lumière , or et gaze , § Terrasser l'énorme Satan; § Mais mon coeur , que jamais ne visite l'extase , § Est un théâtre où l'on attend § Toujours , toujours envain , l'Être aux ailes de gaze ! § Vous êtes un beau ciel d'automne , clair et rose ! § Mais la tristesse en moi monte comme la mer , § Et laisse , en refluant , sur ma lèvre morose § Le souvenir cuisant de "son limon amer. § -Ta main se glisse envain sur mon sein qui se pâme; § Ce qu'elle cherche , amie , est un lieu saccagé § Par la griffe et la dent féroce de la femme. § Ne cherchez plus mon coeur; les bêtes l'ont mangé. § Mon coeur est un palais flétri par la cohue; § On s'y soûle , on s'y tue , on s'y prend aux cheveux ! § - Un parfum "nage autour de votre gorge nue !... § Ô Beauté , dur fléau des âmes , tu le veux ! § Avec tes yeux de feu , brillants comme des fêtes , § Calcine ces lambeaux qu'ont épargnés les bêtes ! § Bientôt nous plongerons dans les froides ténèbres; § Adieu , vive clarté de nos étés trop courts ! § J'entends déjà tomber avec des chocs funèbres § Le bois retentissant sur le pavé des cours. § Tout l'hiver va rentrer dans mon être: colère , § Haine , frissons , horreur , labeur dur et forcé , § Et , comme le soleil dans son enfer polaire , § Mon coeur ne sera plus qu'un bloc rouge et glacé § J'écoute en frémissant chaque bûche qui tombe; § L'échafaud qu'on bâtit n'a pas d'écho plus sourd. § Mon esprit est pareil à la tour qui succombe § Sous les coups du bélier infatigable et lourd. § Il me semble , bercé par ce choc monotone § Qu'on cloue en grande hâte un cercueil quelque part. § Pour qui ? -C'était hier l'été; voici l'automne ! § Ce bruit mystérieux sonne comme un départ. § J'aime de vos longs yeux la lumière verdâtre , § Douce beauté , mais tout aujourd'hui m'est amer , § Et rien , ni votre amour , ni le boudoir ni l'âtre , § Ne me vaut le soleil rayonnant sur la mer. § Et pourtant aimez-moi , tendre coeur ! soyez mère , § Même pour un ingrat , même pour un méchant; § Amante ou soeur , soyez la douceur éphémère § D'un glorieux automne ou d'un soleil couchant. § Courte tâche ! La tombe attend; elle est avide ! § Ah ! laissez-moi , mon front posé sur vos genoux , § Goûter , en regrettant l'été blanc et torride , § De l'arrière-saison le rayon jaune et doux ! § Je veux bâtir pour toi , Madone , ma maîtresse , § Un autel souterrain aufondde ma détresse , § Et creuser dans le coin leplus noir de mon coeur , § Loin du désir mondain et du regard moqueur , § Une niche , d'azur et d'or tout émaillée , § Où tu te dresseras , Statue émerveillée. § Avec mes Vers polis , treillis d'un pur métal § Savamment constellé de rimes de cristal , § Je ferai pour ta tête une énorme Couronne; § Et dans ma Jalousie , ô mortelle Madone , § Je saurai te tailler un Manteau , de façon § Barbare , roide et lourd , et doublé de soupçon , § Qui , comme une guérite , enfermera tes charmes; § Non de Perles brodé , mais de toutes mes Larmes ! § Ta Robe , ce sera mon Désir , frémissant , § Onduleux , mon Désir qui monte et qui descend , § Aux pointes se balance , aux vallons se repose , § Et revêt d'un baiser tout "ton corps blanc et rose. § Je te ferai de mon Respect de beaux Souliers § De satin , par tes pieds divins humiliés , § Qui , les emprisonnant dans une molle étreinte , § Comme un moule fidèle en garderont l'empreinte. § Si je ne puis , malgré tout mon art diligent , § Pour Marchepied tailler une Lune d'argent , § Je mettrai le Serpent qui me mord les entrailles § Sous tes talons , afin que tu foules et railles , § Reine victorieuse et féconde en rachats , § Ce monstre tout gonflé de haine et de crachats. § Tu verras mes Pensers , rangés comme les Cierges § Devant l'autel fleuri de la Reine des Vierges , § Étoilant de reflets le plafond peint en bleu , § Te regarder toujours avec des yeux de feu; § Et comme tout en moi te chérit et t'admire , § Tout se fera Benjoin , Encens , Oliban , Myrrhe , § Et sans cesse vers toi , sommet blanc et neigeux , § En Vapeurs montera mon Esprit orageux. § Enfin , pour compléter "ton rôle de Marie , § Et pour mêler l'amour avec la barbarie , § Volupté noire ! des sept Péchés "capitaux , § Bourreau plein de remords , je ferai sept Couteaux § Bien affilés , et , comme un jongleur insensible , § Prenant leplus profond de "ton amour pour cible , § Je les planterai tous dans "ton Coeur pantelant , § Dans "ton Coeur sanglotant , dans "ton Coeur ruisselant ! § Quoique tes sourcils méchants § Te donnent un air étrange § Qui n'est pas celui d'un ange , § Sorcière aux yeux alléchants , § Je t'adore , ô ma frivole , § Ma terrible passion ! § Avec la dévotion § Du prêtre pour "son idole. § Le désert et la forêt § Embaument tes tresses rudes , § Ta tête a les attitudes § De l'énigme et du secret. § Sur ta chair le parfum rôde § Comme autour d'un encensoir; § Tu charmes comme le soir , § Nymphe ténébreuse et chaude. § Ah ! les philtres les plus forts § Ne valent pas ta paresse , § Et tu connais la caresse § Qui fait revivre les morts ! § Tes hanches sont amoureuses § De "ton dos et de tes seins , § Et tu ravis les coussins § Par tes poses langoureuses. § Quelquefois , pour apaiser § Ta rage mystérieuse , § Tu prodigues , sérieuse , § La morsure et le baiser; § Tu me déchires , ma brune , § Avec un rire moqueur , § Et puis tu mets sur mon coeur § "Ton oeil doux comme la lune. § Sous tes souliers de satin , § Sous tes charmants pieds de soie , § Moi , je mets ma grande joie , § Mon génie et mon destin , § Mon âme par toi guérie , § Par toi , lumière et couleur ! § Explosion de chaleur § Dans ma noire Sibérie ! § Imaginez Diane en galant équipage , § Parcourant les forêts ou battant les halliers , § Cheveux et gorge au vent , s'enivrant de tapage , § Superbe et défiant les meilleurs cavaliers ! § Avez-vous vu Théroigne , amante du carnage , § Excitant à l'assaut un peuple sans souliers , § La joue et l'oeil en feu , jouant "son personnage , § Et montant , sabre au poing , les royaux escaliers ? § Telle la Sisina ! Mais la douce guerrière § A l'âme charitable autant que meurtrière; § "Son courage , affolé de poudre et de tambours , § Devant les suppliants sait mettre bas les armes , § Et "son coeur , ravagé par la flamme , a toujours , § Pour qui s'en montre digne , un réservoir de larmes. § Au pays parfumé que le soleil "caresse , § J'ai connu , sous un dais d'arbres tout empourprés § Et de palmiers d'où pleut sur les yeux la paresse , § Une dame créole aux charmes ignorés. § Son teint est pâle et chaud; la brune enchanteresse § A dans le cou des airs noblement maniérés; § Grande et svelte en marchant comme une chasseresse , § Son sourire est tranquille et ses yeux assurés. § Si vous alliez , Madame , au vrai pays de gloire , § Sur les bords de la Seine ou de la verte Loire , § Belle digne d'orner les antiques manoirs , § Vous feriez , à l'abri des ombreuses retraites , § Germer mille sonnets dans le coeur des poètes , § Que vos grands yeux rendraient plus soumis que vos noirs. § Dis-moi , "ton coeur parfois s'envole-t-il , Agathe , § Loin du noir océan de l'immonde cité , § Vers un autre océan où la splendeur éclate , § Bleu , clair , profond , ainsique la virginité ? § Dis-moi , "ton coeur parfois s'envole-t-il , Agathe ? § La mer , la vaste mer , console nos labeurs ! § Quel démon a doté la mer , rauque chanteuse § Qu'accompagne l'immense orgue des vents grondeurs , § De cette fonction sublime de berceuse ? § La mer , la vaste mer , console nos labeurs ! § Emporte-moi , wagon ! enlève-moi , frégate ! § Loin ! loin ! ici la boue est faite de nos pleurs ! § - Est-il vrai que parfois le triste coeur d'Agathe § Dise: Loin des remords , des crimes , des douleurs , § Emporte-moi , wagon , enlève-moi , frégate ? § Comme vous êtes loin , paradis parfumé , § Où sous un clair azur tout n'est qu'amour et joie , § Où tout ce que l'on aime est digne d'être aimé , § Où dans la volupté pure le coeur se noie ! § Comme vous êtes loin , paradis parfumé ! § Mais le vert paradis des amours enfantines , § Les courses , les chansons , les baisers , les bouquets , § Les violons vibrant derrière les collines , § Avec les brocs de vin , le soir , dans les bosquets , § - Mais le vert paradis des amours enfantines , § L'innocent paradis , plein de plaisirs furtifs , § Est-il déjà plus loin que l'Inde et que la Chine ? § Peut-on le rappeler avec des cris plaintifs , § Et l'animer encor d'une voix argentine , § L'innocent paradis plein de plaisirs furtifs ? § Comme les anges à l'oeil fauve , § Je reviendrai dans "ton alcôve § Et vers toi glisserai sans bruit § Avec les ombres de la nuit; § Et je te donnerai , ma brune , § Des baisers froids comme la lune § Et des caresses de serpent § Autour d'une fosse rampant . § Quand viendra le matin livide , § Tu trouveras ma place vide , § Où jusqu'au soir il fera froid. § Comme d'autres par la tendresse , § Sur ta vie et sur ta jeunesse , § Moi , je veux régner par l'effroi. § Ils me disent , tes yeux , clairs comme le cristal: § [ Pour toi , bizarre amant , quel est donc mon mérite ? ] § -Sois charmante et tais-toi ! Mon coeur , que tout irrite , § Excepté la candeur de l'antique animal , § Ne veut pas te montrer son secret infernal , § Berceuse dont la main aux longs sommeils m'invite , § Ni sa noire légende avec la flamme écrite. § Je hais la passion et l'esprit me fait mal ! § Aimons-nous doucement. L'Amour dans sa guérite , § Ténébreux , embusqué , bande son arc fatal. § Je connais les engins de son vieil arsenal: § Crime , horreur et folie ! -Ô pâle marguerite ! § Comme moi n'es-tu pas un soleil automnal , § Ô ma si blanche , ô ma si froide Marguerite ? § Ce soir , la lune "rêve avec plus de paresse; § Ainsiqu'une beauté , sur de nombreux coussins , § Qui d'une main distraite et légère caresse § Avantde s'endormir le contour de ses seins , § Sur le dos satiné des molles avalanches , § Mourante , elle se livre aux longues pâmoisons , § Et promène ses yeux sur les visions blanches § Qui montent dans l'azur comme des floraisons. § Quand parfois sur ce globe , en sa langueur oisive , § Elle laisse filer une larme furtive , § Un poète "pieux , ennemi du sommeil , § Dans le creux de sa main prend cette larme pâle , § Aux reflets irisés comme un fragment d'opale , § Et la met dans "son coeur loin des yeux du soleil. § Les amoureux fervents et les savants austères § Aiment également , dans leur "mûre saison , § Les chats puissants et doux , orgueil de la maison , § Qui comme eux sont frileux et comme eux sédentaires. § Amis de la science et de la volupté , § Ils cherchent le silence et l'horreur des ténèbres § L'Érèbe les eût pris pour ses coursiers funèbres , § S'ils pouvaient au servage incliner leur fierté. § Ils prennent en songeant les nobles attitudes § Des grands sphinx allongés aufond des solitudes , § Qui semblent s'endormir dans un rêve sans fin; § Leurs reins féconds sont pleins d'étincelles magiques , § Et des parcelles d'or , ainsiqu'un sable fin , § Étoilent vaguement leurs prunelles mystiques. § Sous les ifs noirs qui les abritent , § Les hiboux se tiennent rangés § Ainsique des dieux étrangers , § Dardant leur oeil rouge. Ils méditent. § Sans remuer ils se tiendront § Jusqu'à l'heure mélancolique § Où , poussant le soleil oblique , § Les ténèbres s'établiront. § Leur attitude au sage enseigne § Qu'il faut en ce monde qu'il craigne § Le tumulte et le mouvement; § L'homme ivre d'une ombre qui passe § Porte toujours le châtiment § D'avoir voulu changer de place. § Je suis la pipe d'un auteur; § On voit , à contempler ma mine § D'Abyssinienne ou de Cafrine , § Que mon maître est un grand fumeur. § Quand il est comblé de douleur , § Je fume comme la chaumine § Où se prépare la cuisine § Pour le retour du laboureur. § J'enlace et je berce "son âme § Dans le réseau "mobile et bleu § Qui monte de ma bouche en feu , § Et je roule un puissant dictame § Qui charme "son coeur et guérit § De ses fatigues "son esprit. § La musique souvent me prend comme une mer ! § Vers ma pâle étoile , § Sous un plafond de brume ou dans un vaste éther , § Je mets à la voile; § La poitrine en avant et les poumons gonflés § Comme de la toile , § J'escalade le dos des flots amoncelés § Que la nuit me voile; § Je sens vibrer en moi toutes les passions § D'un vaisseau qui souffre ; § Le bon vent , la tempête et ses convulsions § Sur l'immense gouffre § Me bercent. D'autres fois , calme plat , grand miroir § De mon désespoir ! § Si par une nuit lourde et sombre § Un bon chrétien , par charité , § Derrière quelque vieux décombre § Enterre votre corps vanté , § À l'heure où les chastes étoiles § Ferment leurs yeux appesantis , § L'araignée y fera ses toiles , § Et la vipère ses petits; § Vous entendrez toute l'année § Sur votre tête condamnée § Les cris lamentables des loups § Et des sorcières faméliques , § Les ébats des vieillards lubriques § Et les complots des noirs filous. § Ce spectre "singulier n'a pour toute toilette , § Grotesquement campé sur "son front de squelette , § Qu'un diadème affreux sentant le carnaval. § Sans éperons , sans fouet , il essouffle un cheval , § Fantôme comme lui , rosse apocalyptique , § Qui bave des naseaux comme un épileptique. § Au travers de l'espace ils s'enfoncent tous deux , § Et foulent l'infini d'un sabot hasardeux. § Le cavalier promène un sabre qui flamboie § Sur les foules sans nom que sa monture broie , § Et parcourt , comme un prince inspectant sa maison , § Le cimetière immense et froid , sans horizon , § Où gisent , aux lueurs d'un soleil blanc et terne , § Les peuples de l'histoire ancienne et moderne. § Dans une terre grasse et pleine d'escargots § Je veux creuser moi-même une fosse profonde , § Où je puisse à loisir étaler mes vieux os § Et dormir dans l'oubli comme un requin dans l'onde. § Je hais les testaments et je hais les tombeaux; § Plutôtqued'implorer une larme du monde , § Vivant , j'aimerais mieux inviter les corbeaux § À saigner tous les bouts de ma carcasse immonde. § Ô vers ! noirs compagnons sans oreille et sans yeux , § Voyez venir à vous un mort libre et joyeux; § Philosophes viveurs , fils de la pourriture , § À travers ma ruine allez donc sans remords , § Et dites-moi s'il est encor quelque torture § Pour ce vieux corps sans âme et mort parmi les morts ! § La Haine est le tonneau des pâles Danaïdes ; § La Vengeance éperdue aux bras rouges et forts § A beau précipiter dans ses ténèbres vides § De grands seaux pleins du sang et des larmes des morts , § Le Démon "fait des trous secrets à ces abîmes , § Par où fuiraient mille ans de sueurs et d'efforts , § Quand même elle saurait ranimer ses victimes , § Et pour les pressurer ressusciter leurs corps. § La Haine est un ivrogne aufondd'une taverne , § Qui sent toujours la soif naître de la liqueur § Et se multiplier comme l'hydre de Lerne. § - Mais les buveurs heureux connaissent leur vainqueur , § Et la Haine est vouée à ce sort lamentable § De ne pouvoir jamais s'endormir sous la table. § Il est amer et doux , pendant les nuits d'hiver , § D'écouter , près du feu qui palpite et qui fume , § Les souvenirs lointains lentement s'élever § Au bruit des carillons qui chantent dans la brume. § Bienheureuse la cloche au gosier vigoureux § Qui malgré sa vieillesse , alerte et bien portante , § Jette fidèlement "son cri religieux , § Ainsiqu'un vieux soldat qui veille sous la tente ! § Moi , mon âme est fêlée , et lorsqu'en ses ennuis § Elle veut de ses chants peupler l'air froid des nuits , § Il arrive souvent que sa voix affaiblie § Semble le râle épais d'un blessé qu'on oublie § Aubord d'un lac de sang , sous un grand tas de morts , § Et qui meurt , sans bouger , dans d'immenses efforts. § Pluviôse , irrité contre la ville entière , § De "son urne à grands flots verse un froid ténébreux § Aux pâles habitants du voisin cimetière § Et la mortalité sur les faubourgs brumeux. § Mon chat sur le carreau cherchant une litière § Agite sans repos "son corps maigre et galeux; § L'âme d'un vieux poète "erre dans la gouttière § Avec la triste voix d'un fantôme frileux . § Le bourdon se lamente , et la bûche enfumée § Accompagne en fausset la pendule enrhumée , § Cependantqu'en un jeu plein de sales parfums , § Héritage fatal d'une vieille hydropique , § Le beau valet de coeur et la dame de pique § Causent sinistrement de leurs amours défunts. § J'ai plus de souvenirs que si j'avais mille ans. § Un gros meuble à tiroirs encombré de bilans , § De vers , de billets doux , de procès , de romances , § Avec de lourds cheveux roulés dans des quittances , § Cache moins de secrets que mon triste cerveau. § C'est une pyramide , un immense caveau , § Qui contient plus de morts que la fosse commune. § -Je suis un cimetière abhorré de la lune , § Où comme des remords se traînent de longs vers § Qui s'acharnent toujours sur mes morts les plus chers. § Je suis un vieux boudoir plein de roses fanées , § Où gît tout un fouillis de modes surannées , § Où les pastels plaintifs et les pâles Boucher , § Seuls , respirent l'odeur d'un flacon "débouché. § Rien n'égale en longueur les boiteuses journées , § Quand sous les lourds flocons des neigeuses années § L'ennui , fruit de la "morne incuriosité , § Prend les proportions de l'immortalité. § -Désormais tu n'es plus , ô matière vivante ! § Qu'un granit entouré d'une vague épouvante , § Assoupi danslefond d'un Sahara brumeux; § Un vieux sphinx ignoré du monde insoucieux , § Oublié sur la carte , et dont l'humeur farouche § Ne chante qu'aux rayons du soleil qui se couche § Je suis comme le roi d'un pays pluvieux , § Riche , mais impuissant , jeune et pourtant très vieux , § Qui , de ses précepteurs méprisant les courbettes , § S'ennuie avec ses chiens comme avec d'autres bêtes. § Rien ne peut l'égayer , ni gibier , ni faucon , § Ni son peuple mourant en face du balcon. § Du bouffon favori la grotesque ballade § Ne distrait plus le front de ce cruel malade ; § Son lit fleurdelisé se transforme en tombeau , § Et les dames d'atour , pour qui tout prince est beau , § Ne savent plus trouver d'impudique toilette § Pour tirer un souris de ce jeune squelette. § Le savant qui lui fait de l'or n'a jamais pu § De son être extirper l'élément corrompu , § Et dans ces bains de sang qui des Romains nous viennent § Et dont sur leurs vieux jours les puissants se souviennent , § Il n'a su réchauffer ce cadavre hébété § Où coule aulieude sang l'eau verte du Léthé. § Quand le ciel bas et lourd pèse comme un couvercle § Sur l'esprit gémissant en proie aux longs ennuis , § Et que de l'horizon embrassant tout le cercle § Il nous verse un jour noir plus triste que les nuits; § Quand la terre est changée en un cachot humide , § Où l'Espérance , comme une chauve-souris , § S'en va battant les murs de "son aile timide § Et se cognant la tête à des plafonds pourris; § Quand la pluie étalant ses immenses traînées § D'une vaste prison imite les barreaux , § Et qu'un peuple muet d'infâmes araignées § Vient tendre ses filets aufondde nos cerveaux , § Des cloches tout à coup sautent avec furie § Et lancent vers le ciel un affreux hurlement , § Ainsique des esprits errants et sans patrie § Qui se mettent à geindre opiniâtrement. § -Et de longs corbillards , sans tambours ni musique , § Défilent lentement dans mon âme; l'Espoir , § Vaincu , pleure , et l'Angoisse atroce , despotique , § Sur mon crâne incliné plante "son drapeau noir. § Grands bois , vous m'effrayez comme des cathédrales; § Vous hurlez comme l'orgue; et dans nos coeurs maudits , § Chambres d'éternel deuil où vibrent de vieux râles , § Répondent les échos de vos De profundis . § Je te hais , Océan ! tes bonds et tes tumultes , § Mon esprit les retrouve en lui; ce rire amer § De l'homme "vaincu , plein de sanglots et d'insultes , § Je l'entends dans le rire énorme de la mer. § Comme tu me plairais , ô nuit ! sans ces étoiles § Dont la lumière parle un langage connu ! § Car je cherche le vide , et le noir , et le nu ! § Mais les ténèbres sont elles-mêmes des toiles § Où vivent , jaillissant de mon oeil par milliers , § Des êtres disparus aux regards familiers. § "Morne esprit , autrefois amoureux de la lutte , § L'Espoir , dont l'éperon attisait "ton ardeur , § Ne veut plus t'enfourcher ! Couche-toi sans pudeur § Vieux cheval dont le pied à chaque obstacle bute. § Résigne-toi , mon coeur; dors "ton sommeil de brute. § Esprit "vaincu , fourbu ! Pour toi , vieux maraudeur , § L'amour n'a plus de goût , nonplus que la dispute; § Adieu donc , chants du cuivre et soupirs de la flûte ! § Plaisirs , ne tentez plus un coeur sombre et boudeur ! § Le Printemps adorable a perdu "son odeur ! § Et le Temps m'engloutit minute par minute , § Comme la neige immense un corps pris de roideur; § Je contemple d'en haut le globe en sa rondeur § Et je n'y cherche plus l'abri d'une cahute. § Avalanche , veux-tu m'emporter dans ta chute ? § L'un t'éclaire avec "son ardeur , § L'autre en toi met "son deuil , § Nature ! Ce qui dit à l'un: Sépulture ! § Dit à l'autre: Vie et splendeur ! § Hermès ' inconnu qui m'assistes § Et qui toujours m'intimidas , § Tu me rends l'égal de Midas , § Leplus triste des alchimistes; § Par toi je change l'or en fer § Et le paradis en enfer; § Dans le suaire des nuages § Je découvre un cadavre cher , § Et sur les célestes rivages § Je bâtis de grands sarcophages. § De ce ciel bizarre et livide , § Tourmenté comme "ton destin , § Quels pensers dans "ton âme vide § Descendent ? réponds , libertin. § -Insatiablement avide § De l'obscur et de l'incertain , § Je ne geindrai pas comme Ovide § Chassé du paradis latin. § Cieux déchirés comme des grèves , § En vous se mire mon orgueil; § Vos vastes nuages en deuil § Sont les corbillards de mes rêves , § Et vos lueurs sont le reflet § De l'Enfer où mon coeur se plaît. § Je te frapperai sans colère § Et sans haine , comme un boucher , § Comme Moïse le rocher ! § Et je ferai de ta paupière , § Pour abreuver mon Sahara , § Jaillir les eaux de la souffrance. § Mon désir gonflé d'espérance § Sur tes pleurs salés nagera § Comme un vaisseau qui prend le large , § Et dans mon coeur qu'ils soûleront § Tes chers sanglots retentiront § Comme un tambour qui bat la charge ! § Ne suis-je pas un "faux accord § Dans la divine symphonie , § Grâceà la vorace Ironie § Qui me secoue et qui me mord ? § Elle est dans ma voix , la criarde ! § C'est tout mon sang , ce poison noir ! § Je suis le "sinistre miroir § Où la mégère se regarde. § Je suis la plaie et le couteau ! § Je suis le soufflet et la joue ! § Je suis les membres et la roue , § Et la victime et le bourreau ! § Je suis de mon coeur le vampire , § -Un de ces grands abandonnés § Au rire éternel condamnés , § Et qui ne peuvent plus sourire ! § Une Idée , une Forme , un Être § Parti de l'azur et tombé § Dans un Styx bourbeux et plombé § Où nul oeil du Ciel ne pénètre; § Un Ange , imprudent voyageur § Qu'a tenté l'amour du difforme , § Aufondd'un cauchemar énorme § Se débattant comme un nageur , § Et luttant , angoisses funèbres ! § Contre un gigantesque remous § Qui va chantant comme les fous § Et pirouettant dans les ténèbres; § Un malheureux ensorcelé § Dans ses tâtonnements futiles , § Pour fuir d'un lieu plein de reptiles , § Cherchant la lumière et la clé; § Un damné descendant sans lampe , § Aubord d'un gouffre dont l'odeur § Trahit l'humide profondeur , § D'éternels escaliers sans rampe , § Où veillent des monstres visqueux § Dont les larges yeux de phosphore § Font une nuit plus noire encore § Et ne rendent visibles qu'eux; § Un navire pris dans le pôle , § Comme en un piège de cristal , § Cherchant par quel détroit fatal § Il est tombé dans cette geôle ; § - Emblèmes nets , tableau parfait § D'une fortune irrémédiable , § Qui donne à penser que le Diable § Fait toujours bien tout ce qu'il fait ! § Tête-à-tête sombre et limpide § Qu'un coeur devenu "son miroir ! § Puits de Vérité , clair et noir , § Où tremble une étoile livide , § Un phare ironique , infernal , § Flambeau des grâces sataniques , § Soulagement et gloire uniques § -La conscience dans le Mal ! § Horloge ! dieu sinistre , effrayant , impassible , § Dont le doigt nous menace et nous dit: [ Souviens-toi ! § Les vibrantes Douleurs dans "ton coeur plein d'effroi § Se planteront bientôt comme dans une cible § Le Plaisir vaporeux fuira vers l'horizon § Ainsiqu'une sylphide aufondde la coulisse; § Chaque instant te dévore un morceau du délice § À chaque homme accordé pour toute sa saison. § Trois mille six cents fois par heure , la Seconde § Chuchote: Souviens-toi ! -Rapide , avec sa voix § D'insecte , Maintenant dit: Je suis Autrefois , § Et j'ai pompé ta vie avec ma trompe immonde ! § Remember ! Souviens-toi , prodigue ! Esto memor ! § (Mon gosier de métal parle toutes les langues.) § Les minutes , mortel folâtre , sont des gangues § Qu'il ne faut pas lâcher sans en extraire l'or ! § Souviens-toi que le Temps est un joueur avide § Qui gagne sans tricher , à tout coup ! c'est la loi. § Le jour "décroît; la nuit augmente , souviens-toi ! § Le gouffre a toujours soif; la clepsydre se vide. § Tantôt sonnera l'heure où le divin Hasard , § Où l'auguste Vertu , ton épouse encor vierge , § Où le Repentir même (oh ! la dernière auberge !) , § Où tout te dira: Meurs , vieux lâche ! il est trop tard ! ] § Je veux , pour composer chastement mes églogues , § Coucher auprès du ciel , comme les astrologues , § Et , voisin des clochers , écouter en rêvant § Leurs hymnes solennels emportés par le vent. § Les deux mains au menton , du haut de ma mansarde , § Je verrai l'atelier qui chante et qui bavarde; § Les tuyaux , les clochers , ces mâts de la cité § Et les grands ciels qui font rêver d'éternité. § Il est doux , à travers les brumes , de voir naître § L'étoile dans l'azur , la lampe à la fenêtre , § Les fleuves de charbon monter au firmament § Et la lune verser son pâle enchantement. § Je verrai les printemps , les étés , les automnes; § Et quand viendra l'hiver aux neiges monotones , § Je fermerai partout portières et volets § Pour bâtir dans la nuit mes féeriques palais. § Alors je rêverai des horizons bleuâtres , § Des jardins , des jets d'eau pleurant dans les albâtres , § Des baisers , des oiseaux chantant soir et matin , § Et tout ce que l'Idylle a de plus enfantin. § L'Émeute , tempêtant vainement à ma vitre , § Ne fera pas lever mon front de mon pupitre; § Car je serai plongé dans cette volupté § D'évoquer le Printemps avec ma volonté , § De tirer un soleil de mon coeur , et de faire § De mes pensers brûlants une tiède atmosphère. § Le long du vieux faubourg , où pendent aux masures § Les persiennes , abri des secrètes luxures , § Quand le soleil cruel frappe à traits redoublés § Sur la ville et les champs , sur les toits et les blés , § Je vais m'exercer seul à ma fantasque escrime , § Flairant dans tous les coins les hasards de la rime , § Trébuchant sur les mots comme sur les pavés , § Heurtant parfois des vers depuis longtemps rêvés. § Ce père nourricier , ennemi des chloroses , § Éveille dans les champs les vers comme les roses; § Il fait s'évaporer les soucis vers le ciel , § Et remplit les cerveaux et les ruches de miel. § C'est lui qui rajeunit les porteurs de béquilles § Et les rend gais et doux comme des jeunesfilles , § Et commande aux moissons de croître et de mûrir § Dans le coeur immortel qui toujours veut fleurir ! § Quand , ainsiqu'un poète , il descend dans les villes , § Il ennoblit le sort des choses les plus viles , § Et s'introduit en roi , sans bruit et sans valets , § Dans tous les hôpitaux et dans tous les palais. § Blanche fille aux cheveux roux , § Dont la robe par ses trous § Laisse voir la pauvreté § Et la beauté , § Pour moi , poète chétif , § Ton jeune corps maladif § Plein de taches de rousseur , § A sa douceur. § Tu portes plus galamment § Qu'une reine de roman § Ses cothurnes de velours § Tes sabots lourds. § Aulieud'un haillon trop court , § Qu'un superbe habit de cour § Traîne à plis bruyants et longs § Sur tes talons; § Enplacede bas troués , § Que pour les yeux des roués § Sur ta jambe un poignard d'or § Reluise encor; § Que des noeuds mal attachés § Dévoilent pour nos péchés § Tes deux beaux seins , radieux § Comme des yeux § Que pour te déshabiller § Tes bras se fassent prier § Et chassent à coups mutins § Les doigts lutins , § Perles de la plus belle eau , § Sonnets de maître Belleau § Par tes galants mis aux fers § Sans cesse offerts , § Valetaille de rimeurs § Te dédiant leurs primeurs § Et contemplant "ton soulier § Sous l'escalier , § Maint page épris du hasard , § Maint seigneur et maint Ronsard § Épieraient pour le déduit § Ton frais réduit ! § Tu compterais dans tes lits § Plus de baisers que de lis § Et rangerais sous tes lois § Plus d'un Valois ! § - Cependant tu vas gueusant § Quelque vieux débris "gisant § Au seuil de quelque Véfour § De carrefour; § Tu vas lorgnant endessous § Des bijoux de vingt-neuf sous § Dont je ne puis , oh ! pardon ! § Te faire don. § Va donc , sans autre ornement , § Parfum , perles , diamant , § Que ta maigre nudité , § Ô ma beauté ! § Andromaque , je pense à vous ! Ce petit fleuve , § Pauvre et triste miroir où jadis resplendit § L'immense majesté de vos douleurs de veuve , § Ce Simoïs menteur qui par vos pleurs grandit , § A fécondé soudain ma mémoire fertile , § Comme je traversais le nouveau Carrousel. § Le vieux Paris n'est plus (la forme d'une ville § Change plus vite , hélas ! que le coeur d'un mortel) ; § Je ne vois qu'en esprit tout ce camp de baraques , § Ces tas de chapiteaux ébauchés et de fûts , § Les herbes , les gros blocs verdis par l'eau des flaques , § Et , brillant aux carreaux , le bric-à-brac confus. § Là s'étalait jadis une ménagerie; § Là je vis , un matin , à l'heure où sous les cieux § Froids et clairs le Travail s'éveille , où la voirie § Pousse un sombre ouragan dans l'air silencieux , § Un cygne qui s'était évadé de sa cage , § Et , de ses pieds palmés frottant le pavé sec , § Sur le sol raboteux traînait son blanc plumage. § Près d'un ruisseau sans eau la bête ouvrant le bec § Baignait nerveusement ses ailes dans la poudre , § Et disait , le coeur plein de son beau lac natal: § [ Eau , quand donc pleuvras-tu ? quand tonneras-tu , foudre ? ] § Je vois ce malheureux , mythe étrange et fatal , § Vers le ciel quelquefois , comme l'homme d'Ovide , § Vers le ciel ironique et cruellement bleu , § Sur "son cou convulsif tendant sa tête avide , § Comme s'il adressait des reproches à Dieu ! § Paris change ! mais rien dans ma mélancolie § N'a bougé ! palais neufs , échafaudages , blocs , § Vieux faubourgs , tout pour moi devient allégorie , § Et mes chers souvenirs sont plus lourds que des rocs. § Aussi devant ce Louvre une image m'opprime: § Je pense à mon grand cygne , avec ses gestes fous , § Comme les exilés , ridicule et sublime , § Et rongé d'un désir sans trêve ! et puis à vous , § Andromaque , des bras d'un grand époux tombée , § Vil bétail , sous la main du superbe Pyrrhus , § Auprès d'un tombeau vide en extase courbée; § Veuve d'Hector , hélas ! et femme d'Hélénus ! § Je pense à la négresse , amaigrie et phtisique , § Piétinant dans la boue , et cherchant , l'oeil hagard , § Les cocotiers absents de la superbe Afrique § Derrière la muraille immense du brouillard; § À quiconque a perdu ce qui ne se retrouve § Jamais , jamais ! à ceux qui s'abreuvent de pleurs § Et tettent la Douleur comme une "bonne louve ! § Aux maigres orphelins séchant comme des fleurs ! § Ainsi dans la forêt où mon esprit s'exile § Un vieux Souvenir sonne à plein souffle du cor ! § Je pense aux matelots oubliés dans une île , § Aux captifs , aux vaincus ! ... à bien d'autres encor ! § Fourmillante cité , cité pleine de rêves , § Où le spectre en plein jour raccroche le passant ! § Les mystères partout coulent comme des sèves § Dans les canaux étroits du colosse puissant. § Un matin , cependantque dans la triste rue § Les maisons , dont la brume allongeait la hauteur , § Simulaient les deux quais d'une rivière accrue , § Et que , décor semblable à l'âme de l'acteur , § Un brouillard sale et jaune inondait tout l'espace , § Je suivais , roidissant mes nerfs comme un héros § Et discutant avec mon âme déjà lasse , § Le faubourg secoué par les lourds tombereaux. § Tout à coup , un vieillard dont les guenilles jaunes § Imitaient la couleur de ce ciel pluvieux , § Et dont l'aspect aurait fait pleuvoir les aumônes , § Sans la méchanceté qui luisait dans ses yeux , § M'apparut. Oneûtdit sa prunelle trempée § Dans le fiel; "son regard aiguisait les frimas , § Et sa barbe à longs poils , roide comme une épée , § Se projetait , pareille à celle de Judas. § Il n'était pas voûté , mais cassé , son échine § Faisant avec sa jambe un parfait angle droit , § Sibien que "son bâton , parachevant sa mine , § Lui donnait la tournure et le pas maladroit § D'un quadrupède infirme ou d'un juif à trois pattes. § Dans la neige et la boue il allait s'empêtrant , § Comme s'il écrasait des morts sous ses savates , § Hostile à l'univers plutôtqu'indifférent. § Son pareil le suivait: barbe , oeil , dos , bâton , loques , § Nul trait ne distinguait , du même enfer venu , § Ce jumeau centenaire , et ces spectres baroques § Marchaient du même pas vers un but inconnu. § À quel complot infâme étais-je donc en butte , § Ou quel méchant hasard ainsi m'humiliait ? § Car je comptai sept fois , de minute en minute , § Ce sinistre vieillard qui se multipliait ! § Que celui-là qui rit de mon inquiétude , § Et qui n'est pas saisi d'un frisson fraternel , § Songe bien que malgré tant de décrépitude § Ces sept monstres hideux avaient l'air éternel ! § Aurais-je , sans mourir , contemplé le huitième , § Sosie inexorable , ironique et fatal , § Dégoûtant Phénix , fils et père de lui-même ? § - Mais je tournai le dos au cortège infernal. § Exaspéré comme un ivrogne qui voit double , § Je rentrai , je fermai ma porte , épouvanté , § Malade et morfondu , l'esprit fiévreux et trouble , § Blessé par le mystère et par l'absurdité ! § Vainement ma raison voulait prendre la barre; § La tempête en jouant déroutait ses efforts , § Et mon âme dansait , dansait , vieille gabarre § Sans mats , sur une mer monstrueuse et sans bords ! § Dans les plis sinueux des vieilles capitales , § Où tout , même l'horreur , tourne aux enchantements , § Je guette , obéissant à mes humeurs fatales , § Des êtres "singuliers , décrépits et charmants. § Ces monstres disloqués furent jadis des femmes , § Éponine ou Laïs ! Monstres brisés , bossus § Ou tordus , aimons-les ! ce sont encor des âmes. § Sous des jupons troués et sous de froids tissus § Ils rampent , flagellés par les bises iniques , § Frémissant au fracas roulant des omnibus , § Et serrant sur leur flanc , ainsique des reliques , § Un petit sac brodé de fleurs ou de rébus; § Ils trottent , tout pareils à des marionnettes; § Se traînent , comme font les animaux blessés , § Ou dansent , sans vouloir danser , pauvres sonnettes § Où se pend un Démon sans pitié ! Tout cassés § Qu'ils sont , ils ont des yeux perçants comme une vrille , § Luisants comme ces trous où l'eau dort dans la nuit; § Ils ont les yeux divins de la petite fille § Qui s'étonne et qui rit à tout ce qui reluit. § -Avez-vous observé que maints cercueils de vieilles § Sont presque aussi petits que celui d'un enfant ? § La Mort savante met dans ces bières pareilles § Un symbole d'un goût bizarre et captivant , § Et lorsque j'entrevois un fantôme débile § Traversant de Paris le fourmillant tableau , § Il me semble toujours que cet être fragile § S'en va tout doucement vers un nouveau berceau; § À moins que , méditant sur la géométrie , § Je ne cherche , à l'aspect de ces membres discords , § Combien de fois il faut que l'ouvrier varie § La forme de la boîte où l'on met tous ces corps. § - Ces yeux sont des puits "faits d'un million de larmes , § Des creusets qu'un métal refroidi pailleta... § Ces yeux mystérieux ont d'invincibles charmes § Pour celui que l'austère Infortune allaita ! § De Frascati défunt Vestale enamourée; § Prêtresse de Thalie , hélas ! dont le souffleur § Enterré sait le nom; célèbre évaporée § Que Tivoli jadis ombragea dans sa fleur , § Toutes m'enivrent; mais parmi ces êtres frêles § Il en est qui , faisant de la douleur un miel , § Ont dit au Dévouement qui leur prêtait ses ailes: § Hippogriffe puissant , mène-moi jusqu'au ciel ! § L'une , par sa patrie au malheur exercée , § L'autre , que "son époux surchargea de douleurs , § L'autre , par "son enfant Madone transpercée , § Toutes auraient pu faire un fleuve avec leurs pleurs ! § Ah ! que j'en ai suivi de ces petites vieilles ! § Une , entre autres , à l'heure où le soleil tombant § Ensanglante le ciel de blessures vermeilles , § Pensive , s'asseyait à l'écart sur un banc , § Pour entendre un de ces concerts , riches de cuivre , § Dont les soldats parfois inondent nos jardins , § Et qui , dans ces soirs d'or où l'on se sent revivre , § Versent quelque héroïsme au coeur des citadins. § Celle-là , droite encor , fière et sentant la règle , § Humait avidement ce chant vif et guerrier; § "Son oeil parfois s'ouvrait comme l'oeil d'un vieil aigle; § "Son front de marbre avait l'air "fait pour le laurier ! § Telles vous cheminez , stoïques et sans plaintes , § À travers le chaos des vivantes cités , § Mères au coeur saignant , courtisanes ou saintes , § Dont autrefois les noms par tous étaient "cités. § Vous qui fûtes la grâce ou qui fûtes la gloire , § Nul ne vous reconnaît ! un ivrogne incivil § Vous insulte en passant d'un amour dérisoire; § Sur vos talons "gambade un enfant lâche et vil. § Honteuses d'exister , ombres ratatinées , § Peureuses , le dos bas , vous côtoyez les murs; § Et nul ne vous salue , étranges destinées ! § Débris d'humanité pour l'éternité mûrs ! § Mais moi , moi qui de loin tendrement vous surveille , § L'oeil inquiet , fixé sur vos pas incertains , § Tout comme si j'étais votre père , ô merveille ! § Je goûte à votre insu des plaisirs clandestins: § Je vois s'épanouir vos passions novices; § Sombres ou lumineux , je vis vos jours perdus; § Mon coeur multiplié jouit de tous vos vices ! § Mon âme resplendit de toutes vos vertus ! § Ruines ! ma famille ! ô cerveaux congénères ! § Je vous fais chaque soir un solennel adieu ! § Où serez-vous demain , Èves octogénaires , § Sur qui pèse la griffe effroyable de Dieu ? § Contemple-les , mon âme; ils sont vraiment affreux ! § Pareils aux mannequins; vaguement ridicules; § Terribles , singuliers comme les somnambules; § Dardant on ne sait où leurs globes ténébreux. § Leurs yeux , d'où la divine étincelle est "partie , § Comme s'ils regardaient au loin , restent levés § Au ciel; on ne les voit jamais vers les pavés § Pencher rêveusement leur tête appesantie. § Ils traversent ainsi le noir illimité , § Ce frère du silence éternel. Ô cité ! § Pendantqu'autour de nous tu chantes , ris et beugles , § Éprise du plaisir jusqu'à l'atrocité , § Vois ! je me traîne aussi ! mais , plus qu'eux hébété , § Je dis: Que cherchent-ils au Ciel , tous ces aveugles ? § La rue assourdissante autour de moi hurlait. § Longue , mince , en grand deuil , douleur majestueuse , § Une femme passa , d'une main fastueuse § Soulevant , balançant le feston et l'ourlet; § Agile et noble , avec sa jambe de statue. § Moi , je buvais , crispé comme un extravagant , § Dans "son oeil , ciel livide où germe l'ouragan , § La douceur qui fascine et le plaisir qui tue. § Un éclair ... puis la nuit ! -Fugitive beauté § Dont le regard m'a fait soudainement renaître § Ne te verrai-je plus que dans l'éternité ? § Ailleurs , bien loin d'ici ! trop tard ! jamais peut-être ! § Car j'ignore où tu fuis , tu ne sais où je vais , § Ô toi que j'eusse aimée , ô toi qui le savais ! § Dans les planches d'anatomie § Qui traînent sur ces quais poudreux § Où maint livre cadavéreux § Dort comme une antique momie , § Dessins auxquels la gravité § Et le savoir d'un vieil artiste , § Bienque le sujet en soit triste , § Ont "communiqué la Beauté , § On voit , ce qui rend plus complètes § Ces mystérieuses horreurs , § Bêchant comme des laboureurs , § Des Écorchés et des Squelettes. § De ce terrain que vous fouillez , § Manants résignés et funèbres , § De tout l'effort de vos vertèbres , § Ou de vos muscles dépouillés , § Dites , quelle moisson étrange , § Forçats arrachés au charnier , § Tirez-vous , et de quel fermier § Avez-vous à remplir la grange ? § Voulez-vous (d'un destin trop dur § Épouvantable et clair emblème !) § Montrer que dans la fosse même § Le sommeil "promis n'est pas sûr; § Qu'envers nous le Néant est traître; § Que tout , même la Mort , nous ment , § Et que sempiternellement , § Hélas ! il nous faudra § Dans quelque pays inconnu § Écorcher la terre revêche § Et pousser une lourde bêche § Sous notre pied sanglant et nu ? § Voici le soir charmant , ami du criminel; § Il vient comme un complice , à pas de loup; le ciel § Se ferme lentement comme une grande alcôve , § Et l'homme impatient se change en bête fauve. § Ô soir , aimable soir , désiré par celui § Dont les bras , sans mentir , peuvent dire: § Nous avons travaillé ! -C'est le soir qui soulage § Les esprits que dévore une douleur sauvage , § Le savant obstiné dont le front s'alourdit , § Et l'ouvrier courbé qui regagne son lit. § Cependant des démons malsains dans l'atmosphère § S'éveillent lourdement , comme des gens d'affaire , § Et cognent en volant les volets et l'auvent. § À travers les lueurs que tourmente le vent § La Prostitution s'allume dans les rues; § Comme une fourmilière elle ouvre ses issues; § Partout elle se fraye un occulte chemin , § Ainsique l'ennemi qui tente un coup de main; § Elle remue auseinde la cité de fange § Comme un ver qui dérobe à l'Homme ce qu'il mange. § On entend çà et là les cuisines siffler , § Les théâtres glapir , les orchestres ronfler; § Les tables d'hôte , dont le jeu "fait les délices , § S'emplissent de catins et d'escrocs , leurs complices , § Et les voleurs , qui n'ont ni trêve ni merci , § Vont bientôt commencer leur travail , eux aussi , § Et forcer doucement les portes et les caisses § Pour vivre quelques jours et vêtir leurs maîtresses. § Recueille-toi , mon âme , en ce grave moment , § Et ferme "ton oreille à ce rugissement. § C'est l'heure où les douleurs des malades s'aigrissent ! § La sombre Nuit les prend à la gorge; ils finissent § Leur destinée et vont vers le gouffre commun; § L'hôpital se remplit de leurs soupirs. -Plus d'un § Ne viendra plus chercher la soupe parfumée , § Au coin du feu , le soir , auprès d'une âme aimée. § Encore la plupart n'ont-ils jamais connu § La douceur du foyer et n'ont jamais "vécu ! § Dans des fauteuils fanés des courtisanes vieilles , § Pâles , le sourcil peint , l'oeil câlin et fatal , § Minaudant , et faisant de leurs maigres oreilles § Tomber un cliquetis de pierre et de métal; § Autour des verts tapis des visages sans lèvre , § Des lèvres sans couleur , des mâchoires sans dent , § Et des doigts convulsés d'une infernale fièvre , § Fouillant la poche vide ou le sein palpitant; § Sous de sales plafonds un rang de pâles lustres § Et d'énormes quinquets projetant leurs lueurs § Sur des fronts ténébreux de poètes illustres § Qui viennent gaspiller leurs sanglantes sueurs; § Voilà le noir tableau qu'en un rêve nocturne § Je vis se dérouler sous mon oeil clairvoyant. § Moi-même , dans un coin de l'antre taciturne , § Je me vis accoudé , froid , muet , enviant , § Enviant de ces gens la passion tenace , § De ces vieilles putains la funèbre gaieté , § Et tous gaillardement trafiquant à ma face , § L'un de son vieil honneur , l'autre de sa beauté ! § Et mon coeur s'effraya d'envier maint pauvre homme § Courant avec ferveur à l'abîme béant , § Et qui , soûl de "son sang , préférerait en somme § La douleur à la mort et l'enfer au néant ! § Fière , autant qu'un vivant , de sa noble stature , § Avec son gros bouquet , "son mouchoir et ses gants , § Elle a la nonchalance et la désinvolture § D'une coquette maigre aux airs extravagants. § Vit-on jamais au bal une taille plus mince ? § Sa robe exagérée , en sa royale ampleur , § S'écroule abondamment sur un pied sec que pince § Un soulier pomponné , joli comme une fleur. § La ruche qui se joue aubord des clavicules , § Comme un ruisseau lascif qui se frotte au rocher , § Défend pudiquement des lazzi ridicules § Les funèbres appas qu'elle tient à cacher. § Ses yeux profonds sont "faits de vide et de ténèbres , § Et son crâne , de fleurs artistement coiffé , § Oscille mollement sur ses frêles vertèbres. § Ô charme d'un néant follement attifé ! § Aucuns t'appelleront une caricature , § Qui ne comprennent pas , amants ivres de chair , § L'élégance sans nom de l'humaine armature. § Tu réponds , grand squelette , à mon goût leplus cher ! § Viens-tu troubler , avec ta puissante grimace , § La fête de la Vie ? ou quelque vieux désir , § Éperonnant encor ta vivante carcasse , § Te pousse-t-il , crédule , au sabbat du Plaisir ? § Au chant des violons , aux flammes des bougies , § Espères-tu chasser "ton cauchemar moqueur , § Et viens-tu demander au torrent des orgies § De rafraîchir l'enfer allumé dans "ton coeur ? § Inépuisable puits de sottise et de fautes ! § De l'antique douleur éternel alambic ! § À travers le treillis recourbé de tes côtes § Je vois , errant encor , l'insatiable aspic. § Pour dire vrai , je crains que ta coquetterie § Ne trouve pas un prix digne de ses efforts; § Qui , de ces coeurs mortels , entend la raillerie ? § Les charmes de l'horreur n'enivrent que les forts ! § Le gouffre de tes yeux , plein d'horribles pensées , § Exhale le vertige , et les danseurs prudents § Ne contempleront pas sans d'amères nausées § Le sourire éternel de tes trente-deux dents. § Pourtant , qui n'a serré dans ses bras un squelette , § Et qui ne s'est nourri des choses du tombeau ? § Qu'importe le parfum , l'habit ou la toilette ? § Qui fait le dégoûté montre qu'il se croit beau. § Bayadère sans nez , irrésistible gouge , § Dis donc à ces danseurs qui font les offusqués: § [ Fiers mignons , malgré l'art des poudres et du rouge § Vous sentez tous la mort ! Ô squelettes musqués , § Antinoüs flétris , dandys à face glabre , § Cadavres vernissés , lovelaces chenus , § Le branle universel de la danse macabre § Vous entraîne en des lieux qui ne sont pas connus ! § Des quais froids de la Seine aux bords brûlants du Gange , § Le troupeau mortel saute et se pâme , sans voir § Dans un trou du plafond la trompette de l'Ange § Sinistrement béante ainsiqu'un tromblon noir. § En tout climat , sous tout soleil , la Mort t'admire § En tes contorsions , risible Humanité , § Et souvent , comme toi , se parfumant de myrrhe , § Mêle "son ironie à "ton insanité ! ] § Quand je te vois passer , ô ma chère indolente , § Au chant des instruments qui se brise au plafond § Suspendant "ton allure harmonieuse et lente , § Et promenant l'ennui de "ton regard profond; § Quand je contemple , aux feux du gaz qui le colore , § "Ton front pâle , embelli par un morbide attrait , § Où les torches du soir allument une aurore , § Et tes yeux attirants comme ceux d'un portrait , § Je me dis: Qu'elle est belle ! et bizarrement fraîche ! § Le souvenir "massif , royale et lourde tour , § La couronne , et "son coeur , meurtri comme une pêche , § Est mûr , comme "son corps , pour le savant amour. § Es-tu le fruit d'automne aux saveurs souveraines ? § Es-tu vase funèbre attendant quelques pleurs , § Parfum qui fait rêver aux oasis lointaines , § Oreiller caressant , ou corbeille de fleurs ? § Je sais qu'il est des yeux , des plus mélancoliques , § Qui ne recèlent point de secrets précieux ; § Beaux écrins sans joyaux , médaillons sans reliques , § Plus vides , plus profonds que vous-mêmes , ô Cieux ! § Mais ne suffit-il pas que tu sois l'apparence , § Pour réjouir un coeur qui fuit la vérité ? § Qu'importe ta bêtise ou "ton indifférence ? § Masque ou décor , salut ! J'adore ta beauté. § Je n'ai pas oublié , voisine de la ville , § Notre blanche maison , petite mais tranquille; § Sa Pomone de plâtre et sa vieille Vénus § Dans un bosquet chétif cachant leurs membres nus , § Et le soleil , le soir , ruisselant et superbe , § Qui , derrière la vitre où se brisait sa gerbe , § Semblait , grand oeil ouvert dans le ciel curieux , § Contempler nos dîners longs et silencieux , § Répandant largement ses beaux reflets de cierge § Sur la nappe frugale et les rideaux de serge. § La servante au grand coeur dont vous étiez jalouse , § Et qui dort "son sommeil sous une humble pelouse , § Nous devrions pourtant lui porter quelques fleurs. § Les morts , les pauvres morts , ont de grandes douleurs , § Et quand Octobre souffle , émondeur des vieux arbres , § "Son vent mélancolique à l'entour de leurs marbres , § Certe , ils doivent trouver les vivants bien ingrats , § À dormir , comme ils font , chaudement dans leurs draps , § Tandis que , dévorés de noires songeries , § Sans compagnon de lit , sans "bonnes causeries , § Vieux squelettes gelés travaillés par le ver , § Ils sentent s'égoutter les neiges de l'hiver § Et le siècle couler , sans qu'amis ni famille § Remplacent les lambeaux qui pendent à leur grille. § Lorsque la bûche siffle et chante , si le soir , § Calme , dans le fauteuil je la voyais s'asseoir , § Si , par une nuit bleue et froide de décembre , § Je la trouvais tapie en un coin de ma chambre , § Grave , et venant dufondde son lit éternel § Couver l'enfant grandi de "son oeil maternel , § Que pourrais-je répondre à cette âme pieuse , § Voyant tomber des pleurs de sa paupière creuse ? § Ô fins d'automne , hivers , printemps trempés de boue § Endormeuses saisons ! je vous aime et vous loue § D'envelopper ainsi mon coeur et mon cerveau § D'un linceul vaporeux et d'un vague tombeau. § Dans cette grande plaine où l'autan froid se joue , § Où par les longues nuits la girouette s'enroue , § Mon âme mieux qu'au temps du tiède renouveau § Ouvrira largement ses ailes de corbeau. § Rien n'est plus doux au coeur plein de choses funèbres , § Et sur qui dès longtemps descendent les frimas , § Ô blafardes saisons , reines de nos climats , § Que l'aspect permanent de vos pâles ténèbres , § - Si ce n'est , par un soir sans lune , deux à deux , § D'endormir la douleur sur un lit hasardeux. § De ce terrible paysage , § Tel que jamais mortel n'en vit , § Ce matin encore l'image , § Vague et lointaine , me ravit. § Le sommeil est plein de miracles ! § Par un caprice "singulier , § J'avais "banni de ces spectacles § Le végétal irrégulier , § Et , peintre fier de mon génie , § Je savourais dans mon tableau § L'enivrante monotonie § Du métal , du marbre et de l'eau. § Babel d'escaliers et d'arcades , § C'était un palais infini , § Plein de bassins et de cascades § Tombant dans l'or mat ou bruni; § Et des cataractes pesantes , § Comme des rideaux de cristal , § Se suspendaient , éblouissantes , § À des murailles de métal. § Non d'arbres , mais de colonnades § Les étangs dormants s'entouraient , § Où de gigantesques naïades , § Comme des femmes , se miraient. § Des nappes d'eau s'épanchaient , bleues , § Entre des quais "roses et verts , § Pendant des millions de lieues , § Vers les confins de l'univers; § C'étaient des pierres inouïes § Et des flots magiques; § D'immenses glaces éblouies § Par tout ce qu'elles reflétaient ! § Insouciants et taciturnes , § Des Ganges , dans le firmament. § Versaient le trésor de leurs urnes § Dans des gouffres de diamant. § Architecte de mes féeries , § Je faisais , à ma volonté , § Sous un tunnel de pierreries § Passer un océan dompté; § Et tout , même la couleur noire , § Semblait fourbi , clair , irisé; § Le liquide enchâssait sa gloire § Dans le rayon cristallisé. § Nul astre d'ailleurs , nuls vestiges § De soleil , même au bas du ciel , § Pour illuminer ces prodiges , § Qui brillaient d'un feu personnel ! § Et sur ces mouvantes merveilles § Planait (terrible nouveauté ! § Tout pour l'oeil , rien pour les oreilles !) § Un silence d'éternité. § En rouvrant mes yeux pleins de flamme § J'ai vu l'horreur de mon taudis , § Et senti , rentrant dans mon âme , § La pointe des soucis maudits; § La pendule aux accents funèbres § Sonnait brutalement midi , § Et le ciel versait des ténèbres § Sur le triste monde engourdi . § La diane chantait dans les cours des casernes , § Et le vent du matin soufflait sur les lanternes. § C'était l'heure où l'essaim des rêves malfaisants § Tord sur leurs oreillers les bruns adolescents; § Où , comme un oeil sanglant qui palpite et qui bouge , § La lampe sur le jour "fait une tache rouge; § Où l'âme , sous le poids du corps revêche et lourd , § Imite les combats de la lampe et du jour. § Comme un visage en pleurs que les brises essuient , § L'air est plein du frisson des choses qui s'enfuient , § Et l'homme est las d'écrire et la femme d'aimer. § Les maisons çà et là commençaient à fumer. § Les femmes de plaisir , la paupière livide , § Bouche ouverte , dormaient de leur sommeil stupide; § Les pauvresses , traînant leurs seins maigres et froids , § Soufflaient sur leurs tisons et soufflaient sur leurs doigts. § C'était l'heure où parmi le froid et la lésine § S'aggravent les douleurs des femmes en gésine; § Comme un sanglot coupé par un sang écumeux § Le chant du coq au loin déchirait l'air brumeux; § Une mer de brouillards baignait les édifices , § Et les agonisants danslefond des hospices § Poussaient leur dernier râle en hoquets inégaux. § Les débauchés rentraient , brisés par leurs travaux. § L'aurore grelottante en robe rose et verte § S'avançait lentement sur la Seine déserte , § Et le sombre Paris , en se frottant les yeux , § Empoignait ses outils , vieillard laborieux. § Un soir , l'âme du vin chantait dans les bouteilles: § [ Homme , vers toi je pousse , ô cher déshérité , § Sous ma prison de verre et mes cires vermeilles , § Un chant plein de lumière et de fraternité ! § Je sais combien il faut , sur la colline en flamme , § De peine , de sueur et de soleil cuisant § Pour engendrer ma vie et pour me donner l'âme; § Mais je ne serai point ingrat ni malfaisant , § Car j'éprouve une joie immense quand je tombe § Dans le gosier d'un homme usé par ses travaux , § Et sa chaude poitrine est une douce tombe § Ou je me plais bien mieux que dans mes froids caveaux. § Entends-tu retentir les refrains des dimanches § Et l'espoir qui gazouille en mon sein palpitant ? § Les coudes sur la table et retroussant tes manches , § Tu me glorifieras et tu seras content; § J'allumerai les yeux de ta femme ravie; § À ton fils je rendrai sa force et ses couleurs § Et serai pour ce frêle athlète de la vie § L'huile qui raffermit les muscles des lutteurs. § En toi je tomberai , végétale ambroisie , § Grain précieux jeté par l'éternel Semeur , § Pour que de notre amour naisse la poésie § Qui jaillira vers Dieu comme une rare fleur ! ] § Souvent , à la clarté rouge d'un réverbère § Dont le vent bat la flamme et tourmente le verre , § Aucoeurd'un vieux faubourg , labyrinthe fangeux § Où l'humanité grouille en ferments orageux , § On voit un chiffonnier qui vient , hochant la tête , § Buttant , et se cognant aux murs comme un poète , § Et , sans prendre souci des mouchards , ses sujets , § Épanche tout "son coeur en glorieux projets. § Il prête des serments , dicte des lois sublimes , § Terrasse les méchants , relève les victimes , § Et sous le frimament comme un dais suspendu § S'enivre des splendeurs de sa propre vertu. § Oui , ces gens harcelés de chagrins de ménage , § Moulus par le travail et tourmentés par l'âge , § Éreintés et pliant sous un tas de débris , § Vomissement confus de l'énorme Paris , § Reviennent , parfumés d'une odeur de futailles , § Suivis de compagnons , blanchis dans les batailles , § Dont la moustache pend comme les vieux drapeaux. § Les bannières , les fleurs et les arcs triomphaux § Se dressent devant eux , solennelle magie ! § Et dans l'étourdissante et lumineuse orgie § Des clairons , du soleil , des cris et du tambour , § Ils apportent la gloire au peuple ivre d'amour ! § C'est ainsi qu'à travers l'Humanité frivole § Le vin roule de l'or , éblouissant Pactole; § Par le gosier de l'homme il chante ses exploits § Et règne par ses dons ainsique les vrais rois. § Pour noyer la rancoeur et bercer l'indolence § De tous ces vieux maudits qui meurent en silence , § Dieu , touché de remords , avait fait le sommeil; § L'Homme ajouta le Vin , fils sacré du Soleil ! § Ma femme est "morte , je suis libre ! § Je puis donc boire tout mon soûl. § Lorsque je rentrais sans un sou , § Ses cris me déchiraient la fibre. § Autant qu'un roi je suis heureux; § L'air est pur , le ciel admirable... § Nous avions un été semblable § Lorsque j'en devins amoureux ! § L'horrible soif qui me déchire § Aurait besoin pour s'assouvir § D'autant de vin qu'en peut tenir § "Son tombeau; -ce n'est pas peu dire: § Je l'ai "jetée aufondd'un puits , § Et j'ai même poussé sur elle § Tous les pavés de la margelle. § -Je l'oublierai si je le puis ! § Au nom des serments de tendresse , § Dont rien ne peut nous délier , § Et pour nous réconcilier § Comme au beau temps de notre ivresse , § J'implorai d'elle un rendez-vous , § Le soir , sur une route obscure. § Elle y vint ! -folle créature ! § Nous sommes tous plus ou moins fous ! § Elle était encore jolie , § Quoique bien fatiguée ! et moi , § Je l'aimais trop ! voilà pourquoi § Je lui dis: Sors de cette vie ! § Nul ne peut me comprendre. § Un seul Parmi ces ivrognes stupides § Songea-t-il dans ses nuits morbides § À faire du vin un linceul ? § Cette crapule invulnérable § Comme les machines de fer § Jamais , ni l'été ni l'hiver , § N'a connu l'amour véritable , § Avec ses noirs enchantements , § "Son cortège infernal d'alarmes , § Ses fioles de poison , ses larmes , § Ses bruits de chaîne et d'ossements ! § - Me voilà libre et solitaire ! § Je serai ce soir ivre mort; § Alors , sans peur et sans remords , § Je me coucherai sur la terre , § Et je dormirai comme un chien ! § Le chariot aux lourdes roues § Chargé de pierres et de boues , § Le wagon enragé peut bien § Écraser ma tête coupable § Ou me couper par le milieu , § Je m'en moque comme de Dieu , § Du Diable ou de la Sainte Table ! § Le regard "singulier d'une femme galante § Qui se glisse vers nous comme le rayon blanc § Que la lune onduleuse envoie au lac tremblant , § Quand elle y veut baigner sa beauté nonchalante; § Le dernier sac d'écus dans les doigts d'un joueur; § Un baiser libertin de la maigre Adeline; § Les sons d'une musique énervante et câline , § Semblable au cri lointain de l'humaine douleur , § Tout cela ne vaut pas , ô bouteille profonde , § Les baumes pénétrants que ta panse féconde § Garde au coeur altéré du poète "pieux; § Tu lui verses l'espoir , la jeunesse et la vie , § -Et l'orgueil , ce trésor de toute gueuserie , § Qui nous rend triomphants et semblables aux Dieux ! § Aujourd'hui l'espace est splendide ! § Sans mors , sans éperons , sans bride , § Partons à cheval sur le vin § Pour un ciel féerique et divin ! § Comme deux anges que torture § Une implacable calenture , § Dans le bleu cristal du matin § Suivons le mirage lointain ! § Mollement balancés sur l'aile § Du tourbillon intelligent , § Dans un délire parallèle , § Ma soeur , côte à côte nageant , § Nous fuirons sans repos ni trêves § Vers le paradis de mes rêves ! § Sans cesse àmescôtés s'agite le Démon; § Il nage autour de moi comme un air impalpable; § Je l'avale et le sens qui brûle mon poumon § Et l'emplit d'un désir éternel et coupable. § Parfois il prend , sachant mon grand amour de l'Art , § La forme de la plus séduisante des femmes , § Et , sous de spécieux prétextes de cafard , § Accoutume ma lèvre à des philtres infâmes. § Il me conduit ainsi , loin du regard de Dieu , § Haletant et brisé de fatigue , aumilieu § plaines de l'Ennui , profondes et désertes , § Et jette dans mes yeux pleins de confusion § Des vêtements souillés , des blessures ouvertes , § Et l'appareil sanglant de la Destruction ! § Au milieu des flacons , des étoffes lamées § Et des meubles voluptueux , § Des marbres , des tableaux , des robes parfumées § Qui traînent à plis somptueux , § Dans une chambre tiède où , comme en une serre , § L'air est dangereux et fatal , § Où des bouquets mourants dans leurs cercueils de verre § Exhalent leur soupir "final , § Un cadavre sans tête épanche , comme un fleuve , § Sur l'oreiller désaltéré § Un sang rouge et vivant , dont la toile s'abreuve § Avec l'avidité d'un pré. § Semblable aux visions pâles qu'enfante l'ombre § Et qui nous enchaînent les yeux , § La tête , avec l'amas de sa crinière sombre § Et de ses bijoux précieux , § Sur la table de nuit , comme une renoncule , § Repose; et , vide de pensers , § Un regard vague et blanc comme le crépuscule § S'échappe des yeux révulsés. § Sur le lit , le tronc nu sans scrupules étale § Dans leplus complet abandon § La secrète splendeur et la beauté fatale § Dont la nature lui fit don; § Un bas rosâtre , orné de coins d'or , à la jambe , § Comme un souvenir est resté; § La jarretière , ainsiqu'un oeil secret qui flambe , § Darde un regard diamanté. § Le "singulier aspect de cette solitude § Et d'un grand portrait langoureux , § Aux yeux provocateurs comme "son attitude , § Révèle un amour ténébreux , § Une coupable joie et des fêtes étranges § Pleines de baisers infernaux , § Dont se réjouissait l'essaim des mauvais anges § Nageant dans les plis des rideaux; § Et cependant , à voir la maigreur élégante § De l'épaule au contour heurté , § La hanche unpeu pointue et la taille fringante § Ainsiqu'un reptile irrité , § Elle est bien jeune encor ! - "Son âme exaspérée § Et ses sens par l'ennui mordus § S'étaient-ils entr'ouverts à la meute altérée § Des désirs errants et perdus ? § L'homme vindicatif que tu n'as pu , vivante , § Malgré tant d'amour , assouvir , § Combla-t-il sur ta chair inerte et complaisante § L'immensité de "son désir ? § Réponds , cadavre impur ! et par tes tresses roides § Te soulevant d'un bras fiévreux , § Dis-moi , tête effrayante , a-t-il sur tes dents froides § Collé les suprêmes adieux ? § -Loin du monde railleur , loin de la foule impure , § Loin des magistrats curieux , § Dors en paix , dors en paix , étrange créature , § Dans "ton tombeau mystérieux; § "Ton époux court le monde , et ta forme immortelle § Veille près de lui quand il dort; § Autant que toi sans doute il te sera fidèle , § Et constant jusques à la mort. § Comme un bétail pensif sur le sable couchées , § Elles tournent leurs yeux vers l'horizon des mers , § Et leurs pieds se cherchant et leurs mains rapprochées § Ont de douces langueurs et des frissons "amers. § Les unes , coeurs épris des longues confidences , § Danslefond des bosquets où jasent les ruisseaux , § Vont épelant l'amour des craintives enfances § Et creusent le bois vert des jeunes arbrisseaux; § D'autres , comme des soeurs , marchent lentes et graves § À travers les rochers pleins d'apparitions , § Où saint Antoine a vu surgir comme des laves § Les seins nus et pourprés de ses tentations; § Il en est , aux lueurs des résines croulantes , § Qui dans le creux muet des vieux antres païens § T'appellent au secours de leurs fièvres hurlantes , § Ô Bacchus , endormeur des remords anciens ! § Et d'autres , dont la gorge aime les scapulaires , § Qui , recélant un fouet sous leurs longs vêtements , § Mêlent , dans le bois sombre et les nuits solitaires , § L'écume du plaisir aux larmes des tourments. § Ô vierges , ô démons , ô monstres , ô martyres , § De la réalité grands esprits contempteurs , § Chercheuses d'infini , dévotes et satyres , § Tantôt pleines de cris , tantôt pleines de pleurs , § Vous que dans votre enfer mon âme a poursuivies , § Pauvres soeurs , je vous aime autant que je vous plains , § Pour vos "mornes douleurs , vos soifs inassouvies , § Et les urnes d'amour dont vos grands coeurs sont pleins ! § La Débauche et la Mort sont deux aimables filles , § Prodigues de baisers et riches de santé , § Dont le flanc toujours vierge et drapé de guenilles § Sous l'éternel labeur n'a jamais enfanté. § Au poète "sinistre , ennemi des familles , § Favori de l'enfer , courtisan mal renté , § Tombeaux et lupanars montrent sous leurs charmilles § Un lit que le remords n'a jamais fréquenté. § Et la bière et l'alcôve en blasphèmes fécondes § Nous offrent tour à tour , comme deux "bonnes soeurs , § De terribles plaisirs et d'affreuses douceurs. § Quand veux-tu m'enterrer , Débauche aux bras immondes ? § Ô Mort , quand viendras-tu , sa rivale en attraits , § Sur ses myrtes infects enter tes noirs cyprès ? § Il me semble parfois que mon sang coule à flots , § Ainsiqu'une fontaine aux rythmiques sanglots § Je l'entends bien qui coule avec un long murmure , § Mais je me tâte envain pour trouver la blessure. § À travers la cité , comme dans un champ clos , § Il s'en va , transformant les pavés en îlots , § Désaltérant la soif de chaque créature , § Et partout colorant en rouge la nature. § J'ai demandé souvent à des vins captieux § D'endormir pour un jour la terreur qui me mine; § Le vin rend l'oeil plus clair et l'oreille plus fine ! § J'ai cherché dans l'amour un sommeil oublieux; § Mais l'amour n'est pour moi qu'un matelas d'aiguilles § Fait pour donner à boire à ces cruelles filles ! § C'est une femme belle et de riche encolure , § Qui laisse dans "son vin traîner sa chevelure. § Les griffes de l'amour , les poisons du tripot , § Tout glisse et tout s'émousse au granit de sa peau. § Elle rit à la Mort et nargue la Débauche , § Ces monstres dont la main , qui toujours gratte et fauche , § Dans ses jeux destructeurs a pourtant respecté § De ce corps ferme et droit la rude majesté. § Elle marche en déesse et repose en sultane; § Elle a dans le plaisir la foi mahométane , § Et dans ses bras ouverts , que remplissent ses seins , § Elle appelle des yeux la race des humains. § Elle croit , elle sait , cette vierge inféconde § Et pourtant nécessaire à la marche du monde , § Que la beauté du corps est un sublime don § Qui de toute infamie arrache le pardon. § Elle ignore l'Enfer comme le Purgatoire , § Et quand l'heure viendra d'entrer dans la Nuit noire , § Elle regardera la face de la Mort , § Ainsiqu'un nouveau-né , - sans haine et sans remords. § Dans des terrains cendreux , calcinés , sans verdure , § Comme je me plaignais unjour à la nature , § Et que de ma pensée , en vaguant au hasard , § J'aiguisais lentement sur mon coeur le poignard , § Je vis en plein midi descendre sur ma tête § Un nuage funèbre et gros d'une tempête , § Qui portait un troupeau de démons vicieux , § Semblables à des nains cruels et curieux. § À me considérer froidement ils se mirent , § Et , comme des passants sur un fou qu'ils admirent , § Je les entendis rire et chuchoter entre eux , § En échangeant maint signe et maint clignement d'yeux: § - [ Contemplons à loisir cette caricature § Et cette ombre d'Hamlet imitant sa posture , § Le regard indécis et les cheveux au vent. § N'est-ce pas grand-pitié de voir ce bon vivant , § Ce gueux , cet histrion en vacances , ce drôle , § Parce qu'il sait jouer artistement "son rôle , § Vouloir intéresser au chant de ses douleurs § Les aigles , les grillons , les ruisseaux et les fleurs , § Et même à nous , auteurs de ces vieilles rubriques , § Réciter en hurlant ses tirades publiques ? ] § J'aurais pu (mon orgueil aussi haut que les monts § Domine la nuée et le cri des démons) § Détourner simplement ma tête souveraine , § Si je n'eusse pas vu parmi leur troupe obscène , § Crime qui n'a pas fait chanceler le soleil ! § La reine de mon coeur au regard nonpareil , § Qui riait avec eux de ma sombre détresse § Et leur versait parfois quelque sale caresse. § Mon coeur , comme un oiseau , voltigeait tout joyeux § Et planait librement à l'entour des cordages; § Le navire roulait sous un ciel sans nuages , § Comme un ange enivré d'un soleil radieux. § Quelle est cette île triste et noire ? -C'est Cythère , § Nous dit-on , un pays fameux dans les chansons , § Eldorado banal de tous les vieux garçons. § Regardez , aprèstout , c'est une pauvre terre. § -Île des doux secrets et des fêtes du coeur ! § De l'antique Vénus le superbe fantôme § Au-dessus de tes mers plane comme un arôme , § Et charge les esprits d'amour et de langueur. § Belle île aux myrtes verts , pleine de fleurs écloses , § Vénérée àjamais par toute nation , § Où les soupirs des coeurs en adoration § Roulent comme l'encens sur un jardin de roses § Ou le roucoulement éternel d'un ramier ! § - Cythère n'était plus qu'un terrain des plus maigres , § Un désert rocailleux troublé par des cris aigres. § J'entrevoyais pourtant un objet "singulier ! § Ce n'était pas un temple aux ombres bocagères , § Où la jeune prêtresse , amoureuse des fleurs , § Allait , le corps brûlé de secrètes chaleurs , § Entre-bâillant sa robe aux brises passagères; § Mais voilà qu'en rasant la côte d'assez près § Pour troubler les oiseaux avec nos voiles blanches , § Nous vîmes que c'était un gibet à trois branches , § Du ciel se détachant en noir , comme un cyprès. § De féroces oiseaux perchés sur leur pâture § Détruisaient avec rage un pendu déjà mûr , § Chacun plantant , comme un outil , "son bec impur § Dans tous les coins saignants de cette pourriture; § Les yeux étaient deux trous , et du ventre effondré § Les intestins pesants lui coulaient sur les cuisses , § Et ses bourreaux , gorgés de hideuses délices § L'avaient à coups de bec absolument châtré. § Sous les pieds , un troupeau de jaloux quadrupèdes , § Le museau relevé , tournoyait et rôdait; § Une plus grande bête au milieu s'agitait § Comme un exécuteur entouré de ses aides. § Habitant de Cythère , enfant d'un ciel si beau , § Silencieusement tu souffrais ces insultes § En expiation de tes infâmes cultes § Et des péchés qui t'ont interdit le tombeau. § Ridicule pendu , tes douleurs sont les miennes ! § Je sentis , à l'aspect de tes membres flottants , § Comme un vomissement , remonter vers mes dents § Le long fleuve de fiel des douleurs anciennes; § Devant toi , pauvre diable au souvenir si cher , § J'ai senti tous les becs et toutes les mâchoires § Des corbeaux lancinants et des panthères noires § Qui jadis aimaient tant à triturer ma chair. § -Le ciel était charmant , la mer était unie; § Pour moi tout était noir et sanglant désormais , § Hélas ! et j'avais , comme en un suaire épais , § Le coeur enseveli dans cette allégorie. § Dans "ton île , ô Vénus ! je n'ai trouvé debout § Qu'un gibet symbolique où pendait mon image... § -Ah ! Seigneur ! donnez-moi la force et le courage § De contempler mon coeur et mon corps sans dégoût ! § L'Amour est assis sur le crâne § De l'Humanité , § Et sur ce trône le profane , § Au rire effronté , § Souffle gaiement des bulles rondes § Qui montent dans l'air , § Comme pour rejoindre les mondes § Aufondde l'éther. § Le globe lumineux et frêle § Prend un grand essor , § Crève et crache "son âme "grêle § Comme un songe d'or. § J'entends le crâne à chaque bulle § Prier et gémir: § - [ Ce jeu féroce et ridicule , § Quand doit-il finir ? § Car ce que ta bouche cruelle § Éparpille en l'air , § Monstre assassin , c'est ma cervelle , § Mon sang et ma chair ! ] § Qu'est-ce que Dieu fait donc de ce flot d'anathèmes § Qui monte tous les jours vers ses chers Séraphins ? § Comme un tyran gorgé de viande et de vins , § Il s'endort au doux bruit de nos affreux blasphèmes. § Les sanglots des martyrs et des suppliciés § Sont une symphonie enivrante sans doute , § Puisque , malgré le sang que leur volupté coûte , § Les cieux ne s'en sont point encore rassasiés ! § -Ah ! Jésus , souviens-toi du Jardin des Olives ! § Dans ta simplicité tu priais à genoux § Celui qui dans son ciel riait au bruit des clous § Que d'ignobles bourreaux plantaient dans tes chairs vives , § Lorsque tu vis cracher sur ta divinité § La crapule du corps de garde et des cuisines , § Et lorsque tu sentis s'enfoncer les épines § Dans ton crâne où vivait l'immense Humanité; § Quand de "ton corps brisé la pesanteur horrible § Allongeait tes deux bras distendus , que "ton sang § Et ta sueur coulaient de "ton front pâlissant , § Quand tu fus devant tous posé comme une cible , § Rêvais-tu de ces jours si brillants et si beaux § Où tu vins pour remplir l'éternelle promesse , § Où tu foulais , monté sur une douce ânesse , § Des chemins tout jonchés de fleurs et de rameaux , § Où , le coeur tout gonflé d'espoir et de vaillance , § Tu fouettais tous ces vils marchands à tour de bras , § Où tu fus maître enfin ? Le remords n'a-t-il pas § Pénétré dans "ton flanc plus avant que la lance ? § - Certes , je sortirai , quant à moi , satisfait § D'un monde où l'action n'est pas la soeur du rêve ; § Puissé-je user du glaive et périr par le glaive ! § Saint Pierre a renié Jésus ... il a bien fait ! § Race d'Abel , dors , bois et mange; § Dieu te sourit complaisamment . § Race de Caïn , dans la fange § Rampe et meurs misérablement. § Race d'Abel , "ton sacrifice § Flatte le nez du Séraphin ! § Race de Caïn , "ton supplice § Aura-t-il jamais une fin ? § Race d'Abel , vois tes semailles § Et "ton bétail venir à bien; § Race de Caïn , tes entrailles § Hurlent la faim comme un vieux chien. § Race d'Abel , chauffe "ton ventre § À "ton foyer patriarcal; § Race de Caïn , dans "ton antre § Tremble de froid , pauvre chacal ! § Race d'Abel , aime et pullule ! § Ton or "fait aussi des petits. § Race de Caïn , coeur qui brûle , § Prends garde à ces grands appétits. § Race d'Abel , tu croîs et broutes § Commes les punaises des bois ! § Race de Caïn , sur les routes § Traîne ta famille aux abois. § Ah ! race d'Abel , ta charogne § Engraissera le sol fumant ! § Race de Caïn , ta besogne § N'est pas faite suffisamment; § Race d'Abel , voici ta honte: § Le fer est "vaincu par l'épieu ! § Race de Caïn , au ciel "monte , § Et sur la terre jette Dieu ! § Ô toi , leplus savant et leplus beau des Anges , § Dieu trahi par le sort et privé de louanges , § Ô Satan , prends pitié de ma longue misère ! § Ô Prince de l'exil , à qui l'on a "fait tort , § Et qui , vaincu , toujours te redresses plus fort , § Ô Satan , prends pitié de ma longue misère ! § Toi qui sais tout , grand roi des choses souterraines , § Guérisseur familier des angoisses humaines , § Ô Satan , prends pitié de ma longue misère ! § Toi qui , même aux lépreux , aux parias maudits , § Enseignes par l'amour le goût du Paradis , § Ô Satan , prends pitié de ma longue misère ! § Ô toi qui de la Mort , ta vieille et forte amante , § Engendras l'Espérance , -une folle charmante ! § Ô Satan , prends pitié de ma longue misère ! § Toi qui fais au proscrit ce regard calme et haut § Qui damne tout un peuple autour d'un échafaud , § Ô Satan , prends pitié de ma longue misère ! § Toi qui sais en quels coins des terres envieuses § Le Dieu jaloux cacha les pierres précieuses , § Ô Satan , prends pitié de ma longue misère ! § Toi dont l'oeil clair connaît les profonds arsenaux § Où dort enseveli le peuple des métaux , § Ô Satan , prends pitié de ma longue misère ! § Toi dont la large main cache les précipices § Au somnambule errant aubord des édifices , § Ô Satan , prends pitié de ma longue misère ! § Toi qui , magiquement , assouplis les vieux os § De l'ivrogne attardé foulé par les chevaux , § Ô Satan , prends pitié de ma longue misère ! § Toi qui , pour consoler l'homme frêle qui souffre , § Nous appris à mêler le salpêtre et le soufre , § Ô Satan , prends pitié de ma longue misère ! § Toi qui poses ta marque , ô complice subtil , § Sur le front du Crésus impitoyable et vil , § Ô Satan , prends pitié de ma longue misère ! § Toi qui mets dans les yeux et dans le coeur des filles § Le culte de la plaie et l'amour des guenilles , § Ô Satan , prends pitié de ma longue misère ! § Bâton des exilés , lampe des inventeurs , § Confesseur des pendus et des conspirateurs , § Ô Satan , prends pitié de ma longue misère ! § Père adoptif de ceux qu'en sa noire colère § Du paradis terrestre a chassés Dieu le Père , § Ô Satan , prends pitié de ma longue misère ! § Gloire et louange à toi , Satan , dans les hauteurs § Du Ciel , où tu régnas , et dans les profondeurs § De l'Enfer , où , vaincu , tu rêves en silence ! § Fais que mon âme unjour , sous l'Arbre de Science , § Près de toi se repose , à l'heure où sur "ton front § Comme un Temple nouveau ses rameaux s'épandront ! § Nous aurons des lits pleins d'odeurs légères , § Des divans profonds comme des tombeaux , § Et d'étranges fleurs sur des étagères , § Écloses pour nous sous des cieux plus beaux. § Usant à l'envi leurs chaleurs dernières , § Nos deux coeurs seront deux vastes flambeaux , § Qui réfléchiront leurs doubles lumières § Dans nos deux esprits , ces miroirs jumeaux. § Un soir "fait de rose et de bleu mystique , § Nous échangerons un éclair unique , § Comme un long sanglot , tout chargé d'adieux; § Et plustard un Ange , entr'ouvrant les portes , § Viendra ranimer , fidèle et joyeux , § Les miroirs ternis et les flammes "mortes. § C'est la Mort qui console , hélas ! et qui fait vivre ; § C'est le but de la vie , et c'est le seul espoir § Qui , comme un élixir , nous monte et nous enivre , § Et nous donne le coeur de marcher jusqu'au soir; § À travers la tempête , et la neige , et le givre , § C'est la clarté vibrante à notre horizon noir; § C'est l'auberge fameuse inscrite sur le livre , § Où l'on pourra manger , et dormir , et s'asseoir; § C'est un Ange qui tient dans ses doigts magnétiques § Le sommeil et le don des rêves extatiques , § Et qui refait le lit des gens pauvres et nus; § C'est la gloire des dieux , c'est le grenier mystique , § C'est la bourse du pauvre et sa patrie antique , § C'est le portique ouvert sur les Cieux inconnus ! § Combien faut-il de fois secouer mes grelots § Et baiser "ton front bas , morne caricature ? § Pour piquer dans le but , de mystique nature § Combien , ô mon carquois , perdre de javelots ? § Nous userons notre âme en de subtils complots , § Et nous démolirons mainte lourde armature , § Avantde contempler la grande Créature § Dont l'infernal désir nous remplit de sanglots ! § Il en est qui jamais n'ont connu leur Idole , § Et ces sculpteurs damnés et marqués d'un affront , § Qui vont se martelant la poitrine et le front , § N'ont qu'un espoir , étrange et sombre Capitole ! § C'est que la Mort , planant comme un soleil nouveau , § Fera s'épanouir les fleurs de leur cerveau ! § Sous une lumière blafarde § Court , danse et se tord sans raison § La Vie , impudente et criarde. § Aussi , sitôt qu'à l'horizon § La nuit voluptueuse monte , § Apaisant tout , même la faim , § Effaçant tout , même la honte , § Le Poète se dit: [ Enfin ! § Mon esprit , comme mes vertèbres , § Invoque ardemment le repos; § Le coeur plein de songes funèbres , § Je vais me coucher sur le dos § Et me rouler dans vos rideaux , § Ô rafraîchissantes ténèbres ! ] § Connais-tu , comme moi , la douleur savoureuse , § Et de toi fais-tu dire: [ Oh ! l'homme "singulier ! ] § -J'allais mourir. C'était dans mon âme amoureuse , § Désir mêlé d'horreur , un mal particulier; § Angoisse et vif espoir , sans humeur factieuse. § Plus allait se vidant le fatal sablier , § Plus ma torture était âpre et délicieuse; § Tout mon coeur s'arrachait au monde familier. § J'étais comme l'enfant avide du spectacle , § Haïssant le rideau comme on hait un obstacle... § Enfin la vérité froide se révéla: § J'étais mort sans surprise , et la terrible aurore § M'enveloppait. -Eh quoi ! n'est-ce donc que cela ? § La toile était "levée et j'attendais encore. § Pour l'enfant , amoureux de cartes et d'estampes , § L'univers est égal à son vaste appétit. § Ah ! que le monde est grand à la clarté des lampes ! § Auxyeuxdu souvenir que le monde est petit ! § Un matin nous partons , le cerveau plein de flamme , § Le coeur gros de rancune et de désirs "amers , § Et nous allons , suivant le rythme de la lame , § Berçant notre infini sur le fini des mers: § Les uns , joyeux de fuir une patrie infâme; § D'autres , l'horreur de leurs berceaux , et quelques-uns , § Astrologues noyés dans les yeux d'une femme , § La Circé tyrannique aux dangereux parfums. § Pour n'être pas changés en bêtes , ils s'enivrent § D'espace et de lumière et de cieux embrasés; § La glace qui les mord , les soleils qui les cuivrent , § Effacent lentement la marque des baisers. § Mais les vrais voyageurs sont ceux-là seuls qui partent § Pour partir; coeurs légers , semblables aux ballons , § De leur fatalité jamais ils ne s'écartent , § Et , sans savoir pourquoi , disent toujours: Allons ! § Ceux-là dont les désirs ont la forme des nues , § Et qui rêvent , ainsiqu'un conscrit le canon , § De vastes voluptés , changeantes , inconnues , § Et dont l'esprit humain n'a jamais su le nom ! § Nous imitons , horreur ! la toupie et la boule § Dans leur valse et leurs bonds; même dans nos sommeils § La Curiosité nous tourmente et nous roule , § Comme un Ange cruel qui fouette des soleils . § Singulière fortune où le but se déplace , § Et , n'étant nulle part , peut être n'importe où ! § Où l'Homme , dont jamais l'espérance n'est lasse , § Pour trouver le repos court toujours comme un fou ! § Notre âme est un trois-mâts cherchant "son Icarie ; § Une voix retentit sur le pont: [ Ouvre l'oeil ! ] § Une voix de la hune , ardente et folle , crie: § [ Amour ... gloire ... bonheur ! [ Enfer ! c'est un écueil ! § Chaque îlot signalé par l'homme de vigie § Est un Eldorado "promis par le Destin; § L'Imagination qui dresse "son orgie § Ne trouve qu'un récif aux clartés du matin. § Ô le pauvre amoureux des pays chimériques ! § Faut-il le mettre aux fers , le jeter à la mer , § Ce matelot ivrogne , inventeur d'Amériques § Dont le mirage rend le gouffre plus amer ? § Tel le vieux vagabond , piétinant dans la boue , § Rêve , le nez en l'air , de brillants paradis § "Son oeil ensorcelé découvre une Capoue § Partout où la chandelle illumine un taudis. § Étonnants voyageurs ! quelles nobles histoires § Nous lisons dans vos yeux profonds comme les mers § Montrez-nous les écrins de vos riches mémoires , § Ces bijoux merveilleux , faits d'astres et d'éthers. § Nous voulons voyager sans vapeur et sans voile ! § Faites , pour égayer l'ennui de nos prisons , § Passer sur nos esprits , tendus comme une toile , § Vos souvenirs avec leurs cadres d'horizons. § Dites , qu'avez-vous vu ? [ Nous avons vu des astres § Et des flots ; nous avons vu des sables aussi; § Et , malgré biendes chocs et d'imprévus désastres , § Nous nous sommes souvent ennuyés , comme ici. § La gloire du soleil sur la mer violette , § La gloire des cités dans le soleil couchant , § Allumaient dans nos coeurs une ardeur inquiète § De plonger dans un ciel au reflet alléchant. § Les plus riches cités , les plus grands paysages , § Jamais ne contenaient l'attrait mystérieux § De ceux que le hasard "fait avec les nuages. § Et toujours le désir nous rendait soucieux ! § -La jouissance ajoute au désir de la force. § Désir , vieil arbre à qui le plaisir sert d'engrais , § Cependantque grossit et durcit ton écorce , § Tes branches veulent voir le soleil de plus près ! § Grandiras-tu toujours , grand arbre plus vivace § Que le cyprès ? -Pourtant nous avons , avec soin , § Cueilli quelques croquis pour votre album vorace , § Frères qui trouvez beau tout ce qui vient de loin ! § Nous avons salué des idoles à trompe; § Des trônes constellés de joyaux lumineux; § Des palais ouvragés dont la féerique pompe § Serait pour vos banquiers un rêve ruineux; § Des costumes qui sont pour les yeux une ivresse; § Des femmes dont les dents et les ongles sont "teints , § Et des jongleurs savants que le serpent "caresse. ] § Et puis , et puis encore ? [ Ô cerveaux enfantins ! § Pour ne pas oublier la chose "capitale , § Nous avons vu partout , et sans l'avoir cherché , § Du haut jusques enbas de l'échelle fatale , § Le spectacle ennuyeux de l'immortel péché: § La femme , esclave vile , orgueilleuse et stupide , § Sans rire s'adorant et s'aimant sans dégoût; § L'homme , tyran goulu , paillard , dur et cupide , § Esclave de l'esclave et ruisseau dans l'égout; § Le bourreau qui jouit , le martyr qui sanglote; § La fête qu'assaisonne et parfume le sang ; § Le poison du pouvoir énervant le despote , § Et le peuple amoureux du fouet abrutissant; § Plusieurs religions semblables à la nôtre , § Toutes escaladant le ciel ; la Sainteté , § Comme en un lit de plume un délicat se vautre , § Dans les clous et le crin cherchant la volupté; § L'Humanité bavarde , ivre de "son génie , § Et , folle maintenant comme elle était jadis , § Criant à Dieu , dans sa furibonde agonie: § [ Ô mon semblable , ô mon maître , je te maudis ! ] § Et les moins sots , hardis amants de la Démence , § Fuyant le grand troupeau parqué par le Destin , § Et se réfugiant dans l'opium immense ! § -Tel est du globe entier l'éternel bulletin . ] § Amer savoir , celui qu'on tire du voyage ! § Le monde , monotone et petit , aujourd'hui , § Hier , demain , toujours , nous fait voir notre image: § Une oasis d'horreur dans un désert d'ennui ! § Faut-il partir ? rester ? Si tu peux rester , reste; § Pars , s'il le faut. L'un court , et l'autre se tapit § Pour tromper l'ennemi vigilant et funeste , § Le Temps ! Il est , hélas ! des coureurs sans répit , § Comme le Juif errant et comme les apôtres , § À qui rien ne suffit , ni wagon ni vaisseau , § Pour fuir ce rétiaire infâme; il en est d'autres § Qui savent le tuer sans quitter leur berceau. § Lorsque enfin il mettra le pied sur notre échine , § Nous pourrons espérer et crier: En avant ! § Demême qu'autrefois nous partions pour la Chine , § Les yeux fixés au large et les cheveux au vent , § Nous nous embarquerons sur la mer des Ténèbres § Avec le coeur joyeux d'un jeune passager. § Entendez-vous ces voix , charmantes et funèbres , § Qui chantent: [ Par ici ! vous qui voulez manger § Le Lotus parfumé ! c'est ici qu'on vendange § Les fruits miraculeux dont votre coeur a faim; § Venez vous enivrer de la douceur étrange § De cette après-midi qui n'a jamais de fin ] ? § À l'accent familier nous devinons le spectre; § Nos Pylades là-bas tendent leurs bras vers nous. § [ Pour rafraîchir "ton coeur "nage vers ton Électre ! ] § Dit celle dont jadis nous baisions les genoux . § Ô Mort , vieux capitaine , il est temps ! levons l'ancre ! § Ce pays nous ennuie , ô Mort ! Appareillons ! § Si le ciel et la mer sont noirs comme de l'encre , § Nos coeurs que tu connais sont remplis de rayons ! § Verse-nous ton poison pour qu'il nous réconforte ! § Nous voulons , tant ce feu nous brûle le cerveau , § Plonger aufonddu gouffre , Enfer ou Ciel , qu'importe ? § Aufondde l'Inconnu pour trouver du nouveau ! § Mère des jeux latins et des voluptés grecques , § Lesbos , où les baisers , languissants ou joyeux , § Chauds comme les soleils , frais comme les pastèques , § Font l'ornement des nuits et des jours glorieux; § Mère des jeux latins et des voluptés grecques , § Lesbos , où les baisers sont comme les cascades § Qui se jettent sans peur dans les gouffres sans fonds , § Et courent , sanglotant et gloussant par saccades , § Orageux et secrets , fourmillants et profonds; § Lesbos , où les baisers sont comme les cascades ! § Lesbos , où les Phrynés l'une l'autre s'attirent , § Où jamais un soupir ne resta sans écho , § À l'égal de Paphos les étoiles t'admirent , § Et Vénus à bon droit peut jalouser Sapho ! § Lesbos , où les Phrynés l'une l'autre s'attirent , § Lesbos , terre des nuits chaudes et langoureuses , § Qui font qu'à leurs miroirs , stérile volupté ! § Les filles aux yeux creux , de leurs corps amoureuses , § Caressent les fruits mûrs de leur nubilité ; § Lesbos , terre des nuits chaudes et langoureuses , § Laisse du vieux Platon se froncer l'oeil austère; § Tu tires ton pardon de l'excès des baisers , § Reine du doux empire , aimable et noble terre , § Et des raffinements toujours inépuisés. § Laisse du vieux Platon se froncer l'oeil austère. § Tu tires ton pardon de l'éternel martyre , § Infligé sans relâche aux coeurs ambitieux , § Qu'attire loin de nous le radieux sourire § Entrevu vaguement aubord des autres cieux ! § Tu tires ton pardon de l'éternel martyre ! § Qui des Dieux osera , Lesbos , être ton juge § Et condamner "ton front pâli dans les travaux , § Si ses balances d'or n'ont pesé le déluge § De larmes qu'à la mer ont versé tes ruisseaux ? § Qui des Dieux osera , Lesbos , être ton juge ? § Que nous veulent les lois du juste et de l'injuste ? § Vierges au coeur sublime , honneur de l'archipel , § Votre religion comme une autre est auguste , § Et l'amour se rira de l'Enfer et du Ciel ! § Que nous veulent les lois du juste et de l'injuste ? § Car Lesbos entre tous m'a choisi sur la terre § Pour chanter le secret de ses vierges en fleur , § Et je fus dès l'enfance admis au noir mystère § Des rires effrénés mêlés au sombre pleur; § Car Lesbos entre tous m'a choisi sur la terre. § Et depuis lors je veille au sommet de Leucate § Comme une sentinelle à l'oeil perçant et sûr , § Qui guette nuit et jour brick , tartanelle ou frégate , § Dont les formes au loin frissonnent dans l'azur; § Et depuis lors je veille au sommet de Leucate § Pour savoir si la mer est indulgente et bonne , § Et parmi les sanglots dont le roc retentit § Un soir ramènera vers Lesbos , qui pardonne , § Le cadavre adoré de Sapho , qui partit § Pour savoir si la mer est indulgente et bonne ! § De la mâle Sapho , l'amante et le poète , § Plus belle que Vénus par ses "mornes pâleurs ! § -L'oeil d'azur est "vaincu par l'oeil noir que tachète § Le cercle ténébreux tracé par les douleurs § De la mâle Sapho , l'amante et le poète ! § -Plus belle que Vénus se dressant sur le monde § Et versant les trésors de sa sérénité § Et le rayonnement de sa jeunesse blonde § Sur le vieil Océan de sa fille enchanté ; § Plus belle que Vénus se dressant sur le monde ! § -De Sapho qui mourut le jour de son blasphème , § Quand , insultant le rite et le culte inventé , § Elle fit son beau corps la pâture suprême § D'un brutal dont l'orgueil punit l'impiété § De Sapho qui mourut le jour de son blasphème. § Et c'est depuis ce temps que Lesbos se lamente , § Et , malgré les honneurs que lui rend l'univers , § S'enivre chaque nuit du cri de la tourmente § Que poussent vers les cieux ses rivages déserts ! § Et c'est depuis ce temps que Lesbos se lamente ! § À la pâle clarté des lampes languissantes , § Sur de profonds coussins tout imprégnés d'odeur , § Hippolyte rêvait aux caresses puissantes § Qui levaient le rideau de sa jeune candeur. § Elle cherchait , d'un oeil troublé par la tempête , § De sa naïveté le ciel déjà lointain , § Ainsiqu'un voyageur qui retourne la tête § Vers les horizons bleus dépassés le matin. § De ses yeux amortis les paresseuses larmes , § L'air brisé , la stupeur , la "morne volupté , § Ses bras "vaincus , jetés comme de vaines armes , § Tout servait , tout parait sa fragile beauté. § Étendue àsespieds , calme et pleine de joie , § Delphine la couvait avec des yeux ardents , § Comme un animal fort qui surveille une proie , § Après l'avoir d'abord marquée avec les dents. § Beauté forte à genoux devant la beauté frêle , § Superbe , elle humait voluptueusement § Le vin de son triomphe , et s'allongeait vers elle , § Comme pour recueillir un doux remercîment. § Elle cherchait dans l'oeil de sa pâle victime § Le cantique muet que chante le plaisir , § Et cette gratitude infinie et sublime § Qui sort de la paupière ainsiqu'un long soupir. § - [ Hippolyte , cher coeur , que dis-tu de ces choses ? § Comprends-tu maintenant qu'il ne faut pas offrir § L'holocauste sacré de tes premières roses § Aux souffles violents qui pourraient les flétrir ? § Mes baisers sont légers comme ces éphémères § Qui caressent le soir les grands lacs transparents , § Et ceux de "ton amant creuseront leurs ornières § Comme des chariots ou des socs déchirants; § Ils passeront sur toi comme un lourd attelage § De chevaux et de boeufs aux sabots sans pitié... § Hippolyte , ô ma soeur ! tourne donc "ton visage , § Toi , mon âme et mon coeur , mon tout et ma moitié , § Tourne vers moi tes yeux pleins d'azur et d'étoiles ! § Pour un de ces regards charmants , baume divin , § Des plaisirs plus obscurs je lèverai les voiles , § Et je t'endormirai dans un rêve sans fin ! ] § Mais Hippolyte alors , levant sa jeune tête: § - [ Je ne suis point ingrate et ne me repens pas , § Ma Delphine , je souffre et je suis inquiète , § Comme après un nocturne et terrible repas. § Je sens fondre sur moi de lourdes épouvantes § Et de noirs bataillons de fantômes épars , § Qui veulent me conduire en des routes mouvantes § Qu'un horizon sanglant ferme de toutes parts. § Avons-nous donc commis une action étrange ? § Explique , si tu peux , mon trouble et mon effroi: § Je frissonne de peur quand tu me dis: [ Mon ange ! ] § Et cependant je sens ma bouche "aller vers toi. § Ne me regarde pas ainsi , toi , ma pensée ! § Toi que j'aime àjamais , ma soeur d'élection , § Quand même tu serais une embûche dressée § Et le commencement de ma perdition ! ] § Delphine secouant sa crinière tragique , § Et comme trépignant sur le trépied de fer , § L'oeil fatal , répondit d'une voix despotique: § - [ Qui donc devant l'amour "ose parler d'enfer ? § Maudit soit àjamais le rêveur inutile § Qui voulut le premier , dans sa stupidité , § S'éprenant d'un problème insoluble et stérile , § Aux choses de l'amour mêler l'honnêteté ! § Celui qui veut unir dans un accord mystique § L'ombre avec la chaleur , la nuit avec le jour , § Ne chauffera jamais "son corps paralytique § À ce rouge soleil que l'on nomme l'amour ! § Va , si tu veux , chercher un fiancé stupide; § Cours offrir un coeur vierge à ses cruels baisers; § Et , pleine de remords et d'horreur , et livide , § Tu me rapporteras tes seins stigmatisés ... § On ne peut ici-bas contenter qu'un seul maître ! § Mais l'enfant , épanchant une immense douleur , § Cria soudain: [ -Je sens s'élargir dans mon être § Un abîme béant; cet abîme est mon coeur ! § Brûlant comme un volcan , profond comme le vide ! § Rien ne rassasiera ce monstre gémissant § Et ne rafraîchira la soif de l'Euménide § Qui , la torche à la main , le brûle jusqu'au sang. § Que nos rideaux fermés nous séparent du monde , § Et que la lassitude amène le repos ! § Je veux m'anéantir dans ta gorge profonde § Et trouver sur "ton sein la fraîcheur des tombeaux ! ] § -Descendez , descendez , lamentables victimes , § Descendez le chemin de l'enfer éternel ! § Plongez au plus profond du gouffre , où tous les crimes , § Flagellés par un vent qui ne vient pas du ciel , § Bouillonnent pêle-mêle avec un bruit d'orage. § Ombres folles , courez au but de vos désirs; § Jamais vous ne pourrez assouvir votre rage , § Et votre châtiment naîtra de vos plaisirs. § Jamais un rayon frais n'éclaira vos cavernes; § Par les fentes des murs des miasmes fiévreux § Filent en s'enflammant ainsique des lanternes § Et pénètrent vos corps de leurs parfums affreux. § L'âpre stérilité de votre jouissance § Altère votre soif et roidit votre peau , § Et le vent furibond de la concupiscence § Fait claquer votre chair ainsiqu'un vieux drapeau. § Loin des peuples vivants , errantes , condamnées , § À travers les déserts courez comme les loups; § Faites votre destin , âmes désordonnées , § Et fuyez l'infini que vous portez en vous ! § Viens sur mon coeur , âme cruelle et sourde , § Tigre adoré , monstre aux airs indolents; § Je veux longtemps plonger mes doigts tremblants § Dans l'épaisseur de ta crinière lourde; § Dans tes jupons remplis de "ton parfum § Ensevelir ma tête endolorie , § Et respirer , comme une fleur flétrie , § Le doux relent de mon amour défunt. § Je veux dormir ! dormir plutôtque vivre ! § Dans un sommeil douteux comme la mort , § J'étalerai mes baisers sans remords § Sur ton beau corps poli comme le cuivre. § Pour engloutir mes sanglots apaisés § Rien ne me vaut l'abîme de ta couche; § L'oubli puissant habite sur ta bouche , § Et le Léthé coule dans tes baisers. § À mon destin , désormais mon délice , § J'obéirai comme un prédestiné; § Martyr docile , innocent condamné , § Dont la ferveur attise le supplice , § Je sucerai , pour noyer ma rancoeur , § Le népenthès et la "bonne ciguë § Aux bouts charmants de cette gorge aiguë , § Qui n'a jamais emprisonné de coeur. § Ta tête , ton geste , "ton air § Sont beaux comme un beau paysage; § Le rire "joue en "ton visage § Comme un vent frais dans un ciel clair. § Le passant chagrin que tu frôles § Est ébloui par la santé § Qui jaillit comme une clarté § De tes bras et de tes épaules. § Les retentissantes couleurs § Dont tu parsèmes tes toilettes § Jettent dans l'esprit des poètes § L'image d'un ballet de fleurs. § Ces robes folles sont l'emblème § De "ton esprit bariolé; § Folle dont je suis affolé , § Je te hais autant que je t'aime ! § Quelquefois dans un beau jardin § Où je traînais mon atonie , § J'ai senti , comme une ironie , § Le soleil déchirer mon sein; § Et le printemps et la verdure § Ont tant humilié mon coeur , § Que j'ai puni sur une fleur § L'insolence de la Nature . § Ainsi je voudrais , une nuit , § Quand l'heure des voluptés sonne , § Vers les trésors de ta personne , § Comme un lâche , ramper sans bruit , § Pour châtier ta chair joyeuse , § Pour meurtrir "ton sein pardonné , § Et faire à "ton flanc étonné § Une blessure large et creuse , § Et , vertigineuse douceur ! § À travers ces lèvres "nouvelles , § Plus éclatantes et plus belles , § T'infuser mon venin , ma soeur ! § La très chère était nue , et , connaissant mon coeur , § Elle n'avait gardé que ses bijoux sonores , § Dont le riche attirail lui donnait l'air vainqueur § Qu'ont dans leurs jours heureux les esclaves des Maures. § Quand il jette en dansant son bruit vif et moqueur , § Ce monde rayonnant de métal et de pierre § Me ravit en extase , et j'aime avec fureur § Les choses où le son se mêle à la lumière , § Elle était donc couchée et se laissait aimer , § Et du haut du divan elle souriait d'aise § À mon amour profond et doux comme la mer , § Qui vers elle montait comme vers sa falaise. § Les yeux fixés sur moi , comme un tigre dompté , § D'un air vague et rêveur elle essayait des poses , § Et la candeur unie à la lubricité § Donnait un charme neuf à ses métamorphoses; § Et "son bras et sa jambe , et sa cuisse et ses reins , § Polis comme de l'huile , onduleux comme un cygne , § Passaient devant mes yeux clairvoyants et sereins; § Et "son ventre et ses seins , ces grappes de ma vigne , § S'avançaient , plus câlins que les Anges du mal , § Pour troubler le repos où mon âme était mise , § Et pour la déranger du rocher de cristal § Où , calme et solitaire , elle s'était assise. § Je croyais voir unis par un nouveau dessin § Les hanches de l'Antiope au buste d'un imberbe , § Tant sa taille faisait ressortir "son bassin. § Sur ce teint fauve et brun , le fard était superbe ! § - Et la lampe s'étant résignée à mourir , § Comme le foyer seul illuminait la chambre , § Chaque fois qu'il poussait un flamboyant soupir , § Il inondait de sang cette peau couleur d'ambre ! § La femme cependant , de sa bouche de fraise , § En se tordant ainsiqu'un serpent sur la braise , § Et pétrissant ses seins sur le fer de "son busc , § Laissait couler ces mots tout imprégnés de musc: § - [ Moi , j'ai la lèvre humide , et je sais la science § De perdre aufondd'un lit l'antique conscience. § Je sèche tous les pleurs sur mes seins triomphants , § Et fais rire les vieux du rire des enfants. § Je remplace , pour qui me voit nue et sans voiles , § La lune , le soleil , le ciel et les étoiles ! § Je suis , mon cher savant , si docte aux voluptés , § Lorsque j'étouffe un homme en mes bras veloutés , § Ou lorsque j'abandonne aux morsures mon buste , § Timide et libertine , et fragile et robuste , § Que sur ces matelas qui se pâment d'émoi § Les anges impuissants se damneraient pour moi ! ] § Quand elle eut de mes os sucé toute la moelle , § Et que languissamment je me tournai vers elle § Pour lui rendre un baiser d'amour , je ne vis plus § Qu'une outre aux flancs gluants , toute pleine de pus ! § Je fermai les deux yeux , dans ma froide épouvante , § Et quand je les rouvris à la clarté vivante , § Àmescôtés , aulieudu mannequin puissant § Qui semblait avoir "fait provision de sang , § Tremblaient confusément des débris de squelette , § Qui d'eux-mêmes rendaient le cri d'une girouette § Ou d'une enseigne , auboutd'une tringle de fer , § Que balance le vent pendant les nuits d'hiver. § Lecteur paisible et bucolique , § Sobre et naïf homme de bien , § Jette ce livre saturnien , § Orgiaque et mélancolique. § Si tu n'as fait ta rhétorique § Chez Satan , le rusé doyen , § Jette ! tu n'y comprendrais rien , § Ou tu me croirais hystérique , § Mais si , sans se laisser charmer , § "Ton oeil sait plonger dans les gouffres , § Lis-moi , pour apprendre à m'aimer; § Âme curieuse qui souffres § Et vas cherchant "ton paradis , § Plains-moi ! ... Sinon , je te maudis ! § La pendule , sonnant minuit , § Ironiquement nous engage § À nous rappeler quel usage § Nous fîmes du jour qui s'enfuit: § - Aujourd'hui , date fatidique , § Vendredi , treize , nous avons , § Malgré tout ce que nous savons , § Mené le train d'un hérétique. § Nous avons blasphémé Jésus , § Des Dieux leplus incontestable ! § Comme un parasite à la table § De quelque monstrueux Crésus , § Nous avons , pour plaire à la brute § Digne vassale des Démons , § Insulté ce que nous aimons § Et flatté ce qui nous rebute; § Contristé , servile bourreau , § Le faible qu'à tort on méprise; § Salué l'énorme Bêtise , § La Bêtise au front de taureau; § Baisé la stupide Matière § Avec grande dévotion , § Et de la putréfaction § Béni la blafarde lumière. § Enfin , nous avons , pour noyer § Le vertige dans le délire , § Nous , prêtre orgueilleux de la Lyre , § Dont la gloire est de déployer § L'ivresse des choses funèbres , § Bu sans soif et mangé sans faim !... § -Vite soufflons la lampe , afin § De nous cacher dans les ténèbres ! § Que m'importe que tu sois sage ? § Sois belle ! et sois triste ! Les pleurs § Ajoutent un charme au visage , § Comme le fleuve au paysage; § L'orage rajeunit les fleurs. § Je t'aime surtout quand la joie § S'enfuit de "ton front terrassé; § Quand "ton coeur dans l'horreur se noie; § Quand sur ton présent se déploie § Le nuage affreux du passé. § Je t'aime quand ton grand oeil verse § Une eau chaude comme le sang; § Quand , malgré ma main qui te berce , § Ton angoisse , trop lourde , perce § Comme un râle d'agonisant. § J'aspire , volupté divine ! § Hymne profond , délicieux ! § Tous les sanglots de ta poitrine , § Et crois que "ton coeur s'illumine § Des perles que versent tes yeux ! § Je sais que "ton coeur , qui regorge § De vieux amours déracinés , § Flamboie encor comme une forge , § Et que tu couves sous ta gorge § Unpeu de l'orgueil des damnés; § Mais tant , ma chère , que tes rêves § N'auront pas reflété l'Enfer , § Et qu'en un cauchemar sans trêves , § Songeant de poisons et de glaives , § Éprise de poudre et de fer , § N'ouvrant à chacun qu'avec crainte , § Déchiffrant le malheur partout , § Te convulsant quand l'heure tinte , § Tu n'auras pas senti l'étreinte § De l'irrésistible Dégoût , § Tu ne pourras , esclave reine § Qui ne m'aimes qu'avec effroi , § Dans l'horreur de la nuit malsaine § Me dire , l'âme de cris pleine: § [ Je suis ton égale , ô mon Roi ! ] § Tes pieds sont aussi fins que tes mains , et ta hanche § Est large à faire envie à la plus belle blanche; § À l'artiste pensif "ton corps est doux et cher; § Tes grands yeux de velours sont plus noirs que ta chair. § Aux pays chauds et bleus où ton dieu t'a fait naître , § Ta tâche est d'allumer la pipe de ton maître , § De pourvoir les flacons d'eaux "fraîches et d'odeurs , § De chasser loin du lit les moustiques rôdeurs; § Et , dès que le matin "fait chanter les platanes , § D'acheter au bazar ananas et bananes. § Tout le jour , où tu veux , tu mènes tes pieds nus § Et fredonnes tout bas de vieux airs inconnus; § Et quand descend le soir au manteau d'écarlate , § Tu poses doucement "ton corps sur une natte , § Où tes rêves flottants sont pleins de colibris , § Et toujours , comme toi , gracieux et fleuris. § Pourquoi , l'heureuse enfant , veux-tu voir notre France , § Ce pays trop peuplé que fauche la souffrance , § Et , confiant ta vie aux bras "forts des marins , § Faire de grands adieux à tes chers tamarins ? § Toi , vêtue à moitié de mousselines frêles , § Frissonnante là-bas sous la neige et les grêles , § Comme tu pleurerais tes loisirs doux et francs , § Si , le corset brutal emprisonnant tes flancs , § Il te fallait glaner ton souper dans nos fanges § Et vendre le parfum de tes charmes étranges , § L'oeil pensif , et suivant , dans les sales brouillards , § Des cocotiers aimés les fantômes épars ! § Tout homme digne de ce nom § A dans le coeur un Serpent jaune , § Installé comme sur un trône , § Qui , s'il dit: [ Je veux ! ] répond : [ Non ! ] § Plonge tes yeux dans les yeux fixes § Des Satyresses ou des Nixes , § La Dent dit: [ Pense à ton devoir ! ] § Fais des enfants , plante des arbres , § Polis des vers , sculpte des marbres , § La Dent dit: [ Vivras-tu ce soir ? ] § Quoi qu'il ébauche ou qu'il espère , § L'homme ne vit pas un moment § Sans subir l'avertissement § De l'insupportable Vipère. § À la très chère , à la très belle § Qui remplit mon coeur de clarté , § À l'ange , à l'idole immortelle , § Salut en l'immortalité ! § Elle se répand dans ma vie § Comme un air imprégné de sel , § Et dans mon âme inassouvie § Verse le goût de l'éternel. § Sachet toujours frais qui parfume § L'atmosphère d'un cher réduit , § Encensoir oublié qui fume § En secret à travers la nuit , § Comment , amour incorruptible , § T'exprimer avec vérité ? § Grain de musc qui gis , invisible , § Aufondde mon éternité ! § À la très bonne , à la très belle , § Qui fait ma joie et ma santé , § À l'ange , à l'idole immortelle , § Salut en immortalité ! § Mon berceau s'adossait à la bibliothèque , § Babel sombre , où roman , science , fabliau , § Tout , la cendre latine et la poussière grecque , § Se mêlaient. J'étais haut comme un in-folio. § Deux Voix me parlaient. L'une , insidieuse et ferme , § Disait : [ La Terre est un gâteau plein de douceur; § Je puis (et "ton plaisir serait alors sans terme !) § Te faire un appétit d'une égale grosseur. ] § Et l'autre: [ Viens ! oh ! viens voyager dans les rêves , § Au-delà du possible , au-delà du connu ! ] § Et celle-là chantait comme le vent des grèves , § Fantôme vagissant , on ne sait d'où venu , § Qui caresse l'oreille et cependant l'effraie. § Je te répondis: [ Oui ! douce voix ! ] C'est d'alors § Que date ce qu'on peut , hélas ! nommer ma plaie § Et ma fatalité. Derrière les décors § De l'existence immense , au plus noir de l'abîme , § Je vois distinctement des monstres singuliers , § Et de ma clairvoyance extatique victime , § Je traîne des serpents qui mordent mes souliers. § Et c'est depuis ce temps que , pareil aux prophètes , § J'aime si tendrement le désert et la mer; § Que je ris dans les deuils et pleure dans les fêtes , § Et trouve un goût suave au vin leplus amer; § Que je prends très souvent les faits pour des mensonges , § Et que , les yeux au ciel , je tombe dans des trous ; § Mais la Voix me console et dit : [ Garde tes songes , § Les sages n'en ont pas d'aussi beaux que les fous ! ] § Un Ange furieux fond du ciel comme un aigle , § Du mécréant saisit à plein poing les cheveux , § Et dit , le secouant: [ Tu connaîtras la règle ! § (Car je suis ton bon Ange , entends-tu ?) Je le veux ! § [ Sache qu'il faut aimer , sans faire la grimace , § Le pauvre , le méchant , le tortu , l'hébété , § Pour que tu puisses faire , à Jésus , quand il passe , § Un tapis triomphal avec ta charité. § [ Tel est l'Amour ! Avantque "ton coeur ne se blase , § À la gloire de Dieu rallume "ton extase; § C'est la Volupté vraie aux durables appas ! ] § Et l'Ange , châtiant autant , mafoi ! qu'il aime , § De ses poings de géant torture l'anathème; § Mais le damné répond toujours: [ Je ne veux pas ! ] § Tes beaux yeux sont las , pauvre amante. § Reste longtemps , sans les rouvrir , § Dans cette pose nonchalante § Où t'a "surprise le Plaisir. § Dans la cour le jet d'eau qui jase , § Et ne se tait ni nuit ni jour , § Entretient doucement l'extase § Où ce soir m'a plongé l'amour. § La gerbe épanouie § En mille fleurs , § Où Phoebé réjouie § Met ses couleurs , § Tombe comme une pluie § De larges pleurs . § Ainsi "ton âme qu'incendie § Le vif éclair des voluptés § S'élance , rapide et hardie , § Vers les vastes cieux enchantés . § Puis elle s'épanche , mourante , § En un flot de triste langueur , § Qui par une invisible pente , § Descend jusqu'au fond de mon coeur § La gerbe épanouie § En mille fleurs , § Où Phoebé réjouie § Met ses couleurs , § Tombe comme une pluie § De larges pleurs. § Ô toi , que la nuit rend si belle , § Qu'il m'est doux , penché vers tes seins , § D'écouter la plainte éternelle § Qui sanglote dans les bassins ! § Lune , eau sonore , nuit bénie , § Arbres qui frissonnez autour , § Votre pure mélancolie § Est le miroir de mon amour. § La gerbe épanouie § En mille fleurs , § Où Phoebé réjouie § Met ses couleurs , § Tombe comme une pluie § De larges pleurs. § Vous pouvez mépriser les yeux les plus célèbres , § Beaux yeux de mon enfant , par où filtre et s'enfuit § Je ne sais quoi de bon , de doux comme la Nuit ! § Beaux yeux , versez sur moi vos charmantes ténèbres ! § Grands yeux de mon enfant , arcanes adorés , § Vous ressemblez beaucoup à ces grottes magiques § Où , derrière l'amas des ombres léthargiques , § Scintillent vaguement des trésors ignorés. § Mon enfant a des yeux obscurs , profonds et vastes § Comme toi , Nuit immense , éclairés comme toi ! § Leurs feux sont ces pensers d'Amour , mêlés de Foi § Qui pétillent aufond , voluptueux ou chastes . § L'homme a , pour payer sa rançon , § Deux champs au tuf profond et riche , § Qu'il faut qu'il remue et défriche § Avec le fer de la raison; § Pour obtenir la moindre rose , § Pour extorquer quelques épis , § Des pleurs salés de "son front gris § Sans cesse il faut qu'il les arrose. § L'un est l'Art , et l'autre l'Amour. § -Pour rendre le Juge propice , § Lorsque de la stricte justice § Paraîtra le terrible jour , § Il faudra lui montrer des granges § Pleines de moissons , et des fleurs § Dont les formes et les couleurs § Gagnent le suffrage des anges . § C'est ici la case sacrée § Où cette fille très parée , § Tranquille et toujours préparée , § D'une main éventant ses seins , § Et son coude dans les coussins , § Écoute pleurer les bassins: § C'est la chambre de Dorothée. § -La brise et l'eau chantent au loin § Leur chanson de sanglots heurtée § Pour bercer cette enfant gâtée. § Du haut en bas , avec grand soin , § Sa peau délicate est "frottée § D'huile odorante et de benjoin. § -Des fleurs se pâment dans un coin. § Sois sage , ô ma Douleur , et tiens-toi plus tranquille. § Tu réclamais le Soir; il descend; le voici: § Une atmosphère obscure enveloppe la ville , § Aux uns portant la paix , aux autres le souci. § Pendantque des mortels la multitude vile , § Sous le fouet du Plaisir , ce bourreau sans merci , § Va cueillir des remords dans la fête servile , § Ma Douleur , donne-moi la main; viens par ici , § Loin d'eux. Vois se pencher les défuntes Années , § Sur les balcons du ciel , en robes surannées; § Surgir du fond des eaux le Regret souriant; § Le Soleil moribond s'endormir sous une arche , § Et , comme un long linceul traînant à l'Orient , § Entends , ma chère , entends la douce Nuit qui marche. § Pascal avait "son gouffre , avec lui se mouvant. § -Hélas ! tout est abîme , -action , désir , rêve , § Parole ! et sur mon poil qui tout droit se relève § Maintes fois de la Peur je sens passer le vent. § En haut , enbas , partout , la profondeur , la grève , § Le silence , l'espace affreux et captivant... § Sur le fond de mes nuits Dieu de "son doigt savant § Dessine un cauchemar multiforme et sans trêve. § J'ai peur du sommeil comme on a peur d'un grand trou , § Tout plein de vague horreur , menant on ne sait où; § Je ne vois qu'infini par toutes les fenêtres , § Et mon esprit , toujours du vertige hanté , § Jalouse du néant l'insensibilité. § -Ah ! ne jamais sortir des Nombres et des Êtres ! § Les amants des prostituées § Sont heureux , dispos et repus; § Quant à moi , mes bras sont rompus § Pour avoir étreint des nuées. § C'est grâce aux astres nonpareils , § Qui tout aufonddu ciel flamboient , § Que mes yeux consumés ne voient § Que des souvenirs de soleils. § Envain j'ai voulu de l'espace § Trouver la fin et le milieu; § Sous je ne sais quel oeil de feu § Je sens mon aile qui se casse; § Et brûlé par l'amour du beau , § Je n'aurai pas l'honneur sublime § De donner mon nom à l'abîme § Qui me servira de tombeau. § En quelque lieu qu'il aille , ou sur mer ou sur terre , § Sous un climat de flamme ou sous un soleil blanc , § Serviteur de Jésus , courtisan de Cythère , § Mendiant ténébreux ou Crésus rutilant , § Citadin , campagnard , vagabond , sédentaire , § Que son petit cerveau soit actif ou soit lent , § Partout l'homme subit la terreur du mystère , § Et ne regarde en haut qu'avec un oeil tremblant. § En haut , le Ciel ! ce mur de caveau qui l'étouffe , § Plafond illuminé par un opéra bouffe § Où chaque histrion "foule un sol ensanglanté; § Terreur du libertin , espoir du fol ermite; § Le Ciel ! couvercle noir de la grande marmite § Où bout l'imperceptible et vaste Humanité. §