§ Avec Walt Disney, Isao Takahata a ceci de commun qu'il ne dessine pas les films qu'il dirige. Mais, contrairement au fondateur de la multinationale qui porte son nom, le cinéaste japonais profite de cette position exceptionnelle dans le cinéma d'animation pour exercer sa liberté de créateur, plutôt que pour imposer des normes. C'est ainsi que, de film en film, Takahata change de style graphique, du réalisme déchirant du Tombeau des lucioles (1988) à la caricature stylisée de Mes voisins les Yamada (1999). Entre ces deux films, il y a eu Pompoko, sorti en 1994 au Japon. Et, cette fois, Takahata passe de style en style le temps d'un seul film. Le sujet se prête à la mutation. Les héros de Pompoko sont des tanukis, petits prédateurs charognards des forêts japonaises qui ont fait l'objet de nombreuses légendes qui toutes leur prêtent le pouvoir de se transformer. Le film s'ouvre sur un tableau paradisiaque de la vie dans le Japon rural, dans les collines de Tama, à quelque distance de Tokyo. Le style est alors celui du studio Ghibli, fondé par Miyazaki et Takahata, réaliste et magique. Mais dès qu'il s'agit d'approcher la vie cachée des tanukis, celle qui échappe à la perception des humains, les personnages changent d'apparence. Ils deviennent d'abord de gentilles créatures aux contours arrondis qui évoquent parfois les Bisounours de l'animation télévisée. Mais lorsque la furie ou la folie les prend, ils franchissent un degré dans la stylisation et ne sont plus que des silhouettes. Or il y a bien des raisons pour que les tanukis succombent à leurs démons. Le film est situé dans les années 1960, au moment où la ville gagne sans cesse sur la campagne. L'habitat naturel des tanukis est menacé, il leur faut réagir. S'affrontent alors au sein de leur communauté les partisans de la ruse et ceux de la force, ceux qui veulent utiliser les pouvoirs magiques de transformation que la tradition leur a prêtés et ceux qui veulent imiter la brutalité des humains. Takahata met en scène cette confrontation comme une épopée drolatique, peuplée de personnages vigoureux et imparfaits. Aux mutations des tanukis répondent de brusques changements de ton sans que jamais le film perde son fil : il est porté par une énergie, un amour de la vie qui évoquent le cinéma de Shoei Imamura, particulièrement Eijanaika, cette ode à la force vitale de la culture populaire japonaise menacée par l'industrialisation. La gravité du propos et son ambition ne détournent pas pour autant Isao Takahata de sa tâche de conteur, et les plus jeunes spectateurs (qui sont souvent plus au fait du contexte japonais que leurs parents) trouveront aussi leur compte dans cette saga burlesque et revigorante. _________________________________________________________________ Film d'animation japonais d'Isao Takahata. (2 heures.) §