En janvier, le Président de la République a annoncé une nouvelle coalition pour le Sahel pour faire face aux problèmes de sécurité et de développement auxquels la région est confrontée. Mais certains gouvernements et organisations font la sourde oreille et ne veulent pas révéler les motifs réels de leur implication dans la région.
UN helicopter in Mali (© DemarK / Shutterstock)
Le 13 janvier, lors de sa visite à Pau, le président de la République, Emmanuel Macron, a annoncé le lancement d’une nouvelle “coalition pour le Sahel ” qui repose sur 4 piliers clés : la lutte contre le terrorisme, le renforcement des capacités militaires, la restauration de l’autorité de l’Etat et l’aide au développement. Macron estime qu’une coalition plus large s’impose afin de pouvoir faire face aux nombreux défis auxquels est confrontée la région. Deux facteurs ont dicté ce choix. Premièrement, la situation a changé depuis la première intervention française au Mali en 2013 en matière de sécurité. En 7 ans, les groupes armés se sont faits plus nombreux et se sont propagés dans toute la région. Deuxièmement, l’opération française Barkhane n’est plus accueillie aussi favorablement et Paris se doit de trouver des alliés parmi les Etats membres de l’Union européenne. Quant aux Etats-Unis, ils se montrent réticents à l’idée de s’engager davantage, comme l’a annoncé le général Mark Milley, chef d’état-major des armées, à Bruxelles à l’issue du sommet de Pau .
Ce n’est pas par hasard que Pau a été choisi pour accueillir le sommet. C’est dans cette ville qu’étaient basés sept parmi les treize soldats français tués dans un crash d’hélicoptères le 25 novembre dernier au Mali. Ce choix de Macron illustre son point de vue : il a martelé lors de la conférence de presse que les soldats français ont selon lui sacrifié leur vie pour protéger les habitants du Sahel. Les hélicoptères soutenaient une mission de combat contre les djihadistes à proximité des frontières du Burkina Faso et du Niger. A la lumière de cette tragédie, il est plus que jamais important que la France, ainsi que tous les autres pays engagés au Sahel, évaluent l’efficacité de leur stratégie afin d’éviter des pertes inutiles.
Au moment de l’accident, les hélicoptères étaient venus en renfort des troupes au sol lors d’une mission antiterroriste dans la région de Liptako. Les forces françaises sont intervenues pour la première fois à la demande du gouvernement malien début 2013 lorsque des groupes de terroristes ont pris le contrôle du nord du pays. En 2014, les opérations de la France ont pris une autre tournure, elles visent dorénavant à collaborer avec des alliés locaux et régionaux afin d’empêcher ces groupes de reprendre le dessus.
Toutefois, ces dernières années, l’instabilité persiste voire s’accentue. Depuis janvier 2019, plus de 1 500 civils ont été tués au Burkina Faso et au Mali, et plus d’un million de personnes ont été déplacées dans tout le Sahel, soit plus de deux fois plus qu’en 2018.
Pour réagir, le gouvernement français a poursuivi son appel à l’aide des acteurs régionaux et internationaux. La Mission multidimensionnelle intégrée des Nations Unies pour la stabilisation au Mali (MINUSMA) a par ailleurs été créée en 2013 pour soutenir la transformation politique du pays et engager plusieurs actions de sécurité. De plus, outre l’opération Barkhane, la France a récemment annoncé le déploiement de sa nouvelle force militaire internationale Takouba, prévu pour cette année. La force conjointe du G5 est une autre initiative lancée par la France visant à lutter contre l’instabilité. A terme, jusqu’à 5 000 hommes opérant dans les cinq pays du G5 seront formés et déployés dans le cadre de ce projet. L’intention déclarée est de remplacer l’opération Barkhane et les missions de la politique de sécurité et de défense commune de l’UE par la force conjointe du G5, mais il ne semble pas exister de délai pour atteindre cet objectif.
L’Union européenne et les Etats membres ont dépensé 8 milliards rien que pour l’aide au développement au Sahel, alors qu’entre 2014 et 2020, plusieurs milliards ont également été débloqués pour garantir la sécurité, le développement des capacités et bien d’autres programmes. Certains pays ont également promis d’augmenter considérablement leur engagement dans la région. Le Royaume-Uni, par exemple, s’est engagé à déployer 250 hommes en 2020 pour contribuer à la MINUSMA et le Danemark a promis d’envoyer 10 soldats à la MINUSMA et 70 autres pour l’opération Barkhane. L’Allemagne forme la police et la gendarmerie au Burkina Faso. Elle a également annoncé une enveloppe de 10 millions pour l’équipement et un montant similaire pour des services de conseils offerts par le ministère de la défense.
Toutefois, malgré plusieurs années de formation (et un investissement financier considérable), les capacités des forces armées maliennes restent faibles. La France reconnaît qu’en dépit des années d’engagement de leur part, les forces de sécurité locales “restent sous-équipées et sous-financées pour faire le poids face aux djihadistes”. En revanche, certains analystes remarquent que les groupes armés au sol sont de plus en plus compétents et les structures de commandement deviennent encore plus fluides. Bruno Clément-Bollée explique à la BBC que “la montée en force des djihadistes est un phénomène incontestable”. En effet, dès que la France a annoncé la mort d’Ali Maychou le mois dernier (un leader marocain du Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans), les avant-postes militaires ainsi que d’autres cibles dans le pays ont été frappés par une vague d’attentats. Il s’agit d’une tendance plus générale où le nombre d’incidents violents liés à l’activité du groupe militant islamiste double chaque année depuis 2016.
En effet, l’engagement international s’avère souvent très instable et son objectif, qui est de mettre fin à la violence, est loin d’être atteint. Dans certaines régions, les pays hostiles ont isolé davantage les civils et les ont encore plus exposés aux groupes extrémistes. Dans les entrevues menées par le Remote Warfare Programme au Mali, les soldats ont rapporté que “ce qui motive le plus les gens à rejoindre des groupes extrémistes, c’est l’injustice*. De même, une étude menée par International Alert sur de jeunes peuls dans les régions Mopti (Mali), Sahel (Burkina Faso) et Tillabéri (Niger) a révélé que “les abus réels ou perçus de l’Etat sont le facteur majeur qui pousse les jeunes à rallier des groupes extrémistes violents”.
De plus, l’Union européenne organise actuellement des formations en instruction militaire de base pour de nombreuses troupes locales. Et bien que les forces armées maliennes (et le gouvernement) aient été accusées de préjugés ethniques, l’UE n’exerce aucune pression sur le gouvernement de Bamako pour qu’il engage des réformes structurelles. Cela s’avère particulièrement vrai “en ce qui concerne les forces d’autodéfense ethniques qui opèrent dans le centre et le nord du pays pour assurer la sécurité là où l’armée officielle ne peut pas intervenir (ou n’interviendra pas)”. Laisser une force non représentative se développer, dans le contexte des conflits actuels entre les différentes ethnies, surtout au Mali, pourrait avoir des effets particulièrement néfastes pour la sécurité à long terme. Si l’on ajoute à cela les nombreuses stratégies axées sur la sécurité qui sont adoptées dans la région, on remarque que les forces internationales manquent d’une stratégie cohérente.
Pourtant, malgré ces défis, certains gouvernements et organisations font la sourde oreille et ne veulent pas révéler les raisons réelles de leur implication dans la région. La France refuse de remettre à plat sa stratégie relative au Sahel, ce qui a poussé de nombreux opposants à la contester et à soutenir que la France risque de se taper la tête contre les murs à défaut de nouvelles ressources en soldats et en matériel. Certains désignent même le Mali comme “l’Afghanistan français” car “Paris ne sait plus quoi faire”. Malgré les inquiétudes croissantes quant à son approche, le gouvernement français reste impassible et ne veut pas communiquer sur ses objectifs, sa stratégie et les dangers liés à sa démarche actuelle.
Il en va de même pour le Royaume-Uni. De nombreux soldats, responsables et observateurs britanniques craignent que le “pivot pour le Sahel” de Londres manque de substance et qu’il consiste en un signal de bonne volonté, envoyé principalement à la France, sans découler pour autant de la conviction que le Royaume-Uni puisse réellement contribuer au maintien de la paix et à la stabilité de la région. Toutefois, le gouvernement ne veut pas débattre de sa stratégie. Par exemple, la commission des affaires étrangères l’a critiqué pour avoir qualifié son approche envers l’Afrique de “stratégie”, alors qu’il s’agissait uniquement d’un “catalogue de vœux pieux” auxquels il est difficile de ne pas souscrire, mais aussi qu’il est presque impossible d’appliquer. Heureusement, tous les pays qui envoient leurs troupes dans ces régions n’ont pas la même approche.
Contrairement à la France et au Royaume-Uni, le gouvernement danois s’est montré ouvert à l’idée de repenser et de débattre de sa stratégie pour le Sahel. Par exemple, certains hommes politiques ont abordé des sujets délicats, en particulier en ce qui concerne leur soutien à l’opération Barkhane, en faisant observer que la contribution du pays servirait à courtiser les Etats-Unis, le Royaume-Uni et la France et ne reposerait pas sur une analyse sérieuse de la valeur stratégique d’un tel apport. Certains craignaient également que cette démarche puisse s’inscrire dans un effort international qui ne tient pas suffisamment compte des besoins des partenaires locaux et régionaux. Le parlement danois a quand même voté en faveur du soutien aussi bien pour la mission des Nations Unies que pour l’opération Barkhane, mais le gouvernement a été contraint d’évoquer publiquement, avant le déploiement, les risques potentiels qui y sont liés ainsi que les moyens de les éliminer.
La catastrophe qui a eu lieu en novembre nous donne un aperçu de ces dangers potentiels et, avec l’instabilité persistante du Sahel, il va de soi que davantage de soldats et de civils vont payer le prix du plan d’action antiterroriste international. Ainsi, l’attitude du Danemark en ce qui concerne l’engagement au Mali pourrait permettre aux autres capitales européennes de tirer quelques enseignements essentiels. En particulier, des pays comme la France et le Royaume-Uni, une fois leurs troupes déployées, doivent se montrer francs et honnêtes sur leurs objectifs et la manière dont ils veulent les atteindre.