Agression transphobe à Paris: «Les victimes franchissent maintenant les portes des commissariats et brisent la loi du silence»

INTERVIEW Pour Joël Deumier, président de SOS Homophobie, « la parole des victimes de LGBTphobies s’est libérée »

Propos recueillis par Manon Aublanc

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Manifestation lors de la 16e marche d'Existrans pour dénoncer la "marginalisation des populations trans" et réclamer le droit a changer d'état civil, le 20 octobre 2012 à Paris.
Manifestation lors de la 16e marche d'Existrans pour dénoncer la "marginalisation des populations trans" et réclamer le droit a changer d'état civil, le 20 octobre 2012 à Paris. — KHANH RENAUD/SIPA
  • Une femme transgenre a été prise à partie, insultée et frappée par plusieurs individus, ce dimanche, place de la République, à Paris.
  • L’agression, qui a été filmée et diffusée sur les réseaux sociaux et les médias, a suscité l’indignation de nombreuses associations et élus. Une enquête a été ouverte par le parquet de Paris.
  • Selon SOS Homophobie, les actes transphobes ont augmenté de 53 % en 2018.

Une scène de plus en plus récurrente. Une femme transgenre a été prise à partie, insultée et agressée par plusieurs individus, ce dimanche, place de la République à Paris, en marge d’un rassemblement politique pour la démission du président algérien Abdelaziz Bouteflika.

Selon le rapport 2018 de SOS Homophobie, les actes transphobes ont augmenté de 53 % en un an. En 2017, l’association a reçu plus de 186 témoignages, contre 106 en 2016. Ces actes seraient-ils en train de devenir monnaie courante ? 20 Minutes a interrogé Joël Deumier, président de l’association SOS Homophobie, qui a réuni les derniers chiffres de la transphobie dans son rapport annuel de 2018.

Pourquoi les chiffres sont-ils en hausse ?

Il y a deux causes. D’une part, il y a une véritable libération de la parole des victimes, les personnes trans osent davantage parler. Les victimes franchissent maintenant les portes des commissariats et brisent la loi du silence. Depuis 2016, une nouvelle loi a permis de faciliter le changement d’état civil pour les trans. Cette nouvelle législation leur a donné plus de droits, ils se sentent plus légitimes à parler et mieux armés pour dénoncer ce qu’ils subissent.

D’autre part, il y a une persistance de la transphobie dans notre pays, et surtout sur Internet. Le Web est le premier théâtre des actes transphobes. Les réseaux sociaux, et spécialement Twitter, sont la caisse de résonance de la transphobie. Pourquoi ? Parce qu’ils sont très mal régulés. Quand des internautes postent des contenus transphobes et qu’ils ne sont jamais punis, ça incite les autres à passer à l’acte. L’impunité sur les réseaux sociaux a de véritables conséquences dans la vraie vie.

Les débats sur le mariage pour tous ont-ils libéré la parole transphobe ?

Oui, depuis les débats sur le mariage pour tous, on voit un retour en force de la parole LGBTphobe. Et ces paroles, on les a retrouvées dans le débat public et notamment de la part de certains élus. Quand la parole transphobe arrive dans le débat public, ça a des répercussions, ça incite certaines personnes à passer à l’acte.

Dans quel contexte ont lieu les actes transphobes ? Y a-t-il des régions plus touchées que d’autres ?

C’est malheureux, mais la transphobie est présente sur tout le territoire français. Métropoles, petites villes, banlieues, campagne… Personne n’est épargné. Le plus souvent, ce sont des moqueries ou des mauvaises blagues, sous couvert d’humour. Tout le monde est potentiellement concerné par ce genre de petites blagues distillées à cause des préjugés lors d’un dîner ou d’une soirée.

Et les actes transphobes sont partout et à tous les âges : à l’école, en classe et dans les cours de récréation, par les élèves ou les professeurs ; au travail, par les collègues ou même lors de l’embauche ; dans les lieux publics, comme c’était le cas pour l’agression de dimanche ; ou encore dans le domaine de la santé, où le personnel ne tient pas toujours compte de la transidentité du patient.

Qu’attendez-vous des autorités et des pouvoirs publics ?

La classe politique a condamné à l’unanimité l’agression qui a eu lieu dimanche. Mais les paroles ne suffisent pas, il faut des actes. On veut que la loi sur le changement d’état civil évolue, la procédure est trop longue et trop lourde pour les personnes trans. C’est aux pouvoirs publics d’améliorer l’inclusion des personnes trans : ça passe d’abord par une meilleure formation des enseignants et du personnel de l’Education nationale, mais aussi celle des policiers et des magistrats.

Si on observe que les policiers sont un peu plus sensibilisés qu’avant, notamment grâce à l’association Flag !, [Association qui défend les policiers et gendarmes victimes d’homophobie, de lesbophobie ou de transphobie au sein de la police nationale, la gendarmerie nationale et la police municipale], on reçoit encore énormément de témoignages de personnes trans qui sont mal accueillies dans les commissariats. Certains policiers minimisent les faits, ou pire, refusent de prendre la plainte. Il faut absolument continuer la formation des policiers pour permettre aux victimes d’être mieux prises en charge.