Les personnes trans ne font pas que mourir, on les empêche de vivre!

Les préjugés, les stéréotypes, les discriminations ainsi que les menaces relatives aux sanctions morales, font planer sur la santé des personnes trans des incertitudes fortes, aux conséquences désastreuses.

TDoR. Il arrive le 20 novembre de chaque année et passe relativement inaperçu, à part dans certains réseaux militants. Le Transgender Day of Remembrance (TDoR) (en français, la Journée du souvenir trans) est la journée où l'on commémore les personnes trans qui sont mortes assassinées, tirées à bout portant, poignardées, étranglées. Des données colligées par Transgender Europe suggèrent que 325 personnes trans ont connu des morts violentes de par le monde entre le 1 octobre 2016 et le 30 septembre 2017. Si 325, c'est déjà beaucoup, on peut présumer que les chiffres réels se situent largement au-delà de ce constat, la majorité des meurtres transphobes n'étant tantôt pas classés comme des crimes haineux, tantôt encore erronément rapportés sous le sexe et le nom (deadname) assignés à la naissance des victimes.

La National Coalition of Anti-Violence Programs compile les données portant sur les violences à l'égard des personnes LGBT aux États-Unis. Dans leur dernier rapport annuel, ils rapportent que 68% des homicides anti-LGBT recensés dans le pays avaient eu pour cibles des personnes trans ou considérées comme non conformes par rapport au genre socialement attendu, alors que 61% d'entre eux avaient causé la mort de femmes trans racisées.

Comment expliquer l'opaque silence qui règne autour de ces assassinats qui, s'ils touchaient aussi systématiquement d'autres populations, seraient considérés comme des priorités des corps policiers, ou à tout le moins comme un enjeu majeur de santé publique? Il faut comprendre que ce sont disproportionnellement des femmes, des femmes racisées, souvent en situation de prostitution, parfois immigrées, avec les difficultés qu'engendre leur prise de parole dans l'espace public. Ensuite, en France comme ailleurs, la faible préoccupation pour les réalités trans peut être due au manque de compréhension de leur parcours. Le recours à la prostitution, que plusieurs pratiquent, est encore largement marginalisé et ne présente pas de consensus social.

Mais les personnes trans ne font pas que mourir: on les empêche aussi de vivre. Les préjugés, les stéréotypes, les discriminations ainsi que les menaces relatives aux sanctions morales, font planer sur la santé des personnes trans des incertitudes fortes, aux conséquences désastreuses. Si l'accès aux soins de santé des personnes trans commence à préoccuper, la prise en compte de ces questions reste bien trop souvent circonscrite à la sphère psychiatrique. Or, bien entendu, la santé des personnes trans est loin de se résumer aux hormones (https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-01493309/), aux opérations et à la psychiatrie. Si ne pas mourir, c'est rester en vie et bien vivre, alors, de l'école au vieillir, c'est la santé globale des personnes qu'il faut prendre en considération.

Les résultats préliminaires d'une enquête en cours menée par Arnaud Alessandrin, Johanna Dagorn, Anita Meidani, Gabrielle Richard et Marielle Toulze tend à montrer que les personnes trans sont les premières victimes de parcours de santé aléatoires et précaires. Cette enquête, financée par la DILCRAH, porte sur la santé des personnes LGBTI (lesbiennes, gays, bisexuelles, trans et intersexes). Largement représentées dans un échantillon de plus de 1147 répondant.e.s, les personnes trans rapportent à hauteur de 75% se sentir discriminées dans l'espace du soin – là où le taux moyen pour l'ensemble des personnes LGBTI se situe autour de 58%. Elles sont également 1.7 fois plus nombreuses (+70%) à ne jamais ou rarement être accompagnées lors de leurs interactions avec les services de santé (qu'il s'agisse de prévention ou de soins). Cet isolement dans les parcours de soins souligne les phénomènes de gêne, de honte mais également de solitude qu'éprouvent les personnes LGBTI et notamment les personnes trans. Si les réseaux sociaux contrebalancent le phénomène, ils ne compensent jamais réellement cet isolement.

La situation trouve un écho particulier dès l'école. Si on se penche sur la santé scolaire des personnes trans (et queer, c'est à dire qui ne se reconnaissent pas dans les normes "femmes" et "hommes", "féminin" et "masculin"), on constate que, déjà à l'école primaire, elles expérimentent un climat scolaire terni par des peurs et des discriminations:

Il en va de même au collège: alors qu'environ 35% des élèves LGBTI rapportent s'y être sentis plutôt "pas bien", c'est le cas de plus de 50% des personnes trans. Lorsqu'il s'agit d'évaluer le nombre de personnes trans et queer qui ont pu en parler à l'infirmier.e scolaire, le nombre de témoignages s'effrite de façon importante.

Apprendre que son corps et sa santé sont précieux, que le soin à soi est primordial, n'est pas donné d'emblée aux individus, encore moins aux minorités qui peuvent vivre (ou anticiper vivre) le doute, l'opprobre, la honte. La bienveillance et la bien-traitance entrées depuis peu dans les obligations de l'Éducation nationale doivent s'appliquer à tous les êtres humains, sans égard à leur singularité ou à leur identité. A travers les résultats préliminaires de cette enquête, force est de constater que le parcours de soins des personnes trans en France est largement marqué par les discriminations. Alors que nous commémorons les mort.e.s de la transphobie, peut-être pourrions-nous aussi penser à celles et ceux qui, déconsidéré.e.s dans leurs parcours de santé, ont été et continuent d'être empêché.e.s de vivre, et de vivre pleinement.

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Gabrielle Richard, Arnaud Alessandrin et Johanna Dagorn sont sociologues, en charge de la recherche SANTE LGBTI. (Dilcrah).

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