·Posted on 11 déc. 2017 Isolées, insultées, violées : le calvaire des femmes transgenres en prison Chloë est une femme, transgenre. Elle a passé 16 ans dans une prison pour hommes. Ariana a passé plusieurs mois chez les hommes et elle a menacé de mettre fin à ses jours pour en sortir. Incarcérées selon leur état civil et victimes d'un flou juridique, les femmes transgenres purgent en réalité bien plus qu'une peine en détention. Rozenn Le Carboulec -- d’arriver en France. Pourtant, c'est la prison, où elle n’a passé que trois jours, qui reste «la pire expérience» de sa vie. Un séjour à la maison d'arrêt de Lille (Nord), où elle a été transférée en 2014, «encerclée par une dizaine de policiers». «Les autres détenus étaient dans la cour, ils criaient "on ne veut pas de femme ici !". Ils -- Paola a été incarcérée dans un établissement pour hommes, comme la grande majorité des femmes transgenres avec un état civil masculin et n'ayant pas subi d'opération dite «de réassignation génitale». En France, comme dans de nombreux pays, c’est le sexe inscrit sur les -- officiellement. «Les hommes et les femmes sont incarcérés dans des établissements distincts, précise l’article D248 du code de procédure pénale. Mais qu’en est-il des personnes trans ou de genre non-binaire* ? Qu’est-ce qu’un homme, qu’est-ce qu’une femme, aux yeux de l’administration pénitentiaire ? Celle-ci semble bien avoir du mal à s'emparer de la question, alors que les détenu.e.s transgenres — en grande majorité des femmes — sont «les plus en souffrance» en prison, d’après Adeline Hazan, la Contrôleuse générale des lieux de privation -- L'actualité récente l'a ainsi démontré, avec les conditions de détention «préoccupantes» d'une femme transgenre américaine nommée Kara B., condamnée dans l'affaire de la voiture incendiée. L'histoire de Paola est loin d'être un cas isolé. Daiana, Chloë, Ariana et Beatriz, qui ont également accepté de témoigner, ont toutes été incarcérées dans des établissements pour hommes, en dépit d'une transition de genre parfois très avancée. Ryan Pattie / BuzzFeed -- cellule du bâtiment D3, où a été aménagé un quartier spécifique pour les détenus dits «vulnérables», parmi lesquels plusieurs femmes transgenres. Six, environ, y étaient enfermées à son arrivée, en décembre 2012. -- raconte-t-elle, les larmes aux yeux encore aujourd’hui. Le 13 janvier 2012, Ariana est finalement transférée à la maison d’arrêt pour femmes de Fleury. Mais le soulagement est de courte durée : trois mois plus tard, l’administration pénitentiaire ordonne son -- consultation gynécologique avait été refusé tout au long de sa détention en quartier hommes. Puis on m’a dit, "maintenant qu’on voit que vous êtes une femme, vous allez être transférée chez les femmes, à Fleury".» -- Dans cette cacophonie, difficile de savoir finalement quelle règle prime pour les personnes trans, tantôt réduites à leurs organes génitaux, tantôt à leur état civil. Alors chacun se débrouille comme il peut, quitte à parfois contourner la loi. -- ambulatoires de la maison d’arrêt de Fleury-Mérogis durant 13 ans, admet avoir à plusieurs reprises préconisé une détention chez les femmes pour des personnes transgenres opérées, mais possédant encore un état civil masculin. «J’ai aussi souhaité que soient placées en détention pour femmes des transgenres non opérées mais d’allure très féminine. Cependant, l’administration pénitentiaire a ensuite refusé ce genre de détention en fonction d’une note de rappel de Christiane Taubira, -- C’est un engrenage dans lequel je ne veux pas rentrer.» Sur une dizaine de suivis depuis 2000, elle affirme n'avoir eu «aucune expérience négative avec une personne transgenre opérée chez les femmes» : «Toutes celles qui souhaitaient des hormones en ont eu.» Ryan Pattie / BuzzFeed -- traitements est loin d’être acquis, pour cette population qui cumule déjà souvent les soucis de santé. «Très clairement, les personnes transgenres ont plus souvent des hépatites et le VIH, elles sont nombreuses à avoir des vies difficiles, dans des situations très précaires», fait remarquer Anne Lécu. -- qu’elles me voient, maximum un mois après leur arrivée. Je donne toujours un traitement hormonal, mais si elles ont d’autres soucis, liés ou non à leur transsexualité, c’est compliqué», raconte pour sa part l'endocrinologue Alfred Penfornis, qui intervient une fois par mois à la maison d’arrêt des hommes de Fleury et une tous les deux -- mes hormones, je n’en ai eu que deux mois avant que je sorte», raconte Beatriz. Même constat pour Ariana, qui en a beaucoup souffert : elle a dû attendre d’être transférée chez les femmes pour en bénéficier. Daiana confie quant à elle avoir été privée d’hormones en raison de son hépatite C. Alors qu’elle vivait déjà avec le VIH (dont la charge -- déprimée. S’ils ne m’avaient pas libérée, je serais morte car ils ne faisaient rien pour moi.» En décembre 2013, elle est finalement transférée à l’hôpital parisien de la Pitié-Salpêtrière, où ils lui diagnostiquent la maladie de Hodgkin, un cancer du système lymphatique, et subit une opération. -- pourrait éviter», met en avant le surveillant de Caen. Ce qui vaut pour les fouilles également. Car c’est en réalité dès leurs premiers pas en prison que les personnes trans sont victimes de la confusion la plus totale, et sans doute la plus flagrante, de l’administration pénitentiaire. -- préservent le respect de la dignité inhérente à la personne humaine», dispose l’article R57-7-81 du code de procédure pénale, difficilement applicable aux personnes trans. En 2010, la directrice du centre pénitentiaire de Caen, Karine Vernière, pense donc bien faire en ordonnant que la fouille à corps de Chloë soit réalisée par deux -- Ryan Pattie / BuzzFeed Une transphobie exacerbée en prison Du côté des surveillants, pas formés aux problématiques transidentitaires, ça dégénère. Entre les murs se cristallise alors la transphobie de la société, exacerbée par un système inadapté. En 2010, un tract d'un surveillant de la CGT pénitentiaire fait mention, en parlant de Chloë, d’un «détenu dont on ne sait pas s'il est mâle ou femelle et qui nous enquiquine (pour ne pas dire autre chose) et accessoirement, nous fait passer pour des cons en extraction…». Cette transphobie des gardiens, Beatriz ne s’en souvient que trop bien : «Quand des trans qui ne parlaient pas français sont arrivées, ils en ont profité pour les traiter de "travelos". Même les filles surveillantes se moquaient : "Regardez, c’est un travesti !" C’est -- S'il est impossible d'avoir des données précises à ce sujet en France, plusieurs enquêtes américaines ont mis en avant la prévalence des abus sexuels chez les détenu.e.s trans. Dans un rapport, le bureau des statistiques du ministère de la Justice américain affirmait qu'en 2011-2012, 33,2 % des personnes transgenres incarcérées dans les prisons fédérales et d'Etat avaient été agressées sexuellement par un autre détenu, contre 4 % pour l'ensemble de la population carcérale. -- mettre en avant les particularités de l'établissement», rapporte le gardien du centre pénitentiaire. «Ils y abordent aussi la spécificité des détenus transgenres», ajoute-t-il. Pour s'adresser aux personnes trans, lui s'en tient néanmoins au règlement et à l'état civil, comme bon nombre de ses collègues : «Ce sont des détenus hommes, assure-t-il. On ne peut pas dire "elles".» -- l'association Acceptess-T a proposé à l'Enap, l'Ecole nationale de l'administration pénitentiaire, de sensibiliser les personnels aux spécificités de la transidentité à travers des modules de formation. «Mais envoyé il y a plus de deux ans, notre courrier est resté sans réponse, si ce n'est un accusé de réception», déplore Giovanna Rincon, présidente de l'association, qui rend régulièrement visite aux détenues trans de Fleury-Mérogis pour les accompagner dans leurs démarches. Interrogé par BuzzFeed News à ce sujet, Youssef Badr, porte-parole du ministère de la Justice, affirme : -- Au motif d'assurer leur sécurité dans un tel contexte, de nombreuses personnes transgenres sont placées à l'isolement ou dans des quartiers spécifiques. «Mais techniquement, les deux correspondent à la même chose», estime Amélie Morineau, qui a été responsable du Groupement -- Pas d'améliorations depuis l'avis du CGLPL Au 1er novembre 2016, 13 personnes transgenres étaient détenues en France, selon le ministère de la Justice, qui estime que ce nombre varie de 15 à 30 suivant les années : «Elles étaient incarcérées dans -- François Bès. Le 30 juin 2010, après avoir été saisi par Chloë, Jean-Marie Delarue, alors CGLPL, avait publié au journal officiel un «avis relatif à la prise en charge des personnes transsexuelles incarcérées». Il y dénonçait déjà «l'absence de principes directeurs» et émettait une série de recommandations, parmi lesquelles la -- d’état civil présentés lors des formalités d’écrou. Cette identité peut toutefois ne pas correspondre à leur genre apparent. A ce titre, l’affectation des personnes transsexuelles s’effectue dans les faits au mieux des intérêts de la personne (encellulement individuel, affectation dans un secteur de détention favorisant la -- Erwann Binet et Pascale Crozon, ex-députés PS, ont découvert cette problématique au cours de leurs auditions pour l’amendement visant à faciliter le changement d’état civil des personnes trans. «J’avais parlé de la situation des transsexuels en détention lors de la première réunion du groupe d’études sur les prisons, parce que je venais d’être confrontée à un témoignage d’une femme incarcérée chez -- Aux yeux d’Erwann Binet, nul besoin de loi pour améliorer le quotidien des personnes transgenres incarcérées, mais «simplement de directives claires et harmonisées de la garde des Sceaux». « Il faut qu’on se préoccupe de cette situation place Vendôme, or à ce jour personne ne -- continue à être régulièrement condamnée par la Cour européenne des droits de l'homme pour ses conditions de détention, mais également la manière dont elle traite les personnes transgenres ? En janvier 2016, un rapporteur spécial des Nations unies a présenté au Conseil des droits de l’homme un rapport sur «la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants et la manière dont ils touchent spécifiquement les femmes et les lesbiennes, gays, bisexuels et transgenres». Et pendant ce temps-là, d’autres pays envisagent des évolutions, jugées plus ou moins bénéfiques. En 2010, l’Italie prévoyait d’ouvrir à Pozzale, en Toscane, une prison n’accueillant que des personnes trans, mais le projet n’a finalement pas abouti. Pour François Bès, de l’OIP, il était de toute façon «contre-productif, puisqu’encore discriminant» : «En créant des ghettos, on prive les gens