
Que faire d’un apatride une fois qu’on lui a retiré sa nationalité française ? Dans cet interminable débat autour de la notion de déchéance de nationalité, que le gouvernement a inscrit dans le projet de révision constitutionnelle adopté par l’Assemblée nationale mercredi 10 février, ce point a peu été évoqué. Il est pourtant important : la mesure a pour but « d’éloigner » la menace djihadiste du pays.
Une peine symbolique
Rappelons brièvement les termes du débat :
- Il s’agit de pouvoir priver de la nationalité française une personne qui commet des actes terroristes contre la France. C’est actuellement possible uniquement pour les personnes qui ne sont pas nées françaises, et qui ont donc acquis leur nationalité au cours de leur vie (depuis moins de quinze ans dans les cas de terrorisme).
- Le projet de loi voudrait permettre cette déchéance sans limite d’âge d’acquisition de la nationalité. Mais cela pose un problème : si on veut déchoir un Français de naissance qui n’a pas d’autre nationalité, cela revient à créer un apatride.
- Si la France, qui n’a pas ratifié la principale convention relative à l’interdiction de l’apatridie, pourrait d’un point de vue strictement juridique sans doute le faire, cela aurait un coût politique et diplomatique certain, notamment auprès des institutions européennes, qui rend la mesure des plus hasardeuses.
- Si on se refuse à créer des apatrides, on crée de fait une situation d’inégalité, puisque ne pourront être déchus d’une nationalité que ceux qui en possèdent plusieurs, donc les binationaux, qui sont environ trois millions en France.
Malgré les multiples engagements de François Hollande et de Manuel Valls à ne pas créer d’apatrides, c’est néanmoins cette question qui occupe le centre des débats. Ainsi, dans un communiqué publié jeudi 11 février, Nicolas Sarkozy rappelle-t-il que, du point de vue des Républicains :
« Les Français qui trahissent la France ne méritent pas d’être Français. lls doivent être exclus de la communauté nationale. »
Mais un point a été peu soulevé durant ces débats : celui du devenir d’un Français que la France priverait de sa nationalité, en faisant un apatride. Si l’idée est avant tout de prévenir le retour de djihadistes partis combattre en Syrie ou en Irak, nombre de parlementaires y voient aussi une peine possible plus généralement contre des terroristes en France.
Des déchus « condamnés » à rester en France ?
Or, si la mesure peut empêcher des retours en France, elle risque d’avoir un effet inverse concernant un Français présent sur le territoire lorsqu’il est déchu de nationalité : ce dernier risquerait en fait, à l’issue de sa peine de prison, s’il en a eu une, d’être condamné… à rester en France.
Concrètement, un apatride n’a plus de citoyenneté, il n’est plus lié à un pays ou un Etat susceptible de l’accueillir. On ne peut donc pas l’expulser vers un pays tiers, sauf si ce dernier se porte volontaire pour l’accueillir. Mais cet accueil est suspendu à un certain nombre de conditions, notamment que l’expulsé ne risque pas de tortures ou de mauvais traitements là où il est envoyé.
La France a signé en 1954 une convention de l’ONU, ratifiée par la suite, par laquelle les Etats signataires s’engagent à accorder des droits aux apatrides (qui étaient nombreux après la seconde guerre mondiale) au moins équivalents à ceux des étrangers présents sur le sol français : droit à la justice, mais aussi de cotiser et de toucher des prestations si on travaille, et de percevoir certaines aides le cas échéant. L’apatride ne peut évidemment pas voter ni se présenter à une élection, et certains postes ne lui sont pas accessibles (fonction publique par exemple), mais il possède des droits.
Un apatride, sans passeport, puisque sans nationalité, se retrouverait donc dans une situation paradoxale, celle d’être un étranger dans son pays de naissance, dépourvu de citoyenneté et donc de passeport pour voyager, et réduit soit à vivre en France sans être français, soit à demander à un autre pays de lui accorder une citoyenneté.
Mais surtout, il serait alors toujours présent sur le territoire qui lui a retiré le bénéfice de sa citoyenneté car il en a été jugé indigne. « Exclu de la communauté nationale », pour reprendre le terme de Nicolas Sarkozy, mais vivant toujours sur son sol.