
Mehran Karimi Nasseri, apatride depuis la révolution islamique d'Iran, est resté à Roissy quinze ans. Une histoire immortalisée dans Le Terminal, de Steven Spielberg.
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Qu'ont en commun Oussama ben Laden, Daniel Cohn-Bendit et Albert Einstein? Ils sont ou ont été des apatrides. Le fondateur d'Al-Qaeda a été déchu de sa nationalité par l'Arabie saoudite, à la suite des attentats du 11 septembre 2001; le fondateur d'Europe Ecologie s'est passé d'un Etat d'appartenance jusqu'à l'âge de 14 ans avant de devenir allemand; le scientifique, lui, a volontairement abandonné la nationalité allemande.
La France accueille aujourd'hui plus de 1000 apatrides. Un nombre en baisse, après la recrudescence des cas lors de la dislocation du bloc de l'Est. Parmi les demandes de reconnaissance d'apatridie, déposées auprès de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra), plus de la moitié concernent des personnes nées en ex-URSS ou en ex-Yougoslavie. Plus récemment, les Kurdes de Syrie, déchus par Hafez el-Assad, ou les Biharis du Bangladesh ont été fortement représentés.
Ces "sans-pays" doivent souvent leur situation à une défaillance des registres d'état civil dans leur pays de naissance ou à la disparition pure et simple de leur Etat d'origine. C'est ce qui était arrivé à Mehran Karimi Nasseri, devenu apatride quand la République islamique d'Iran a remplacé l'Iran du chah. Bloqué à Roissy pendant plus de quinze ans, il est devenu une star à la sortie du film Le Terminal, de Steven Spielberg. "Il s'agit, dans chaque cas, de savoir si la personne qui demande le statut d'apatride l'est réellement", précise-t-on à l'Ofpra. Car, juridiquement, la qualité d'apatride ne se présume pas, il faut la démontrer "par des preuves suffisamment précises et sérieuses : un apatride n'est pas quelqu'un qui ne se revendique d'aucun Etat, mais une personne qu'aucun pays ne reconnaît".
Aucune existence légale
Au terme de son enquête, l'Office, dépendant du ministère de l'Immigration et de l'Identité nationale, octroie une carte de séjour temporaire à l'apatride. En 2009, pour 165 dossiers examinés, 59 décisions positives ont été enregistrées. Tant qu'ils n'ont pas de papiers, ces orphelins de patrie vivent un calvaire au quotidien: aucune existence, nul lieu auquel se rattacher. "Etre déchu de sa citoyenneté, c'est être privé de son appartenance au monde", écrivait la philosophe Hannah Arendt.
La Déclaration universelle des droits de l'homme consacre d'ailleurs comme liberté fondamentale le "droit à une nationalité". Le souvenir du régime nazi ou de la France de Vichy le retirant massivement aux Juifs et aux Tsiganes a marqué les esprits. C'est pour lutter contre cette mise au ban des nations que la Convention de New York de 1954, ratifiée par la France, a interdit la création de nouveaux apatrides. Ce texte prévoit toutefois des exceptions, comme le crime de guerre ou le crime contre l'humanité. Le droit français, lui non plus, ne veut pas créer d'apatrides: la déchéance de nationalité, applicable pour les "atteintes aux intérêts fondamentaux de la nation" (terrorisme, espionnage, etc.), ne concerne que les binationaux. Par ailleurs, la loi Guigou de 1998 l'a abrogée dans le cas des crimes de droit commun.
Le 30 juillet, à Grenoble, Nicolas Sarkozy a demandé une extension de la déchéance de nationalité. Le président devait arbitrer, le 6 septembre, entre les propositions de ses différents ministres. Comment tiendra-t-il sa parole tout en respectant la jurisprudence du Conseil constitutionnel et sans ruiner cinquante ans de lutte contre l'apatridie?