Les difficultés de la reconnaissance du statut d’apatride

|Jamila EL BANNOUDI, étudiante en Master 2 de droit international et européen à la Faculté de Droit, d’Economie, et de Gestion, Université d’Angers.

Ils s’appellent Mikhail, Zirek, Tofik, Yannik, Victoria ou encore Railya. Ils sont d’origine kurde, arménienne, azerbaïdjanaise, camerounaise, birmane. Si tout les oppose, un point les rassemble : ils n’appartiennent à aucun Etat. Ils sont apatrides en France et dans le monde.

« Et toi tu viens d’où ? », question brise-glace lorsque l’on rencontre quelqu’un. Qu’importe la réponse, l’origine a un lien fort avec la personne et éveille très souvent un sentiment de fierté. Mais qu’en est-il de ces personnes qui ne sont juridiquement rattachées à aucun Etat ? Ces personnes qui se voient refuser la nationalité d’un Etat alors même qu’elles en sont originaires ?

Selon l’article premier de la Convention de New-York de 1954, une personne apatride est une personne qu’aucun Etat ne reconnait comme un de ses ressortissants selon la législation dudit Etat. Selon le Haut-Commissariat des Nations Unies aux Réfugiés (HCR), il y aurait 10 millions d’apatrides dans le monde.

Prenons le cas de la France. La législation française prévoit différentes manières d’acquérir la nationalité. De plein droit tout d’abord si la personne a au moins un de ses parents français (droit du sang), si la personne est elle-même née en France de parents français ou non (droit du sol), ou encore à la majorité de l’enfant justifiant d’une résidence continue en France depuis l’âge de 11 ans. La nationalité peut être obtenue par déclaration, c’est un droit de la personne. On retrouve cette situation pour le conjoint d’un français par exemple. La naturalisation est la dernière possibilité pour une personne étrangère d’obtenir la nationalité française. Si la personne est en possession d’un titre de séjour, peut justifier d’une résidence habituelle et continue en France d’au moins 5 ans, il lui sera possible de déposer une demande de naturalisation auprès de la préfecture. Toutefois, si une personne ne remplit aucun de ces critères et ne justifie d’aucune autre nationalité elle est considérée comme apatride. Encore faut­‑il se voir reconnaître ce statut.

Le rapport d’activité de 2018 de l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) recense une augmentation constante des demandes de reconnaissance du statut d’apatride en France depuis 2012 (+158%). Les demandes sont classées par région de provenance, les personnes peuvent venir d’un pays de l’ex-URSS, de Birmanie ou encore d’un pays d’Afrique.

Yannick est devenu apatride à 32 ans suite à une erreur administrative de la part des autorités belges.
© HCR/ Benjamin Loyseau

Les raisons de l’apatridie sont diverses. Il peut s’agir d’une incohérence entre des législations, d’une déchéance ou d’un déni de nationalité, des lacunes dans les lois de nationalité (souvent basées sur des discriminations), de l’absence ou de la défaillance des registres d’état civil dans certains pays ou encore de transferts de souveraineté. L’apatridie peut être héréditaire, si l’Etat dans lequel la personne se trouve ne reconnait pas la nationalité selon le droit du sol.

D’office le statut d’apatride peut être reconnu à une personne provenant d’un Etat où il est de notoriété publique que son ethnie souffre d’un manque de reconnaissance de citoyenneté. Les Rohingyas en sont un exemple. Leur apatridie est reconnue puisque les membres de cette ethnie ne sont pas considérés comme des citoyens selon la loi birmane. Cette dernière énumère les ethnies possédant la citoyenneté, et énonce la compétence du Conseil d’Etat birman pour déterminer si une autre ethnie peut prétendre à la citoyenneté birmane. Toutefois, en 2016, les personnes birmanes ayant présentées une demande de reconnaissance du statut d’apatride ne représentaient que 14,3% des demandes en France. Le voyage entre la Birmanie et la France étant long et pénible, très peu de demandes fondées sont recensées. De plus, la façon la plus fiable de reconnaître un membre de l’ethnie Rohingya est sa langue, or il y a très peu d’interprètes en France.

Pour en revenir aux textes, la convention de New-York de 1954 a été retranscrit en France à l’article L812-1 du Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (CESEDA) pour lui donner force obligatoire. Cet article renvoie seulement à l’article 1er de la Convention sans le citer. Ainsi, il semble plutôt facile de se voir reconnaître la qualité d’apatride. Puisque partant de ces textes, il suffirait d’être une personne n’ayant pas d’Etat de rattachement, d’Etat national. Seulement voilà, si la convention de 1954 et le CESEDA ne précisent pas les conditions à la reconnaissance de la qualité d’apatride, il en existe bel et bien.

C’est la jurisprudence qui vient poser des conditions à la recevabilité d’une demande. La personne qui revendique le statut d’apatride doit prouver qu’elle a effectué des démarches répétées et assidues dans les pays dont elle peut revendiquer la nationalité et doit pouvoir attester des refus essuyés par les autorités compétentes étrangères [Conseil d’Etat, Thammi, 30 décembre 1996, n°162100].

Cependant, ces conditions ne prennent pas en compte les conditions de traitement à l’étranger, les discriminations auxquelles certaines personnes peuvent faire face ou tout simplement les différences d’organisation des administrations. Si en France, nous sommes très stricts sur les justificatifs, les délais, il n’en est peut-être pas autant à l’étranger. Ainsi, le HCR considère que le niveau de preuve exigé ne doit pas être trop élevé et doit prendre en considération les difficultés, pour la personne, à prouver l’apatridie. Il ajoute également que l’administration doit prendre en compte les explications du demandeur quant à l’absence des documents exigés [Manuel sur la protection des apatrides, HCR]. En 2018, seulement 21,7,3% des demandes recevaient une réponse favorable, pour 420 demandeurs du statut d’apatride [OFPRA].

En outre, il ne faut pas occulter la fragilité de la situation d’un apatride. Ce n’est pas faute pour la convention de New-York de prévoir l’obligation pour les Etats d’octroyer certains droits civils et politiques aux apatrides et d’imposer une égalité de traitement des nationaux [Manuel sur la protection des apatrides, HCR].Toutefois, en pratique ces personnes ne peuvent jouir de leurs droits les plus fondamentaux. Il existe une inégalité dès le stade de la demande de reconnaissance du statut d’apatride. En effet, si un demandeur d’asile en France bénéficie, lors de l’instruction de sa demande, d’un droit au logement, d’un droit à l’éducation et d’un droit à la santé, tel n’est pas le cas des demandeurs du statut d’apatride [OFPRA]. A bien d’autres égards, le statut d’apatride est une situation précaire. Ils ne peuvent bénéficier d’une protection étatique, les tâches du quotidien sont plus compliquées à réaliser. Le simple fait de travailler nécessite un rattachement juridique à l’Etat ou encore l’ouverture d’un compte bancaire, l’obtention d’un logement. Ce sont là des droits inhérents à la citoyenneté dont des millions de personnes sont privées dans le monde. Et ce ne sont pas les conditions exigeantes d’octroi du statut d’apatride ainsi que la précarité des demandeurs lors de l’instruction qui pourraient leur permettre de sortir de ce cercle vicieux.


Vous aimerez aussi...

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.

Rechercher dans OpenEdition Search

Vous allez être redirigé vers OpenEdition Search