Secteur Vivre Ensemble
Facebook Twitter Vimeo

DOSSIER : - Dossier | Les laissés-pour-compte de la Loi sur l’immigration

Dossier | Les laissés-pour-compte de la Loi sur l’immigration

SOMMAIRE DU BULLETIN

Webzine Vol. 13 no 44
PRINTEMPS 2005

Apatride : À la recherche d’un chez-soi

Par : Julie Jeannotte et Glynis Williams

Quelle plus grande solitude de savoir que vous n’appartenez à nulle part? Cette question philosophique est au cœur de la tragédie de l’apatridie. Les personnes apatrides se voient refuser le droit le plus primaire qu’est celui d’appartenir à un pays et d’être protégées par celui-ci.

En d’autres mots, le droit d’exister leur est contesté. En termes de survie, chaque droit humain fondamental tel que le droit à l’éducation, à des soins de santé, au logement, au travail, à la propriété et à la mobilité peut être affecté.

Selon l’article 15 de la Déclaration universelle des Droits de l’homme, « Tout individu a droit à une nationalité ». Parfois appelé « le droit de posséder des droits », la nationalité (ou citoyenneté) est le critère fondamental qui dis­tingue ceux qui sont inclus dans une société de ceux qui sont exclus et qui restent impuissants face à l’État et à la société. (Brouwer, 2003, UNHCR)2.

Un apatride est une personne qui, aux termes de la législation nationale, ne possède le lien juridique de la nationalité avec aucun État. Cette personne n’a le statut de citoyen dans aucun pays.

Tous les pays sont touchés par ce fléau de la même façon que tous les pays ont des lois qui déter­minent qui est citoyen et qui ne l’est pas. Ces approches ne sont pas toujours harmonisées entre les États.

L’apatridie est étroitement liée à la problématique des réfu­giés étant donné que ces deux groupes ont traditionnellement reçu protection et assistance de la part d’organismes d’aide interna­tionaux. Un apatride peut être un réfugié s’il a été contraint de quitter le pays où il résidait habituellement en raison de persécutions. Cependant, tous les apatrides ne sont pas des réfugiés, et de nombreux apatrides ne quittent jamais leur pays de résidence. De même, certains réfugiés sont aussi des apatrides. Les individus qui sont apatrides mais non réfugiés sont parmi les plus vulnérables et marginalisés au Canada comme ailleurs. Il est impossible de définir l’étendue de l’apatridie, mais le Haut Commis­sariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR) en estime le nombre à plusieurs millions à travers le monde.

Ce qui engendrent l’apatridie

Plusieurs situations peuvent causer l’apatridie. En voici quelques exemples :

Un transfert de territoire ou de souveraineté, qui entraîne le changement de la nationalité des citoyens de l’ancien État ou des États, peut rendre apatrides certaines personnes. Ce fut notamment le cas avec la disso­lution de l’Union Soviétique et de la Palestine.

Le fait de renoncer à sa nationalité sans avoir acquis, ou reçu l’assurance d’acquérir, une autre nationalité.

Dans certains pays, le mariage ou la dissolution du mariage, entraîne automati­quement la perte de la nationalité. Dans ce cas, les femmes sont plus exposées que les hommes au risque de devenir apatrides.

Un enfant né de parents apatrides.

Des pratiques discrimina­toires fondées sur l’appartenance ethnique, la religion, le sexe, la race ou les opinions politiques, lors de l’octroi ou du refus de la nationalité. Par exemple, les gitans de l’ex-Tchécoslovaquie, qui ne se qualifiaient pas pour la citoyenneté dans la nouvelle République Tchèque.

Le droit international et l’apatridie

Deux conventions des Na­tions Unies portent sur l’apatridie. Dans la Convention de 1954 relative au statut des apatrides «le terme apatride désigne une personne qu’aucun État ne considère comme son ressortissant par l’application de sa légis­lation. » (Article 1 (1)). La Convention cherche à régulariser et à améliorer le statut légal des personnes apatrides ainsi qu’à garantir que l’État dans lequel ils résident protègent leurs droits fondamentaux. Cela encourage la naturalisation de la personne apatride mais n’exige pas de l’État qu’il lui accorde la nationalité. Plutôt, son principal objectif est de garantir un statut légal et un niveau minimal de protection pour la personne apatride. Aucun organisme ne la supervise direc­tement. C’est pourquoi on l’appelle quelques fois la « convention orpheline ».

Le Canada n’est pas signataire de cette Convention pour trois raisons. Le Canada croit que notre législation fournit une protection suffisante aux personnes apatrides se trouvant au Canada. Il pense que le fait de signer cette conven­tion encouragerait les personnes apatrides à venir au Canada et les personnes qui se trouvent déjà au Canada à renoncer à leur citoyenneté d’origine pour devenir apatride.

La Convention de 1961 sur la Réduction des cas d’apatridie a pour but de réduire le nombre de futurs cas d’apatridie en instaurant des standards internationaux pour des lois nationales sur l’acquisition ou la perte de la nationalité. Cette Convention soutient que la nationalité devrait être accordée à ceux qui seraient autrement apatrides, et qui ont un lien effectif avec l’État dans lequel il se trouve, soit par naissance ou par descendance. En 1974, l’Assem­blée Générale de l’ONU a formellement exigé que le HCR se voit attribuer les fonctions annoncées dans cette Conven­tion, suite à l’échec d’une proposition d’établir un tribunal indépendant. Le Canada est signataire de cette Convention.

L’expérience canadienne

Les lois portant sur la citoyen­neté canadienne sont considérées comme étant parmi les plus libérales au monde en garantissant la citoyenneté autant sur la base de la naissance en territoire canadien que sur la base de la naissance à l’étranger de parents canadiens. Il existe trois façons de perdre la citoyenneté canadienne: la renonciation, la révocation ou le fait de ne pas enregistrer une seconde génération canadienne à l’étranger. Pour se voir révoquer sa citoyenneté, il doit y avoir fraude, fausse déclaration ou dissimulation intentionnelle de faits essentiels. Il est possible d’en appeler de cette décision à la Cour fédérale.

Les dispositions concernant la perte de citoyenneté due au fait de ne pas avoir enregistré une naissance ou pour la révocation n’inclut aucune référence aux potentielles conséquences qui peuvent résulter de l’apatridie. Cela signifie que, même si le Canada est en conformité avec la Convention de 1961 sur la réduc­tion de l’apatridie, il n’y a, dans notre législation, aucune place à amélioration. Une solution serait de rendre explicite la référence au principe d’évitement de l’apatri­die dans la section d’interpréta­tion de la Loi sur la Citoyenneté.

La protection des réfugiés

Certaines personnes apatrides au Canada ont su trouver une solution durable à leurs problèmes lorsque leurs cas furent acceptés à la Commission de l’Immigration et au Statut de Réfugié (CISR) comme réfugiés au sens de la Convention. Vraisemblablement, leur situation a rencontré les conditions de la définition de la persécution d’un réfugié. Tel que mentionné précédemment, il y a d’autres personnes apatrides dont la situation ne pourra corres­pondre à la définition de réfugié au sens de la convention.

La Loi sur l’Immigration et la Protection des Réfugiés (LIPR) ne fait état d’aucune condition spéci­fique pour les personnes apatrides. Ce manque de distinction envers l’apatridie est aggravé par la défi­nition d’un « étranger » dans la LIPR qui le décrit comme suit : « une personne autre qu’un citoyen canadien ou un résident permanent ; la présente définition vise également les apatrides. » Les personnes apatrides, par défini­tion, ne sont pas considérés comme étant ressortissants de quelque État, ainsi, la législation canadienne semble nier la vulnérabilité particulière associée à l’apatridie.

Suivant le refus de la revendi­cation du statut de réfugié, une application pour la résidence permanente basée sur des motifs humanitaires peut être soumise. Cette procédure répertorie plu­sieurs catégories devant être prises en considération par les agents d’immigration. L’apatridie n’est pas une de ces catégories. Une catégorie qui serait utile dans ce contexte serait « l’impossibilité prolongée de quitter le territoire menant à l’établissement ».

Les personnes apatrides ne peuvent être facilement ou rapidement renvoyées du Canada puisqu’il n’y a généralement aucun pays prêts à les accepter. De plus, beaucoup rencontrent des difficultés dans l’intégration à l’emploi, ce qui handicape gran­dement la possibilité de démon­trer leur intégration sociale et économique. Même si les procé­dures de demandes pour des motifs humanitaires accordent à un agent d’immigration la discrétion dans la prise de décision, le manque de référence explicite à l’apatridie est problématique.

L’examen des Risques Avant Renvoi (ERAR) est la dernière procédure qui est disponible pour les demandeurs d’asile ayant été refusés et pour d’autres, une fois que ces personnes sont dites « prêtes au renvoi ». Les per­sonnes apatrides n’ont pas les documents nécessaires pour voyager et, ainsi, ne peuvent tirer profit de cette procédure. En dépit de tout, les raisons pour la consi­dération sous l’ERAR sont iden­tiques à celles pour la détermi­nation du statut de réfugié de la CISR, ce qui signifie que seule­ment une nouvelle preuve n’ayant pas été disponible lors de l’au­dience peut être soumise. L’apatridie n’est pas un facteur dans les procédures d’ERAR.

Réétablissement de l’étranger

Le réétablissement de l’étran­ger est une autre façon par laquelle le Canada procure une protection à ceux qui sont considérés comme réfugiés au sens de la Convention outre-frontière ou de personne protégée à titre humanitaire outre-frontière. Cette catégorie englobe une plus large compréhension de ceux qui ont besoin de protection, mais est muette quant à la situa­tion de l’apatridie. Les personnes apatrides, en l’absence de persé­cution sur la base de l’un des cinq motifs que considère la Convention de Genève ne seront pas acceptées pour le réétablissement.

La détention et l’apatridie

Le fait qu’un État prive un individu de sa liberté de dépla­cement ne doit pas être pris à la légère. La section 7 de la Charte Canadienne des Droits et Libertés garantit ce droit fondamental en affirmant que « Chacun a droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne ».

La détention de personnes apatrides est la conséquence de deux principales situations : le manque de documents d’identité quand la personne entre au Canada ; ou la fin des recours légaux quand une personne est sous une mesure de renvoi. Les avocats des réfugiés ont noté une augmentation de l’utilisation de la détention lorsque des docu­ments acceptables prouvant l’identité de la personne ne sont pas disponibles au point d’entrée, documents que les personnes apatrides ne possèdent pas. C’est une impasse classique. Aussi, il n’est pas étonnant que plusieurs personnes apatrides ne connais­sent pas le terme juridique d’apa­tridie, même s’ils peuvent décrire les conséquences des privations qu’ils ont subies.

La détention avant le renvoi est souvent l’occasion qui permet aux travailleurs venant en aide aux réfugiés dans les centres de détention de rencontrer des personnes apatrides. Même quand les autorités canadiennes n’ont pas réussi à obtenir les documents de voyage, des efforts sont effec­tués dans le but de déplacer une personne en utilisant un docu­ment produit à cette fin, en espérant que le pays d’accueil accorde l’entrée à cette personne.

Action Réfugiés Montréal a été témoin de cette procédure à plusieurs occasions. Dans un cas en particulier, une personne a été sujette à une mesure de renvoi à deux reprises et ensuite remise en détention. La détention de per­sonnes apatrides avant le renvoi peut durer plusieurs mois.  


Conclusion : Le facteur humain


Les personnes apatrides au Canada sont des victimes oubliées dans la loi. Le Canada a perdu une occasion unique de redresser cette situation quand il a refusé d’in­clure explicitement l’apatridie dans sa récente législation. Lors des consultations antérieures à l’adoption de la législation, Action Réfugiés Montréal ainsi que d’autres organisations ont deman­dé au gouvernement d’inclure l’apatridie en tant que catégorie de personnes nécessitant une protection. La réponse fut que c’était inutile. On pourrait spéculer sur les raisons de cette réponse; l’explication la plus logique serait la peur que le Canada soit « inondé » de gens apatrides. Mais ironiquement, le manque de documents d’identité des apatrides signifie que plusieurs ne se rendront jamais au Canada.

L’apatridie est un problème international et nécessitera une coopération internationale dans le but de garantir qu’elle soit évitée et que des solutions y soient trouvées. Comme prochaine étape, le Canada devrait être encouragé à devenir signataire de la Convention de 1954 relative au statut des apatrides. Chacun a besoin d’avoir un endroit appelé son chez-soi.


1 Glynis Williams est directrice de l’organisme Action Réfugiés Montréal. Julie Jeannotte y réalise actuellement un stage en travail social. Elles tiennent à remercier chaleureusement monsieur Andrew Brouwer dont les travaux ont été une ressource très appréciée pour la rédaction de cet article.
2  Brouwer, Andrew. July 2003. Statelessness in Canadian Context, A Discussion Paper , United Nations High Commission for Refugees.