Le génie du génome

Mardi 13 Février 2001


Il y a un peu plus de six mois, quand furent révélés les premiers résultats des travaux sur le génome humain, l'Humanité avait titré à la une : " l'odyssée de l'espèce ". Cette odyssée éblouissante de la connaissance du patrimoine héréditaire de notre famille humaine vient de livrer de nouvelles merveilles. Elle s'inscrit dans le fleuve impétueux et toujours plus rapide de l'aventure du savoir, parti à la conquête de l'espace, de l'atome ou de l'inconscient. Décidément le nouveau millénaire s'ouvre sur l'effarante chronique du déploiement du génie humain, et à la fois des malédictions ancestrales - la faim, la maladie, la guerre - qui ne cessent d'accabler des continents entiers.



Un nouveau chapitre du " livre du vivant " vient de s'écrire. Ce gigantesque " séquençage " du génome humain, qui n'aurait pas eu lieu sans la révolution informationnelle et qui a mobilisé les ressources, non pas comme autrefois de quelques fulgurants cerveaux mais d'un énorme collectif savant, livre de bien réjouissante réflexion à ceux qui l'analysent. Ainsi l'homme ne serait ni une merveilleuse créature surgie par hasard de quelque " trou bleu " dans les espaces infinis, ni un robot esclave d'un destin qu'il n'a pas écrit dont il ne serait que le produit mécanique.



En somme, nous disent les généticiens, les hommes sont libres : ils héritent et ils inventent à la fois. L'histoire les fait et ils ne cessent de faire leur propre histoire. Ce n'est pas une proposition franchement neuve : ce qui est neuf, c'est que le savoir le plus avancé lui apporte son crédit et sa confirmation.



Ainsi, sont dispersées au vent quelques foutaises et quelques fadaises. Le paysage des " 30 000 gènes " répertoriés, renvoie à leurs chères études les prophètes du déterminisme moderne dit du " tout génétique ". Certains avaient déjà imaginé un gène du crime, un gène de l'intelligence, un gène de l'homosexualité ou pourquoi pas un gène du " business " ! Ces constructions abstraites s'effondrent : chaque homme est beaucoup plus singulier et à la fois beaucoup plus complexe qu'on ne l'avait imaginé et sa vie n'est pas écrite dans les lignes de ses gènes comme une fatalité. Et par ailleurs qui ne se réjouirait de l'uppercut fatal que la nouvelle découverte porte au racisme : il s'avère en effet que les variations génétiques entre individus d'une même " ethnie " sont parfois beaucoup plus grandes que celles que l'on observe d'une communauté à l'autre. Il n'y a donc, scientifiquement, aucune hiérarchie naturelle entre les groupes humains. Bref, le concept de race n'a aucun fondement génétique. On le savait : mais c'est désormais une vérité aussi avérée que le théorème de Pythagore.



On imagine déjà les conséquences heureuses de ces travaux dans la lutte contre le fléau de maladies dont on ne sait toujours pas arrêter le cours fatal. Mais on imagine aussi - et l'esprit en est pris de vertige - les risque de manipulations de toutes natures que ces connaissances peuvent permettre à des apprentis sorciers sans scrupule. Les enjeux humains, éthiques, économiques et même industriels sont immenses. Et si ces séries d'études ont pour source une organisation internationale financée par des fonds publics, elles sont aussi en partie réalisées par une société privée américaine. Le génome humain est-il donc à vendre ? Ce serait un crime, a déclaré avec force John Sulston, le coordinateur de l'équipe britannique publique. Et il a enfoncé le clou : " D'autres que nous veulent faire payer une fortune au reste de la race humaine pour lui permettre de lire son propre code génétique. "



C'est toujours le même spectre qui hante le monde où nous vivons et qui menace l'odyssée : le spectre du mercantilisme. Le patrimoine génétique de l'humanité ne doit appartenir à personne d'autre qu'à l'humanité elle-même, dans toutes ses composantes.



C'est toujours la même histoire : le profit ou le partage ?