On débat race

Jean-Paul Jouary

Une responsable de droite qui réussit régulièrement à battre les records de vulgarité de ceux du Président qui l’avait jadis nommée Ministre, a provoqué un véritable scandale en affirmant et en répétant que la France était « de race blanche ». Et certains croient s’en tirer à bon compte en affirmant la main sur le cœur que la France ne tolère pas de distinction de races. Le préambule révolutionnaire de notre Constitution n’utilise-t-il pas d’ailleurs cette expression ?

On se souvient que lors de sa campagne présidentielle François Hollande s’était même engagé à modifier cette formulation, pour n’en plus parler ensuite. On ne peut pas tenir absolument tous ses engagements et il serait déjà louable d’en tenir un dixième. Quoi qu’il en soit il eût été facile de remplacer l’idée de discrimination de race par les mots « discrimination racistes ». C’est dans cet esprit que le centenaire et toujours jeune Claude Lévi-Strauss avait proposé à l’Académie française de supprimer le mot « race » appliqué aux humains dans le dictionnaire de la langue française, ce qui aurait par exemple pu être compensé par une définition plus précise du racisme, justement comme croyance à l’existence de « races » humaines. L’Académie s’y refusa et le Président l’oublia, ce qui permet de banaliser encore en France, à l’image des Etats-Unis, cette croyance dont on a pu mesurer les effets mortifères.
On peut parler de races de chiens, ou de chats, ou de vaches. On pouvait même être raciste vis-à-vis des humains il y a encore trente-cinq mille ans : pendant environ cinq millénaires, en Europe, deux races humaines se côtoyaient, les homo sapiens de Néandertal et les homo sapiens sapiens, nous. Jusqu’à huit mille ans, notre race avait d’ailleurs la peau noire et nous en conservons tous la trace génétique. Même les famille Le Pen ou Morano. Les artistes qui, en Ardèche ou en Dordogne créèrent les chefs d’œuvre de Chauvet ou de Lascaux avaient la peau noire, qu’ils tenaient de leur origine africaine. Nous sommes tous les enfants d’une poignée d’homo sapiens sapiens d’Afrique australe, qui migrèrent sur toute la planète et y apportèrent leur culture, qui put alors se diversifier sur tous les continents. Depuis, il n’y a plus qu’une seule race humaine, quelle que soient les couleurs de peau, la forme des yeux ou de la bouche. Le regretté Professeur Albert Jacquard s’amusait de ce que les aléas de la biologie aient justement fait qu’entre le génome d’un Noir et d’un Blanc il y ait en moyenne plus de parenté génétique qu’entre deux Blancs ou deux Noirs. La France est ainsi comme toutes les nations du monde, un peuple d’humains plus ou moins décolorés sous la pression évolutive de nos besoins solaires. Et on ne parlera pas plus d’une « race » blanche que d’une « race » humaine de chevelus châtains ou aux genoux cagneux. En ce sens le racisme, avant d’être une menace, est d’abord une ignorance ou une haine. Haine de ce qui est différent, donc humain. Donc haine de soi, en tant que nous ne pouvons cesser de changer sans cesser d’être pleinement humain. C’est lorsqu’un être ressent une souffrance intime qu’il ne sait maîtriser ni calmer, qu’il en veut au monde entier, qu’il s’accroche à ce qu’il appelle son « identité », qu’il se met à haïr celles et ceux qui n’y correspondent pas de façon visible. L’incapacité à devenir différent de soi-même pour vivre mieux se tourne alors en hostilité contre ceux que l’on ressent comme différents. C’est là le lien intime qui unit l’idée en soi fascisante d’ « identité nationale », ou d’ « identité blanche », la recherche de plus d’autorité et de répression, la haine de la démocratie et de tout ce qui protège « les autres ». C’est ce que les monothéismes avaient compris, comme les grandes philosophies de l’Antiquité, avant Spinoza. Et c’est ce que Nelson Mandela fut le premier à importer en politique et dont plus personne ne veut entendre parler. Alors on débat race…