Contre Le Pen: le silence
Quel piège sinistre se niche dans la formule «l'inégalité des
races»! Serge July, dans son éditorial (Libération, 12/09), parle de «la connerie de Le Pen», qu'il qualifie d'«impériale»: mais qui le fait empereur? Doit-on considérer qu'il «pose les vraies questions», doit-on le laisser décider du débat national? S'il «règne», c'est bien parce qu'on le laisse imposer ses fausses problématiques, sur le thème récurrent du bouc émissaire, de la peur de l'autre, de la persécution. ["] «Inégalité des races»: on attaque le mot d'inégalité, bien sûr, c'est toujours le même appât pour l'indignation et, la vision obscurcie par la colère, on se précipite dans le piège sous les lazzis du Front national. ["] En ripostant sur l'inégalité, on admet ipso facto le concept de race, concept qui est une contre-vérité (génétiquement, il n'y a qu'une race humaine) et qui, dans l'Histoire, résonne comme esclavage, colonisation, génocide. Rusé, l'«empereur» des manipulateurs; pour lui répondre, il faut reprendre les mots chargés d'horreur qu'il n'emploie lui-même qu'à titre de chiffons rouges!
Pourtant, la ruse se répète; cette fois-ci, on aurait dû voir le piège. Cet homme ne pose pas de questions, il lance des mots piégés, des slogans pleins d'images sinistres qu'il regarde se propager en ricanant. Le silence, loin d'être honteux, n'est-il pas dans ce cas l'expression la plus efficace de la pensée?
Nicole Koechlin, Paris