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    Interview

    «Le racisme renforce les préjugés de caste» . Son histoire moderne débute, selon Taguieff, aux XV-XVIes siècles.

    Par Dominique CHOUCHAN

    Peut-on établir une filiation entre le développement des sciences et

    l'apparition du racisme? La notion de racisme au sens strict n'a de validité que dans le cadre d'une certaine modernité. Contrairement à certaines thèses admises, je fais remonter cette modernité aux XV-XVIes siècles, avant la formulation des classifications raciales, la fabrication du concept de race humaine comme variété d'une espèce humaine. Deux événements, liés à l'histoire de l'Occident, marquent le début de l'histoire du racisme: la découverte du Nouveau Monde et d'une altérité ayant des signes distinctifs équivoques et la théorie espagnole de la «pureté du sang» qui légitima certaines pratiques de l'Inquisition. La sacralisation de l'origine héréditaire, de l'origine raciale, se constitue à l'époque. En outre, du XVIe au XVIIIe siècle, s'élabore en France le mythe de la supériorité raciale de la noblesse, prétendument d'origine germanique. Première version du «mythe aryen». Aujourd'hui encore, le racisme se traduit par une répulsion vis-à-vis du métissage, ce que j'ai appelé la mixophobie dans la Force du préjugé.

    Quelles thèses récusez-vous? Il existe en gros deux thèses dominantes. L'une d'elles réduit le racisme à une idéologie scientifique moderne, née au XIXe siècle (en référence à la doctrine de Gobineau ou à une vulgate évolutionniste, issue de la théorie darwinienne), et morte au milieu du XXe siècle. C'est la position optimiste: l'antiracisme se résumerait à combattre une idéologie morte, «l'aryano-sémitisme», à en éliminer les dernières traces postnazies. Une autre thèse postule l'existence d'un ethnocentrisme quasi inné chez les êtres humains; le racisme, qu'il se fonde sur les classifications raciales élaborées par les anthropologues à la suite de Linné ou Buffon, ou se confonde avec le nationalisme xénophobe, en serait la forme moderne. C'est rejoindre un réductionnisme sociobiologique, qui ferait de la lutte antiraciste une révolte morale héroïque très chrétienne, contre un mauvais penchant naturel. Une ascèse de tous les instants...

    Dans ce contexte, l'argumentation scientifique antiraciste vous semble-t-elle pertinente?

    Le racisme n'apparaît jamais à l'état pur: il entre en synthèse avec des mobilisations nationalistes, des entreprises impérialistes, il vient renforcer des préjugés de classe ou de caste, etc. Le racisme contemporain s'appuie beaucoup plus sur des différences culturelles, prétendument irréductibles, que sur l'inégalité biologique des races. Si Le Pen s'en tenait à la thèse de l'inégalité des races (1) telle que la récusent les généticiens, il ne réussirait pas à nourrir idéologiquement tant de sympathisants. Les réactions des scientifiques «durs» sont pleines de bonnes intentions, mais leur efficacité est limitée. L'autorité de la science ne saurait suffire à disqualifier une représentation sociale: la notion de race fonctionne comme mythe, comme mystique, comme représentation sociale efficace, aussi peu fondée soit-elle au plan scientifique. C'est pourquoi il est regrettable qu'en France, depuis les années 1960-70, le racisme intéresse si peu les sciences sociales, malgré quelques explorations méritoires.

    Faut-il supprimer le mot «race»? Cela présuppose une conception très naïve du mot: en détruisant un mot, on ferait disparaître l'imaginaire négatif qui lui est lié! Remplacer «race» par «ethnie, «culture» ou «mentalité» reviendrait au même. La racialisation des opinions et croyances n'est pas seulement liée à l'emploi de tel ou tel mot. Il s'agit d'un phénomène beaucoup plus profond et diffus. Si l'on pouvait abolir l'imaginaire racial en supprimant quelques mots, je serais d'accord. Dans ce monde de rêve, la lutte contre le racisme ne poserait plus de problèmes difficiles. Cessons de faire de l'antiracisme utopique.

    (1) En septembre, à la suite des déclarations de Jean-Marie Le Pen sur l'inégalité des races, le Mouvement contre le racisme et pour l'amitié entre les peuples (Mrap) a notamment réagi en diffusant une motion dans le milieu scientifique. Celle-ci, rédigée par le généticien Albert Jacquard, qui réaffirme l'absence de fondement scientifique du concept de race, a recueilli des centaines de signatures de chercheurs, ingénieurs, techniciens et enseignants, ainsi que le soutien de plusieurs sections syndicales de chercheurs.

    Dominique CHOUCHAN
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