«Le mot "race" importe moins que les représentations qu’il véhicule»

INTERVIEW Carole Reynaud-Paligot, spécialiste de l’histoire comparée des pensées raciales, évoque les propos de Nadine Morano…

Propos recueillis par Anne-Laëtitia Béraud

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Nadine Morano, le 22 mai 2014 à Nancy.
Nadine Morano, le 22 mai 2014 à Nancy. — POL EMILE / SIPA/SIPA

Les propos polémiques de l’eurodéputée Nadine Morano sur « la race blanche » continuent de faire vivement réagir ce jeudi dans tous les camps politiques. Le ministre des Finances Michel Sapin s’est d’ailleurs montré favorable à la proposition de parlementaires de supprimer le mot « race » de la législation. Retour sur un terme pas comme les autres avec l’historienne Carole Reynaud-Paligot, spécialiste de l’histoire comparée des pensées raciales.

Pouvez-vous évoquer l’histoire du terme de « race » ?

Le mot race a été employé jusqu’à la fin de la Seconde Guerre mondiale. La culture raciale était installée dans les représentations de l’époque. Puis celles-ci ont évolué, notamment après le génocide, et le mot « race » a été peu à peu banni du vocabulaire. Un consensus s’est imposé dans les années 1970 et 1980 sur le fait qu’il n’y a qu’une race humaine.

Quelle est l’évolution récente de ce terme ?

Le retour de ce terme est assez récent, et on le retrouve du côté des milieux d’extrême droite. Par ailleurs, certains chercheurs en sciences sociales ont tendance à réutiliser ce terme, mais dans un sens très différent de celui des années 1930. Ces scientifiques n’utilisent pas le mot race comme une réalité biologique, mais comme une réalité sociale. Des groupes déterminés utilisent ce terme pour se définir, comme, par exemple, certains Noirs aux Etats-Unis.

Et en France ?

Pour les politiques, il est toujours incorrect d’utiliser ce terme. La résistance est forte, car le souvenir lié à ce qui s’est passé durant la Seconde Guerre mondiale est encore fort. Le tabou semble cependant s’affaiblir.

Est-ce que cela change quelque chose que ces propos soient ceux de Nadine Morano, élue du parti Les Républicains, plutôt que ceux d’un responsable d’extrême droite ?

On ne sait pas quel sens Nadine Morano donne au terme « race ». Par ailleurs, c’est choquant car, jusqu’ici, ce sont les milieux d’extrême droite qui utilisaient ce terme. Par ailleurs, je précise que ce n’est pas le mot « race » en lui-même qui est important, mais les représentations qu’il véhicule : la crispation sur l’immigration, l’ethnicisation, l’idée que les migrants sont des êtres figés dans leur culture, de rejet, de menace par rapport à l’identité nationale.

De quoi le mot « race » est-il le nom ?

Il y a une libération de la parole, et celle-ci semble guidée par des crispations identitaires. En prenant des précautions historiques, certains schémas des 1930, des discours, une vision particulière de ces discours racialistes sont à l’œuvre aujourd’hui.