Tendances

Anglicismes : stop ou encore ?

Des morning routines des uns sur LinkedIn aux conf’ calls des autres, des reporting aux roadmaps, l’anglais fait son come-ba… son grand retour dans le monde de la publicité, du management, de la communication et des médias. Mais pourquoi, for God’s sake ?

Que celui qui n’a jamais proposé un meeting plutôt qu’une réunion lève le doigt : entre agacement et fatalisme, l’anglais s’est infiltré depuis longtemps dans le monde du travail, au point que certains des managers qui avaient remplacé les bons vieux cadres ont eux-mêmes été remplacés par des chiefs happiness officers ou autres intitulés parfois ésotériques pour le commun des mortels. Les mots anglais sont partout dans les bureaux, parfois vaguement francisés comme le toujours amusant focuser, l’indémodable challenger et le plus récent disruptif, directement décliné du disruptive anglais dont on n’a toujours pas bien compris le sens exact d’ailleurs.

 

Bon, il faut admettre que le phénomène n’a rien de neuf et s’étend d’ailleurs largement au-delà des open-space ou des espaces de coworking. Au 19e siècle, le spleen de Baudelaire en agaçait déjà plus d’un et le premier linguiste venu pourrait faire observer que l’anglais lui-même est truffé de mots français à commencer par la devise de sa monarchie. Certains ont d’ailleurs franchi la Manche dans les deux sens comme le mot flirt, directement dérivé du français fleureter (conter fleurette, en gros) avant de revenir envahir la chanson française et les boums des années 70*. Cerise sur le gâteau : un anglicisme en chasse parfois un autre, comme quand le running chasse le trop pépère jogging.

 

Des anglicismes d’accord, mais pourquoi ?

Mais tout de même : la tendance à glisser des mots anglais partout semble connaître une nouvelle jeunesse – un revival, pardon – dans l’univers des médias, de la publicité, des réseaux sociaux et avouons-le, de la communication (même si on fait attention, nous). Parfois gentiment, comme lorsque le bashing remplace le dénigrement et les fake news les antiques fausses nouvelles. Parfois jusqu’à l’absurde comme lorsque le magazine Elle s’interroge gravement pour savoir si le souping est le nouveau juicing, autrement dit si la bonne vieille soupe ne remplacerait pas le si ringard jus de fruit dans les habitudes alimentaires. Et si, c’est un vrai titre du vrai magazine.

Mais pourquoi ? Pourquoi cède-t-on collectivement et parfois à notre corps défendant à la manière d’aller chercher un mot parfois imprononçable (aaaah le smoothie. Smoufi. Smoussi. Vous voyez l’idée) plutôt qu’un terme français équivalent ? Tout dépend. La preuve par quatre.

  1. Parce que c’est justifié. Parfois, le mot anglais nous vient parce qu’il n’existe tout simplement pas d’équivalent bien convaincant en français – on peut certes remplacer le brainstorming par une séance de remue-méninges, le teasing par l’aguichage et le smiley par une frimousse, mais en dehors du Québec, tout le monde risque de vous regarder d’un drôle d’air. Dans le domaine des nouvelles technologies en particulier, le fait qu’une grande partie des innovations se fassent dans le monde anglo-saxon nous condamne presque à l’usage de l’anglais. Avant que la diffusion en flux ne remplace le streaming
  2. Parce que c’est un signe de reconnaissance. L’anglicisme qui ferait grincer des dents dans un congrès de profs de lettres passera parfaitement dans une soirée consacrée aux start-ups. Chaque métier a son jargon depuis la nuit du temps, jargon dont la fonction même consiste à créer un sentiment d’appartenance. Et les plus anglophobes pourraient de temps en temps gagner à se pencher sur leurs propres excès, notamment dans le recours aux sigles et aux périphrases. Quand les piscines deviennent des “milieux aquatiques profond standardisés” et les maisons de retraites des “établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes”, on aurait parfois envie de rappeler une certaine parabole sur la paille et la poutre.
  3. Parce qu’ils sont pratiques. La langue anglaise – et américaine surtout – produit des termes souvent plus courts et plus percutants que leurs équivalents français. Le buzz est plus pratique et plus sonore que le bouche à oreille, le crash d’un avion plus efficace que l’écrasement et on attend toujours un équivalent valable au Big Data
  4. Parce que oui, des fois, on est irrécupérables. Et qu’on se laisse aller à un certain snobisme, celui de prendre au vol un terme catchy. Séduisant pardon.

 

Un mot de la fin ? Ne pas paniquer face à un supposé raz-de-marée anglophone. L’Académie française elle-même, dont on sait qu’elle ne rigole pas trop avec la langue de Molière, a fait son petit calcul en 2016. D’après elle, les anglicismes d’usage représentent en gros 2,5% du vocabulaire courant qui comprend 60 000 mots. Et surtout, rien n’est plus éphémère que le dernier anglicisme qui vous agace : il y a neuf chances sur dix qu’il ait disparu dans les deux ans sans jamais s’installer. Quelqu’un parle encore de prendre un break ?

 

*On sort du sujet mais on tenait à vous mettre Michel Delpech dans la tête.

Auteur


Jean-Christophe Piot

Jean-Christophe Piot

Consultant - Rédacteur partenaire