Erik Orsenna : « En mettre partout, ça fait ringard »

Membre de l'Académie française

Erik Orsenna : « En mettre partout, ça fait ringard »

Erik Orsenna, éternel amoureux de la langue française, se moque gentiment de la recrudes-cence des anglicismes dans le français d'aujourd'hui.

Y a-t-il trop d'anglicismes dans le français actuel ?

ERIK ORSENNA. Oui, notamment à la télévision. Même si, d'une manière générale, j'adore la langue anglaiseâ?¦ Mais mettre des anglicismes partout â?? qui souvent ne sont même pas les vrais termes anglais â?? je trouve que cela a un côté extraordinairement ringard. Ã?a veut faire mode, international, mais en fait, ça fait ringard. Je me souviens qu'à un moment mes enfants disaient sans arrêt « c'est styly » : c'était bien ridiculeâ?¦ Et l'anglicisme le plus bête, c'est de dire « nominé » au lieu de « nommé »â?¦ Alors que pour une fois le mot français est plus court! C'est comme de dire « The Voice » au lieu de « la Voix » : pour moi, ça n'apporte rien!

Comment faire pour remédier à cette manie de l'anglais, ou du franglais ?

La langue française, il faut la rendre belle, drôle, insolente. Un exemple : j'écoute presque chaque matin la chronique sur la musique d'André Manoukian sur France Inter, à 7h24. Cet homme-là parle un français formidable, précis et en même temps imagé, drôle, poétiqueâ?¦ Plutôt que de dire interdisons les anglicismes, moi je dis multiplions les Manoukian ! C'est comme lorsque vous écoutez une chanson de Benjamin Biolay ou Emily Loizeau : vous êtes fier de voir la langue française si bien utilisée.

Mais, au fond, pourquoi utiliser l'anglais plutôt que le français ?

En fait, il y a un soupçon qui me vient : quand on utilise sans arrêt des mots anglais, c'est que l'on est pas très fier de son français. C'est pour camoufler ou le vide ou la mauvaise manière. En revanche, il faut bien avouer que certains mots anglais disent mieux les choses que le mot français. Prenez le burn-out : c'est vraiment une expression formidable, qui exprime, en deux petits mots, le fait qu'on est à la fois brûlé et explosé. Prenez l'équivalent français, « syndrome d'épuisement professionnel » : ce n'est vraiment pas bon, comme expressionâ?¦ Quand le français est si nul, alors tant pis, prenons l'anglais!