Comment le français a envahi la langue anglaise

Le livre revient sur les circonstances historiques qui ont amené plus de 25.000 mots français à traverser la Manche pour envahir la langue anglaise au cours d’une période longue de 900 ans environ (de 1066 à l’après Seconde guerre mondiale). 

Ces mots français en anglais sont ensuite classés par l’auteur en différents groupes, ce qui permet de mieux les identifier et mémoriser. Des exercices d’application complètent l’ouvrage, les lecteurs ayant la possibilité d’améliorer leur niveau d’anglais en s’amusant (c’est-à-dire en employant principalement des mots français !). De nombreuses photographies illustrent de façon concrète la présence du vocabulaire français dans la réalité quotidienne de l’univers Anglo-Saxon.  

Le site

Introduction :

Des deux côtés de la Manche (ou de l’Atlantique), peu nombreux sont les initiés qui savent que plus de la moitié du vocabulaire anglais provient du français. Du côté anglais, cette ‘invasion linguistique’ est plus ou moins consciemment masquée par le corps académique en la présentant comme la ‘partie latine’ de la langue, par opposition à la partie germanique. En d’autres termes, les Anglais parlent et écrivent tous les jours le français sans le savoir ou plutôt sans trop chercher à le savoir…

Du côté français, on sait vaguement que les anglais emploient des expressions comme ‘bon voyage’,  ‘cliché’ ou ‘rendezvous’,  (le tout avec un drôle d’accent) mais la réflexion ne va guère au-dela. L’ignorance est de mise sans doute par manque d’intérêt, ce qui est une grave erreur tant l’apprentissage, en France, de la langue anglaise serait rendu beaucoup plus aisé s’il était basé sur l’analyse de la présence du français en anglais.

Il s’agit en effet d’un phénomène linguistique rare dans le monde ; une langue vivante imprégnée à ce point par une autre langue vivante n’est pas monnaie courante. Nous sommes bien en présence d’une ‘langue dans la langue’. Imaginez votre surprise si vous parcouriez les pages d’un dictionnaire français pour découvrir que la moitié des mots étaient allemands ou hongrois.

Si la moitié de la langue anglaise vient du français, alors ce phénomène concerne nécessairement le vocabulaire de tous les secteurs de la vie, que ce soit en matière :

  • artistique : architecture, art, baroque, culture, dance, music, sculpture…
  • économique: commerce, economy, enterprise, finance, inflation, money, recession, speculation…
  • judiciaire: accusation, advocate, court, crime, deliberation, incarceration,  infraction, judge, justice, magistrate, prison, sentence, tribunal, victim…
  • médicale: anatomy, constipation, cure, depression, doctor, drugs, hospital, infection, inflammation, injection, maladies, stethoscope, symptom, vaccine…
  • militaire : admiral, army, artillery, battalion, cannonade, cavalry, colonel, general, infantry, lieutenant, naval forces, regiment, troops…
  • politique : constitution, corruption, democracy, election, government, legislation, minister, parliament, president, republic…
  • religieuse : abbey, absolution, apocalypse, benediction, Bible, Cardinal, cathedral, Chritianism, clergy, confession, conclave, crucifix, demon, diocese, Judaism, mass, religion, paradise, prayer, protestant, redemption, resurrection, sacrament, sermon, synagogue, temple…
  • scientifique : arithmetic, astronomy, laboratory, nuclear reaction, physics, radiation, science…
  • culinaire: casserole, chef, cuisine, dessert, fondue, fruits, gourmet, mayonnaise, mousse, restaurant, rotisserie, salad, sauce, sommelier, soup…
  • ou encore sportive: champion, olympiad, tournament…
  • Même les insultes relèvent du vocabulaire français : bastard, brute, coward, cretin, village idiot, imbecile, rascal, poltroon, stupid…

Autrement dit, cet ouvrage n’est en aucune façon une compilation de mots techniques ou scientifiques obscurs communs à l’anglais et au français ressuscités pour la beauté de l’exercice. En réalité, il est possible de dire absolument tout ce que l’on souhaite en anglais contemporain en employant principalement des mots français, et ce, aussi bien à l’oral que dans les écrits quotidiens. De nombreux extraits de journaux et photographies illustrant cette compilation attestent de l’emploi régulier en anglais aujourd’hui de ces milliers de mots français.

Au-delà du strict intérêt intellectuel de l’analyse linguistique, l’objectif de cet ouvrage est de permettre au public français de perfectionner à peu de frais sa maîtrise de la langue anglaise. Quoi de plus facile en effet – voire ludique – pour un francophone que de s’exprimer en anglais (et même en bon anglais) en se concentrant sur l’emploi de mots français ou d’origine française ?

Même une phrase d’anthologie comme « my tailor is rich », symbole depuis toujours de l’apprentissage de l’anglais par les têtes blondes françaises, provient directement du français. Il en va de même du fameux ‘phlegme’ britannique, du ‘criket’, du ‘picnic’ ou du ‘roast beef’ anglais ainsi que de leur  ‘sense of humour’. Des mots simples comme ‘nice’, ‘single’ et ‘very’ viennent de l’ancien français, sans parler de mots courants tels que ‘animal’, ‘fruit’, ‘prison’, ‘table’ ou ‘village’ qui sont du français purement et simplement.

Les Anglais écrivent donc et parlent le français tous les jours. Certes, ils le font  d’une étrange façon, avec l’accentuation supprimée, des modifications orthographiques, une prononciation avec un accent incompréhensible. Il n’en reste pas moins que dans ces conditions, apprendre l’anglais devrait être un jeu d’enfant pour les francophones…

En résumé, la seule lecture de ce livre constitue en soi une méthode originale d’apprentissage de l’anglais basée sur l’influence insoupçonnée du français dans la langue anglaise. Les avantages pédagogiques que l’on peut tirer de l’exploitation de ce thème sont considérables. Cette compilation devrait être l’outil de perfectionnement incomparable aux mains des francophones, l’outil idéal pour lutter contre le complexe d’infériorité traditionnellement observé en France vis-à-vis de la langue anglaise.

Au surplus, il permet de flatter l’esprit français en réalisant que le triomphe mondial absolu de la langue anglaise constaté aujourd’hui ne se fait pas au détriment du français, comme les élites françaises ne cessent de le déplorer mais, au contraire constitue un hommage planétaire indirect à l’histoire et à la culture françaises.


Conférence du Jeudi 17 mars 2016, animée par Anthony Lacoudre (intervenant dans le programme Brooklyn de l’Université Paris-Dauphine) , dans le cadre du cycle de conférences de l’Université ouverte.

 


À l’occasion de la semaine de la Francophonie, du 20 au 24 mars 2017, notre invité Anthony Lacoudre, auteur de « L’incroyable histoire des mots français en anglais », expose l’étonnante influence de la langue française sur la langue anglaise au cours des siècles. Il a ainsi répertorié 25 000 mots dans quatre catégories : des mots français, des emprunts faits au français, des mots dont l’orthographe a été modifiée ou encore des mots issus du vieux français modifiés après leur passage en anglais.

 


Anthony Lacoudre, a French lawyer living in New York, has written a fascinating book entitled « The incredible history of French words in English: How English speakers speak French without knowing it ». The author tells FRANCE 24 why as many as half of all English words originate from the French language.


Anthony Lacoudre, the author of L’incroyable Histoire des Mots Français en Anglais, explores the historical context that permitted a contingent of more than 25,000 French words to incorporate the English language over a period of time that lasted 900 years (starting with the Norman invasion of England in 1066 and finishing after the Second World War).

Anthony Lacoudre: «Le français a littéralement envahi la langue anglaise» (Le Figaro)

INTERVIEW – Anthony Lacoudre, auteur de L’incroyable histoire des mots français en anglais, revient sur l’évolution de la langue de Shakespeare et la manière dont elle fut intimement transformée par le français.

Le français a voyagé bien au-delà de l’Hexagone. Jusque de l’autre côté de la Manche et même de l’Atlantique. Bien sûr il y a les célèbres «rendez-vous», «cul-de-sac», «carte blanche». Des expressions idiomatiques dont les anglophones ont tout à fait conscience de l’origine. Mais il y a aussi «fruit», «miracle», «silhouette», «art», «prison», «silence»… La langue anglaise comporte environ 25 000 mots français. Anthony Lacoudre, avocat et auteur de L’incroyable histoire des mots français en anglais, revient sur l’évolution de la langue de Shakespeare et la manière dont elle fut intimement transformée par le français.

LE FIGARO. – À partir de quand la langue anglaise intégra-t-elle une vague de mots français?

Anthony LACOUDRE. – Commençons par le commencement. À l’origine, l’anglais vient du celte, une langue parlée par les Britons. Lorsqu’au Ier siècle après Jésus-Christ, les Romains envahirent la Britannia, ils ne parvinrent pas à imposer le latin. Le celte survit et il n’y eut aucun phénomène d’intégration linguistique de la langue de l’envahisseur contrairement à ce que l’on observa en Gaule. Quatre siècles plus tard, l’Empire romain s’effondra. La Britannia fut envahie par les Angles et les Saxons. Les Francs, eux, pénétrèrent la Gaule et trouvèrent un peuple qui parlait le latin puisque le celte gaulois avait disparu. Ainsi, les envahisseurs germaniques de la Gaule adoptèrent le latin. Mais en Britannia, les envahisseurs rencontrèrent un peuple qui parlait celte. Peu impressionnées par cette langue, les tribus angles et saxonnes imposèrent le vieil allemand. Et ce, pendant 500 ans. C’est pour cela que l’on considère l’anglais comme une langue germanique.

Puis, en 1066, la conquête normande d’Angleterre eut lieu…

Un événement majeur dans l’histoire d’Angleterre! Avant l’arrivée de Guillaume le Conquérant, il n’y avait pas un seul mot de français et très peu de mots latins dans ce qu’on appelle le «Old English». Guillaume le Conquérant imposa le français comme la langue de la Cour et du gouvernement. Après avoir massacré l’aristocratie anglaise, il confisqua toutes leurs propriétés pour les redistribuer à des barons normands. L’intégralité des terres anglaises passa entre les mains de personnes qui parlaient français. C’est alors qu’il devint la langue de l’élite, du commerce, de la communication, de l’école. Et la devise de la monarchie anglaise: «Dieu et mon droit». Richard Cœur de Lion, qui contrôle les deux tiers du territoire français, ne

«C’est lors de la période des ‘‘French kings’’, qui dirigeaient l’Angleterre, que l’anglais absorba 10 000 mots français»

parlait pas un mot d’anglais alors qu’il était roi d’Angleterre! Il est d’ailleurs enterré en France, à l’Abbaye Royale de Fontevraud, près de Chinon. Le français fut la langue officielle du Royaume d’Angleterre ainsi que la langue de tout écrit publié en Angleterre, privé ou public, et ce, jusqu’à la fin du XIVe siècle, début du XVe siècle. C’est-à-dire lorsqu’il apparut évident que l’Angleterre ne remporterait pas la guerre de Cent Ans et ne parviendrait donc pas à unifier les deux royaumes sous une même couronne. Ainsi, en 1399, l’acte d’abdication de Richard II était rédigé en anglais. C’était la première fois qu’un document royal était écrit en anglais depuis 1066. Henri V, qui monte sur le trône en 1413, fut le premier roi depuis l’invasion normande à recourir à l’anglais dans sa correspondance courante. Des traces subsistent encore aujourd’hui de la présence du français dans les institutions britanniques. Ainsi, lorsque les lois reçoivent le «royal assent» (l’assentiment royal), la phrase suivante est prononcée: «Le Roy/la Reyne remercie ses bons sujets , accepte leur bénévolence et ainsi le veult».

Et que devint le «vieil allemand»?

Il y eut une sorte de cohabitation entre les personnes lettrées qui le parlaient et le «peuple» qui continua de pratiquer le vieil allemand de l’époque. Naturellement, pendant cette période où les «French kings» dirigèrent l’Angleterre, cette langue se transforma et absorba environ 10 000 mots français. En parallèle, ceux qui voulaient s’élever socialement apprenaient le français. Ainsi, lorsqu’il s’agissait de trouver un nouveau mot en vieil anglais, par exemple pour désigner un concept importé par les Normands, c’est tout naturellement vers le français que l’on se tournait. Parmi les tout premiers mots français importés par les Normands, on peut citer: «âge», «art», «cardinal», «cousin», «crime», «dialogue», «dragon», «fruit», «miracle», «prison», «silence»… Lorsque progressivement l’anglais remplace le français comme langue du royaume d’Angleterre vers 1400, ce n’est en fait plus la même langue qui revient au pouvoir.

Il y eut ensuite une seconde phase d’importation de mots français dans la langue anglaise.

Oui, au cours de la Renaissance, un contingent d’environ 12 000 mots français fut incorporé dans la langue anglaise et vint compléter les milliers de mots français intégrés au Moyen Âge. On peut citer par exemple des mots comme «architecture», «dessert», «fragile», «machine», «moustache», «police», «turbulence»… Mais le contexte était tout autre. À cette époque, la France était une référence, réputée pour son excellence dans de nombreux domaines. Le prestige et la prééminence de la France intellectuelle étaient tels que dans toutes les cours, on parlait français. Peu à peu, il remplaça le latin comme langue universelle.

» LIRE AUSSI – «La Reine le veut»: pourquoi une loi anglaise est-elle promulguée en français?

C’est pendant cette période qu’un certain William Shakespeare fit entrer des centaines de mots français en anglais: «agile», «apostrophe», «cavalier», «frugal», «monumental», «obscene», «pedant»… Les Anglais s’écrient souvent: «Ah, Shakespeare! Il était si inventif et créatif» Et c’est vrai: il a inventé de nombreux mots comme «amazement», «eyeball» ou «lonely». Mais ce qu’ils ne savent pas, c’est que Shakespeare était bilingue! Il fut un importateur massif de mots français. Ce qui pose d’ailleurs la question de savoir s’il était réellement l’auteur de ses pièces car il est assez improbable qu’il maîtrisa le français, compte tenu de son histoire familiale et de son éducation.

«L’anglais comporte 25 000 mots français. Le français, lui, comporte 500 mots anglais»

Jusque quand cette importation de mots français dura-t-elle?

Après la Renaissance, environ 3000 mots français continuèrent d’entrer dans la langue anglaise, et ce, jusqu’à l’après Seconde Guerre mondiale. On peut citer par exemple «bustier», «camouflage», «enclave», «etiquette», «garage», «limousine», «massage», «molecule», «mousse», «parachute», «questionnaire», «silhouette», «telephone»… De toutes les langues du monde, et plus précisément de toutes les langues européennes, qui ont été influencées par la langue française, l’anglais aura été le plus touché. Alors que l’espagnol et le français sont deux langues latines, «table» se dit et en français et en anglais tandis qu’en espagnol on dit «mesa». Idem pour «danger», «question», «signature», «village» (respectivement «peligro», «pregunta», «firma» ou «pueblo» en espagnol). Le français a littéralement envahi la langue anglaise: au total, l’anglais comporte 25 000 mots français. Le français, lui, comporte 500 mots anglais.

Au sein de quels domaines le français est-il particulièrement présent dans la langue anglaise?

Dans le domaine judiciaire mais aussi, politique: «constitution», «democracy», «election», «government», «parliament», «president», «republic», «vote»… Prenons le mot anglais «president». Si vous le cherchez dans un dictionnaire étymologique anglais, vous verrez que ce terme a été incorporé en anglais en 1380 et qu’il vient de «président» inventé en France à la fin du XIIIe siècle dans le sens de celui qui préside. Au Moyen Âge en Angleterre, le mot désignait le chef d’une maison religieuse, d’un collège, d’un hôpital ou d’une université. Puis, en 1787, les Américains ont intégré le mot dans leur constitution quand, en France, nous n’avions même pas encore de «Président» au sens politique du terme. On peut également citer le domaine militaire: il n’y a pas un seul grade de l’armée britannique ou américaine qui ne vienne pas du français! «Admiral», «captain», «commandant», «corporal», «colonel», «lieutenant», «general», «sergeant»…

Enfin, il y a les expressions très idiomatiques dont l’origine française est connue des Anglais: «cul-de-sac», «carte blanche», «cliché», «déjà vu», «fait accompli», «faux pas», «rendez-vous» (qui s’écrit en anglais en un seul mot)… Ce genre de mots se réduit au nombre de 400 et correspond à une mode relativement récente qui nous vient du XVIIIe siècle et qui perdura jusqu’à la fin du XIXe siècle: la tendance «chic» de glisser des mots français, en gardant l’accent français, dans une phrase en anglais. C’est aussi alors que se sont importées des expressions romantiques ou à connotation sexuelle comme «agent provocateur», «négligée», «ménage à trois», «risqué»… Mais ces mots sont de moins en moins utilisés aujourd’hui. Ou bien, leur graphie française disparaît. Prenez le mot «façade»: les gens lettrés Anglais l’écrivent encore avec une cédille. Mais la nouvelle génération écrit «facade».

La langue française a donc encore de beaux jours devant elle?

Il y a donc environ 25 000 mots français en anglais. Mais c’est sans compter les dérivés anglais. Prenez le mot «limit» qui vient du français. Il existe un dérivé: «limitless». Il en va de même pour le mot français «crème» qui devient «cream» en anglais: le terme «creamy» a été ajouté par les linguistes anglais. En réalité, chaque mot français a un, deux, trois voire quatre dérivés. En les incluant, l’on se rend compte que la langue anglaise comporte bien plus de 25 000 mots français ou d’origine française. Sur 200 000 mots anglais au total!

Parmi les 500 mots anglais que nous avons en français, la moitié vient elle-même du français: le mot que nous utilisons en français «people» vient certes de l’anglais, mais ce dernier vient du français «peuple». Il en va de même avec des mots français comme «bar» (du français «une barre»), «budget» (du français «bougette»), «corner» (du français «cornière»), «scout» (de l’ancien français «escouter», devenu «écouter»), «stress» (de l’ancien français «distress», devenu «détresse»), «tunnel» (du français «tonnelle»), etc. C’est ce que l’on appelle des «allers-retours».

Que penser, alors, des anglicismes?

Je ne vois aucun danger. C’est simplement la marque de la prédominance des États-Unis sur le monde. Les anglicismes que nous employons se retrouvent également en allemand, en italien ou en espagnol. Il n’y a rien d’extraordinaire, d’autant plus que leur nombre est tout à fait réduit.


“L’influence du français sur la langue anglaise est considérable et insoupçonnée” (France-Amérique)

Né d’une mère anglaise et d’un père français, Anthony Lacoudre a grandi dans le bilinguisme. Cet avocat partageant sa vie entre Paris et New York s’est passionné pour la prédominance des mots d’origine française dans la langue anglaise. Il en a tiré un livre étonnant L’incroyable histoire des mots français en anglais où l’on apprend que les Américains ne parleraient finalement qu’un français anglicisé. Qui aurait cru que les mots ‘nice’, ‘very’ ou ‘stuff’ venaient du français ?

France-Amérique : Quand sont arrivés les premiers mots français dans la langue anglaise ?

Anthony Lacoudre : L’élément déclencheur est l’arrivée de Guillaume Le Conquérant, qui devient roi d’Angleterre en 1066. Duc de Normandie, il parle naturellement français. Il donne toutes ses terres en Angleterre à des barons normands. Dès lors, le français est parlé parmi les élites, et le vieil anglais, parlé depuis 500 ans, est la langue du peuple.

Comment peut-on retracer l’arrivée des premiers mots français dans le langage anglais courant ?

Il y a des traces écrites à partir de 1100, grâce aux dictionnaires étymologiques qui datent précisément l’arrivée de nouveaux mots. Ce ne sont absolument pas des supputations. Il y a des preuves écrites. Des mots comme ‘cardinal’, ‘prison’, ‘justice’, ‘couronne’ (devenu ‘crown’), et tout le vocabulaire aristocratique (‘marquis’) militaire, juridique, religieux datent de cette époque et témoignent de l’influence du français. La langue anglo-saxonne, dérivée du vieil allemand ne s’écrivait pas, et était très rurale. Donc quand les Normands sont arrivés avec des nouveaux concepts de culture, d’art, d’organisation du gouvernement, les mots français ont été utilisés car ils n’existaient pas en allemand à l’époque.

N’est-ce pas le latin plutôt que le français que l’on retrouve dans la langue anglaise ?

Par fierté, les Anglais préfèrent parler d’une influence latine. Mais quand ils disent ‘animal’, ‘fruit’ ou ‘village’, c’est pourtant bien du français. Affirmer que c’est du latin revient à dire que le français n’existe pas. Evidemment, le français vient à 80% du latin. Il  y a entre 5 et 10% de la langue anglaise qui vient directement du latin, sans passer par le français. Cette influence latine a commencé à la fin du Moyen-Âge jusqu’à la Renaissance. Des mots comme ‘prominent’ ou ‘tremendous’ sont tirés directement du latin. On ne les utilise d’ailleurs pas en français.

Comment expliquez-vous que la révolution industrielle a été une période faste d’invasion de mots français dans la langue anglaise ?

La révolution industrielle a été à l’origine de nouveaux mots pour toutes les langues, avec par exemple ‘turbine’, ‘microbe’, ‘téléphone’, photographie’. On retrouve ces mêmes mots en anglais car c’est une langue qui a une tradition d’accepter des mots étrangers au lieu de créer les siens. Ils ont aussi intégré des mots allemands, japonais, plutôt que de créer les leurs à partir de suffixes ou de préfixes anglo-saxons.

Vous évoquez aussi dans votre livre l’influence du français dans les insultes.

Le mot ‘insulte’ déjà vient du français ! Vous avez ‘crétin’, ‘imbecile’, ‘rascal’, ‘coward’ (qui vient du français couard signifiant lâche), ‘stupide’, ‘bastard’. Lorsque les Anglais étaient en France lors de la guerre de Cent ans, les négociations avaient lieu en français entre les officiers anglais et Jeanne d’Arc. Ils se sont échangés des lettres bourrées d’insultes en français !

Pourquoi aucun mot français n’a intégré les dictionnaires anglais depuis près de quarante ans ?

Le mouvement s’est arrêté dans les années 60. ‘Bustier’ est l’un des derniers mots français à avoir intégré le vocabulaire anglais. On constate que depuis, les années 50-60, c’est l’anglais qui s’immisce dans la langue française, sous l’influence des Etats-Unis. Au XVIIIe siècle, il y avait déjà eu l’intégration de mots anglais dans la langue française mais c’était assez marginal.

Utilise-t-on aujourd’hui dans la langue française des mots anglais qui trouvent en réalité leur origine dans le vieux français ?

Bien sûr, les linguistes parlent d’allers-retours. Le mot ‘people’ par exemple pour évoquer les célébrités, vient du mot ‘peuple’ qui a intégré l’anglais au Moyen-Âge. ‘Nice’ vient de ‘nice’ qui au Moyen-Âge voulait dire stupide. Le sens a changé avec le temps. Le ‘bacon’ vient du mot  français ‘bacon’, qui est une pièce de lard. Mais on le prononce aujourd’hui avec l’accent anglais alors que c’est un mot français ! Les mots anglais dans la langue française sont encore très marginaux par rapport au nombre de mots français dans la langue anglaise. L’influence du français sur la langue anglaise est considérable et insoupçonnée.

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