"De nombreuses personnes sont inquiètes et agacées par la prolifération des anglicismes dans notre langue", est-il écrit sur le site l'Académie française. L'institution, qui est chargée de définir et de perfectionner le français, rappelle d'ailleurs que cette pullulation ne date pas d'hier. Des expressions anglaises s'immisçaient en effet déjà dans notre langage au XIXème siècle. Aujourd'hui, les anglicismes ne se contentent plus d'intervenir de façon opportune : ils prennent racine.

Cette préférence pour la langue de Shakespeare est largement constatée dans le monde de l'entreprise : un appel devient ainsi "un call", un retour "un feedback", et une lettre d'information - je vous le donne en mille - "une newsletter". Ces mots sont si communs qu'ils ne nous viendrait même pas à l'esprit d'utiliser la version française. Mais pourquoi un tel attachement pour ces termes venus d'ailleurs sur nos heures de bureau ?  

Pourquoi sont-ils autant utilisés en entreprise ?

On pourrait d'abord croire que leur fréquente utilisation est tout bonnement liée à l'internationalisation des entreprises. L'anglais est aujourd'hui la langue du "business". Mais pour parler affaires, il ne suffit pas de baragouiner quelques mots anglophones pour se faire comprendre : il faut être bilingue (ou presque). Si l'anglais est devenu indispensable pour correspondre avec l'étranger, le succès des anglicismes est dû quant à lui à d'autres facteurs. "Ils sont jugés plus courts, plus percutants, plus tendance que leurs équivalents français. Ils sont aussi plus faciles à écrire", explique la thérapeute et coach professionnel Emma Scali.

Ils sont jugés plus courts, plus percutants, plus tendance que leurs équivalents français.

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Le terme de "reporting" illustre parfaitement les propos de la spécialiste : il s'avère en effet plus pratique à employer que "compte rendu de performances". Un point de vue entièrement partagé par Julie, responsable digital client chez Bouygues Télécom : "Certains mots français ont l'air ringards. Par exemple au quotidien je parle de 'roadmap' ou de 'screenshots', jamais de feuille de route ou de capture d'écran". Cette dernière ajoute qu'il y a également moins d'ambiguïté avec l'anglais, "tout le monde comprend la même chose", souligne-t-elle.

De nombreuses expressions font l'unanimité au niveau de leur facilité d'emploi, mais pour d'autres l'évidence est moins palpable : par exemple, l'obscure utilisation de "forwarder" (un mail) au lieu de "transférer".

Les anglicismes sont-ils dangereux pour la communication ?

Si les anglicismes sont d'abord jugés comme menaçants pour le français, dans le monde de l'entreprise la langue de Molière n'est pas la principale victime. "Cela peut créer une différence entre les générations", indique la thérapeute. Les plus anciens employés d'une société peuvent par exemple sentir un décalage avec les nouveaux arrivants. Selon Julie, ce fossé générationnel se creuse d'autant plus selon le secteur d'activité, comme les domaines technologiques ou artistiques. Il faut cependant garder en tête que malgré un possible décalage, chacun est capable de s'adapter. L'inverse serait potentiellement dramatique.  

En effet, avoir un langage commun - et surtout accessible -  est incontournable dans la sphère professionnelle : "L’utilisation d’un jargon mâtiné de technique, de technologie, de numérique, de chiffres et d’abréviations peut déboucher sur un charabia incompréhensible", prévient Emma Scali. Une finalité qui serait à la fois contre-productive pour l'entreprise et pour ceux qui y travaillent. 

Un retour en arrière est-il possible ?

"Complètement impossible", répond la responsable digital. Dans le monde de l'entreprise, "les américains sont connus pour leur avance sur les européens : méthodes de travail, innovation, créativité... Je pense qu'en leur empruntant leur vocabulaire il y a un sentiment d'appartenance", remarque-t-elle. Cette dernière ajoute que cela va même bien plus loin que le monde du travail, "l'anglais est omniprésent chez les trentenaires, même hors de l'entreprise".

Une omniprésence dont la mondialisation semble être responsable : plateforme VOD, cinéma, publicité... Il ne fait nul doute que l'anglais - et surtout ce qu'il incarne - fédère plus que jamais les Millennials.

Si certains partent en croisade contre cette mutation du langage, elle sonne pour d'autres comme une évolution logique, voire précieuse.