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Pour défendre la langue française, il envoie 11.000 «courriels» de protestation

Il est connu d'une grande partie des journalistes, qui reçoivent ses messages agacés protestant contre les «mails», «start-up» et autres termes empruntés à l'anglais. À l'occasion de la Semaine de la langue française, Daniel D.P. nous explique les raisons de son abnégation.

De nombreux mots empruntés à l'anglais possèdent un équivalent français, dont l'usage est ardemment défendu par Daniel D.P. Richard Drew/AP

Semaine de la langue française oblige, la phrase a été lâchée lundi à la rédaction du Figaro. Il était question d'un article sur les anglicismes. «Ah, Daniel D.P. va encore nous écrire!» Une sortie aussitôt suivie de ricanements ironiques au sein de l'assistance.

Vous ignorez qui est Daniel D.P.? Rien de bien grave à ce stade. Cela veut simplement dire que vous n'êtes probablement pas journaliste. Ni communiquant, ni éditeur de site Internet, ni publicitaire, ni, plus globalement, auteur de messages publics sur la Toile ou dans les médias. Car s'il est un nom qui circule de façon universelle dans les rédactions et les cellules de communication francophones, c'est sans doute celui-ci.

Depuis plus de quinze ans, Daniel D.P. s'évertue à lutter contre l'usage injustifié de mots anglais. Sa méthode? À chaque anglicisme repéré, envoyer un e-m... un courriel au journaliste incriminé. Ce qui l'a élevé au rang de célébrité au sein des rédactions. Lui-même semble l'ignorer, mais son seul patronyme déclenche des discussions amusées.

«Je ne donne jamais d'entrevues»

«Je ne savais pas que ma modeste personne avait acquis une telle notoriété», confie au Figaro l'intéressé. Il a l'habitude de signer ses rappels à l'ordre de son nom et de son adresse postale, mais souhaite rester anonyme. «Je ne donne jamais d'entrevues afin de préserver ma vie privée», décline-t-il d'abord poliment. Avec l'assurance que son identité ne sera pas mentionnée, il accepte d'échanger par courriel, car si son nom «n'a pas grande importance», les «arguments, eux, sont importants».

Nous saurons donc seulement que Daniel D.P. a 47 ans et travaille dans un service financier. Sa lutte quotidienne contre les anglicismes, quant à elle, remonte à 1999. Aucun élément déclencheur n'est à mentionner, d'après le correcteur, si ce n'est un accès à Internet facilité. Le rejet des anglicismes, lui, semble ancré de longue date. «Les anglicismes sont un danger à long terme pour le français», fait-il valoir.

Une menace pour le «prestige à l'international»

Copie d'un courriel envoyé par Daniel D.P. aux services de La Poste pour protester contre l'usage du terme «e-mail», le 7 novembre 2003.

Avouons-le, le sujet peut sembler léger. Mais la passion de ce quadragénaire rappelle l'existence d'un débat très sérieux entre partisans d'un apprentissage de l'anglais et tenants d'une langue française préservée des péchés anglophones. Or, pour Daniel D.P., le problème empire. «Contrairement aux emprunts des siècles précédents, les emprunts actuels ont tendance à ne plus être francisés et ne respectent donc presque jamais les règles d'orthographe et de prononciation de notre langue», pointe-t-il. S'appuyant sur une citation de George Pompidou -«Si nous reculons sur notre langue, nous serons emportés purement et simplement»-, il voit dans l'usage des anglicismes une menace pour le «prestige à l'international» du français.

»LIRE AUSSI: Ces dix anglicismes qu'il faudrait éradiquer du français

Ces certitudes ont conduit Daniel D.P. à s'adresser directement aux acteurs de l'information et de la communication. Ses courriels de rappel à l'ordre sont au nombre de «deux par jour environ». Soit plus de 11.600 courriels envoyés en 16 ans, parfois adressés à plusieurs personnes. «Je n'écris jamais deux fois à un même journaliste pour le même anglicisme. Pas question de harceler les gens», se défend-il toutefois. Le tout ne lui prend pas plus d'une heure, assure-t-il, soit le temps consacré à la lecture de la presse.

Du «whisky», mais pas d'«e-mail»

Outre les mots anglais, Daniel D.P. a d'autres cibles: la féminisation incorrecte des mots, un organisme français arborant un sigle anglais, une institution francophone diffusant seulement ses rapports en anglais... «Si je lis des fautes de français, je n'hésite pas à réagir», précise-t-il. Il n'empêche: une grande partie de ses courriels visent les anglicismes. Une tendance à l'obsession? La réponse est directe: «Et l'abus d'anglicismes n'est-il pas devenu une obsession, voire une maladie nationale en France?» Il fustige «les chansons en anglais» qui sont «très majoritaires» et les termes anglais qui sont «partout» à la télévision, dans la rue et dans les journaux. Pour lui, c'est très clair: «On a vraiment l'impression que la France est devenue une colonie anglaise.»

Reste toutefois à préciser que tous les mots anglais ne s'attirent pas les foudres du relecteur invétéré. Il vise ceux pour lesquels un équivalent français existe. «E-mail», «start-up, «data» sont à bannir, puisqu'on peut les remplacer par «courriel», «jeune pousse», «données». À ce sujet, Daniel D.P. renvoie régulièrement vers sa bible linguistique: «C'est d'autant plus irritant que le grand dictionnaire terminologique recense tous les équivalents français des anglicismes et qu'il est à la portée de tous», insiste-t-il.

Lui-même conserve certains termes anglais dans son vocabulaire. «Le whisky, par exemple.» Une réponse qui, comme d'autres, laisse deviner un personnage sarcastique. Ou agacé. Interrogé sur les anglicismes qui reviennent le plus souvent, il n'hésite en tout cas pas à se montrer taquin: «Lisez les articles du Figaro et vous verrez.» Une sortie imparable, aussitôt suivie d'un coup de grâce: «Au fait, Le Talk existe-t-il toujours?»

259 commentaires
  • qolum

    le 25/03/2016 à 12:01

    L'anglais est un fatras de mots étrangers sans cohérence syntaxique et à prononcer, au cas par cas, selon la langue d'origine. Résultat ? un dictionnaire énorme et des textes plus longs dès que l'on veut être précis. Rien à voir donc avec un anglais d'aéroport. Sans parler de la seule valeur dominante présente dans tous les pays anglo-saxon : la loi du plus fort !

  • jimili

    le 21/03/2016 à 17:48

    A force de nous bourrer le crâne que le français serait la plus belle langue etc, on ferait mieux de se poser la question à quoi elle correspond en pratique, dans notre quotidien, comme au niveau international, en un mot, que nous apporte-elle?
    Localement, elle nuit gravement aux économies locales, régionales, là précisément ou elle éradique les outils de communication naturels aux territoires.
    Les territoires, les populations, sont toujours le prolongement d'autres. La réalité, la vérité, c'est que cette république avec son extrémisme culturel correspond en pratique à un renfermement!
    Comparez avec la Suisse, ou tout autre Pays européen!
    NOUS ne sommes pas du tout du bon sens, et par là vraiment pas, des Valeurs dont tous se disent si fiers, du Pays des Droits de l'Homme.
    La plupart de nos langues régionales, dites dialectales, toutes (?), sont d'importance et d'utilité internationale.
    La francophonie est d'une culture repliée sur elle-même, négative, dont l'importance est limité au seul "monde" francophone. Pour le démontrer, les francophones Belges, ou Suisses, sont majoritairement tous monolingues.
    Le français n'est donc que la langue de l'administration, c'est tout, et à la l'origine, qu'un dialecte germanique, de la région parisienne. C'est par la violence militaire, par l'absolutisme, qu'il s'est imposé. S'il avait véhiculé les Valeurs, si elles avait été en pratique, les populations francophones des colonies ne l'auraient pas rejetée, la France! Si la France avait

  • jimili

    le 21/03/2016 à 17:29

    on a le "grand est", le "haut de France", la France d'en bas, la grande nation, les sans dents, le roi soleil, le Pays de la Liberté, (celui de l'expression où personne n'a rien à dire)... c'est tout cela la francophonie, la précision de la langue française, et à ce qu'elle correspond. On en est là!
    Je ne pense même pas au nouveau français, celui que je connais pas encore, avec son "rayonnement".

Pour défendre la langue française, il envoie 11.000 «courriels» de protestation

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