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27/07/2020 23:13 CEST

Qui sont les anti-masques en France?

Sur les réseaux sociaux, des milliers d'internautes, aux profils très différents, dénoncent l'obligation du port du masque contre le coronavirus.

Facebook
Sur les réseaux sociaux, des milliers d'internautes, aux profils très différents, dénoncent l'obligation du port du masque contre le coronavirus.

MASQUE OBLIGATOIRE - Ils se voient comme une “communauté de résistants” qui souhaite ”éveiller les ignorants” et “arrêter cette mascarade”. Sur les réseaux sociaux, des Français hostiles au port du masque pour lutter contre la propagation du coronavirus se réunissent dans des groupes et multiplient les messages et vidéos pour tenter de convaincre de l’absurdité, voire de l’inefficacité de cette protection.

En France, l’obligation du port du masque dans les lieux publics clos est majoritairement soutenue et respectée par la population, pourtant peu habituée jusqu’ici à cette protection. Selon une étude internationale publiée le 25 juillet par le cabinet KekstCNC, 73% des Français sont d’accord avec cette disposition. D’autres, en revanche, rejettent cette mesure, source d’un nouveau genre de tensions au quotidien.

“J’ai eu déjà trois altercations violentes dans des magasins”, raconte Sarah, membre de la page Facebook “anti masque obligatoire”. Elle “propose de dresser des listes noires, boycotter certains magasins et mettre en avant ceux qui vous laissent respirer”. Comprendre: qui autorisent les clients à ne pas porter de masque.

“Le masque ne sert à rien!”

“Je me suis disputé avec une cliente et la caissière d’un Lidl où j’ai fait mes courses aujourd’hui même, car l’élastique de mon masque ne tenait plus. Elle m’a dit: ‘mettez-le au moins sur l’oreille pour que je vous encaisse’”, raconte également Mourad, contacté par Le HuffPost. Âgé de 35 ans, cet homme originaire de Vincennes (Val-de-Marne) est le créateur de la page Facebook “anti masque obligatoire”, qui comptait ce 27 juillet près de 1900 membres. 

Mourad a créé ce groupe au début du mois de mai, avec le déconfinement et l’obligation du port du masque dans les transports en commun. Il se dit hostile au masque “car les gens sont devenus fous et agressifs envers les non masqués. Ils pensent qu’il s’agit de la peste alors que ce coronavirus est moins dangereux qu’une simple grippe si on se fie aux statistiques”, assure-t-il (le taux de mortalité du Sars-Cov2 est estimé par la plupart des études entre 0,5% et 1%, soit bien plus que la grippe saisonnière).

Comme lui, des centaines de Français se disent désormais opposés au masque, pour une multitude de raisons: il y a ceux qui revendiquent leur “liberté” de ne pas le porter, ceux qui le trouvent inconfortable, ceux qui refusent d’être des “moutons” en acceptant cette nouvelle obligation, ceux qui pensent que l’épidémie et les risques de deuxième vague sont surestimés, ceux qui préfèrent parier sur l’immunité collective et donc sur la transmission du virus, ou encore ceux qui ne croient pas en l’efficacité du masque, pourtant prouvée à de multiples reprises dans les revues scientifiques. 

“Le masque ne sert à rien!”, écrit une membre du groupe “anti masque obligatoire”. “Les amendes et les sanctions doivent changer de camp”, écrit un autre. “Non à la dictature médicale!”, “le port du masque est complètement insensé”, “le Covid est une vaste fumisterie”, peut-on aussi lire. Les groupes Facebook “Stop Carnaval masqué Stop Dictature” (précédemment nommé “Stop Confinement Stop Dictature”) et “Accrochez-vous, ça bouge!”, en Belgique, réunissent également plusieurs milliers de membres.

anti masque obligatoire / Facebook

 

Un “agrégat de profils différents”

Cette mouvance anti-masques est “un agrégat de profils ou groupes idéologiques différents”, analyse Tristan Mendès France, maître de conférences associé à l’Université de Paris, interrogé par Le HuffPost. “Cela va de groupuscules teintés politiquement, plutôt d’extrême droite, à un aréopage de mouvements complotistes. Des mécontentements et des indignations viennent aussi s’agréger autour de cette revendication, tout comme la mouvance anti-vaccins”, explique-t-il. Le spécialiste des cultures numériques note aussi la présence d’un discours “anti-science” ainsi que d’une “posture anti-Macron”: “c’est lui qui impose le masque, donc le masque est mauvais”.

Le mouvement est apparu aux États-Unis, où des manifestations contre l’obligation du port du masque ont été organisées ces dernières semaines, notamment en Floride, l’un des États les plus touchés par l’épidémie de coronavirus. Il s’est ensuite répandu dans le monde et en Europe, comme au Royaume-Uni avec le mouvement “Keep Britain Free”.

“En France, une partie de l’argumentaire et des visuels utilisés par les anti-masques est passée par le Canada francophone”, indique Tristan Mendès France. Sur Facebook, le “Regroupement contre le port du masque obligatoire”, fondé par un blogueur québécois, réunit plus de 9500 personnes. Dans la description du groupe, on peut lire que “le masque porté de façon inadéquate est plus dommageable que de ne pas en porter, selon l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) et l’Institut national de santé publique du Québec (INSPQ)”.

Sur les réseaux sociaux français, “il y a eu un crescendo à partir de l’annonce de l’obligation à venir du port du masque jusqu’au jour même de l’entrée en vigueur de l’obligation”, note Tristan Mendès France. “Ces mouvances gagnent en traction quand on commence à en parler dans les médias, elles suivent la viralité du moment”, ajoute-t-il.

Le nombre de messages sous le mot-clé “Stop masques” est depuis “significatif”, même s’il faut “se méfier de la loupe déformante des réseaux sociaux, qui peut donner l’impression qu’ils sont plus nombreux” qu’ils ne le sont vraiment, met en garde le spécialiste.

Le piège d’une politisation du débat

Pour l’heure, l’organisation d’une manifestation, comme au Canada ou aux États-Unis, n’est pas à l’ordre du jour de Mourad. “Nous ne sommes pour le moment pas assez dans le groupe, une bonne partie de mes membres sont de Belgique et du Québec”, indique-t-il. Mais des initiatives ont été lancées pour toucher le plus de monde possible: une pétition contre le port du masque comptait ce lundi plus de 7900 signatures, et de nombreux internautes appellent à écrire des messages anti-masques sur les masques eux-mêmes pour susciter l’intérêt d’autres personnes.

Pour Tristan Mendès France, “le pire” serait que “le masque devienne un enjeu idéologique”, comme aux États-Unis où les républicains, et en particulier Donald Trump, ont fait du port du masque une question de liberté individuelle et d’identité politique. “Ma grande inquiétude est que le masque se politise. Il faut voir jusqu’où cette incubation peut aller”, prévient-il.

Il voit en tout cas dans cette mouvance, ”éponge à complotisme”, “les prémices des discours que l’on rencontrera à l’heure du vaccin contre le coronavirus”: avec “les mêmes acteurs, les mêmes profils, les mêmes modes opératoires”. 

À voir également sur Le HuffPost : Manifestation anti-masque en Floride, très touchée par le Covid-19