Tribune

Opinion | Gilets jaunes, un nouveau mouvement social ?

En comparant les mouvements sociaux depuis une décennie, nous cherchons à mettre en lumière les spécificités du mouvement des gilets jaunes.

Par Bertrand Pauget (Maître de Conférences)
Publié le 19 nov. 2018 à 14:44

De nombreux sociologues ont expliqué le mouvement des "Gilets Jaunes" par les difficultés d'une frange de la population principalement périurbaine ou rurale face à l'augmentation des taxes sur les carburants. Comment circuler dans un contexte de renchérissement des coûts alors que les alternatives à la voiture sont parfois inexistantes ?

Nous souhaiterions proposer une explication complémentaire, mais différente en comparant ce mouvement social au regard de ceux qui ont eu lieu en France depuis une décennie. En quoi diffère-t-il des mouvements précédents ? En quoi est-il comparable ?

Les dernières années ont vu une succession de mouvements sociaux de nature spontanée. Fédérés via les réseaux sociaux, ils émergent puis disparaissent à une cadence qui ne faiblit pas. Il semble qu'il faille retourner aux luttes contre le gaz de schiste en 2010-2011 pour voir la matrice des mouvements futurs : la contestation contre le gaz de schiste était en effet spontanée et débordait les cadres idéologiques préétablis. Elle mobilisait le tout à chacun avec des personnes peu habituées à manifester. Les mouvements ultérieurs (comme la contestation contre l'aéroport Notre Dame des Landes, les bonnets rouges ou encore "Nuit Debout") s'en sont inspirés. C'est encore le cas des "Gilets Jaunes".

Dans le cas des "Bonnets Rouges" en 2013, il y avait une opposition aux écotaxes qui avait agi comme un catalyseur. En cela, ce qui se passe avec les "gilets jaunes" est comparable puisque c'est une hausse de la fiscalité dite "écologique" qui a cristallisé le mécontentement. Le modèle sous-jacent est la défense de ce qui est parfois qualifié "d'ancien monde", celui qui est issu de la seconde révolution industrielle. Les "gilets jaunes" semblent œuvrer comme une tentative de défense d'un mode de vie centré autour de la voiture, de la circulation et surtout du carburant à base d'essence.

Mais à la différence des "Bonnets Rouges", il n'y a pas eu pour l'heure de velléités d'institutionnalisation du mouvement : les manifestants n'ont pas ou peu cherché les soutiens politiques, syndicaux... Les "gilets jaunes" ne sont pas porteurs d'espérance pour une nouvelle manière de vivre ensemble ou même de le penser, contrairement à "Nuit Debout" par exemple. Faute de projet alternatif au-delà d'un rejet de taxes, le mouvement des "Gilets Jaunes" ne semble donc pas pouvoir être pérenne.

Lors de "Nuit debout" ou encore les oppositions à l'exploitation du gaz de schiste, les manifestants avaient souhaité investir des lieux symboliques associés au pouvoir républicain. Dans le cas des "Gilets Jaunes", il s'agit au contraire de péages, de ponts dépôts, de pétroliers... c'est à dire des lieux de transit symboles de la circulation (ou la permettant).

Il est intéressant de noter que ce mouvement émerge dans un ensemble plus vaste où sont questionnés le protectionnisme, la libre-circulation des personnes avec le Brexit par exemple et qui constituent un cadre anxiogène. Le discours pour rassurer sur la liberté de circuler (l'un des éléments fondateurs de la vision démocratique du XXe siècle) et qui s'incarne notamment dans le mythe de la voiture qui permet de se rendre partout, n'a eu que trop peu d'écho parmi le personnel politique. Que signifie circuler dans un monde "plus écologique" ? Quelles sont les initiatives permettant des alternatives à la voiture à essence soutenues ou initiées par l’État ? C'est sans doute une raison du mouvement, au-delà de l'augmentation des taxes.

Que conclure de ce mouvement des "Gilets Jaunes" ?

Empruntant aux mouvements sociaux contemporains, le caractère spontané, horizontal et apolitique se singularise par l'absence de vision d'"un autre monde". Il est un mouvement défensif face aux changements en cours. Le développement des voitures "sans pétrole" (comme les voitures électriques, à hydrogène...) pourrait découpler la vision liberté de circulation/pétrole. Mais ceci apparaît encore incertain faute de discours et d'orientation précise du politique sur ces thèmes.

Ce qui apparaît surtout manquant est le caractère violent des manifestations avec des débordements en tous genres qui ont eu lieu dès le début du mouvement. En ce sens, il constitue un calque négatif des mouvements sociaux des années 2010 qui étaient jusqu'ici plutôt caractérisés par un côté relativement "bon enfant" à leurs débuts. En effet, il était proposé des manifestations en familles, des débats ou des fêtes autour des manifestations. Nous en sommes loin ici.

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