L’auto-organisation ne suffit pas Une esquisse d’un tel programme — de révolution ouvrière anti­bureaucratique et de démocratie des conseils de travailleurEs — est apparue en Pologne quinze ans avant Août. Je pense à la « Lettre ouverte au parti » écrite par Jacek Kuron et Karol Modzelewski [2]. Après mars 1968 [3] l’opposition regroupée autour d’eux et les auteurs eux-mêmes ont discrètement abandonné ce ­programme et avec lui le marxisme. Le programme de la « Lettre ouverte » était déjà étranger aux militantEs du KOR [Comité de défense des ouvriers, fondé par les opposants après la répression des grèves de juin 1976], lorsque ces derniers ont acquis une influence parmi les travailleurEs. En automne 1980 Kuron, interrogé sur le marxisme, a réglé l’affaire en affirmant que c’était « une philosophie du mouvementsocial du 19e siècle, depuis longtemps dépassée ». À la fin de sa vie, en s’en prenant aux effets de la restauration du capitalisme, à laquelle il avait grandement participé, il affirmait de nouveau qu’il était marxiste. Dans les couloirs de la commission programmatique du 1er congrès de Solidarnosc, Kuron m’a traité de « naïf, qui croit encore les bêtises que nous avions écrites avec Karol dans la lettre ouverte ». […] Le développement impétueux de l’auto-organisation et d’activité ouvrière indépendante, l’accumulation progressive des expériences dans les domaines de la démocratie ouvrière et de la lutte des classes, le développement de la conscience, les aspirations croissantes au contrôle ouvrier des entreprises, à l’auto­gestion ouvrière et à la planification démocratique — c’était une des faces de la médaille. L’autre, au fil du temps menaçant de plus en plus d’une impasse, c’était le manque d’un parti politique des travailleurEs. Cette sphère ne supporte pas le vide et par la force des choses elle est remplie par des courants politiques qui représentent d’autres intérêts sociaux. Lors du congrès national il y avait une lutte souterraine, qui éclatait rarement et pour de courts instants de manière ouverte, entre le courant du KOR, la droite nationaliste et les éléments qui s’orientaient en fonction de leur conscience ou ne serait-ce que de leur instinct de classe, largement plus nombreux mais atomisés, entre le courant radical du mouvement autogestionnaire des entreprises et les éléments non seulement conciliateurs envers la bureaucratie, mais représentant aussi des tendances restaurationnistes plus ou moins cristallisées, même si masquées, entre les partisans et les adversaires de la démocratie ouvrière, de l’indépendance envers l’Église catholique, de la lutte pour le pouvoir des travailleurEs.