Education
Les limites de l'éducation positive

Suivre les principes de l'éducation positive s'avère être une gageure au quotidien.
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De plus en plus de parents estiment que cette méthode est aussi culpabilisante qu'inapplicable au quotidien.
"Cela a commencé par des publications sur mon mur Facebook, des pubs ciblées sur Youtube, des suggestions de comptes sur Instagram... Comme si Internet savait que je galérais avec mes trois enfants !" Shivmama, blogueuse et "mère indigne à la parentalité décomplexée" a été happée presque malgré elle par le raz-de-marée de l'éducation positive. Cette méthode très en vogue professe une nouvelle approche des rapports parents/enfants.
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"Il est primordial d'écouter l'enfant, de se mettre à sa hauteur"
"On ne dit pas qu'il y a une 'parentalité malveillante', s'amuse Arnaud Riou, conférencier et auteur de Pour une parentalité bienveillante (éd. Leduc). On estime simplement qu'il y a une dureté, un besoin de domination dans l'attitude de certains parents. Dans l'éducation positive, on considère qu'il est primordial d'écouter l'enfant, de se mettre à sa hauteur."
Conditionnés par des décennies d'éducation "à la dure", les parents seraient rigides, prompts à s'énerver pour un oui ou pour un non. "Si j'invite une amie à dîner et qu'elle renverse du vin sur ma nappe, je ne vais pas lui crier dessus. Pourquoi cela serait-il différent avec mon enfant ?, interroge Arnaud Riou. La violence ordinaire, elle est là. L'enfant n'est pas blessé par un 'non' mais par le manque de considération dont il est victime."
"Aujourd'hui, les parents sont extrêmement désemparés"
Pour Claude Halmos, psychanalyste, auteure de Dessine-moi un enfant (éd. Livre de Poche) et spécialiste de la petite enfance, le battage autour de l'éducation positive s'explique surtout par un total sentiment de confusion.
"Aujourd'hui, les parents sont extrêmement désemparés. La position de l'enfant a changé. On le considère comme une personne à part entière. On en vient à se dire : 'de quel droit puis-je lui interdire quelque chose ?' Ils sont aussi, et à juste titre, de plus en plus effrayés par la violence du monde, ajoute-t-elle. Ils ont tendance à se replier sur une enfance prolongée pour mettre leur progéniture à l'abri de cette violence. Ce sont les parents qui disent à tout bout de champ : 'il est encore petit, on ne peut pas lui interdire ça'."
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"L'éducation positive nie la réalité"
Tentée par l'expérience, Shivmama a décidé de changer d'attitude. "Je me mettais à la place de mes enfants quand ils faisaient un caprice. Je tâchais de ne pas considérer la crise, mais le 'pourquoi' de la crise." Rapidement, la jeune mère se rend compte du caractère chronophage de l'exercice.
"Au lieu de dire 'enlève tes chaussures', il faut dire 'qu'est-ce qu'on fait le soir quand on rentre de l'école ?', se souvient-elle. Avec trois enfants en bas âge, je n'avais pas toujours le temps. D'ailleurs, dans les vidéos sur Internet, on parle toujours d'un seul enfant et de couple traditionnel. Que fait-on quand on est mère célibataire ou quand on en a plusieurs ? L'éducation positive est déconnectée de la réalité. J'irais même plus loin : elle nie la réalité, au profit d'une vie aussi imaginaire que parfaite. On nous ment."
Le business de la culpabilité
À chaque fois que Shivamama craque et qu'elle a un mot plus haut que l'autre, son impression de mal faire est réactivée. La jeune femme se sent mise en échec et ne se reconnaît plus. "À vouloir appliquer une méthode tout droit sortie d'un livre, je n'étais plus naturelle avec mes enfants. On veut nous faire croire que tous les parents peuvent y arriver sans tenir le moindre compte du bagage personnel de chacun -moi, mes parents criaient par exemple-, d'un travail plus ou moins stressant, etc."
Claude Halmos estime que l'éducation positive présente une version édulcorée de la vie à des fins marketing. "La culpabilité des parents est un marché. On joue sur un sentiment qui ne demande qu'à être réveillé pour vendre des livres et des stages de parentalité. "
"L'enfant apprend par imitation"
Contrairement à ce que laisse penser le terme, l'éducation positive ne permettrait pas aux parents de laisser parler leur instinct et leurs élans naturels. Elle les encouragerait surtout à expurger de leur caractère tout penchant négatif. Se laisser à la colère ou à l'agacement, c'est en effet prendre le risque de voir son enfant reproduire ce comportement.
"L'enfant violent, agressif ou irrespectueux est un enfant qui n'a pas été écouté, entendu, qui ne se connaît pas, souligne Arnaud Riou. Ces réactions, on les utilise quand on a du mal à communiquer. Les parents disent : 'mon enfant est agressif'. Ce n'est pas le cas. C'est la relation qui est abîmée. Il ne faut pas oublier que les petits apprennent par imitation. Il y a une forme d'incohérence à interdire des choses que l'on s'autorise, comme de passer du temps devant son téléphone ou sur sa tablette."
Une idée qui hérisse Shivmama. "Je n'ai ni six ans ni trois. Alors même si j'interdis à mes enfants de regarder la télé, je m'octroie ce droit !"
"Un enfant a besoin d'avoir une place mais pas toute la place"
Selon les principes de l'éducation positive, les parents auraient le pouvoir de faire toujours plus, toujours mieux, pour peu qu'ils y accordent le temps nécessaire.
"Petit, l'enfant à besoin d'être au coeur de la vie de ses parents. C'est sûr, c'est un investissement de temps important, estime Arnaud Riou, mais cela vaut la peine. Un enfant qui est sécurisé dans ces jeunes années ira bien après. Bien sûr, chacun fait au mieux. Je ne cherche pas à culpabiliser les parents. Ce n'est d'ailleurs pas leur faute : il y a une inadaptation de la loi avec la parentalité. On le voit avec la durée très courte du congé maternité."
"Un enfant a besoin d'avoir une place mais pas toute la place, estime quant à elle Claude Halmos. Il est important qu'il sache que son papa et sa maman ne sont pas seulement des parents, qu'ils ont une vie. C'est cela qui lui donne envie de grandir."
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"L'éducation ne sert pas juste à faire une 'belle' enfance"
Ceux que la presse américaine appelle les "parents hélicoptères", eux, franchissent allègrement le pas qui sépare présence attentive et omniprésence. Très impliqués dans la vie de leurs enfants, ils font tout pour leur éviter coûte que coûte difficultés et échecs. Pourtant, selon une étude parue en 2015 et relayée par le site Slate, "la trop grande implication des parents hélicoptères empêche les enfants d'apprendre à gérer leurs déceptions."
Les émotions négatives, comme la colère, la frustration ou la peur ont pourtant leur rôle à jouer. Elles n'auraient pas les effets délétères qu'imaginent les partisans de l'éducation positive. "Ces parents fantasment l'idée d'une enfance merveilleuse, telle que eux auraient voulu avoir. Or, on oublie que l'éducation ne sert pas juste à faire une 'belle' enfance mais à préparer à la vie future. Un enfant a besoin d'un cadre pour être épanoui. Il n'y a rien de malveillant dans le conflit", reprend Claude Halmos.
Déçue de l'expérience de l'éducation positive, Shivmama estime même qu'elle peut être contre-productive. "Cela doit mettre une pression énorme à l'enfant que d'avoir des parents qui ne s'énervent pas. Il risque même de finir par croire qu'il n'est pas normal, que les sentiments qu'il éprouve sont mauvais."
"Les parents doivent reprendre confiance en eux en ayant à l'esprit un principe fort, confie Claude Halmos. Un enfant qui est aimé le sait profondément. Il ne confond jamais un parent maltraitant avec un parent de mauvaise humeur."