Qui eût imaginé, quand sont tombés les résultats du référendum britannique sur l’appartenance à l’Union européenne (UE), un matin blafard de juin 2016, qu’il faudrait quatre ans et demi à Londres et à Bruxelles pour solder leur divorce ? Qu’Européens et Britanniques finiraient par s’entendre in extremis, un 24 décembre, sur leur « relation future » post-Brexit, en pleine pandémie de Covid-19 ? Surprises, psychodrames et échéances ratées n’ont pas manqué pendant ces tractations.
A Bruxelles, les institutions européennes ont mis du temps à faire le deuil du Royaume-Uni, un partenaire difficile, mais de premier plan depuis 1973. A Londres, il aura fallu trois premiers ministres pour venir à bout du divorce et, au fil des années, la position du 10 Downing Street n’a cessé de se durcir, passant d’un soft Brexit à une franche rupture. Retour sur cette négociation hors norme, qui a mis fin à des carrières politiques, révélé des personnalités, généré son lot d’amertumes et de divisions, et mobilisé tant d’énergie des deux côtés de la Manche.
Chapitre 1 : Après le choc, Bruxelles s’organise, Londres tergiverse
23 juillet 2016. François Hollande a invité Jean-Claude Juncker, le président de la Commission européenne, à dîner à l’Elysée. Les deux dirigeants s’apprécient, même si le premier est socialiste quand le second est démocrate-chrétien. L’ancien premier ministre du Luxembourg, 61 ans, n’est pas en forme, c’est un homme blessé, il a besoin d’être rassuré, et cette soirée tombe à pic.
Un mois plus tôt, le 23 juin, les Britanniques ont voté, à 51,9 %, pour le Brexit et, pour ce passionné de la chose européenne, c’est un désastre personnel. Mais c’est aussi, il le sait bien, un camouflet – certains lui imputent la responsabilité de l’issue du référendum. A la table des Vingt-Sept, M. Juncker n’a pas que des amis. Et les Etats membres veulent avoir la main sur la future négociation du divorce avec Londres, qui sera cruciale pour l’avenir de l’UE.
Le Luxembourgeois n’a pas un caractère facile, mais c’est un fin politique. Ce soir-là, il propose à François Hollande de nommer Michel Barnier à la tête de la future cellule chargée de la négociation avec Londres. Le gaulliste connaît bien les Britanniques pour avoir négocié avec eux quand il était commissaire européen au marché intérieur, chargé de la régulation du système bancaire, après la crise de 2008. Le Français a été plusieurs fois ministre (agriculture, affaires étrangères) et commissaire, il a fréquenté les chefs d’Etat. Les capitales apprécieront, pense M. Juncker, et la Commission pourra garder le contrôle sur la future négociation. Le Luxembourgeois a vu juste, Paris le soutient, et Michel Barnier est nommé le 27 juillet 2016.
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