Faut-il encore expatrier ses salariés ?

Les modalités d'expatriation ont largement évolué ces dernières années, mais les entreprises continuent d'y voir un vecteur stratégique du développement de leur business.

(Shutterstock)
Publié le 18 juin 2018 à 7:09

En France, ce sont plus d'un tiers des salariés français (37 %) qui envisagent de s'expatrier dans les deux ans, selon une récente étude ADP. Pour l'heure, ils sont 1,82 million de Français inscrits au registre consulaire à résider à l'étranger. Parmi eux, une grande partie reste sous contrat d'expatriation avec leur entreprise.

Le modèle n'est plus le même

Souvent perçue comme très coûteuse, l'expatriation continue de séduire les entreprises qui pourraient pourtant choisir d'embaucher des locaux. Mais le besoin n'est plus le même qu'auparavant, comme le précise Myriam Couillaud, la directrice des ressources humaines France de HSBC, pour qui le choix d'envoyer un salarié en expatriation est délibéré et stratégique. « A partir du moment où nous avons besoin d'un type de profil qui apporte une compétence et une connaissance du marché à une équipe, alors le sujet ne se pose pas. » Le package d'expatriation est le fruit d'une négociation et peut prendre différentes formes : prise en charge du logement sur place, de la scolarité des enfants, aux indemnités liées aux risques de sécurité du pays d'accueil, etc. Mais la tendance change. Il arrive de plus en plus qu'un expatrié coûte moins cher qu'une recrue locale. « Un directeur du marketing en Chine touche davantage que son homologue à Paris », pointe Thomas Bucaille, DRH de Petit Bateau. D'autant que les conditions d'expatriation ont évolué. « C'est fini, l'expatrié avec son casque à plumes et ses packages coloniaux ; ce n'est plus du tout la réalité des entreprises. »

Informaticiens et risk managers

Concernant les profils, « tous les métiers sont concernés », témoigne la directrice RH France d'HSBC. Mais elle précise qu'actuellement, ce sont les profils banque d'investissement et de marché, les informaticiens et les salariés du département « risque » qui ont le vent en poupe. Le processus de sélection est d'ailleurs très sélectif et se fait par les DRH au travers de nombreux entretiens, surtout en période de fin d'année. Une exigence motivée par la volonté d'apporter une vraie valeur ajoutée au business de l'entreprise. Cela peut prendre la forme de contrats d'expatriation courts ou longs, de transferts internationaux pour ceux qui veulent s'établir durablement à l'étranger, ou encore de V.I.E. Chaque année, entre 100 et 150 contrats sont signés.

Mais le retour sur investissement est difficilement quantifiable et peu suivi par les RH. « Si l'équipe fait bien son travail, on voit une évolution des compétences. Mais c'est un suivi humain, pas scientifique », note Thomas Bucaille. Certaines compétences - maîtrise d'un nouvel outil informatique ou d'une langue - sont plus faciles à évaluer que des « soft skills », qui relèvent de la sphère relationnelle et culturelle.

Promotion d'une culture mondiale

Bénéfique pour le salarié en termes de développement professionnel, le contrat d'expatriation est un outil de gestion, voire un accélérateur de carrière qui permet d'identifier un talent pour lui ouvrir des portes à l'international. « Il est fondamental de donner des opportunités de carrière à nos salariés, c'est un pilier de notre politique RH », estime Myriam Couillaud. « Nous concernant, une mobilité sur sept se fait à l'international. » L'entreprise offre ainsi à ses collaborateurs une expérience formatrice dans des équipes multiculturelles qui leur permet de développer de nombreuses compétences.

Mais surtout, c'est un vecteur d'accompagnement culturel. Comme le remarque Thomas Bucaille, DRH de Petit Bateau, « l'expatrié exporte les valeurs du siège, et surtout les éléments implicites de la culture d'entreprise tels que les non-dits, de l'ordre du comportement et du savoir-être. Une personne recrutée localement ne portera pas tout cela ». Le professionnel en mission à l'étranger amène des compétences techniques et forme les locaux sur place. « Si nous développons une technologie en France et qu'elle présente un intérêt ailleurs dans le monde, le collaborateur français viendra apporter son expertise », confie la DRH d'HSBC.

Le groupe bancaire, présent dans 70 pays, admet que l'envoi d'un expatrié est aussi un atout marketing qui fait partie de leur ADN. « Nous avons tout intérêt pour nos clients à avoir des équipes internationales qui sont composées de plusieurs nationalités car c'est en partie ce qu'ils viennent chercher chez nous ! » Thomas Bucaille partage cette vision, lui qui considère qu'une société qui souhaite se développer à l'échelle mondiale doit avoir un leadership multiculturel. « Nous ne sommes pas un groupe international si nous n'avons que des Français en France et des Chinois en Chine. » Partir à l'étranger permet de baigner dans un contexte multiculturel et d'appréhender des enjeux business globaux, indispensables à un futur directeur.

Une expatriation à double sens

Les PME, pour lesquelles le développement à l'étranger est souvent crucial, sont les premières à expatrier des personnes pour exporter leurs valeurs. « Les équipes en local n'auront pas forcément les bons repères ni la même vision en termes de management ou de positionnement sur le marché, indique Virginie Jocteur Monrozier, CEO d'OptimExpat, une société qui accompagne les expatriés. C'est un risque qui peut mener à une perte de contrôle sur le développement de l'activité à l'étranger. »

A noter que l'expatriation fonctionne dans les deux sens. Le groupe L'Oréal accueille en France 300 expatriés étrangers venus des filiales locales. « Ils viennent se former à la culture du groupe puis repartent dans leur pays pour être promus », assure Sandra Martin, responsable de la mobilité internationale pour L'Oréal France. En effet selon elle, dans le secteur de la beauté, il est fondamental que ce soient des locaux - et non des Français - à la direction des filiales étrangères, car ils ont la connaissance la plus fine du marché.

Peu de contentieux

L'expatriation est d'autant plus usitée qu'elle ne suscite que peu de contentieux, selon Philippe Pacotte, avocat à la Cour et associé du cabinet Delsol Avocats. Pour lui, les entreprises doivent prêter attention à deux points principaux. Au moment du rapatriement, elles ont bien entendu l'obligation de reclasser le salarié en leur sein, mais à un poste qui s'inscrit dans la suite logique de sa carrière. Parfois mal anticipée, la réintégration crée du ressentiment et certains salariés se retournent contre leur employeur pour un reclassement qui porte préjudice à leur carrière. « Pour une entreprise, se retrouver aux prud'hommes à la suite d'une expatriation est un enjeu à la fois financier mais aussi social », affirme Philippe Pacotte. C'est en effet un fâcheux message envoyé aux potentiels candidats internes à l'expatriation.

Autre risque : un mauvais calcul des indemnités en cas de licenciement pour les années passées à l'étranger. En 2012, la Cour de cassation a donné raison à un salarié qui souhaitait que le montant de sa rémunération brute - base de calcul pour son indemnisation - intègre le logement et le véhicule de fonction que l'entreprise lui avait octroyés en expatriation.

Camille Marchais et Florent Vairet

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