Afin de distinguer les statuts de salarié “détaché” et de salarié “expatrié”, et de comprendre en quoi ces termes sont déterminants lors un séjour au Maroc, nous avons interrogé Lina Fassi-Fihri, associée au bureau de Casablanca du cabinet français d’avocats d’affaires internationales LPA-CGR.

Commençons par le cas du détachement d’un salarié français au Maroc. Quels liens le rattachent à son entreprise d’origine ?

Lina Fassi. Un salarié détaché conserve le contrat qu’il a conclu avec son entreprise d’origine, complété éventuellement par une “lettre de détachement”. Le lien de subordination avec l’employeur français est maintenu et le salarié est protégé en cas de résiliation de son contrat : il est assuré d’être rapatrié et reclassé. Une fois au Maroc, la lettre de détachement simplifie les démarches d’obtention du contrat de travail étranger (CTE), indispensable pour résider dans le pays.

À l’étranger, le salarié détaché doit-il uniquement respecter le Code du travail français ?

Le Code du travail français reste en vigueur, mais le salarié doit par exemple s’adapter aux jours fériés et à la durée hebdomadaire de travail en vigueur au Maroc (quarante-quatre heures). Il est possible d’aménager certaines mesures de manière conventionnelle, mais pour ce qui relève des dispositions d’ordre public, le droit marocain prévaudra.

La loi française prévoit une durée limitée au détachement, décidée par le pays d’accueil. Quelle est cette durée au Maroc ?

Au Maroc, la durée de détachement a été fixée par la convention de Sécurité sociale signée entre le Maroc et la France en 2007. Elle est de trois ans et n’est renouvelable qu’une fois. Pendant cette période, le salarié détaché bénéficie de la sécurité sociale française : ses soins, réalisés en cabinets ou cliniques conventionnés, sont remboursés. Au-delà des trois ou six ans, il cesse d’être affilié au régime de la Sécurité sociale. Avant de partir, il faut donc qu’employé et employeur se mettent au clair sur la durée de détachement. Enfin, l’entreprise ne doit pas oublier de déclarer en France le détachement de son salarié auprès de la Sécurité sociale.

Et en ce qui concerne les impôts, à qui le salarié doit-il les verser ?

Sa rémunération lui est versée par l’entreprise d’origine en France : l’impôt sera donc “français”. De plus, une convention fiscale franco-marocaine encadre les revenus salariaux en fonction de certains critères afin d’éviter notamment la double imposition. La situation se complique si une partie des revenus est payée au Maroc, puisque l’impôt est retenu à la source. Mais la fiscalité est encore plus compliquée dans le cas d’un expatrié !

Justement, parlons de l’expatriation. À nouveau, quels liens un salarié expatrié conserve-t-il avec son entreprise d’origine ?

Contrairement au détachement, le contrat initial d’un expatrié avec son entreprise d’origine est “suspendu” le temps de son expatriation. Parfois, l’employeur incite son salarié expatrié à démissionner de l’entreprise établie en France et le pousse à se rattacher uniquement à l’entité locale dans laquelle il travaille : dans ce cas, l’expatrié perd ses droits au rapatriement et au reclassement, car ses liens sont rompus avec l’entité française. Localement, seul le contrat de travail étranger (CTE) subsiste, mais ce dernier ne lui garantit aucune protection en cas de démission et les indemnités dont il peut bénéficier en cas de licenciement sont faibles. Cette situation est à éviter absolument.

Que représente donc ce contrat de travail étranger (CTE) pour un expatrié, sachant qu’il est également requis pour un salarié détaché ?

Il s’agit d’un acte administratif délivré au Maroc sur lequel le salarié n’a aucune prise. À ce CTE se superpose un contrat de travail (CDI ou CDD) signé avec l’entreprise locale. Régulièrement, c’est sur ce dernier contrat que le salarié expatrié négocie ses avantages, ses bonus, etc. Mais cela ne sert à rien d’y inscrire des clauses de garantie en cas de résiliation : aux yeux de la justice marocaine, seul le CTE est valable. C’est pour cela qu’il est essentiel de continuer à s’assurer une solution de repli en France, en cas de rupture du contrat local.

Le salarié expatrié est soumis au régime marocain de sécurité sociale. Est-il courant de souscrire en plus à la Caisse des Français de l’étranger (CFE) ?

En effet, en plus d’avoir accès à la Caisse nationale de sécurité sociale marocaine (CNSS), les expatriés choisissent de s’inscrire à la CFE ou à une assurance privée du même type. Cependant, les cotisations sont chères : leurs règlements peuvent faire l’objet d’une négociation lors de la signature du contrat local ou bien lors de l’envoi en expatriation.

Et paye-t-il les impôts au Maroc ?

Le salarié expatrié est rémunéré par l’entreprise d’accueil, en devise locale. L’impôt sur le revenu est alors prélevé à la source par les autorités marocaines, mais le salarié doit parfois également payer certaines charges en France. Il arrive que le salarié demande à sa société de faire un split du salaire, donc de le verser en partie au Maroc et en partie en France, afin de faciliter le paiement de ces charges. Les entités se refacturent ensuite entre elles ce qu’elles se doivent, après avoir obtenu l’autorisation auprès de l’Office des changes marocain. En ce qui concerne l’imposition en cas de split, le salarié expatrié paie, d’une part, au Maroc un impôt sur le revenu qui lui est versé localement et, d’autre part, un impôt sur le revenu versé par la partie française (considéré comme un “revenu mondial”, donc imposable). De manière générale, je conseille vivement à ceux qui s’expatrient d’exiger de leur entreprise d’origine qu’elle leur offre les services d’un expert fiscaliste.

L’expatriation semble juridiquement moins confortable que le détachement. Quels sont les pièges à éviter ?

Il n’y a pas de “pièges” à éviter, il faut simplement connaître les subtilités juridiques de l’expatriation. L’important est de tenter de garder un lien avec l’entreprise d’origine et de savoir qu’on ne pourra pas déroger conventionnellement à un CTE. Lors de la négociation du contrat d’expatriation, il est donc recommandé de s’entourer d’experts juridiques et fiscaux afin de préparer le séjour et d’éviter toute mauvaise surprise. Malheureusement, il arrive régulièrement que l’on promette monts et merveilles à un futur expatrié, à condition qu’il démissionne de l’entreprise en France. Cet expatrié se voit accorder de nombreux avantages via son contrat local, mais il perd toute garantie de reprise par son entreprise d’origine. C’est très dangereux, car il peut se retrouver sans rien du jour au lendemain.

Louise Sallé