Privilégiée au début de la pandémie, l’expression « distanciation sociale » a progressivement disparu des éléments de langage des membres du gouvernement. Dans l’immense majorité des prises de paroles d’Edouard Philippe ou Olivier Véran depuis la fin du mois d’avril, c’est désormais le terme « distanciation physique » qui s’impose.
Simple détail sémantique pour éviter ce « terme barbare » de distanciation sociale, comme le désignait la porte-parole du gouvernement, Sibeth Ndiaye, fin avril dernier ? Pas si simple, explique Adrien Rivierre, spécialiste de la prise de parole en public et auteur de « L’Homme est un conteur d’histoires », (Ed. Marabout) dans l’interview vidéo ci-dessous.
D’abord, l’expression n’est pas exacte. Le spécialiste de la parole en public remarque :« On peut être au milieu d’une foule, très entouré physiquement, et se sentir seul socialement. Au contraire, on peut être isolé physiquement, en confinement par exemple, et se sentir très entouré socialement car on sait que nos amis sont à portée de téléphone »
Mais au fait, aura-t-on encore des amis après le confinement ?
Un terme connoté politiquement
Traduction « maladroite, voire malheureuse » de l’anglais, le terme distanciation ne désigne pas, en français, un écart spatial, mais trouve son origine dans le domaine du théâtre, pour caractériser la distance que crée un auteur, un metteur en scène entre le spectacle et le spectateur, explique le dictionnaire CNRTL. Mais il peut aussi désigner, continue le dictionnaire, un « écart, refus de relation existant entre différentes classes sociales ». L’expression « distanciation sociale » devient alors plus politique, notamment dans le contexte français, relève Adrien Rivierre.
« Contrairement à l’anglais, le terme social est très connoté en français. Depuis le XIXe siècle et les premiers mouvements révolutionnaires et contestataires, ce mot revêt une couleur, une aura politique. On parle d’ailleurs de lutte sociale, de mouvement social, de catégorie sociale, ce qui renvoie aux différences, aux inégalités. »Pourquoi l’épidémie de Covid-19 agit comme un révélateur d’inégalités
Sans doute pas le message que veut faire passer le gouvernement dans la période actuelle. Ainsi, l’expression « distanciation physique », permet d’éliminer le risque de réactiver des peurs ou des angoisses de distinction sociale.
« Dans le contexte du mouvement des ’gilets jaunes’, des fortes contestations sur la réforme des retraites et de la reprise des mouvements sociaux en mai et juin de cette année, ce terme de distanciation sociale est probablement difficile à tenir ».Comment l’exécutif a fait volte-face sur le port du masque chez les non-soignants
Un terme plus responsabilisant
Enfin, ce changement sémantique s’inscrit dans une stratégie de responsabilisation des Français face à l’épidémie. « Le mot social renvoie au collectif », souligne l’expert de la parole publique. Au contraire, la distanciation « physique », que l’on peut mesurer, revêt une connotation plus neutre, plus mathématique, mais aussi plus individuelle.
Pour Adrien Rivierre, « c’est une manière de dire à chacun d’entre nous que c’est notre responsabilité de prendre cette distance de sécurité. »
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