Mon bébé est né, et impossible de l'aimer...

Si je n’avais pas été hospitalisée, je ne serais plus là pour témoigner. Cette période a été une épreuve, je ne m’attendais pas à toucher le fond à ce point. J’avais déjà fait une grosse dépression après la mort de ma mère, il y a cinq ans. C’est pourquoi, pendant ma grossesse, j’ai consulté un psychiatre une fois par mois pour prévenir une éventuelle rechute. Mais cela n’a pas suffi.

L’accouchement a été difficile et long. Léo est né le 19 janvier 2007. Quand la sage-femme l’a posé sur moi, j’ai ressenti de l’émerveillement plus que de l’amour. Arrivée dans ma chambre, je n’ai pas réussi à dormir. Mais je l’ai mis sur le compte de l’excitation. En plus, je n’arrivais pas à faire pipi. Après une 4ème nuit d’insomnie, je suis rentrée chez moi avec une douleur sur le côté. Le 6ème jour, j’ai filé aux urgences : je souffrais d’une infection urinaire qui s’était propagée jusqu’aux reins. Je suis restée à l’hôpital pendant 8 jours : perfusion, antibiotiques, etc. Paradoxalement, j’ai vécu ce séjour comme une délivrance parce que je n’avais pas à m’occuper de mon bébé. Malgré les somnifères, je ne dormais toujours pas, je me posais un tas de questions, dont la principale : « Est-ce que je vais réussir à l’aimer ? »

A ma sortie de l’hôpital, mon mari a pris un congé paternité. Sa présence me rassurait mais j’ai commencé à avoir des crises d’angoisse, à perdre l’appétit, à vomir. Je n’aimais toujours pas ce bébé et j’en souffrais terriblement. Je me sentais minable. J’avais tellement honte, peur que mon mari me prenne pour un monstre, peur de ne lui avoir parlé de rien. Il s’occupait tellement bien de Léo ! Sa facilité à être père me renvoyait encore plus à ma défaillance. Il s’inquiétait pour moi car il me savait fragile. Mais il relativisait mon état : les premiers mois sont toujours difficiles, non ? J’avais l’impression que j’avais la garde de cet enfant, qu’il n’était pas le mien. Je me forçais à le prendre dans mes bras, à l’embrasser, à lui dire que je l’aimais. Mon mari a repris son travail et la descente aux enfers s’est poursuivie.

Comme tous les matins, je continuais à me demander : « Comment vais-je faire ? » Je suis retournée voir mon psychiatre qui, tout en me mettant sous antidépresseurs et anxiolytiques, m’a dit qu’il ne fallait pas s’inquiéter, que c’était juste un baby-blues. Ma gynécologue a fait le même diagnostic. Moi, je savais que mon mal était plus grave. En surfant sur Internet, j’ai vu que je souffrais d’une dépression post-natale… Toujours grâce à Internet, je suis entrée en relation avec d’autres mamans dans mon cas. Enfin, on me comprenait !

Non, je n'étais pas un monstre

Trois mois après la naissance, j’ai éprouvé une forte montée d’angoisse. C’était un dimanche. Je me souviens très bien : je ne pouvais pas affronter seule une semaine de plus. J’avais peur d’être avec lui. Plus la journée avançait, plus j’étais terrifiée, perdue. J’ai fini par lâcher à mon mari que j’avais l’impression de ne pas arriver à aimer mon fils. Je voulais qu’on m’hospitalise. Il n’était pas d’accord, invoquant que c’était une fuite, qu’il ne le supporterait pas, que c’était irréfléchi. Mais non ! Un mois que j’y pensais ! Le lundi, à bout, j’ai appelé ma tante, qui travaille à l’institut de puériculture de Paris. Je lui ai tout raconté, que j’étais au bord du gouffre. Elle a aussitôt obtenu un rendez-vous avec un médecin qui m’a enfin entendue.

Après 2 heures d’entretien, je me suis sentie plus légère. La délivrance : il voyait que je n’étais pas un monstre. Et m’a même dit que vouloir être hospitalisée était la plus belle preuve d’amour pour mon fils. Trois jours plus tard, j’ai rencontré, avec mon mari et mon enfant, le Dr Laffont, de l’unité mère-enfant de l’hôpital de Montesson. En arrivant, j’ai pensé que j’allais enfin pouvoir revivre. Nous étions le 24 avril. Une infirmière m’a accueillie, écoutée pendant une heure, aidée à installer le lit de Léo dans la nursery, son tour de lit, ses peluches. Je me suis couchée sans somnifère et, pour la première fois depuis l’accouchement, j’ai dormi toute la nuit.

Je me sentais protégée. Le premier mois a été difficile, avec beaucoup de hauts et de bas. Le personnel hospitalier m’a accompagnée pas à pas, m’a aidée à entrer en communication avec mon fils. Le lien existait, mais il était englouti par l’angoisse. Elles m’ont toujours soutenue, tout en restant discrètes.

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Touchée en plein coeur

La journée type ? Je me levais vers 8 h15, prenais mon petit déjeuner puis habillais mon loulou. J’allais ensuite avec lui à l’atelier de psychomotricité. Quand j’ai commencé à aller mieux, je l’emmenais se promener dans le parc. Je le faisais déjeuner, puis sieste, histoire, goûter, balade, bain, etc. Deux fois par semaine, je voyais la pédopsychiatre. Plus souvent, si je le désirais. Tous les week-ends, je regagnais mon domicile.

Mi-juin, j’ai eu un élan d’amour, le déclic, c’était mon fils et je l’aimais. J’avais hâte de le retrouver dans son petit lit et de lui faire un câlin. Est-ce parce que mon bébé avait grandi, était plus apte aux échanges ? J’ai décidé de sortir fin juin, surtout pour faire plaisir à mon mari et aussi parce que j’allais mieux. Mais plus la date approchait, plus je reculais ! Et je suis restée un mois de plus… Entre-temps, on avait déménagé : dans l’ancien appartement, j’avais vécu le décès de ma mère et mes dépressions. J’avais besoin d’un nouveau départ, d’une renaissance. Je suis sortie définitivement le 22 juillet.

L’unité de soins a été mon cocon, mon nid, mon refuge. Je suis arrivée à quatre pattes et j’en suis ressortie debout. Je me suis découverte mère. Je n’imaginais pas aimer mon fils à ce point ! Mon couple est ressorti grandi de cette histoire. Pourtant, on a failli se séparer en janvier. Avec mon hospitalisation, mon mari était devenu distant, et moi je vivais cela comme un abandon. Mais j’ai compris qu’il avait souffert de cette situation, qu’il avait culpabilisé de ne pas avoir pu m’aider.

Du côté de mon entourage, à part deux amis, silence radio. La dépression fait peur ! Je pense à un 2ème enfant, mais j’ai peur de replonger. Je reste fragile mais je me raisonne : que sont 3 mois de souffrances dans une vie ? En tout cas, je ne descendrai plus aussi bas ! Car je suis soutenue. J’ai compris que la dépression n’était que la partie immergée de l’iceberg, que je n’avais pas fait le deuil de ma mère, avec qui j’avais une relation fusionnelle. Certes, j’ai un terrain fragile car mon père est dépressif, mais ce n’est pas une fatalité. J’ai repris mon travail à mi-temps, Léo est à la crèche. On a réappris à vivre à 3. Et je milite pour que cette maladie soit connue. Et qu’elle ne soit plus taboue.