05.10.2016Vivre la dépression, trouver du sens et renouer avec la vie

Témoignage de Jeanine

La dépression, d’abord un long tunnel…

Pour moi, la dépression sévère a été un puits sans fond dans lequel je ne cessais de tomber, toujours plus bas, un tunnel obscur qui ne mène nulle part, avec un isolement presque total, un sentiment de honte invraisemblable, un incompréhension toujours plus opaque, une perte d’identité,  une dépersonnalisation… Je n’étais plus rien, n’avais plus de place même où être, surtout au sein de ma famille et même de mon église. Ma vie avait perdu tout son sens.

Pourquoi moi ? Pourquoi devais-je subir un tel rejet de presque tous (une seule amie me restait, qui a fini par se retourner contre moi) ? Pourquoi le peu de mots que je prononçais provoquait de tels jugements, condamnations par presque tous ceux qui m’entouraient ? Pourquoi une telle faillite dans toutes les communications ?

Dans notre société, on entend très souvent la phrase « On est ce qu’on fait ». Donc quand on est devenu incapable de faire quoi que ce soit, quand on tombe à l’AI (quelle honte pour moi), on n’est plus rien.
J’étais devenue inutile, un rebut, une charge insupportable, avec une tentation énorme, une fascination du néant pour ne plus souffrir.

Chercher des soutiens et des appuis pour continuer à se battre…

Il faut des forces pour pouvoir se battre. Il faut beaucoup de temps pour retrouver un peu de forces. Il faut un psychiatre compétent, compatissant pour soutenir, porter à bout de bras et de mots la malade, et pouvoir commencer la lutte ! 
Il faut retrouver le désir de s’en sortir, même s’il n’y a qu’une chance sur cent !

Je n’étais plus rien, n’étais reconnue par personne même en famille, même par mes filles.
Il faut rechercher son identité perdue (pour moi : commencer à écrire mes mémoires, surtout mon enfance, ma vie à l’étranger, la mort de mon mari, le comportement de mes filles).

Il faut prendre des cours pour essayer de comprendre ce qui est arrivé, découvrir ses besoins, reconnaître ses limites, (re)devenir capable de prendre la parole, assumer une responsabilité si petite soit-elle, retrouver une place dans un nouveau milieu pour «oser être » à nouveau soi-même, réapprendre à être soi-même. Il est précieux de retrouver des valeurs anciennes et surtout des nouvelles, redécouvrir qui on est, d’où vient la vie, ma vie, pour qui est-ce que je compte, trouver un lien de vie, un lieu de croissance où s’épanouir…

Je ne comprends pas comment ni pourquoi la maladie psychique détruit autant la personnalité (on n’est presque plus qu’un corps vide) ? Pourquoi c’est si long pour reconstruire sa personnalité, retrouver une dignité, un « droit d’être » ?

Mon histoire …

Mon mari est décédé  en 1995, mes enfants avaient 12, 14 et 18 ans. 
Pendant un an j’ai été comme portée par quelque chose que je ne peux pas expliquer (de l’ordre d’une révélation impossible à partager), puis ça a été la terrible descente. 
Je n’ai appelé à l’aide qu’à la fin 1999 et commencé une psychothérapie. 
Au début, j’ai subi cette psychothérapie uniquement par obligation et je stagnais complètement. Le déclic a mis longtemps à se faire.
En 2003, j’ai eu mes premiers contacts avec le Graap, où j’ai rencontré des personnes en souffrance psychique comme moi (je n’étais plus seule dans ce cas). 
Puis en 2004, j’ai vécu un bilan de compétences grâce à la Fondation IPT (Intégration pour tous), à Lausanne. Ensuite j’ai aussi intégré le chœur mixte local. Ce sont notamment ces lieux qui m’ont permis de recommencer à vivre à nouveau : sortir, voir et parler avec des gens, découvrir d’autres lieux de vie au cours de deux stages, cela peut paraître peu de choses mais, à l’époque, c’était énorme pour moi.
Au Graap, j’ai suivi divers cours de formation (L’écoute active - Ecouter ses besoins pour mieux entendre ceux des autres – La communication non-violente  –  Les maladies psychiques et leurs médications – Apprendre à s’aimer -  etc.).
J’ai pu, petit à petit, prendre des responsabilités, reconnaître mes compétences : le service à la cafétéria, la responsabilité de la Galerie d’exposition, l’écriture de textes et interviews pour le journal interne, etc.
Tout cela m’a aidée à donner un sens à ma vie, une raison de continuer à me lever le matin et à respirer, une dignité face aux autres. Je me sens riche d’une multitude de connaissances que je n’avais pas avant d’être tombée malade.

Avec mes proches aussi, les choses ont avancé avec le temps. Au tout début, j’avais tellement honte de ma maladie que je l’ai cachée à ma mère. Avec mes enfants, je pensais qu’une maman devait aller toujours bien et rester debout. En réalité, quand ma mère et mes filles ont, elles aussi, pu savoir que j’étais malade et soutenue par un médecin, cela les a beaucoup soulagées. En fait, nous étions toutes très angoissés chacune de notre côté par mon état, sans oser en parler et avec des idées fausses sur ce que chacune pensait.

Dans ma communauté de foi aussi j’ai retrouvé une place, par exemple en vivant des camps paroissiaux (oser vivre en communauté pendant une semaine, quel défi pour moi !).

Voilà en quelques mots le parcours de vie avec la maladie psychique qui m’a amenée là où je suis aujourd’hui.

Je sais que je dois rester vigilante pour ne pas retomber dans des travers destructeurs,  négateurs de vie. Mes filles sont  adultes et mariées (l’une m’a rendue grand-mère de deux petits-enfants), elles me soutiennent maintenant. Un réseau de personnes accueillantes et matures m’entoure en cas de besoin. 

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