Karrie nous a envoyé ce témoignage, nous le diffusons sans aucune modification.

En 2015, j’ai vécu la pire période de ma vie. J’aimerais vous en parler et vous raconter ce que j’en ai tiré. Je ne veux pas donner de recette miracle ou faire de mon histoire un exemple typique de vécu dépressif, parce que personne ne vit les choses de la même façon et je n’ai pas la prétention de vous dire quoi faire pour mieux gérer les choses. J’espère simplement que ce vécu parlera à certain·es, voire donnera des clefs pour celleux qui en cherchent encore. Je trouve malheureux qu’aujourd’hui encore il soit si compliqué et stigmatisant de se faire aider en cas de trouble mental. Que tout soit encore si tabou. Donc, voilà mon vécu, pour ce que ça vaut.

La dépression, cette spirale infernale

J’ai aujourd’hui 26 ans et je mène depuis toujours une vie somme toute banale, avec son lot de joies, de contrariétés et tout un tas de privilèges : blanche, diplômée, en relativement bonne santé, soutenue par papa-maman en cas de coup dur. Aussi, pendant des années, je me suis dit qu’aller voir un psy pour parler de mes tracas n’était pas utile. Je n’avais pas de raisons « tangibles » d’aller mal. Ce que je ne savais pas, c’est que le mal-être mental n’a pas besoin de ça pour laminer quelqu’un·e. Si vous allez mal, vous allez mal. C’est aussi bête que ça.

L’apparente « perfection » de votre vie n’a rien à voir là-dedans. Je ne sais pas exactement quand j’ai commencé à sombrer, mais les petites difficultés du quotidien, les contrariétés, les complexes, mes difficultés relationnelles, tout ce que j’avais « repoussé » parce que c’était « gérable » a fini par devenir une gigantesque montagne uniforme que je n’arrivais plus à dépasser ou à vaincre. J’ai ressenti ça comme une bombe qui me tombait dessus, mais avec le recul, ça allait crescendo d’année en année jusqu’à devenir insupportable. J’ai juste estimé que je serais capable de m’en sortir toute seule, que c’était ça, être adulte.

J’ai en quelque sorte trébuché, et le cauchemar a commencé : toute la journée du matin jusqu’au soir et jusque dans la nuit, l’envie de mourir, ou du moins d’arrêter de souffrir. Les sautes brutales d’humeur entre la tristesse, la joie, la fureur. Les mots durs envers les proches et les inconnu·es. Le besoin impérieux d’être entourée. Des appels à l’aide plus ou moins subtils aux personnes qui m’étaient chères et qui ont fait tout ce qu’iels ont pu pour m’aider. Ma colocataire, mon ami qui me retrouvaient en sanglots et ne pouvaient que me prendre par les épaules et me répétaient que ça allait rouler, qu’iels m’aimaient, etc. C’était indispensable pour me maintenir en vie, mais ça n’allait pas me sauver. Et je culpabilisais que tout ce soutien, toute cette affection ne suffisent pas.

J’aurais voulu – aujourd’hui encore – que ça suffise. Leur amitié a été si grande, je ne sais pas ce que j’avais fait pour la mériter, d’autant que je sais que je les ai fait·es souffrir à plus ou moins grande échelle. Je culpabilise toujours. Je ne sais pas si j’ai été cliniquement dépressive, mais au final, ça n’a pas beaucoup d’importance : l’apathie, la douleur, l’envie d’en finir étaient là.

Être dépressife – ou son équivalent – ce n’est pas juste être triste : c’est vivre tour à tour une panoplie de sentiments qui minent : la tristesse, l’apathie, le désespoir, la colère… le pire melting pot qui soit. Comment décrire son état quand on est dépressife ? Comment faire voir aux gens qui s’obstinent à répéter « vois les choses de façon positive » que ce n’est tout simplement pas possible ? Si vous n’avez jamais été confronté·e à la dépression vous-même et que l’état de votre proche dépressife (ou équivalent) vous échappe ou vous irrite, dites-vous simplement que même elleux ne parviennent pas toujours à comprendre pourquoi iels vont mal. Si vous pensez qu’iels manquent de volonté, demandez-vous ce que ça ferait si même vous lever le matin était une épreuve pour vous. Si vous êtes frustré·e de ne pas pouvoir les aider : c’est compréhensible. C’est dur de se sentir aussi impuissant·e.

Mais dites-vous que pour elleux, c’est cent fois pire : vouloir aller mieux, aller chercher du soutien, peiner à le sentir et culpabiliser parce qu’on ne le sent pas, alors qu’on sait qu’il est là. On se sent ingrat·e. La dépression, c’est comme une spirale : souvent, on se sent pris dans la vague et on ne voit pas comment s’en échapper. On est même persuadé·e d’être soudain lucide : comme si la noirceur de notre monde était l’unique Vérité. C’est bien sûr faux. Mais on en est persuadé·e. Et les échappatoires sont très difficiles à voir.

La psychothérapie

Dans mon malheur, j’ai eu la chance d’avoir des gens qui m’ont poussée à voir un professionnel (après des mois de protestation : ma vie était belle, je n’avais pas besoin de psy, il y avait pire que moi, pour moi c’était moi le problème, c’était ma faute et je n’avais à m’en prendre qu’à moi-même). Mais surtout, quand j’ai rencontré ledit professionnel, il a su se mettre à ma portée. Je bénis le ciel et l’enfer tous les jours de m’avoir permis de trouver un psy qui me convient et qui a su m’aider. Il n’a pas cherché à me fournir de solution miracle. Il m’a écoutée, sans jugement, avec bienveillance. Il m’a orientée sur ce qui me titillait. Il a attendu que je me remette un minimum sur pieds avant de tester mes retranchements en douceur, puis taper dans le dur et voir ce qui n’allait pas et ce qui devait changer. Non pas parce qu’« il fallait changer » (on s’en fout de changer pour changer) : parce que je voulais changer. Parce qu’il m’a aidée à trouver ce qui n’allait pas en me faisant parler.

Nous travaillons toujours tou·tes les deux à ce que j’aille mieux, et si certaines séances restent plus difficiles que d’autres, je progresse à mon rythme. Lors d’une séance il y a quelques mois, il m’a dit quelque chose qui m’a marquée : « Si le jour où nous nous sommes rencontré·es, je vous avais dit “trouvez-vous une copine”, vous seriez partie en claquant la porte. Et vous auriez eu raison. » Alors qu’avoir une partenaire amoureuse est bien quelque chose qui me manque aujourd’hui : nous l’avons réalisé ensemble. C’est bien sûr un exemple très personnel, on aurait pu remplacer ça par n’importe quoi d’autre : dire « faites de l’exercice » en première séance, par exemple, c’est stérile, mais ça peut servir à certain·es. Chacun·e son vécu.

La psychothérapie que j’avais fui pendant tant d’années a fait de moi une femme dont je suis relativement fière. Pas indestructible ou surpuissante, mais juste une nana qui arrive à peu près à s’aimer et à faire ce qu’elle veut. Ou du moins, à rechercher activement le sens qu’elle veut donner à sa vie. Si je devais remercier la dépression pour une chose, c’est de m’avoir « forcée » à me redécouvrir et à essayer de m’aimer. Mais je sais que j’ai eu de la chance.

Peu importe l’état de désespoir dans lequel vous pouvez être plongé·e, peu importe le sentiment d’impasse, les solutions existent toujours.

L’attitude professionnelle de mon psy devrait être applicable à n’importe quel·le psy. Si un·e professionnel·le de santé mentale ne poursuit pas comme objectif que vous alliez mieux sur le court comme le long terme, si vous allez læ voir à reculons, c’est qu’il y a un problème et que vous devriez en changer, voire changer complètement de solution. Dire « faites de l’exercice » au bout d’une séance me paraît aussi efficace que se faire répéter « vois les choses de façon positive » par un·e proche.

Personnellement, j’ai besoin d’une psychothérapie pour aller mieux mais ça ne sera pas forcément votre cas : peut-être que vous aurez besoin d’un suivi médicamenteux. D’activités créatives. De vous exprimer auprès de gens qui vivent la même chose sur les réseaux, etc. Comme je le disais au départ, il n’y a pas de recette miracle parce que nos mal-êtres diffèrent selon notre vécu et qui on est. C’est à vous de voir si telle ou telle solution vous convient.

Je conclurai par une gigantesque banalité : peu importe l’état de désespoir dans lequel vous pouvez être plongé·e, peu importe le sentiment d’impasse, les solutions existent toujours. Elles sont parfois – souvent – difficiles à trouver et à accepter, mais si vous sentez que vous avez besoin d’aide, si vous sentez que vous ne pouvez pas vous en sortir seul·e, allez chercher quelqu’un·e. Lâchez-vous sur vos réseaux. Ne vous retenez pas parce que vous avez l’impression d’emmerder les gens.

Vous n’êtes pas un poids, vous n’êtes pas faible, vous avez juste besoin d’être aidé·e dans une période difficile de votre vie. Quitte à faire une pause, quitte à ne pas être « productife » pour la Sainte Société. On s’en fout. L’important, c’est que vous alliez mieux. Le reste est du surplus. Et surtout, vous en valez la peine. Bien sûr que vous en valez la peine.

Un mot à l’entourage  : vous n’êtes pas indestructibles et vous n’avez pas à vous en vouloir de ne pas pouvoir être là à 100 %. Vous ne pourrez pas sauver votre proche même avec toute la bonne volonté et tout l’amour du monde. Vous pouvez offrir votre présence, votre soutien et orienter votre proche s’iel en a besoin. Votre rôle n’est pas d’être un·e sauveureuse, mais d’être un soutien. Dites-vous qu’être là pour quelqu’un, même s’il n’y paraît pas toujours, c’est énorme. Aux copaines (et à mon psy même s’il ne le lira pas) : Merci.