Comment contrer la folle rumeur de rapts d’enfants

Plusieurs expéditions punitives très violentes ont visé la communauté rom en Seine-Saint-Denis. En cause : une rumeur infondée d’enlèvements d’enfants à l’aide d’une camionnette blanche.

 Plusieurs Roms ont été agressés en Seine-Saint-Denis sur fond de rumeur de rapts d’enfants à la camionnette blanche (Capture d’écran).
Plusieurs Roms ont été agressés en Seine-Saint-Denis sur fond de rumeur de rapts d’enfants à la camionnette blanche (Capture d’écran). TWITTER

Plusieurs hommes lynchés, des familles terrorisées escortées par la police, des camionnettes incendiées, deux policiers blessés… À l'origine de cette soudaine flambée de violences, en Seine-Saint-Denis, une folle rumeur de rapts d'enfants par des Roms, à l'aide d'une camionnette blanche.

Cette légende urbaine se répand depuis le début du mois de mars à un rythme alarmant dans le nord-est de l'Île-de-France. Avec des conséquences parfois dramatiques : des expéditions punitives, prenant des allures de chasses à l'homme, envers des membres de la communauté rom.

C'est à Noisy-le-Sec que cette rumeur a été repérée pour la première fois, a précisé au Parisien François Léger, le directeur territorial de la sécurité de proximité en Seine-Saint-Denis. Le 8 mars, plusieurs mains courantes sont en effet déposées au commissariat de cette ville de Seine-Saint-Denis, au sujet d'une camionnette blanche conduite par des Roms, qui rôderait dans le but d'enlever des enfants, à des fins de trafic d'organes. Des allégations rapidement démenties après vérifications.

Déjà présente au XVIIIe siècle

Mais loin de s'éteindre, la rumeur se propage à une vitesse folle. Dans tout le département (Clichy-Montfermeil, Aubervilliers, Bondy, etc.), mais aussi dans les Hauts-de-Seine, le Val-d'Oise, puis dans l'ensemble de la banlieue parisienne.

« Le rapt d'enfant, c'est une rumeur très classique et assez bien documentée, qui se réactive de temps en temps. Parfois après un fait anodin », nous explique Aurore Van de Winkel, docteure en information et communication, spécialisée dans les légendes urbaines. « Au XVIIIe siècle, déjà, le mémorialiste Jean Edmond François Barbier relatait cette légende urbaine qui a sévi sous la Terreur : des enfants seraient enlevés pour permettre aux autorités de se faire des bains de sang pur, afin de soigner leurs maladies de peau », détaille-t-elle.

Selon la chercheuse, cette version modernisée de cette veille rumeur - un rapt d'enfants avec une camionnette blanche - a commencé à apparaître dans le sillage des affaires Dutroux et Fourniret. « Ces deux prédateurs ont enlevé leurs proies avec des camionnettes blanches, qui sont les modèles les plus vendus, car les moins chers », rappelle-t-elle.

Une rumeur difficile à contrer

Depuis, la légende urbaine ressuscite à intervalles réguliers. Comme à Nanterre, en mars 2018. À Jouy-le-Moutier (Val-d'Oise), en mars 2017. Aussi dans l' Oise, en mai 2011… « C'est une rumeur extrêmement délicate à contrer, parce qu'elle cristallise une peur très profonde : celle du vol d'enfant », analyse Aurore Van de Winkel, qui est chargée de cours de gestion des rumeurs à l'université Reims Champagne-Ardenne.

A ce scénario de rapt d'enfant, se couple une autre théorie, elle aussi assez classique : celle du vol d'organes. « On parle depuis longtemps du trafic d'organes, mais le vol d'organes n'a jamais été prouvé », relève encore Aurore Van de Winkel. « Et pour cause : les conditions de transplantation sont extrêmement délicates. Non seulement il peut falloir jusqu'à une dizaine de chirurgiens pour réaliser une transplantation, mais en plus, il faut que l'organe volé soit adapté à l'acheteur. C'est quasiment infaisable ».

Malgré les démentis réguliers des autorités depuis le début du mois, cette rumeur continue de prospérer, notamment grâce à la caisse de résonance que lui offrent les réseaux sociaux. « Pour parvenir à l'étouffer, il faut commencer par identifier les lieux - virtuels et réels - de propagation de la rumeur, comme certaines pages Facebook locales, par exemple. C'est là que tout joue. C'est donc là qu'il faut la démentir, régulièrement », prévient la chercheuse.

Facebook assure « supprimer ces contenus »

« Nous retirons les discours de haine et les contenus appelant à la violence, dès lors que nous en avons connaissance », assure un porte-parole de Facebook dans un communiqué transmis au Paris. « Lorsque certaines formes de désinformation contribuent à des préjudices physiques, nous supprimons ces contenus. Nos équipes de modération sont mobilisées ainsi que nos partenaires fact-checkers », ajoute le réseau social.

Le meilleur rempart face à la rumeur reste la pédagogie. « Il faut inciter les gens à faire preuve d'esprit critique et leur apprendre à chercher les incohérences dans le récit », insiste la chercheuse. Ensuite, il est nécessaire de rassurer les parents : « Il faut par exemple leur expliquer qu'en cas de rapt de leur enfant, les forces de l'ordre mettront tout en œuvre pour identifier les auteurs ». Enfin, l'éducation nationale doit devenir un allié dans cette affaire, afin de faire le relais du démenti auprès des parents d'élèves.

«Négativiser la rumeur»

Dernière étape, selon Aurore Van de Winkel : « Il faut négativiser la rumeur ». En effet, les gens qui propagent ce type de légende urbaine sont persuadés de bien faire : ils pensent sauver leurs proches. « En réalité, ils entretiennent le rejet et les préjugés envers une communauté, qui peuvent déboucher, comme c'est le cas actuellement, sur des agressions physiques, résume la chercheuse. Il faut donc faire passer le message suivant : si vous continuez à propager cette rumeur, vous vous rendez complices de ces agressions physiques ».

Si les mécanismes pour étouffer une rumeur sont connus, il reste toutefois illusoire de croire qu'une légende urbaine peut être définitivement éteinte. « Il ne faut pas se leurrer, soupire Aurore Van de Winkel. Une fois étouffée, cette rumeur finira bien par réapparaître à un endroit ou à un autre dans le futur ».