Depuis quelque temps déjà le TGV est la cible de critiques convergentes. Le rapport de la Cour des Comptes (CdC) présenté le 23 octobre 2014 emboîte résolument le pas à cette campagne et s’en prend à l’objet lui-même avec des formules à sensation comme « ce joujou français ». Les usagers du « ferroviaire quotidien » lassés des incidents qu’ils subissent sur leur réseau vieillissant voient dans le TGV « qui roule dans le neuf » un concurrent qui accapare trop de ressources et de soins à leur détriment. voici un raisonnement à la hache biaisé par une optique de transporteur aérien ….
La Cour des comptes considère que le fruit essentiel à cueillir du TGV est le gain de temps. Celui-ci étant maximal en bout d'une Ligne Nouvelle (LN) sans arrêt intermédiaire si possible et c’est là que se termine la mission du TGV. Mais c’est alors au TER de prendre le relais, le TGV étant prié de ne plus s’égayer sur le réseau classique. Ainsi, Le gain de temps accumulé par le TGV dans le parcours sur une ligne nouvelle ne se perd que progressivement lors de son incursion sur le réseau classique et cette dernière peut donc être d’autant plus grande que le parcours sur LGV est plus long. Ceci est compatible avec le réseau classique, car le TGV, comme le train en général, n’est nullement confiné au « point à point » au contraire de l’avion. Mais aux yeux de la Cdc, le TGV est un système de transport de masse et non un outil d’aménagement du territoire. Cette dernière affirmation est inexacte : le TGV est un contributeur à l’aménagement du territoire.
Au vu de ces points, il apparait clairement que les préconisations de la CdC sont contre productives. Car, casser la continuité naturelle par une correspondance TER ferroviaire, c’est perdre au moins 10 minutes et cela détériore la fréquentation y compris rétroactivement.Par ailleurs, à l’expérience, le recours au TER ferroviaire n’apporte pas d’économie décisive sauf si la grille existante du TER convient. Il constitue, un déchargement financier de l’Etat sur la Région. Les limites à respecter dans cette voie sont dictées par le taux d’occupation effectif constaté à l’entrée du TGV sur le réseau classique et par le bilan d’exploitation qui en résulte.
En introduisant de l’autocar au transport des voyageurs à grande distance, la Cdc aborde un problème naissant. Avec l’extension de la crise économique, l’accessibilité aux déplacements nationaux pose un problème à un nombre croissant de personnes.
Deux actions de la SNCF ont contribué à accélérer ce problème. Car, le développement du TGV a apporté une nouvelle offre performante mais plus chère tandis que la SNCF supprimait de facto l’offre de base existant sur les grandes lignes électrifiées parallèles aux LGV pour canaliser de force la demande vers le TGV et en augmenter la rentabilité. En outre, le développement délirant du "yield" management pour maximiser la rentabilité de ses offres a abouti à installer dans sa clientèle une suspicion profonde quant au bien fondé des prix proposés.
Ainsi s’est établie une opinion selon laquelle le voyage ferroviaire est vendu bien plus cher qu’il ne le vaut et que son prix est, de plus, imprévisible vu l’amplitude de ses variations. Dans la situation actuelle, le rétablissement d’un transport national à un coût visible et abordable s’impose de plus en plus. La CdC propose à cet effet une solution avec l’autocar mais celle-ci ne convient pas la plupart du temps car, devant emprunter l’autoroute vu les distances à parcourir, le car est condamné au point à point et ne peut assurer le cabotage nécessaire : c’est donc au train classique, dans la mesure du possible, d’assurer le retour à une offre basique sur les lignes le permettant, le car intervenant dans les autres cas.
Deux types de dessertes TGV et leurs caractéristiques
Desserte par arrêt sur la LGV elle-même.
Ce sont des installations importantes comportant deux voies de desserte à quai encadrant les deux voies directes. Elles permettent de mettre des villes intermédiaires dans la zone d’influence du TGV sans multiplier les ramifications. Leur liaison aux villes à desservir peut s’effectuer (par ordre d’efficacité) de trois façons : navette routière (gare TGV « Le Creusot » sur LN1 par ex.); navette ferroviaire (gare TGV « Champagne-Ardenne »sur LN6 par ex.); connexion avec le réseau ferré local (gare TGV de Valence sur LN 1 par ex.). La meilleure solution consiste à associer à la gare TGV une gare TER active (gare « passante ») par juxtaposition ou superposition ce qui suppose que le tracé de la ligne ait été choisi au départ dans ce but comme tenu de la configuration du réseau classique.
Desserte sur la ligne classique en prolongement de la LGV ou dérivation
Pour cela, un raccordement est établi entre la ligne nouvelle et le réseau classique permettant d’atteindre les gares classiques à desservir. En ce qui concerne l’écologie, on remarquera la rigueur de la Cdc envers le TGV « pas si vert que cela » en raison d’achat de kwh carbonés et son silence quant aux conséquences «carbone » d’un transfert massif des « intercités ».
Gare TGV Lorraine : la plus bête des gares TGV
En venant de Paris, la LN 6, après deux raccordements, l’un vers Metz et l’autre vers Nancy, coupe l’axe mosellan comportant l’unique dorsale TER de Lorraine, d’orientation Nord-Sud, et vers laquelle convergent 11 lignes TER couvrant les 3/4 de la Région. Sous la pression de la SNCF cherchant à faire au plus simple et avec une vision « transport aérien » qui colle à la peau du TGV, l’enquête publique de 1994 a conduit à l’implantation plus facile (au niveau de la topographie) à Cheminot/Louvigny de la gare TGV Lorraine, en dehors de la vallée de la Moselle, à proximité d’un aéroport sans trafic notable et avec lequel elle n’a rien à échanger, accessible uniquement par voie routière notamment l’autoroute A31 chroniquement surchargée. Cette gare située sur la LN 6 est un passage obligé des liaisons TGV actuelles vers Lille, Londres, Bruxelles et l’arc atlantique venant de Strasbourg et même à l’avenir venant de l’Allemagne (destinations dont Metz et Nancy ne peuvent être origine). Prenant progressivement conscience de cette erreur d’implantation qui prive les lorrains d’un accès ferroviaire, le Conseil régional de Lorraine élu en 2004 a fait ouvrir en 2009 une enquête publique pour le repositionnement à Vandières (sur l’axe Métrolor Metz -Nancy près de Pont à Mousson) de la gare TGV Lorraine, la nouvelle gare TGV devant se substituer à l’ancienne. Cette enquête s’est révélée favorable et a donné lieu à la signature d’un Décret autorisant la construction de la gare TGV à Vandières connectée au réseau ferré régional. Malheureusement cette enquête n’a pas convaincu le département de la Moselle qui refuse toujours d’apporter une contribution au financement de cette construction, malgré aussi, d’une part sa signature en novembre 2000 d’un Protocole la prévoyant avec des mesures conservatoires prises à hauteur de 20 millions d’euros et d’autre part, à ce jour, 152 motions votées par des collectivités en sa faveur représentant plus de 670 000 habitants.
La crise économique va donner un coup d’arrêt à la poursuite de notre réseau mais il ne faut pas oublier que l’Europe a besoin d’un système ferroviaire cohérent (passagers et fret), ce qui oblige à combler les lacunes que présente encore notre réseau à grande vitesse à cet égard. La pose obligée par la conjoncture doit être mise à profit pour perfectionner les projets correspondants
Jean Boudaille, Gif-sur-Yvette, Yvelines