« A nous de vous faire préférer le train » Tel était le slogan de la SNCF il y a une quinzaine d’années. Involontairement, l’Etat, en faisant cadeau de 15 rames de TGV à la SNCF, va enfin permettre à cette grande maison de mettre en œuvre ce slogan du début des années 2000.
Dès son annonce, les libéraux de tout poil se sont offusqués d’une décision qui, à leurs yeux est un bricolage d’un autre âge, de celui de la politique dirigiste, de l’économie planifiée qui a conduit à tant de désastres économiques en son temps de l’autre côté du rideau de fer.
Car de toute évidence, dans une économie mondialisée, l’idée qu’un Etat puisse décider au nom d’une entreprise qui est en grande difficulté économique (la SNCF) d’acheter des TGV dont elle n’aurait pas besoin à une autre entreprise (Alstom) qui, faute de cette commande fermerait un site industriel qui ne dispose pas d’un nombre de commandes suffisant pour survivre ne peut que paraître saugrenue.
Voyons l’idée sous un autre angle.
Ces 15 TGV vont se substituer à des trains Intercités qui relient par des lignes dites « classiques » des métropoles régionales telles que Marseille, Bordeaux, Nantes, Caen, Cherbourg. Ces trains Intercités sont désertés par les voyageurs, déficitaires au point que les régions dont elles ne font pas partie du périmètre, et la SNCF se battent pour ne pas en supporter la charge. Au point que ni les unes ni l’autre ne prennent d’initiative sérieuse pour attirer le passager, organiser des temps de parcours décents et des correspondances optimisées.
Ce manque d’amour pour les trains Intercités est difficile à comprendre. Aucun autre pays européen ne subit une telle désaffection de ses lignes intérieures dès lors qu’elles ne sont pas « à grande vitesse ». L’Allemagne comme le Royaume-Uni font circuler des trains confortables, toujours pleins, cadencés et fiables entre leurs métropoles, sur des lignes « classiques ».
Mais en France, prendre un train Intercités, ce n’est ni prendre un TGV rapide et confortable, ni prendre un TER bon marché aux horaires cadencés, dans une rame moderne aux couleurs dynamiques. Un Intercités, c’est une vieille rame Corail, lente, souvent en retard, aux horaires faméliques, équipée de toilettes douteuses, avec un service à bord limité à un chariot d’un autre âge proposant des chips et quelques « sandwichs SNCF »… bref, un Intercités, ça fait ringard. Combien d’hommes d’affaires à bord d’un Intercités ?
Les rames TGV qui vont demain circuler sur des lignes à moyenne vitesse (parfois jusqu’à 200 km/h tout de même) ne vont pas être de simples trains surdimensionnés contraints de se promener comme les veilles rames Corail sur des voies du XIXe siècle. Elles vont sans aucun doute relever le statut de ces Intercités et vont réhabiliter ces voyages de moyenne distance que jeunes et vieux, baba cool et cravatés rejettent tant aujourd’hui.
On va désormais prendre le TGV de Marseille à Bordeaux, de Paris à Clermont-Ferrand ou à Cherbourg.
On va changer de monde et de statut.
On roulera à la même vitesse mais on aura l’impression d’aller plus vite. On voyagera en seconde classe mais on se sentira en première. On passera du jambon beurre avalé à la place au menu « Boco » dégusté au bar. Les trains Intercités vont disparaître et laisser place aux TGV Intercités. Et, miracle, ils vont regagner une clientèle perdue au fil des années, déplacer des voyageurs de la voiture (des cars Macron ?) et de l’avion vers le train, pour le bien de la SNCF, d’Alstom mais aussi de la collectivité et de la planète. L’idée du gouvernement est magnifique. Elle va enfin nous faire préférer le train.
Christian Egal, Caluire-et-Cuire (Rhône)