Alstom-Siemens : une Commission court-termiste et européocentrée

Le veto à la fusion Alstom-Siemens illustre une politique de concurrence exercée dans un cadre uniquement européen, qui n’a pas évolué depuis les années 90.
La Commission est-elle schizophrène ? Alors qu’elle ne cesse de vanter les mérites de la mondialisation, elle persiste à juger la concurrence dans un cadre strictement européen, voire national, comme si le reste du monde n’existait pas. Le veto posé hier par la commissaire à la Concurrence, Margrethe Vestager, à la fusion Siemens-Alstom va en effet empêcher la constitution d’un «Airbus» ferroviaire capable de résister à des géants tel le chinois CRRC, numéro 1 mondial du secteur et qui pèse deux fois plus que les deux entreprises réunies. «Une erreur économique» qui «va servir les intérêts» de la Chine, selon Bruno Le Maire, ministre des Finances, qui ne décolère pas (lire ci-contre), à l’image de ses partenaires allemands.
Monopolistique
Pour la Commission, qui a une compétence exclusive en matière de concurrence, cette fusion aurait donné une position dominante, voire monopolistique, à Siemens-Alstom sur le marché européen de la très grande vitesse et de la signalisation ferroviaire. Pour elle, la concurrence chinoise n’est pas un argument puisque «CRRC réalise 90 % de son chiffre d’affaires en Chine», comme l’a dit Margrethe Vestager, lors d’une conférence de presse. «Aucun fournisseur chinois n’a jusqu’ici participé à une offre publique en Europe pour vendre sa signalisation, ni fourni un TGV hors de Chine. Il n’y a aucune perspective d’entrée des Chinois sur le marché européen», a-t-elle poursuivi. Autrement dit, la Commission a pris sa décision en se fondant sur le seul marché européen et en le considérant tel qu’il est à l’instant T.
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Pour Nicolas Petit, spécialiste du droit de la concurrence européen, professeur à l’université de Liège et «professeur invité» à l’université de Stanford aux Etats-Unis : «Il s’agit d’un problème de méthode interne à la Commission, pas d’une question idéologique qui verrait les néolibéraux s’opposer aux tenants d’une politique industrielle européenne, comme le croient les autorités françaises. Il n’y a rien dans le règlement de 1989, révisé en 2004, instaurant le contrôle des fusions-acquisitions sur la façon dont s’apprécie le "marché pertinent".» C’est la Commission qui, au coup par coup, décide de l’étendue du marché qu’elle prend en considération pour déterminer si une fusion aura des effets négatifs sur la concurrence : en 2000, elle a ainsi posé son veto à la fusion des constructeurs scandinaves Volvo et Scania, car elle aurait créé un quasi-monopole sur la production des camions en Scandinavie. Une décision contestée, car le marché était à l’évidence européen et non local. En revanche, elle a accepté la création d’Airbus, un monopole européen, le marché des avions étant mondial. Si elle s’est contentée d’apprécier les effets de la fusion Siemens-Alstom sur le seul marché européen, c’est parce que le ferroviaire reste segmenté. Pour l’instant.
Mastodontes
Et c’est le second problème de la méthode employée par la Commission : elle refuse de se projeter dans l’avenir alors qu’elle «devrait prendre en compte l’évolution du contexte à long terme», estime Nicolas Petit. Il est, en effet, difficile d’improviser un champion européen lorsque des mastodontes chinois ou autres auront pénétré le marché européen. «Le problème chinois n’est pas nouveau, souligne Nicolas Petit. Leurs entreprises sont dopées par les subventions, la manipulation monétaire, la protection de leur marché national, ce qui impose de se préparer à les affronter très en amont.» Autrement dit, l’arrivée de CRRC n’est qu’une question de temps.
Bref, la politique de concurrence de la Commission n’a pas vraiment évolué depuis presque trente ans, alors que le contexte a radicalement changé. Elle semble avoir oublié que si le contrôle des fusions-acquisitions n’a été instauré qu’au début des années 90, c’était pour permettre aux entreprises nationales de se consolider librement afin d’atteindre la taille nécessaire pour affronter le marché intérieur de 1993. Ce n’est qu’ensuite qu’il a été jugé nécessaire de veiller à ce que les fusions n’aboutissent pas à des monopoles ou des oligopoles privés nuisant aux consommateurs et à l’innovation. Mais avec la mondialisation, les paradigmes ont changé : les entreprises européennes doivent désormais avoir une taille mondiale. L’Europe peut-elle se permettre de compter environ 130 opérateurs de téléphonie, soit 3 à 5 par pays, alors qu’il n’y en a que 4 en Chine et 4 aux Etats-Unis ? Sur le plan de la concurrence, l’Europe est certes un modèle, mais qui n’a aucune chance de survivre à terme. Le veto à la fusion Siemens-Alstom aura au moins le mérite de mettre le sujet sur la table : la France et l’Allemagne veulent désormais renégocier le règlement de 1989, révisé en 2004, afin de contraindre la Commission à changer de méthodes.
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