Fréjus : «Il n’y a pas que Paris dans la vie, le mouvement vit très bien ici»

Mobilisés depuis samedi dernier dans la seule opération non-stop du Var et des Alpes-Maritimes, les «gilets jaunes» semblent soutenus par les automobilistes, voire par la police.
Willi se frotte les yeux. La faute au feu de bois qui lui enfume le visage. La faute aussi aux deux nuits passées à faire le piquet devant le péage de Fréjus. «Gilet jaune», Willi s’occupe de l’intendance de ce camp d’irréductibles, monté au milieu d’une bretelle de l’autoroute A8, dans l’est du Var. Depuis une semaine, comme Willi, une quarantaine de personnes campe tour à tour sur le bitume. Ils mènent une opération «péage gratuit», brandissent des pancartes «stop aux taxes», distribuent pains au chocolat et mandarines aux automobilistes. La seule opération du Var et des Alpes-Maritimes qui dure non-stop depuis samedi dernier, toutes les autres ayant été délogées par les autorités.
Sur le rond point du Gargalon à l’entrée du péage de Fréjus le 23 novembre 2018, des manifestants en gilets jaunes sont installés depuis le debut du conflit. Photo Laurent Carré pour Libération.
Quand il ne se réchauffe pas les mains au-dessus du brasero, Willi fait chauffer la soupe, gère les stocks d’eau, porte le bois, perce les poches de pluie accumulées sur les barnums. Une vie de camp improvisée. «Ce qui me motive, c’est qu’on soit arrivés à se regrouper pour une bonne cause. Ce n’est pas seulement une question de taxe sur le carburant, mais celle sur le tabac, les petites retraites, les faibles salaires», précise ce chauffeur de semi-remorque de 33 ans. «On galère tout le temps et on essaie de s’en sortir», renchérit Eric, un gilet jaune par-dessus le K-Way détrempé. Ce Varois a fêté ses 45 ans la veille «avec le champagne, sur la barrière de péage» : «Jamais je n’aurais imaginé ça il y a quelques années. Avec ma femme, on a monté notre boîte de livraison. Depuis, on a trois salariés et on a du mal à s’en sortir entre l’Urssaf, les taxes, les impôts.»
Compréhensifs. Electeur de Macron déçu, Eric n’ira pas à Paris samedi. «On n’est pas des beaufs en voitures qui pique-niqueront enfermés sur le Champ-de-Mars, peste-t-il. Il n’y a pas que Paris dans la vie, le mouvement vit très bien ici.» Eric est sans cesse interrompu par les klaxons d’approbation. Poings en l’air et gilets sur le tableau de bord, la grande majorité des automobilistes approuve le mouvement. «On n’a vu que deux ou trois doigts d’honneur en une semaine», note une manifestante. Le chauffeur d’un 19 tonnes s’arrête pour une pause café-chouquettes. Ce sont les gilets jaunes qui le prient de débloquer la circulation. Au péage de Fréjus, même les policiers semblent compréhensifs : «On a été cool, on vous laisse une voie pour manifester alors que ce n’est pas forcément les consignes.» Une demi-heure plus tard, une patrouille les salue avec son deux-tons. Seule la défiance envers Macron et les médias persiste sur le camp.
Amaury , le coordinateur du lieu a réuni les gilets jaunes afin de rappeler les consignes de propreté et de securité sur place. Photo Laurent Carré pour Libération.
Sous la tente bleue, Djannina s’abrite de la pluie qui forcit. Elle répertorie sur un cahier tous les dons : les billets «jusqu’à 50 euros» glissés à travers la vitre, les parasols devenus parapluies et les deux stères de bois. Les insultes racistes, les débordements ? «Je n’en ai pas vu ici. On n’est pas là pour abîmer et casser, mais pour faire passer des idées, assure cette créatrice de bijoux. Si ça dégénère, je me barre. Ce ne sera plus mon mouvement.» Sur son cahier, Djannina a noté la ligne directe des gendarmes, «au cas où». Dans le même temps, le collectif décide pour la première fois de stopper la mobilisation nocturne pour éviter tout débordement. La nuit dernière, des caisses ont été cassées au péage voisin.
Les gilets jaunes de Fréjus ne comptent pas tous "monter à Paris". Des rassemblements seront organisés au péage, en centre ville de Nice ou sur l'A8. Photo Laurent Carré pour Libération.
Covoiturages. Retour près du brasero. Sabrina et Dominique ont débarqué après avoir déposé leurs filles à l’école. Le couple a prévu de rester jusqu’à 21 heures. Et pourquoi pas de «monter à Paris» le lendemain. «Mais il faudrait que ce soit gratuit, dit Dominique, maçon. On n’a pas les moyens de payer les 400 euros d’essence et de péage pour l’aller-retour. Ni la nuit d’hôtel à Paris. On espère monter dans un TGV sans billets.» Dans le cas contraire, Sabrina et Dominique pourront rester au péage ou aller manifester dans le centre-ville de Nice et sur l’A8, des rassemblements étant organisés ce samedi. Une voiture s’arrête au péage de Fréjus. Sa conductrice propose des covoiturages à 30 euros pour se rendre sur le Champ-de-Mars. «C’est une option», lance Dominique. Les numéros sont échangés. La journée de samedi réorganisée.
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