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    Enquête

    Gares: un nouveau train de vie

    Par Sibylle Vincendon (mis à jour le )
    Trompe l’œil à la gare Lille Europe.
    Trompe l’œil à la gare Lille Europe. couscouschocolat / Flickr

    Eléments majeurs de la rénovation ou de l’agrandissement des villes, ouvertes sur les commerces et la vie quotidienne, les gares ne cessent de se réinventer.

    La poule et l’œuf. La gare a-t-elle créé la ville ou bien est-ce l’inverse ? Directeur de Gares & Connexions, la branche de la SNCF chargée du sujet, Patrick Ropert dit qu’il «est toujours intéressant de revenir à la géographie du XIXe siècle: les gares ont été posées dans les faubourgs. Puis la ville a absorbé la gare». C’était justement l’effet que recherchait Napoléon III : «En principe, écrivait l’empereur, les gares de chemin de fer doivent le plus possible être établies non pas près du centre mais à la circonférence afin d’y multiplier les habitants.» (1) Ainsi, s’opposa-t-il au déplacement de la gare de Lyon à la Bastille ce qui, à l’époque, faisait une différence.

    Cela étant, et toujours en regardant la géographie du XIXe siècle, le salissant chemin de fer a bien souvent généré (ou accompagné) des faubourgs industriels et populaires, donnant à la gare des quartiers pas bien gais. A de rares exceptions près, l’hôtel des Voyageurs qu’on trouvait en face n’était pas le haut du panier. L’historienne Stéphanie Sauguet explique d’ailleurs que très vite, les gares sont devenues «le chaînon central de la vie et de la survie des marginaux» (2). Même si, entre prostitution, vol et mendicité, c’est davantage la ville que le train qui génère cette misère. Comme aujourd’hui, en somme.

    Car derrière leurs façades somptueuses, les grandes gares parisiennes ne sont que «les coulisses de l’exploitation du chemin de fer», détaille Sophie Boissard, qui fut, en 2009, la première directrice de Gares & Connexions. D’ailleurs, jusqu’à cette date, les gares n’avaient droit à aucune direction dédiée.

    Crédit: phgaillard2001/ Flickr

    Dedans ou dehors ?

    La grande vitesse a modifié la donne. «Elle a provoqué une redécouverte des lieux», résume Patrick Ropert, son actuel successeur. Une redécouverte certes, mais qui a pris son temps. Avec la première ligne de TGV entre Paris et Lyon, au début des années 1980, «l’arrêt était pensé au travers de l’enjeu du trajet», raconte-t-il. Survient alors le même débat qu’au siècle précédent : où mettre la gare ? Dedans ou dehors ? Dans les villes, clament les élus. Hors des villes, tonnent les techniciens. Pour aller vite, il faut privilégier la ligne droite et ne pas s’embarrasser de gares intermédiaires. Il fallut donc que les élus du Creusot mènent un âpre combat pour obtenir une gare sur le trajet du véloce Paris-Lyon. Et quelle gare… Deux quais venteux tellement perdus dans la pampa qu’aucune forme urbaine ne les a encore rattrapés presque trente ans plus tard.

    L’avantage des ratages, parfois, c’est qu’ils servent de leçon. Alors que la SNCF évoque un TGV allant jusqu’à Londres et Bruxelles, l’opiniâtre maire Pierre Mauroy anticipe le risque de voir la ligne tracer à travers champs en évitant sa bonne ville de Lille, l’ingénierie du train ne se cachant pas de privilégier ce trajet plus «efficace». Aussi le maire entreprend-il, dès 1980, un lobbying ardent pour obtenir une gare TGV en ville, collée à celle du XIXe siècle, et à d’anciens terrains militaires, idéaux pour créer un nouveau quartier. Pour la première fois, le TGV devient la clé d’une création urbaine qui, elle-même, n’aurait pas eu lieu sans lui.

    Entre la gare de Lille-Europe et la première tranche du quartier Euralille, existe une imbrication avec un plan d’ensemble, dessiné par l’architecte néerlandais Rem Koolhaas, qui fait de la gare, due à son confrère Jen-Marie Duthilleul, la partie d’un tout. Patrick Ropert voit dans cet exemple, et dans celui de la Part-Dieu à Lyon, «l’exemple le plus abouti» de ce mariage ville-gare. De fait, Lille-Europe est plus qu’une gare: elle est un nœud de réseaux vers la Grande-Bretagne et le Benelux. Le quartier Euralille, qui s’appuie sur un projet urbain fort, porté par des élus enquiquineurs (Pierre Mauroy puis Martine Aubry), c’est l’histoire enchantée.

    Ailleurs en France, les relations entre les territoires et la SNCF ont longtemps été tendues. Combien de fois a-t-on entendu des maires se plaindre de cette société qui refusait de lâcher le moindre bout de terrain, les bloquant ainsi dans leurs projets de développement? «C’était la principale tension, reconnaît Patrick Ropert. Aujourd’hui, dès que je peux faire des cessions, je les fais.» Car les «villes TGV» ont très vite compris ce que la desserte à grande vitesse pouvait leur apporter. Elles l’ont d’abord vue comme une chance économique et ont parfois tartiné les quartiers des gares - nouvelles ou rénovées - de bureaux plus ou moins réussis.

    Mais l’exemple de Lille a porté. L’arrivée, début juillet, de la nouvelle ligne à grande vitesse à Bordeaux va de pair avec un énorme projet autour de la gare Saint-Jean baptisé Euratlantique. Depuis l’arrivée d’Alain Juppé à la mairie de la ville, les travaux n’ont jamais cessé mais l’accélération du TGV est utilisée comme un levier supplémentaire. Autour des gares, «aujourd’hui, ce qui prime, c’est l’enjeu urbain», résume Patrick Ropert. Sa division «vend» d’ailleurs des prestations urbaines aux villes, «en préconisant des mélanges bureaux-logements-équipements».

    Crédit: Guillaume Cattiaux / Flickr

    Pressing et cordonnerie

    Cela dit, le mouvement actuel est à double sens. Il ne s’agit pas seulement de réfléchir à ce que la ville pourrait devenir grâce à sa gare mais aussi de faire entrer la ville dans la gare. Qu’elle accueille le TGV ou pas. Patrick Ropert affirme que lorsque ses équipes travaillent sur les gares, il leur demande «qu’elles soient utiles aux dix millions de voyageurs qui y passent chaque jour». Et pas que pour prendre le train.

    Les services de la vie quotidienne s’y multiplient: supérettes, dépôt de pressing, cordonnerie, labos d’analyse… Des espaces de coworking fleurissent partout, bien souvent dans les murs mêmes de la gare. D’une certaine façon, ils étaient déjà là avant : combien d’entretiens d’embauche ont-ils été passés au Train Bleu, Gare de Lyon ? Les hôtels reviennent aussi sur les lieux. Celui de la Gare de l’Est était fermé depuis des années : il a rouvert et sera rénové. Avec l’arrivée du CDG Express, la Gare de l’Est va avoir des arguments pour vendre qu’il est plus agréable de passer une nuit de transit à Paris plutôt que dans le no man’s land de Roissy.

    Mais l’élément urbain qui a conquis les gares, c’est le commerce. Parfois à haute dose. Les boutiques de Saint-Lazare, gérées par Klépierre, forment l’un des actifs les plus rentables de cette foncière. La SNCF a-t-elle transformé la plus ancienne gare de Paris en banal centre commercial ? «On rend service aux gens, se défend Ropert. Si ces boutiques n’étaient pas utiles, ça ne marcherait pas.» On n’achète pas que des choses «utiles» mais admettons… Il rappelle que les 200 millions de recettes générés dans les 3000 gares de France aident à payer leur entretien et leur rénovation. Patrick Ropert insiste aussi sur le fait qu’à côté des Starbucks ou autres enseignes internationales - «dont nous avons besoin» -, il y a par exemple La Ruche qui dit oui (dans 75 gares), des producteurs sur les parvis, et des acteurs locaux comme Fred, le pâtissier de la boutique Aux merveilleux, une célébrité du Nord. «Nous développons de plus en plus la présence de marques locales.»

    Appel à projets

    La gare finira-t-elle victime de l’uniformisation qui frappe les rues commerçantes des villes ? Pas forcément car dans cette SNCF qui avait la culture du contrôle total de son territoire, il s’est passé quelque chose. Voilà qu’elle invite le monde extérieur sur ses quais.

    Elle a commencé par l’accepter en tout cas. Comme elle a dit OK à ce coiffeur qui propose une coupe en «10 minutes, 10 euros». Il a débarqué un beau jour de la planète Mars en demandant un emplacement et une prise électrique. Depuis, ce type qui avait tout compris de la société des flux a multiplié ses «Beauty Bubble» dans les gares.

    La vieille maison ne se contente plus d’attendre les propositions, elle les sollicite. «Nous faisons de plus en plus d’actions éphémères, se réjouit Patrick Ropert. Nous allons ouvrir Le Perchoir cet été sur les terrasses de la Gare de l’Est. En prime, ça donne accès à des lieux complètement inconnus !» Dans les grandes gares d’aujourd’hui, il existe une direction artistique qui programme des expositions, des concerts, du spectacle vivant, toutes manifestations drôlement indiquées «à côté du Burger King niveau trains». Insolite.

    On va voir ce que fournira l’appel à projets autour de Bordeaux Saint-Jean, car la SNCF recherche «de nouvelles idées pour surprendre voyageurs et riverains». L’appel s’adresse aux étudiants, enseignants ou chercheurs liés à la Fondation Bordeaux-université. Ou à toute personne formant un binôme avec l’un de ses membres, mariage que les organisateurs de l’appel peuvent organiser (3).

    Mais parfois, il en faut beaucoup moins pour que les appropriations adviennent. Dans la gare de Cergy, de meilleures assises et des prises électriques ont amélioré l’attente des voyageurs du matin. Et voilà qu’elles ont également fourni un lieu de révision aux étudiants dans la journée. La bibliothèque s’est invitée dans la gare. Le conservatoire aussi. Partout, un jour où l’autre, on s’est arrêté pour écouter un inconnu jouer sur l’un des cent pianos qui ont été posés entre les guichets et les Brioche Dorée. Gares & Connexions avait fait le pari qu’ils ne seraient pas vandalisés. Et cette confiance, c’est cadeau.

    (1) et (2) Florence Bourillon, «Les gares dans la ville, le lieu, l’espace, le bâtiment». Revue d’histoire des chemins de fer, n°38.

    (3) xpsaintjean@gares-sncf.com. Jusqu’au 30 juin.

    Sibylle Vincendon
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