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    Libé anticrise

    Dans le Nord, le train de l’euro star

    Par Haydée Sabéran, (correspondante à Lille)
    A Wimereux, en août 2005.
    A Wimereux, en août 2005. Photo Aimée Thirion

    Depuis douze ans, l’opération «TER Mer» permet chaque été aux voyageurs d’un jour d’aller profiter de la mer pour 1 euro l’aller-retour dans une ambiance de congés payés.

    A Lille, certains week-ends d’été, on les croise au petit matin dans le métro qui mène à la gare. Des enfants, des poussettes, des ballons, des glacières. Des vacanciers d’un jour, qui vont à la mer pour 1 euro. Sur les quais de Lille-Flandres, on ne voit qu’eux : des parents affairés, des enfants qui jubilent, un embouteillage vivant. «On doit composter ou pas ?» ; «T’inquiète, avance, sinon, y’aura plus de place», «Restez groupir !»

    Fouillis joyeux

    Quatre week-ends par an, en juillet et en août, dans le Nord-Pas-de-Calais, les trajets vers seize villes du bord de mer, dont Hardelot, Etaples, Le Touquet, Bray-Dunes, Dunkerque, coûtent 1 euro l’aller-retour dans la journée grâce à l’opération «TER Mer». L’initiative fêtera ses 12 ans l’été prochain. Douze années d’une ambiance de congés payés.

    Pour ceux qui viennent de la partie la plus éloignée de la mer, de Maubeuge, Valenciennes, et même de Hirson, seule gare de Picardie dans la boucle, c’est un voyage interminable de deux à trois heures jusqu’à la plage, avec changement à Lille. Tarif normal quand on vient de si loin : entre 50 et 70 euros par personne. Autant dire que pour 1 euro, c’est l’aubaine. Le soir, dans le wagon du retour, on reconnaît, rouges de soleil, ceux qu’on avait aperçus pâlots à l’aller. Les cheminots gardent leur flegme dans ce fouillis joyeux, pour eux la période la plus rude de l’année.

    Dans le train, il y a des allergiques à la voiture, des fauchés, des étudiants en bande, quelques lycéens, des retraités sans le sou, des familles. Des gens qui prolongent leurs vacances et beaucoup qui ne partent pas du tout. Yasmine, 18 ans, lycéenne de Mons-en-Barœul, a embarqué pour Boulogne-sur-Mer avec ses huit cousins, dont le plus âgé a 12 ans. «Ils me l’ont demandé, j’ai dit oui pour leur faire plaisir. On a acheté de quoi manger et boire sur place. Ils se sont baignés, et on a fait un tour à Nausicaa [l’aquarium géant de Boulogne, ndlr]. C’était bien.»

    Crisalyne, fonctionnaire territoriale, et Manuel, salarié «dans l’associatif», se souviennent de leur voyage de 2010, quand Manuel était chômeur. Ils vivaient à Charleville-Mézières (Ardennes) : «Une heure et quart de voiture jusqu’à Hirson et deux heures et demie de train», sept heures et demie de voyage en tout, pour rendre visite à la sœur de Crisalyne à Boulogne-sur-Mer. Comme dans la chanson de Brel. «C’est à peu près ça. "On n’a pas vu la mer et on a vu ta sœur !"» rigole Manuel. Il a trouvé le système «très bien», et se souvient l’avoir utilisé «pour les thunes». Elle a un souvenir mitigé du retour, avec des voisins qui avaient mis la musique «à fond». «Une autre année, avec une copine, le train n’était pas bondé, c’était très agréable.»

    Mieux vaut en effet prendre l’avant-dernier train plutôt que le dernier pour ne pas avoir la mauvaise surprise des wagons trop pleins. En 2004, lors du dernier week-end de juillet, la SNCF avait dû affréter un convoi spécial à minuit pour ramener les voyageurs restés en rade. L’an dernier, certains trains en provenance de Dunkerque étaient si chargés qu’ils étaient arrivés en retard à Lille et les voyageurs avaient raté la correspondance vers Valenciennes. La SNCF ne distribue pas plus de billets que le nombre de places assises, mais tout le monde a tendance à s’engouffrer dans le dernier pour profiter de la plage plus longtemps.

    «Ça fait des souvenirs»

    Surtout les jours où il fait beau. Gaya, jeune diplômé en économie, se souvient de Bray-Dunes, la première fois en 2011 sous le soleil, puis du Touquet en 2012, «sous un bon ciel nordiste», et à chaque fois en groupe. Outre le prix, il trouve ce train pratique, «parce qu’il permet de faire quelque chose tous ensemble. A sept-huit, il nous aurait fallu deux voitures.»

    Les malins se paient comme ça «des petites vacances dispersées pas chères». Dans le train pour Wimereux, Christelle, mère de famille, raconte son truc : on achète deux allers-retours au lieu d’un, on passe la nuit sur place, au camping. Une partie de la famille l’a précédée en voiture «avec tout le barda», et ils restent au camping pour la nuit. «A huit, ça nous fait 100 euros le week-end, nourriture, transport et camping compris. C’est raisonnable. On prend l’appareil photo, le caméscope, ça fait des souvenirs.» Les journées dans cette petite ville, entre les villas multicolores anglo-normandes et les cabines de plage bleues et blanches, sont ses seules vacances.

    D’autres ne dorment pas et vont pêcher le bar sur la digue pendant que femmes et enfants rentrent par le dernier train. Sur la digue, à marée haute, on avait vu en 2005 des enfants grelottant dans leur serviette qui se faisaient peur en regardant les grosses touffes d’algues : «Hein, maman, à Wimereux, y a des requins ?»

    Le train à 1 euro est né en 2002, sur une idée de l’écologiste Dominique Plancke, président de la commission transports au conseil régional. Il voulait sortir les gens de leur voiture, des embouteillages des retours de plage sur l’A25. Et leur faire découvrir la région. «On se demandait comment faire pour que les gens prennent le train.» Vu les tarifs prohibitifs, la réponse semble évidente : la région tente le train gratuit pour le week-end des Journées du patrimoine, en septembre 2002. «On s’est plantés, raconte l’élu. On a été complètement débordés, les trains saturés. Les gens se sont mis à prendre le train comme ils voulaient où ils voulaient. Les cheminots nous ont dit : "Plus jamais ça".»

    Canaliser la foule

    «Week-end rouge dans les gares avec le train gratuit», a titré la Voix du Nord à l’époque. Ce samedi-là, ils avaient été 90 000 à embarquer, trois fois plus qu’un samedi normal. Devant l’affluence, des cheminots déconseillaient aux gens de partir, faute de pouvoir leur garantir de rentrer le soir malgré une vingtaine de trains ajoutés en urgence. A Lille-Flandres, sur certains quais, des policiers fermaient eux-mêmes les portes. «Nos bureaux étaient au-dessus des voies 0 et 1, rapporte la porte-parole de la SNCF, on voyait les voyageurs sous nos fenêtres. La foule.» Ce week-end-là, Dominique Plancke croise des adolescents seuls, venus de Lens à Lille-Flandres pour la première fois, intimidés. «Ils n’osaient pas s’aventurer dehors. Ils ouvraient la porte et regardaient, sans sortir de la gare.»

    L’année suivante, la région et la SNCF ajustent le tir. Fin de la gratuité, début de TER Mer : des places à 1 euro, vendues au guichet, et contingentées gare par gare pour avoir une idée des effectifs à attendre et moins de sueurs froides. De plus, il faut acheter une carte «Grand TER» à 5 euros qui donne droit au voyage à 1 euro tout l’été pendant les week-ends TER Mer, à la fois pour le porteur de la carte et pour chacune des quatre personnes qui l’accompagnent. Un succès.

    A Lille, les habitués savent qu’il est inutile d’espérer acheter un billet le matin même ou la veille : les places sont mises en vente deux semaines avant et partent en quelques jours. Au total, dans toute la région, en comptant les petites gares, 95% des places sont vendues. Les cheminots, eux, respirent un grand coup avant chaque week-end. Il faut canaliser la foule, répondre à tout le monde, réfléchir vite et rester calme. «On sait que ça va être "speed", reconnaît un agent d’accueil à Lille-Flandres. Il y a toujours un peu de pagaille. Les gens cherchent un train pour la mer, c’est ce qui les intéresse. On essaie de les orienter, mais ils ne savent pas toujours où ils vont, ils sont peu habitués à voyager.»

    Comme ces habitants de la Sambre, près de Maubeuge, déçus de ne pouvoir prendre un train pour Dunkerque faute de place, à qui on suggère d’aller à Calais, et qui s’inquiètent : «A Calais, il y a la mer aussi ?» C’est Dominique Plancke qui raconte l’histoire. Au passage, il ne tarit pas d’éloges sur «l’implication» des cheminots, mais sait qu’il est impossible d’augmenter le nombre de trains sans tirer sur la corde. «On ne peut pas dépasser 21 000 billets TER Mer par week-end. En été, il y a déjà beaucoup de monde dans les gares. Et les cheminots doivent aussi prendre leurs vacances.»

    Bouées gonflées à l’avance

    L’offre s’est étoffée avec les années. Deux week-ends pour la première et maintenant quatre, plus un week-end «TER Vert» pour aller à la campagne. Depuis trois ans aussi, la possibilité de prendre le TGV sur réservation, ce qui met Dunkerque à une demi-heure de Lille. Avec, au bout, des bus gratuits pour aller vers les plages, des locations de vélos, des musées, des excursions à prix réduits ou gratuites.

    A l’aller, sur les quais, on distribue des casquettes aux enfants, des grilles horaires aux parents, et les cheminots rappellent au micro l’heure du dernier train. A l’arrivée, de jeunes vacataires en parka bleue du conseil régional indiquent le chemin de la mer. Au retour, des secouristes sont prêts à envoyer les petits aux urgences en cas d’insolation. Et il y a toujours des trains supplémentaires possibles en cas de surchauffe. Pour le festival des Nuits secrètes à Aulnoye-Aymeries, une sorte de mini-Woodstock dans la charmante campagne avesnoise, loin de tout, on a repoussé les horaires à 1 h 45 du matin pour le retour vers Lille.

    Coût total de l’opération pour la région : un million et demi d’euros, pour 80 000 à 90 000 billets vendus chaque été. La Picardie, le Languedoc-Roussillon, la Haute-Normandie ont suivi l’exemple, à plus petite échelle.

    Quelques habitués du TGV grimacent quand ils voient monter des familles avec les bouées gonflées à l’avance. Au Touquet, des commerçants voient d’un mauvais œil «les suceurs de glace» qui ne dépensent presque rien sur place, ou ironisent sur le «train des chômeurs». «C’est le train de tout le monde, répond Dominique Plancke. A Calais et Dunkerque, les commerçants sont contents de les voir arriver, ils savent que, même s’il ne fait pas beau, les gens viendront, pour changer d’air.»

    Au Touquet, Gaya a trouvé l’ambiance bon enfant. «Je n’ai pas remarqué de choc de classes. Réjouissons-nous si ça permet à des gens qui ne quittent jamais leur ville ou leur campagne de sortir un peu.» Benoît, avocat à Lille, a pris par hasard le train à 1 euro une fois, du Touquet, sans savoir que ce week-end était spécial. «Le train était bondé, il n’y avait presque pas de place pour mon vélo, mais c’était sympa, vivant. Des gens qui mangeaient, d’autres jouaient. J’avais l’impression d’être dans un film.»

    La convention avec la SNCF s’achève cette année, une autre doit être signée pour dix ans en 2015. Reste à inventer comment, puisque la région s’agrandit avec la Picardie. «C’est un train qui donne l’idée d’aller à la mer», résume Gaya.

    Le TER-Mer


    Haydée Sabéran (correspondante à Lille)
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