Samedi 20 juillet. 14 h 45. Gare Montparnasse. Départ du TGV 8339. Sacs à dos, bermudas et Chocos BN : l'air est davantage aux Vacances de M. Hulot qu'à La Madone des sleepings. Emmanuel Carrère, dans Le Monde du même jour, nous a pourtant promis de participer au sulfureux voyage d'une blonde aux hanches épanouies qui est supposée respecter à la lettre le parcours érotique dessiné par l'écrivain, son ami. La voiture 1 de la rame 1 est à moitié vide. Un homme lit San Antonio, un autre L'Equipe. Pas de blonde. Pas de femme seule. Pas plus que dans la voiture 2. Dans la voiture 3, une femme d'un certain âge lit la nouvelle d'Emmanuel Carrère. Stoïque.
Pendant ce temps, dans l'autre rame, une chatte siamoise, enfermée dans sa cage et répondant au doux nom de Popeye, paraît indifférente à ses maîtres, qui ne cessent de lui parler : « Il va être sage le Popeye, Papa et Maman sont là. » 15 h 30, voiture 6, seconde classe. Qui dira l'influence pernicieuse des mots fléchés sur le comportement érotique des hommes et des femmes du XXIe siècle ? Pour dix personnes qui s'escriment, crayon à la main, à trouver la bonne définition, une seule lit la nouvelle d'Emmanuel Carrère. 15 h 45, trois quarts d'heure avant le rendez-vous fixé au bar par l'auteur aux lecteurs curieux. Le paysage est plat, l'atmosphère engourdie. La sieste triomphe.
« UN FANTASME DE MEC »
16 h 03. Retour voiture 3. La respectable dame, large pantalon bleu nuit, chemisier bleu pâle, termine la nouvelle. « Très drôle. D'un point de vue érotique, je n'ai pas tellement été émue... Je me suis même un peu endormie. » Lectrice fidèle du Monde, elle n'a pas été du tout choquée. 16 h 15, le train entre en gare de Poitiers. « Tu ne crois pas que le moment est venu d'aller au bar », écrit Carrère. Ce n'est pas l'envie qui manque à Bouchra, jolie brune de 40 ans, aux longs cheveux noirs, de suivre le conseil, mais une opération récente du genou la gêne pour marcher. Elle avoue qu'elle l'eût volontiers fait « par curiosité et esprit coquin ». « Je ne trouve pas ce texte pornographique. Il est plutôt érotique, très plaisant. » Pour preuve : elle compte envoyer la nouvelle « au dernier homme avec qui [elle a] fait l'amour ». Aurait-elle apprécié que son ami lui écrive une lettre de ce genre ? « Why not ? Ça reste soft. Avec, aussi, une certaine tendresse. » Un bémol : « L'auteur s'est un peu pris au sérieux en écrivant la scène de masturbation dans les toilettes. C'est typiquement un fantasme de mec ! »