Quelle relation entre protection de l’environnement et inégalités sociales ?

Piton de la Fournaise, île de la Réunion   © Irstea
Piton de la Fournaise, île de la Réunion © Irstea

Confrontés au changement global, les territoires sont soumis à de nombreuses pressions telles que l’urbanisation ou l’accentuation des événements naturels extrêmes (tempêtes, crues, incendies…). Face à ces pressions, les politiques environnementales sont très diverses et les efforts demandés aux usagers variables. Depuis 4 ans, des sociologues du centre Irstea de Bordeaux explorent le lien entre politiques environnementales et inégalités sociales dans le cadre du projet Effijie.

La problématique des changements environnementaux globaux confronte plus que jamais les politiques publiques à une double exigence d’efficacité environnementale et de justice sociale. Si aujourd’hui le principe de protéger l’environnement est accepté par la majorité des citoyens, ses modalités peuvent en revanche être critiquées notamment parce que l’effort environnemental demandé peut paraître injuste. Contribue-t-on de manière égalitaire et équitable, ou certains groupes sociaux, voire populations, contribuent-ils plus que d’autres ? En quoi et pour quelles raisons cette contribution serait inégale ? 

Les inégalités environnementales : qu’est-ce que c’est ?

Confrontés au changement global, les territoires sont soumis à de nombreuses pressions - urbanisation, raréfaction des ressources naturelles, accentuation des événements climatiques extrêmes, etc… - et doivent prendre acte de leur vulnérabilité. Or, des études prouvent que les populations les plus défavorisées sont souvent les plus exposées aux risques. Aux inégalités sociales s’ajoutent ainsi des inégalités environnementales. Nous ne serions pas tous égaux face aux changements environnementaux. « Les inégalités environnementales renvoient au rapport que les individus, groupes sociaux et populations nouent avec l’environnement. Ce sujet rassemble différents enjeux tels que l’exposition aux risques, l’accès aux ressources naturelles à l’échelle des groupes sociaux ou des populations, leur impact sur l’environnement ou leur capacité à agir pour sa protection et à en bénéficier », explique Valérie Deldrève, sociologue à Irstea et coordinatrice du projet.

Une approche pluridisciplinaire proche des acteurs des territoires

Salazie
Salazie, île de la Réunion © Irstea

Le projet Effijie, financé par l’Agence Nationale de la Recherche, est un projet interdisciplinaire en sciences sociales qui associe trois approches des inégalités environnementales : une approche statistique, une approche éthique ou compréhensive et une approche socio-historique qui, jusqu’à présent, étaient menées séparément. Dans ce cadre, deux types de politique publique environnementale ont été comparés : la protection de la biodiversité dans les parcs nationaux et la gestion de la qualité des ressources en eau. Ces politiques ont été étudiées sur plusieurs territoires : les parcs nationaux de la Réunion et des Calanques pour la biodiversité, et les départements des Deux-Sèvres, des Pyrénées-Atlantiques et de La Réunion pour les questions liées à l’eau. La démarche s’est effectuée en lien avec les acteurs de ces territoires (gestionnaires, associations, agriculteurs, usagers, riverains…), qui ont été interviewés et avec qui les résultats ont été discutés. « Ces échanges ont été très appréciés, souligne Jacqueline Candau, sociologue à Irstea et coordinatrice du projet. Cela nous a permis de tester nos analyses, d’affiner notre argumentation, ainsi que de croiser les résultats entre les deux politiques publiques et entre les sites d’étude ».

Des efforts inégaux et variables selon les politiques et les territoires

Les résultats obtenus sont difficiles à généraliser, car issus de territoires et de politiques précis. Malgré cette difficulté, différentes conclusions émergent. En matière de politiques publiques liées à la qualité de l’eau, l’effort est essentiellement demandé aux consommateurs : le coût requis pour rendre l’eau potable se répercute sur la facture d’eau de chacun. Il accentue alors les inégalités socio-économiques existantes au point de fragiliser le droit à l’eau des foyers les plus défavorisés. Pour autant, l’effort demandé aux agriculteurs qui ont des parcelles dans le périmètre de protection des captages peut créer de nouvelles inégalités entre les exploitations agricoles selon le pourcentage de leur foncier concerné et le nouveau mode de culture préconisé. C’est le cas lorsque les modifications demandées ne correspondent pas à leur système technique, et deviennent obligatoires. Concernant les parcs nationaux, l’un des résultats peut ainsi être résumé : la réforme de ces derniers (2006), qui associe davantage les élus et usagers locaux au processus de création des parcs et leur confère davantage de pouvoir dans la gouvernance de ces derniers, ne tend pas vers une meilleure répartition de l’effort, mais tend, au contraire,  à renforcer certaines formes d’inégalités environnementales au profit des usagers les mieux organisés pour défendre leurs intérêts.

Faciliter le transfert de la recherche vers l’action et les politiques publiques

L’ensemble des analyses vont être regroupées dans un ouvrage collectif dont la sortie est prévue en 2019. « Nous allons poursuivre nos recherches dans cette voie, et préparons un projet sur les questions d’environnement et de genre, en lien avec les questions de justice environnementale, complète Valérie Deldrève. Nous avons lancé en 2017 une série de séminaires autour de ces questions ». L’équipe travaille également sur un projet nommé CITTEP (Capacités d’initiative et d’expression des travailleurs agricoles sur la transition écologique relative aux pesticides) coordonné par J. Candau et L. Ginelli. Ce projet se déroule dans le cadre de CIT’IN, un programme de recherche dédié aux expérimentations démocratiques relatives à la transition écologique. Son but est de de mobiliser la communauté des chercheurs en Sciences Humaines et Sociales et les acteurs de la transition écologique et énergétique et de faciliter le transfert des résultats des recherches vers l’action et les politiques publiques.

Fiche d’identité du projet EFFIJIE

 

  • Nom : EFFIJIE, L’EFFort environnemental comme Inégalité : Justice et Iniquité au nom de l’Environnement
  • Objectif : Etudier les liens entre politiques publiques environnementales et inégalités sociales
  • Coordinatrices : Jacqueline Candau et Valérie Deldrève, équipe EADT (Environnement, Acteurs et Dynamiques territoriales), Unité de recherche ETBx, centre Irstea de Bordeaux
  • Dates : 2014 – 2018 
  • Partenaires : CERTOP - CNRS DR14 CNRS Centre d’Etudes et de Recherches Travail, Organisation et Pouvoir, Irisse-Espace-dév (Université de La Réunion) GREThA – CNRS-U-Bdx Groupe de Recherche en Economie Théorique et Appliquée, LPED / U-Aix-Marseille Laboratoire Population Environnement Développement, TELEMME - DR12 CNRS Temps, Espaces, Langages, Europe Méridionale, Méditerranée

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