Raphaël Glucksmann : sortons de l’individualisme
Dans son dernier ouvrage, l’essayiste dresse une critique du repli égoïste contemporain et esquisse un nouveau contrat social.
Etonnant : il reste encore des socialistes. Pas seulement dans les sections étiques du PS ou chez Hamon, ce dissident qui navigue en solitaire. Non, hors les murs, à l’extérieur des partis, avec pignon sur rue médiatique et bonne formation intellectuelle. Tel est Raphaël Glucksmann, militant, essayiste et, jusqu’à une date récente, directeur de revue, qui publie un livre indubitablement socialiste, à la fois diagnostic critique du monde tel qu’il va et esquisse de projet politique. Il démontre ainsi, en porte-parole d’une génération nouvelle, que cette doctrine, dont on a cent fois annoncé la mort, produit encore des idées, des projets et un espoir.
Son point de départ est aussi un retour aux sources. Comme Pierre Leroux en son temps, comme Saint-Simon (le comte), comme Fourier, Glucksmann se fonde d’abord sur la critique de l’individualisme. L’Homo economicus des libéraux est un modèle néfaste, l’homme est un animal social, il veut être libre mais sa liberté suppose une solidarité avec ses semblables. Sur une base dogmatique, la domination des libéraux depuis les années 80 a produit un monde solitaire, désaffilié, égoïste avant tout, pour le plus grand bénéfice des puissants de l’économie. Comme le capitalisme du début du XIXe siècle, celui du début du XXIe atomise la société, crée d’insoutenables inégalités, jette l’individu isolé dans une jungle hostile qui oblige à une guerre de tous contre tous. Rappel précieux : la protestation élémentaire contre l’injustice d’une société de compétiteurs enfermés dans la solitude fonde autant le socialisme d’hier que celui de demain.
Protestation qui touche de plein fouet le «nouveau monde» macronien. On a cru un instant que l’équipée d’En marche, sortant du giron socialiste, en livrerait une forme plus centriste et plus moderne. Erreur : c’est une plate mouture du même libéralisme qui sévit depuis bientôt quarante ans sur la planète. La rhétorique des «premiers de cordée», la longue litanie des admonestations aux pauvres, en démontre la continuité. Cette ode à l’individualisme, comme partout ailleurs, oriente le peuple vers le mirage identitaire. Couple infernal qui domine depuis plus d’une décennie la vie politique. Glucksmann condamne l’un et l’autre et plaide pour la solidarité des citoyens. Il se distingue ainsi sans ambages des dérives de la gauche identitaire, qui croit trouver le salut dans l’exaltation des revendications essentialistes des minorités. A ce jeu-là, remarque Glucksmann avec bon sens, les minorités sont à tout coup perdantes. Leur obsession victimaire et identitaire réveille les mêmes tropismes dans la majorité, qui se réfugie, elle aussi, dans l’affirmation de sa personnalité et de sa culture. Et comme la majorité est majoritaire, les minorités ont le dessous. Alors qu’il n’est d’autre planche de salut pour elles que d’exiger qu’on leur applique avec équité les valeurs universelles dont se réclame la république. C’est l’égalité des droits qui protège les minorités, non leur identité.
Une république dotée d’un projet : c’est ce qui manque si souvent aux progressistes. Dans un style vif, fondé sur une culture politique sûre où voisinent Hegel et Hulot, Machiavel et Rutger Bregman, Glucksmann en donne l’esquisse : un nouveau contrat social tablant sur la radicalisation de la démocratie, seul remède au discrédit des élites, une stratégie écologique enfin cohérente avec l’urgence climatique, une marche progressive vers le revenu universel, longue par nature, mais qu’il convient justement d’entamer rapidement, un «pacte girondin» qui rapproche le citoyen des pouvoirs. On y verra les prémices d’un manifeste militant - pourquoi pas ? - électoral. Raphaël Glucksmann n’est pas seulement un observateur. Il se veut aussi acteur de la scène publique, qui n’aime pas les tours d’ivoire. Ici et maintenant ? Le petit doigt du chroniqueur lui dit que ce livre n’est pas seulement un essai parmi d’autres, mais aussi une plateforme de lancement. Après tout, en démocratie, il ne suffit pas de parler, il faut aussi mobiliser. Positive entreprise…
Raphaël Gluksmann Les enfants du vide. De l'impasse individualiste au révil citoyen Allary Editions, 220 pp., 18,90 €.
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