Cette jeune femme appartient à la nouvelle génération d’intellectuels français qui renouvelle la réflexion sur la démocratie. Signe particulier : sa double compétence lui permet d’osciller entre le particulier et le général. Elle vient d’écrire : Les irremplaçables (Gallimard). Elle en parle ce dimanche 4 octobre dans le magazine Idées. Où l'on réalise, entre autres choses, que l'individuation n'a rien à voir avec l'individualisme et que, si nous ne sommes rien sans l’Etat de droit, celui-ci ne peut exister sans nous.
Parler de Cynthia Fleury, c’est mettre l’accent sur une grande curiosité, une approche pluridisciplinaire des choses. C’est aussi souligner une soif d’engagement. N’est-elle pas le plus jeune membre du Comité consultatif national d’éthique ? Membre aussi du laboratoire d’idées (think tank) de la Fondation Hulot ou membre de la cellule d’urgence médico-psychologique du SAMU à Paris ? Cet engagement intellectuel repose évidemment sur son travail de recherche et d’enseignement. La force de l’individu.
Professeur de philosophie politique à l’American University of Paris, chercheure associée au Museum d’histoire naturelle, maître de conférences à Sciences-Po, enseignante à Polytechnique, Cynthia Fleury mène depuis des années, une réflexion sur la démocratie et sur la place de l’individu dans celle-ci.
En 2009, elle a écrit Les pathologies de la démocratie (Fayard) où elle pose en quelque sorte une question : Qu’avons-nous fait des nos valeurs ? Et s’interroge sur les défis que les démocraties occidentales doivent surmonter : l’individualisme, le communautarisme et le fait religieux. Elle est aussi l’auteur de La fin du courage. La reconquête d’une vertu démocratique en 2010 chez le même éditeur. Le courage comme moteur de l’action ; le courage qui est une affaire individuelle mais doit être aussi une force collective. Dans cet ouvrage, elle prône « une éthique collective du courage ».

Irremplaçables
En cette rentrée 2015, Cynthia Fleury poursuit cette réflexion en nous proposant, cette fois, Les irremplaçables, un essai sur la place unique de l’individu dans la démocratie. « Cet ouvrage s’inscrit dans la suite de mon travail sur l’irremplaçabilité de l’individu dans la régulation démocratique, un travail au croisement de la philosophie politique et de la psychanalyse faisant toujours le lien entre l’individu et le collectif », écrit-elle d’emblée. L’individu est important en tant qu’individu mais il est tout aussi important pour « la durabilité démocratique ». Une hypothèse que l’auteur développe dans son livre.
Quand on parle de l’individu, il faut être clair. Le livre de Cynthia Fleury n’est pas un éloge de l’individualisme, un des fléaux de l’époque. Tout au contraire. C’est un plaidoyer pour ce que la philosophe-psychanalyste appelle « l’individuation » c'est-à-dire l’affirmation de soi pour les autres et par rapport au pouvoir. « S’individuer, devenir sujet, nécessite de sortir de l’état de minorité dans lequel on se trouve, naturellement et symboliquement », souligne-t-elle.
L’individuation, c’est un processus. C'est tout à la fois la maxime grecque « connais-toi toi-même », la faculté de profiter de l’instant « pour cheminer vers soi », l’engagement, la connaissance du prix de la douleur, ou bien encore de la force comique et de l’absurdité car « l’humour est un commencement. Le monde s’ouvre car le récit de l’origine est moqué et le mensonge mis à nu », selon Cynthia Fleury.
Devenir irremplaçable, c’est donc « entrelacer les différentes séquences du processus d’individuation jusqu’à former une singularité qui n’est plus sous tutelle ». C’est pour tout dire sortir de l’état de servitude volontaire décrite par La Boétie.
L’indépendance contre le pouvoir
Et puis il y a le pouvoir. Politique notamment. S’individuer, c’est considérer qu’il n’y a ni dieu, ni maître. « L’individuation est une puissance non corrompue par le pouvoir ». Ce pouvoir dont il faut se méfier car « ce qu’il cherche à détruire, c’est la capacité d’individuation propre de l’individu ». Ce qu'il promeut c'est l'individualisme « au sens où l'individu ne saisit plus la place régulatrice et protectrice de l'autre, des autres, d'une obligation de constituer un ou plusieurs collectifs ». Le pouvoir « menace l'avènement de l'individu en tant que sujet libre », écrit Cynthia Fleury dans cet essai riche. Pour elle, il faut déconstruire le pouvoir.
Par conséquent, plus nous serons nous-mêmes, autonomes, indépendants d'esprits et ouverts à l'autre, plus nous aurons le « souci de soi », plus nous fortifierons l'Etat de droit, la démocratie qui est le reflet de nous-mêmes car nous en sommes les acteurs. En principe. Nous pourrons ainsi faire barrage au populisme. C'est pour que nous sommes irremplaçables.
Le livre de Cynthia Fleury est passionnant, original et ambitieux. Il parle aussi de la place de la famille, de l'éducation. Comme le note Roger Pol-Droit dans une chronique qui lui est consacrée, dans Le Monde, il ne propose rien de moins que de réinventer une Cité des âmes. « Cette vieille préoccupation de Platon et de Kant est à repenser, après Freud, au temps du numérique », selon lui.
Pour en savoir plus :
L'émission Idées, dimanche 4 octobre 2015 à 15h10 TU vers le monde et Paris, à 16h10 TU vers l'Afrique ; rediffusion lundi 5 octobre 2015 à 00h10 TU vers le monde et Paris.