L’hyper-individualisme dans notre société
L’hyper-individualisme est un état d’esprit très majoritaire dans notre société, qui, au moins inconsciemment, voit un individu libre au centre de chacun d’entre nous, un individu qui est « je », le seul vrai « je » et qui, à ce titre, ne devrait subir aucune contrainte, aucune influence, aucune attente d’aucune sorte, aucune « assignation ».
Dans la pensée hégélienne, nous sommes tissés de trois brins, dans trois dimensions : l’universalité (ce qui est à tous), la particularité (toutes nos appartenances à des groupes et non-appartenances à d’autres) et la singularité (ce qui n’est qu’à nous). Ces trois dimensions ne sont pas exclusives l’une de l’autre.
Le discours hyper-individualiste ne reconnait que la singularité.

Quand on pense à l’individualisme, on pense en général à l’égoïsme, on pense à une condamnation morale d’actes ou de personnes, on pense aussi à un état d’égoïsme extrême des membres de la société qui rend la vie sociale difficile et presqu’impossible. Evidemment, l’égoïsme, c’est toujours l’égoïsme des autres (on est dans la morale) et la condamnation morale est une posture, elle n’a aucune réalisation concrète.
Il me semble que l’état d’esprit des membres de notre société est constitué d’un individualisme quasi absolu, un hyper-individualisme dans lequel toute appartenance à un groupe est une aliénation, un mal qui n’aurait pas lieu d’être et dont il faut se débarrasser. Tout lien social est aliénation. Il faut être un « être humain » tout simplement. On parle du vivre-ensemble, ce vivre-ensemble concerne des individus, tous séparés les uns des autres et se devant une reconnaissance réciproque de leur individualité (ni jugement, ni contrainte, pas même d’attente) et rien d’autre.
En même temps, nous sommes dans un ensemble national, exclusif (dans le discours) des ensembles plus petits ; nous les refusons en leur donnant le nom de communautarisme. Lesdits communautarismes seraient incompatibles avec l’appartenance nationale (nul ne peut servir deux maîtres, quelque chose comme ça), la nation tenant le caractère universel de la démocratie et de la République. « Nos valeurs priment sur l'obscurantisme, au-delà des confessions, au-delà de nos différences appartenances. Nous sommes tous Français », a rappelé Ibrahim Sorel Keita, président de la chaîne de la TNT Banlieues diversité médias TV : http://www.lemonde.fr/societe/article/2014/09/28/hommage-a-herve-gourdel-nous-devons-reinstaurer-une-logique-de-fraternite_4495759_3224.html
Bien entendu, dans ce cadre général, il y a moult exceptions. Ce cadre ne s’oppose pas à tous les groupes internes. On ne s’oppose pas aux Bretons, leur déclaration communautaire n’est pas nommée et il n’est pas dit qu’elle abime la République. Pourtant, les Bretons s’opposent par la violence à des lois nationales, issues de l’Assemblée nationale, elle-même issue des urnes et nul ne les range dans les communautaristes, destructeurs de la Nation. N’en font pas partie non plus, les communautés considérées comme victimes (les Roms par exemple).
Il y a le principe et l’application du principe. Nous avons un principe et des applications à choix multiples qui estompent le principe jusqu’à l’effacer. L’application du principe qui déforme considérablement le principe obéit à des régularités qui ne font l’objet d’aucune attention. Ce sont ces régularités que je tente de montrer, de décrire.
On voit le travail de cette distorsion dans le contexte des agressions hideuses de Français par des groupes djihadistes qui se revendiquent de l’Islam. La question de la condamnation de ces actes et de ces groupes djihadistes par les musulmans de France se pose. Mais s’ils le faisaient, même si c’est pour le bien, ils se constitueraient en communauté. Or, en principe, nous ne reconnaissons pas les communautés, et en pratique nous en reconnaissons certaines, sans les nommer communauté parfois, ou à la plainte, quand elles sont victimes.
Ce qui donne des cafouillages en pagaille. Côté orthodoxie républicaine : « Non, je n'irai pas manifester devant la Mosquée de Paris. Si je dois y aller, c'est en tant que Français, horrifié qu'on ait égorgé un autre Français. Pas en tant que musulman. » http://www.lemonde.fr/societe/article/2014/09/25/pourquoi-les-musulmans-devraient-prendre-position-apres-la-mort-d-herve-gourdel_4494554_3224.html et encore :
« La logique à l'œuvre dans tout cela est terrible. Elle présuppose que les musulmans seraient, par défaut, solidaires des actes des terroristes. Elle présuppose que tout musulman est relié au terrorisme islamiste et qu'il doit publiquement couper ce lien. Elle présuppose une suspicion a priori. Une suspicion qui est parfois explicite mais qui est le plus souvent sourde, voire intériorisée par les musulmans eux-mêmes. » Suit une longue liste de comparaisons, dont certaines farfelues (il s’agit de montrer l’absurde de cette demande, pour le journal Rue 89). « Pourquoi demander aux musulmans de France de prendre position ? » demande Michaël Szadkowski, en titre d’un article du Monde. Parce que ce sont les djihadistes qui affirment agir au nom de l’Islam, et qui dans leur « logique » visent la France et les Français ; la question n’est pas dans une « logique » interne à la France (sans compter le caractère paradoxal de cette « logique »). Il faut considérer la succession des discours et des actes, respecter les antériorités, tenir compte du sens du courant dans le flot des paroles. Que les Français nommés par les djihadistes disent ce qu’ils pensent de ce lien et le coupent est une nécessité ; tant qu’ils ne l’ont pas fait, on est en droit de supposer et de craindre que ce lien énoncé par les djihadistes soit bien réel, voire réciproque.
Nous serions dans un monde sans aucun lien, aucune solidarité. Tous des Robinson dans notre île, nos paroles et nos actes ne dépasseraient pas le périmètre dans lequel ils sont faits ! C’est ça qui est absurde, cet hyper-individualisme.
Il me semble qu’au contraire, nos appartenances nous constituent et bâtissent ce moi essentiel à l’intérieur de nous. Nous les voyons comme des gênes, des freins, des soustractions à cet être unique de liberté que nous sommes, alors que ce sont des nourritures, ce sont les désirs, les multiples complémentarités que nous trouvons dans les autres, les coopérations et les oppositions.
Et dans l’application à-peu-près du principe d’unité nationale sans particularisme, il y a (heureusement) une condamnation des actes, la déclaration que même si ces égorgeurs disent avoir agi au nom de leur religion, l’Islam n’a rien à voir avec ça… Cependant le débat continue dans ces termes victimisation ou non des musulmans de France. Cependant le débat continue dans ces termes de l’hyper-individualisme : victimisation ou non des musulmans de France. Il faudrait reconsidérer cette idée d’une insularisation de tous les individus et relier positivement particularité et singularité.
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