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          Comment l'individualisme à outrance met en péril l'Etat-nation

          Comment l'individualisme à outrance met en péril l'Etat-nation
          Manuel Valls à Matignon, le 30 octobre. THOMAS SAMSON/AFP

          FIGAROVOX/ANALYSE - Revenant sur les déclarations de Manuel Valls, qui souhaite «accélérer l'émancipation des individus», Gérard Thoris s'inquiète des conséquences de cette réorientation politique de la gauche pour la cohésion nationale.


          Economiste et philosophe, Gérard THORIS dirige Socieco dont l'objet est le décryptage et la prospective. Il publie régulièrement des articles en matière de politique économique et sociale (Liberté politique, Revue française des finances publiques, Sociétal, etc.). Il est expert auprès de l'Association Progrès du Management (APM) sur la crise économique mondiale et les questions de politiques publiques.


          «Il faut en finir avec la gauche passéiste, celle qui s'attache à un passé révolu et nostalgique, hantée par le surmoi marxiste et par le souvenir des Trente Glorieuses. La seule question qui vaille, c'est comment orienter la modernité pour accélérer l'émancipation des individus». Manuel Valls, Interview à L'Obs du 23 octobre 2014

          Il était temps! Manuel Valls vient de reconnaître que le temps des Trente glorieuses est révolu. Il y avait bien longtemps qu'on savait, avec Jean Fourastié qu'il s'agissait d'une période de rattrapage et que le niveau de vie pourrait ne plus beaucoup augmenter . Mais enfin, entre 5 % et 0,5 %, il y a de la marge, surtout quand tout l'édifice de l'Etat-Providence est construit sur une croissance à 2 %. Dès 2009, nous avons montré que le Parti Socialiste était dans une impasse en continuant à s'arc-bouter sur les réformes intenables que sont les 35 heures, la retraite à 60 ans et une fiscalité destructrice de richesses dont le symbole est l'ISF . Bref, la maîtrise de l'économie se dérobe sous les pieds de l'Etat, mieux à même de redistribuer les richesses que de les créer.

          L'émancipation des enfants vis-à-vis de l'un des parents biologiques, subie plus que voulue, est chose faite dans nombre de familles monoparentales ou recomposées. Cela ne veut pas dire que ce parent biologique n'a pas envie d'exercer son rôle de parent.

          On le sait, en cas d'échec sur l'économie, la Gauche en revient constamment aux racines philosophiques de son projet politique. Et les mesures qu'elle prend dans ces circonstances ne sont jamais remises en cause par la Droite. Ne faisons plus semblant de le découvrir: pour Jean Jaurès, «le socialisme est l'individualisme, mais l'individualisme logique et complet» . Il est évident que Manuel Valls s'inscrit dans cette lignée lorsqu'il souhaite «accélérer l'émancipation des individus». Pour autant, on peut s'interroger sur la pertinence d'un programme dont les effets seconds non désirés, pour ne pas dire les effets pervers, sont de plus en plus visibles.

          Pour Jean Jaurès, l'individualisme (de droite) n'était pas logique puisqu'il laissait la structure familiale intacte, abritée derrière l'autorité parentale. La première émancipation porte sur la fidélité, pourtant encore inscrite dans le Code civil: «les époux se doivent mutuellement respect, fidélité, secours, assistance» (art. 212). N'importe comment cela est advenu ; aujourd'hui la moitié des cohabitations, qu'elles soient spontanées ou sanctionnées légalement, se termine par un divorce. On l'a dit mille fois, la promesse de fidélité ne vaut que pour celui ou celle qui l'écoute. Faut-il pousser l'émancipation plus loin encore, en supprimant la notion de fidélité du Code civil?

          Après tout, Jean-Marc Ayrault n'a pas hésité à en effacer la notion de «bon père de famille» Or, n'est-ce-pas que la «bonté» engage. N'est-ce pas que, comme don, elle appelle un contre-don dont il est difficile de... s'émanciper! A la bonté, on préfère donc la raison . On n'en sera pas surpris car il y aura toujours une «bonne raison» de s'émanciper des contraintes de la vie familiale et sociale.

          Derrière la tant vantée solidarité nationale, il y a un mouvement d'émancipation qui rend caduques la plupart des formes concrètes de solidarité.

          D'ailleurs, ce qui cache le concept de famille aujourd'hui a peu à voir, statistiquement parlant, avec ce qu'il était à la veille de mai 1968. L'émancipation des enfants vis-à-vis de l'un des parents biologiques, subie plus que voulue, est chose faite dans nombre de familles monoparentales ou recomposées. Cela ne veut pas dire que ce parent biologique n'a pas envie d'exercer son rôle de parent ; cela veut seulement dire qu'il est plus difficile de le faire hors la spontanéité d'une vie partagée au quotidien. Cependant, on ne peut exclure que l'émancipation vis-à-vis de ses propres enfants biologiques soit monnaie courante, sinon il faudrait expliquer pourquoi 3 millions d'enfants sont privés de pension alimentaire. Faut-il pousser l'émancipation encore plus loin en confiant tous ces enfants à la garde de l'État?

          D'une certaine façon, c'est chose faite avec la scolarisation précoce. Néanmoins, là aussi, certaines questions ne peuvent être éludées. Si les enseignants n'en disaient mot, s'ils ne revenaient pas régulièrement sur le fait qu'il est plus difficile de socialiser un enfant à l'école quand il n'a pas été d'abord socialisé dans sa famille - quel horrible possessif! - on pourrait croire ou laisser croire que tout cela n'a pas d'importance. Mais, ces enfants, émancipés de l'autorité parentale sont aussi ceux qui s'émancipent spontanément de l'autorité des enseignants. La République postule que le savoir est attrayant comme le fruit du jardin d'Eden et qu'il suffit d'ouvrir les portes de l'école pour que chaque citoyen en herbe s'en saisisse. Manifestement, nombre d'enfants ne sont pas prêts à le cueillir. C'est ainsi que, chaque année, 200 000 d'entre eux s'émancipent du système scolaire au point d'en sortir sans diplôme . Faut-il pousser l'émancipation encore plus loin en multipliant les faux diplômes qui permettent de se donner bonne conscience sur le niveau de réussite des élèves?

          Quant à la nation, cette création de la modernité, elle est réduite à n'être qu'un Etat-Providence qui n'arrive jamais s'émanciper des droits acquis. Derrière la tant vantée solidarité nationale, il y a un mouvement d'émancipation qui rend caduques la plupart des formes concrètes de solidarité. C'est ainsi que, dans une formule à la fois factuelle et prophétique, Pierre Rosanvallon écrit: «Le passage de l'État protecteur à l'État-Providence traduit, au niveau des représentations de l'État, le mouvement dans lequel la société cesse de se penser comme un corps pour se concevoir comme un marché.» En d'autres termes, l'État-Providence permet de se désencastrer des solidarités concrètes qui sont naturellement contraignantes en termes de normes et de pressions sociales. L'émancipation permise par l'Etat-Providence est donc à la racine de cette «société de marché» récusée par Lionel Jospin . Mais quelle direction pourrait-il prendre pour aller encore plus loin dans le désencastrement?

          Cet État-Providence est aussi un État prédateur. C'est du moins l'avis de ces citoyens qui, lassés de tant de sollicitude de la part des ministres taxeurs ce qui est presque devenu un pléonasme s'émancipent du territoire national.

          Rassurons-nous l'imagination des représentants de la Nation est sans limite. Notons d'ailleurs en passant qu'ils ne se gênent pas pour s'émanciper des règles qu'ils ont eux-mêmes voté, en conscience, devant le peuple levé en corps électoral. Ils aiment oublier qui le patrimoine d'une concubine notoire, qui un compte en Suisse, qui une villa au milieu de l'océan Indien, qui encore le cumul d'allocations de chômage avec leurs émoluments de représentants de la Nation. D'ailleurs, auprès de ses collègues, Manuel Valls a récolté immédiatement ce qu'il avait semé. Il suffit de lire les réactions des membres importants du Parti socialiste pour constater qu'ils se sont rapidement émancipés des règles de la solidarité, en principe de rigueur au sein d'une majorité présidentielle.

          Cependant, cet État-Providence est aussi un État prédateur. C'est du moins l'avis de ces citoyens qui, lassés de tant de sollicitude de la part des ministres taxeurs - ce qui est presque devenu un pléonasme - s'émancipent du territoire national. Pire encore sans doute, puisqu'on veut les frapper d'interdiction de sortie du territoire, d'autres veulent devenir mercenaires d'une idée dont il n'ont pas réussi à s'émanciper. Ainsi, pour les seconds de manière ferme, pour les premiers de manière sournoise, y aurait-il des raisons de croire que la seule émancipation interdite soit celle du territoire de la République?

          Non! Que chacun se rassure. Il est une émancipation que la République ne tolèrera jamais, celle qui consiste à s'affranchir de l'obligation de conserver un compte bancaire créditeur. Vous avez dit société de marché?

          Gérard Thoris
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          59 commentaires
          • djejeaumax

            Un individualiste à outrance est quelqu'un qui ne pense pas à moi, rien qu'à moi et à personne d'autre !

          • djejeaumax

            "l'édifice de l'Etat-Providence est construit sur une croissance à 2 %" : quelle est votre source ? On a bien dû faire 2% en moyenne depuis 1974 et on a accumulé 2000mds d'€ pour financer "l'Etat-Providence"...

          • machin-choses

            Je trouve que de ne plus faire de service militaire et ne pas avoir d'autre choix que d'arrêter les études faute de système d'apprentissage digne de ce nom est une grande violence faite aux jeunes hommes. Un filet social n'est pas une expérience ou un rêve, c'est un somnifère anesthésiant laissant les jeunes hommes dans l'inexpérience et l'ignorance.

          • alsako1

            Nation, nationalisme , guerre. Il y a 100 ans début de la grande boucherie nationaliste 14/18, le sommet du nationalisme européen

          • markus L001

            Cet hyper individualisme prenant un aspect destructeur est l'une des principales conséquence du dérapage culturel et politique de l'état jacobin centralisateur, qui favorisa une sorte d#ÉGO DÉMESURÉ DE CERTAINS CONTRADICTEURS professionnels ou non, mais des politologues et philosophes nous avaient prévenus la déviation de 1793 de notre révolution légitime de 1789, faussa le jeu politique en tournant le dos à la démocratie réelle, que réclamait le peuple face à l'extension de l'absolutisme royal et administratif. De fait les jacobins par leur déviationisme maffieux prôné par de petites cliques avides de pouvoir ont préparé le terrain pour ce qui deviendra au 20 è siècle, le fascisme rouge, brun ou noir. Mais cet individualisme ne touche plus seulement les personnes dans leur vie intime, mais également dans une ressurgence du pouvoir individuel, qu'a bien exprimé F. Hollande par son moi président. Ceci a été favorisé par le maintien des institutions de la 5è République après De Gaulle. Vouloir penser être en mesure de confier le seul pouvoir , pouvoir solitaire, en sorte, ne fonctionne plus oui pas longtemps au 21è siècle, la perte de prestige ainsi engendrée, renforce indirectement l'égo des simples citoyens, lesquels pensent trouver une parcelle de pouvoir en descendant dans la rue, or avec le fiasco de certains soulèvements, dont le printemps dit arabe, nous observons, que ceci est également une mauvaise solution.

          • lebrun10

            Et après on se plaindra que les enfants ne respectent plus leurs parents . En réalité la Société se désagrège sous les coups de boutoir des idéologies qui ont remplacé le bon sens pra

          • Avatar de FG000

            FG000

            Tien çà c'est pas mal il a pensé à tout çà? Les enfants à la garde de l'état nation que l'on combat donc que l'on détruit.

          • latorpille

            devinez qui monte les français les uns contre les autres pour mieux régné , allez deviner ! nos politiques de tous bords qui ont était au pouvoir , sa les arrangent .

          • Avatar Abonné
            luke

            C'est le gaspillage, la gabegie, de l'Etat nation, qui le met en danger. Aujourd'hui, tout le monde compte l'argent et cherche du rendement, sauf l'Etat. Les services publiques sont de moins en moins compétitifs parce qu'ils ne se réforment pas et sont pillés par les placés, par les syndicats et les professions réglementées.

          • dahut

            2017 , l ' émencipation de la gauche ; il vont être très seul !!.

          • un mec normal ..

            Au sujet de la pensée unique , ce qui est grave c est le refus du CSA pour LCI en TNT, ce n est pas 1 télé de gauche , mais donne souvent des infos que ne donnent pas les 2 télés Hollande La gauche est hypocrite sur ce sujet , car elle dit qu elle regrette cette décision pour la pluralité de l info , mais ce sont 3 personnalité de gauche qui ont été nommé derniérement au CSA

          • Avatar de condorman94

            condorman94

            Je viens de lire dans cet " article " le nihilisme de la pensée !!! Que Manuel Valls retourne à ses cours d'histoire , et surtout qu'il révise celle concernant Clemenceau dont il se dit admirateur !!

          • C Di

            Un gouvernement de nuls à commencer par leur chef sans parler de son PM, Manuel qui pense qu'à lui même pour 2017. Jamais vu autant d'hypocrites dans ce gouvernement de gauche et des cumulards ! et ils se foutent de la situation des chômeurs, de la précarité et de l'insécurité dans le pays. Pendant ce temps moi je, FH , moi président va faire le beau à l'étranger ! Naturellement avec AIR SARKO ONE. Et pendant que le pays traverse une crise terrible dans tous les domaines ! Il va faire le beau !!!!!

          • Nonpeutetre

            Le socialisme ne peut pas être l'émancipation des individus ; le socialisme, c'est l'assistanat, l'irresponsabilité, l'infantilisation des individus. En effet le mot 'socialisme' est synonyme de 'étatisme' ; c'est le tout à l'État, tout le capital, tout le pouvoir, toutes les décisions et surtout toute la pensée.
            .
            En Socialie, l'individu délègue à l'État, son capital, son pouvoir, ses décisions et surtout sa pensée. La Socialie, c'est la pensée unique de l'État imposée à tous les individus. En Socialie, les individus sont rassemblés dans un immense cheptel, indifférenciés et mis au service de l'État,

          • Avatar Abonné
            Noemie Albert

            Un auteur chargé d'écrire un article sur la notion d'émancipation et qui réinvente l'eau tiède après avoir balayé toutes les formes d'émancipation sauf celle du bébé qui cesse de téter le sein maternel pour se gorger de bouillie industrielle;
            Un texte qui balaye toutes les formes d'émancipation, rien que pour reprendre le mot de Valls;
            Tout ça ne vaut pas tripette.
            ?
            Il était souhaitable qu'il dise sans utiliser des mots incompréhensibles " l'individualisme logique et complet" ou encore "désencastrer" qu'il ne sait pas ce que Valls a voulu dire ce qui est le cas avec n'importe quel socialiste.
            Lorsqu'il écrit "sa famille - quel horrible possessif!" il ne sait pas que l'enfant n'est pas possédé par la famille, c'est l'inverse. Lorsque je dis MA France, je suis libre, mais la France est à moi.
            Lorsqu'ils parlent, la musique est jolie (MOA ... Président ....reprenez au refrain...MOA ... Président) mais cela n'a aucun sens.
            .
            L'émancipation c'est d'abord le fait de ne pas être esclave de l'idéologie socialiste et de pouvoir se réaliser, réaliser sa croissance physique intellectuelle et morale. C'est se développer physiquement comme matériellement.
            Devenir riche c'est s'émanciper de la pauvreté et inversement, s'émanciper de la pauvreté ce n'est pas être assisté, mais être plus riche.
            .
            Oui, ce philosophe a raté l'occasion de se taire ...

          • Avatar de ansiarque

            ansiarque

            Gérard Thoris détourne le sens des paroles de Manuel Valls avec beaucoup de malhonnêteté.
            L'émancipation des individus que le Premier Ministre évoque ne consiste pas à permettre à chacun de se libérer ses engagements et responsabilités morales (mariage, paternité, solidarité familiale, etc.).
            Il rappelle simplement que le rôle de la République est de donner les moyens à chaque individu de réaliser son potentiel, en facilitant son développement (soutiens à la formation, soutiens à la fondation et à la direction d'entreprises, bourses d'études, aides pratiques de type garde d'enfants, etc.). Il s'agit de lever, autant que possible et au moins financièrement, les inégalités et handicaps qui entravent tous ceux qui n'ont pas eu l'opportunité de se construire au sein d'une famille heureuse, instruite et stimulante.
            C'est positif autant pour les individus que pour le PIB.

          • Hermodore

            Et le collectivisme à outrance de l'État-nation, il en pense quoi le monsieur?

          • Bachir

            Article remarquable par sa justesse. La famille est le socle de la société. La protéger et resserrer les liens entre les individus, c'est plusieurs points de croissance assurée.
            Dommage que ce ne soit pas la politique du gouvernement

          • Avatar Abonné
            Michel167382

            La solution? Enlever les enfants dès la naissance, et les confier à un organisme formateur, qui les endoctrinera selon la pensée socialiste de l'uniformatisation par le bas! Le danger sera de changer de majorité gouvernementale qui remettra en cause cette orientation au profit d'une autre, tourneboulant nos têtes de moins en moins blondes! C'est déjà ce qui se passe me dit ma femme par dessus mon épaule! Mince alors!!!!!

          • pierre325

            L'émancipation de l'enfant avec le compte en banque des parents. L'art de faire raquer les familles en ciblant les jeunes.