ÉTUDES DE TEXTES DANS TOCQUEVILLE L'individualisme [...] L'individualisme est une expression récente qu'une idée nouvelle a fait naître. Nos pères ne connaissaient que l'égoïsme. -- l'homme à ne rien rapporter qu'à lui seul et à se préférer à tout. L'individualisme est un sentiment réfléchi et paisible qui dispose chaque citoyen à s'isoler de la masse de ses semblables et à se retirer -- volontiers la grande société à elle-même. L'égoïsme naît d'un instinct aveugle ; l'individualisme procède d'un jugement erroné plutôt que d'un sentiment dépravé. Il prend sa source dans les défauts de l'esprit autant que dans les vices du cœur. L'égoïsme dessèche le germe de toutes les vertus, l'individualisme ne tarit d'abord que la source des vertus publiques ; mais, à la longue, -- guère plus à une forme de société qu'à une autre. L'individualisme est d'origine démocratique, et il menace de se développper à mesure que les conditions s'égalisent. -- Tocqueville a besoin d'un terme. Ce n'est pas que ce terme n'existe pas déjà (« L'individualisme est une expression récente »), mais au moment où il écrit cette partie de La Démocratie en Amérique, il est encore -- dans l'autre, de la pensée et de l'écriture : deux définitions préalables (successivement de l'individualisme et de l'égoïsme), développées en une définition de l'individualisme ; puis deux descriptions en action de l'individualisme (genèse de l'un et de l'autre, effets de l'un et de l'autre), mais sous l'égide de -- définitions conjointes de l'égoïsme puis une dernière, de l'individualisme. Sous l'apparence d'une fragmentation, l'auteur articule les deux notions entre elles et ses propres énoncés selon une -- derniers en procèdent. Constituant une définition en quelque sorte sociologique de l'individualisme, cette phrase unique le présente d'abord comme « un sentiment » (entendons comme un certain mode de la -- dire arbitrairement dans la première séquence et comme pour expliciter simplement la nouveauté de l'individualisme : à l'idée nouvelle de la vie morale doit répondre une idée ancienne. Or cette cellule mère va -- troisième et de ces deux à la quatrième, car on ne saurait comprendre complètement le terme de l'individualisme sans retourner à celui de l'égoïsme, sans le reprendre et sans le travailler comme il ne l'avait jamais été, en vue précisément d'un approfondissement de ce terme nouveau, l'individualisme. Ainsi, entre la troisième séquence et la deuxième, un certain jeu tactique permet de passer d'« un amour -- l'épuisement du germe et du tarissement, et elles en reviennent encore à l'individualisme. La sixième n'y revient plus. Et il faudra attendre la septième et dernière cellule pour que l'individualisme revienne en force, en gloire, et seul, et se trouve défini tel qu'en lui-même, par son origine, qui l'assigne enfin et -- aristocratie et démocratie et qui ne parvient pas à inscrire les termes de l'égoïsme et de l'individualisme dans ce seul rapport-là*. Ici les symétries de l'écriture se troublent et le développement stratégique -- sans doute au régime aristocratique et peut-être à tout régime social. Ainsi est-il amené à reconduire l'individualisme à l'égoïsme, celui-là au terme de ses ravages allant enfin « s'absorber » dans celui-ci et dans les déserts d'une humanité abandonnée, homme par homme, à sa tendance à l'atomisation. À vue humaine, l'individualisme serait le chemin le plus court pour que l'homme retourne à un état antérieur -- ** Le principe de la vie aristocratique a un envers, l'égoïsme, et un contraire, l'individualisme. La morale féodale stigmatise le premier, et elle ne connaît pas le second.