La traduction automatique, « enjeu technologique, économique et culturel »

François Yvon, chercheur en informatique, dans une tribune au « Monde », souligne l’importance des technologies de traduction, nécessaires au développement international des entreprises et à l’affirmation de la souveraineté nationale.

Par François Yvon Publié le 21 juin 2018 à 15h00 - Mis à jour le 21 juin 2018 à 15h00

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« Une langue ne rayonnera que si elle s’appuie sur des outils d’IA performants » (Photo: HomePod, une enceinte connectée qui se contrôle avec la voix grâce au logiciel Siri).
« Une langue ne rayonnera que si elle s’appuie sur des outils d’IA performants » (Photo: HomePod, une enceinte connectée qui se contrôle avec la voix grâce au logiciel Siri). Marcio Jose Sanchez / AP

Tribune. Le président Macron a récemment prononcé deux grands discours, en apparence sans lien l’un avec l’autre : le premier, le 20 mars pour affirmer devant l’Académie française sa volonté de rétablir la place du français parmi les grandes langues mondiales du XXIe siècle ; le second, le 29 mars, devant la fine fleur de la recherche en sciences du numérique, pour annoncer un plan d’action pour développer l’intelligence artificielle (IA) en France et en Europe.

Le premier, truffé de citations littéraires, prône comme mesure phare le renforcement de l’apprentissage du français pour tous (les écoliers français, les migrants, les étrangers dans les instituts français). Le second, mâtiné de franglais, promet le développement d’une nouvelle filière industrielle : soutien aux « talents » et à l’innovation, libération des « datas », etc.

Les motifs pour lier les deux sujets – langue et IA – ne manquent pourtant pas. L’enjeu de la traduction automatique (TA) permet de le démontrer.

Le discours sur l’IA insiste sur les opportunités de développement économique qu’offrent ces technologies. Or, grâce à la TA, il devient possible aux entreprises françaises de bénéficier pleinement du grand marché européen unifié, en traduisant dans les 23 autres langues officielles de l’Union européenne (UE) leurs manuels techniques, contrats, catalogues et sites Internet.

Citoyens de seconde zone

Car se limiter à traduire vers l’anglais n’est pas suffisant : moins d’un Européen sur deux parle anglais, et plus de 70 % des Européens font plus confiance aux sites rédigés dans leur langue pour commercer en ligne. L’utilisation d’une TA de haute qualité pour traduire depuis le français vers les langues de l’UE – mais aussi vers le mandarin, l’hindi, l’arabe… – est la seule solution économiquement viable.

Dans le sens inverse, les consommateurs et les citoyens français doivent pouvoir accéder à des contenus (bien) traduits : pour choisir des produits et services étrangers, pour interagir avec les administrations d’Etats membres sur des questions commerciales, réglementaires, ou de droits sociaux. L’UE a saisi ces enjeux, et intègre des outils de TA dans une palette toujours plus large de services : règlement de contentieux commerciaux, publication de marchés publics, bibliothèque numérique Europeana, etc. Faute de TA de qualité, de multiples services restent inaccessibles, reléguant les Européens non-anglophones au rang de citoyens de seconde zone.