RÉMINISCENCE. Revivre un rêve alors qu'on est éveillé, c'est la très étrange expérience que font certains épileptiques lorsqu'une crise se déclenche. A la fois proche et très différente du "déjà-vu" qui est une sensation subjective de familiarité vis-à-vis d'une situation objectivement nouvelle, le "déjà-rêvé" s'apparente lui à une réminiscence de rêve. Ce phénomène est bien plus rare que le "déjà-vu" mais il fait partie de ces phénomènes cérébraux singuliers à même de nous éclairer sur le fonctionnement du cerveau. En l'occurrence, sur ce qu'il se passe dans celui des patients épileptiques.
Une équipe de chercheurs français du CHU de Toulouse, du centre de recherche Cerveau et Cognition (CNRS) et de l'université de Nancy s'est attelée à proposer une classification des différents types de "déjà-rêvé" rapportés. "C'est un phénomène qui a longtemps été amalgamé avec le "déjà-vu", explique le chercheur Jonathan Curot, premier auteur de ces travaux parus dans la revue Brain Stimulation. Mais le déjà-vu est dépourvu de contenu mental, c'est une sensation de familiarité qui ne se traduit pas par des images dans la tête", précise-t-il. Au contraire, le "déjà-rêvé" peut se caractériser par une série d'images voire de sons : "les patients revoient ce qu'ils ont déjà rêvé lorsque leur crise se déclenche".
Déjà-rêvé induit par stimulation cérébrale
Les chercheurs ont travaillé sur 42 cas de patients dont les expériences étaient déclenchées lors de stimulations électriques cérébrales appliquées en différents endroits de la région temporale interne du cerveau. Une procédure effectuée dans une logique d'évaluation des fonctions neurologiques avant une chirurgie. "Ce sont des stimulations indolores dont le patient n'est pas prévenu à l'avance", nous précise Jonathan Curot. A partir de ces 42 cas, les chercheurs ont établi trois entités bien distinctes en fonction de la phénoménologie du contenu mental qui survient. "On a d'abord le rêve très précis, qui s'apparente à un souvenir épisodique. Le patient est capable de dire que les images qui surgissent viennent d'un rêve qu'il a fait deux ou trois jours auparavant, et d'en relater des éléments narratifs précis", détaille le chercheur. "Les rêves correspondent à une expérience d'hallucination sensorimotrice qui suit une structure narrative, écrivent les auteurs de l'étude, et ces patients semblent bien en avoir éprouvé certaines parties", alors qu'ils ne dormaient pas.
Une deuxième catégorie comprend les patients rapportant une réminiscence, "mais avec un contenu mental assez pauvre, lacunaire, et ne sachant pas précisément quand s'est déroulé le rêve, ni où il prenait lieu". Enfin, il y a "l'état de rêve", c'est ce qui se rapproche le plus d'un "déjà-vu" : "les patients sont comme dans un rêve, mais sans contenu mental précis".
"Ces phénomènes induits nous donnent beaucoup d'informations dans l'étude des processus à l'œuvre dans une crise d'épilepsie, il est important de mieux les caractériser. Ça peut conduire aussi d'autres médecins et chercheurs à mieux rechercher ce genre de phénomènes, mieux interroger les patients sur le vécu de leurs crises", détaille Jonathan Curot. Ces étranges phénomènes font en effet pleinement partie du cortège de symptômes des crises, même s'ils surviennent au début de la "décharge neuronale" qui caractérise ces épisodes. L'équipe a ainsi pu s'apercevoir que la phénoménologie des expériences dépend aussi des sites de stimulation, sans toutefois identifier de points précis garantissant telle ou telle expérience. "Mais selon qu'on est plus proche de zones impliquées dans la vue ou l'ouïe par exemple, la nature de cette phénoménologie correspond à des images mentales ou des sons", ajoute-t-il.